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Apocalypse, chapitre 9 : Famine

Chapitres précédents :

Chapitre 1 : Prologue
Chapitre 2 : Gourmandise
Chapitre 3 : Envie
Chapitre 4 : Avarice
Chapitre 5 : Orgueil
Chapitre 6 : Colère
Chapitre 7 : Luxure
Chapitre 8 : Paresse



Comme celui qui a faim rêve qu'il mange, 
Puis s'éveille, l'estomac vide, 
Et comme celui qui a soif rêve qu'il boit, 
Puis s'éveille, épuisé et languissant; 
Ainsi en sera-t-il de la multitude des nations 
Qui viendront attaquer la montagne de Sion. 

- Livre d'Isaïe, 29:8 


 « Travaille dur, et la voie du bonheur s'ouvrira à toi. N'oublie jamais cela, mon fils ». Telles furent les dernières paroles de Hiro Kabanita, le père de Soma. Lui qui avait dédié toute sa vie à son travail, il était mort bien avant d'en récolter les fruits. Ces mêmes fruits qui avaient été emmenés loin de lui par sa belle-mère, le laissant dans la précarité dès son passage à l'age adulte. Mais cela n'avait pas suffit à l'éloigner de la voie qui lui avait été enseignée par son père. Le travail apporte le bonheur. Il lui fallait donc commencer le plus tôt possible. 

C'est ainsi qu'il avait trouvé cet emploi, dans ce fast-food américain, bien connu de tous. Le salaire n'était pas à la hauteur de ses efforts, c'était le moins que l'on puisse dire. Pourtant, Soma ne se décourageait pas. Il suivait sa voie, et travaillait dur tous les jours, weekends et jours fériés. Ces efforts, il les a poursuivis durant des années, sans qu'il soit récompensé de quelque manière que ce soit. Il avait quand même réussi à trouver quelqu'un et s'était marié. Sa femme n'était là que pour profiter de son maigre salaire, tout le monde le voyait et le savait. Soma le savait aussi, mais se voilait la face. Il continuait malgré tout à se lever chaque matin, pour subvenir aux besoins de sa femme, pendant que celle ci passait ses journées à faire du shopping. 

Un parfait Salaryman, voilà ce qu'était Soma. « Travaille dur, et la voie du bonheur s'ouvrira à toi » se répétait-il, encore et encore. Il était persuadé que ses efforts finiraient par payer. Toutes ces heures supplémentaires non payées, tous ces jours de congés passés à travailler... Tout ceci allait bientôt porter ses fruits. Ces fruits que son père n'avait pu goûter, il y goûterait. Et là, le bonheur s'ouvrirait à lui. 

 Ce jour arriva. Celui où ses patrons le convoquèrent dans leur grands bureaux. Soma avait pour l'occasion utilisé ses maigres économies pour s'offrir un costume en seconde main. Il avait alors pris le métro pour se rendre à Tokyo. Pendant le trajet, il s'était endormi. Il avait, dans son rêve, rencontré son père. Il lui avait raconté, les larmes aux yeux, comment il avait suivi ses conseils, et comment il allait enfin pouvoir commencer sa nouvelle vie de bonheur aujourd'hui même. Son père le regardait, fier. Puis, Soma lui avait pris la main, avant de se rendre compte que celle-ci changeait. Le corps entier de son père changeait. Il devenait de plus en plus maigre, rachitique. Jusqu'à ce qu'il se transforme en squelette. Soma avait alors poussé un cri d’effroi, en sortant de ce cauchemar. Il s'était ensuite excusé longuement auprès des autres voyageurs. 

Arrivé à la capitale, il s'était rendu dans les locaux de sa boîte. Il souriait. Ce jour était le sien. Tant d'années de dévouement... Cela valait le coup. Alors que son nom retentissait, il s'était levé pour passer son entretien, le cœur battant. 

Celui-ci avait été très bref. Cela devait être le premier jour de la nouvelle vie de Soma, mais, à la place, c'était le premier jour de sa descente aux enfers. Ses patrons l'avaient convoqué, non pas pour lui donner une promotion en récompense de toutes ses années de travail acharné et de dévouement envers son entreprise, mais pour lui annoncer son licenciement. Ils n'avaient plus besoin de lui. Ils avaient assez profité de lui. Ils lui avaient donc demandé de leur rendre son badge, et sa tenue de travail. Cette nouvelle avait été un choc immense pour Soma. Lui, qui ne vivait que pour son travail, s'en voyait privé. Il était rentré chez lui, titubant. Il était désemparé. Il avait annoncé la nouvelle à sa femme. Le lendemain, elle avait fait sa valise et était partie. 

S'en étaient suivi des semaines de recherche d'emploi infructueuse. Personne ne voulait de lui. Personne ne voulait de quelqu'un qui s'était fait licencier de son ancien poste. Personne ne voulait en connaître la raison, cela dit. Ce n'était pas leur problème. Des jours passaient. Des mois. Des années. Soma n'avait jamais pu retrouver d'emploi. Ses maigres économies n'avaient pas duré longtemps, surtout que son ex-femme en avait pris la quasi totalité en partant. Ce qui devait arriver arriva : Soma s'était retrouvé à la rue. 

Il mendiait chaque jour, à proximité du restaurant où il avait passé une bonne partie de sa vie à travailler dur. Mais personne ne s’arrêtait pour lui. Personne ne lui donnait ne serait-ce qu'une petite pièce. Soma fouillait les poubelles en espérant trouver de quoi manger, mais, en le voyant, ses ex-collègues faisait exprès de verser du liquide vaisselle sur les restes du restaurant, pour éviter qu'il ne les mange. Ils se moquaient beaucoup de lui. De ce naïf, qui pensait qu'en travaillant dur, il pourrait monter les échelons et devenir quelqu'un de riche et heureux. De celui qui s'était fait remplacer du jour au lendemain. S'il savait que le fruit de son travail acharné avait en fait profité à quelqu'un d'autre. Un des cousins du patron, qui avait eu une promotion grâce au travail de Soma. Cet idiot de Soma. 

Au fur et à mesure que le temps passait, la recherche de nourriture devenait de plus en plus compliquée pour Soma. Lui qui, après le travail, donnait les restes aux plus démunis, se voyait refuser ces mêmes restes par ceux qu'il avait autrefois aidés. La faim devenait de plus en plus présente. Ses forces le quittaient un petit peu plus chaque jour. La fin n'était plus très loin pour Soma. Il continuait pourtant de murmurer, chaque matin, les conseils de son père. 

« Travaille dur, et la voie du bonheur s'ouvrira à toi. » 
« Travaille dur, et la voie du bonheur s'ouvrira à toi. » 
« Travaille dur, et la voie du bonheur s'ouvrira à toi... » 

 Il n'était plus que l'ombre de lui même. Il était si maigre. Ce n'était plus qu'un sac d'os rachitique. Il portait encore le même costume qu'il avait acheté le jour qui aurait dû être le plus beau de sa vie. Celui-ci était complètement troué, sale, couvert d’excréments. 

Un matin, ses anciens collègues étaient venus le trouver. Ils se disaient préoccupés par ce qu'était devenu Soma. En mémoire de toutes ces années à travailler ensemble, ils lui avaient proposé de lui payer à manger, dans ce même fast-food où il avait sué sang et eau. Il avait accepté avec joie, lui qui n'avait rien mangé depuis des semaines. 

C'est avec la faim au ventre qu'on l'avait emmené dans le restaurant, et qu'on l'avait placé devant une machine. Cette machine était différente des autres qui étaient dans le restaurant. Elle était habillée d'une tenue de travail. Une tenue qui lui disait quelque chose. Cette machine portait également un badge. Où il était inscrit un nom. 

 « Soma Kabanita » 

Il avait été remplacé par une machine. Et ses collègues l'avaient amené ici non par pour le nourrir mais pour se moquer de lui. Soma s'était alors mis à pleurer. Autour de lui, ses anciens collègues, eux, étaient en train de rire. 

« Alors, Soma, tu ne veux pas manger ? Demande à Robot-Soma de te donner un Burger. Tu as de quoi le payer ? N'est-ce pas ? 
– Regarde, c'est Robot-Soma. Il travaille aussi dur que toi et ne demande aucun salaire... 
– Robot-Soma travaille aussi les jours fériés et les weekends, mais il ne sent pas mauvais en fin de journée...
– Vous pensez que la femme de Robot-Soma s'envoit aussi en l'air avec ses amis pendant qu'il travaille ? » 

Le monde entier semblait être contre lui. Un nouveau sentiment émergeait au fond de son cœur. La faim avait disparu, pour laisser la place à de la colère. Ses forces étaient subitement revenues. Les mots de son père lui revenaient en tête pour la dernière fois de sa vie. « Travaille dur, et la voie du bonheur s'ouvrira à toi. N'oublie jamais cela, mon fils. » 

Foutaises. Il le savait maintenant. Il ne serait jamais heureux. Et tous ceux autour de lui non plus. Une nouvelle force s'était éveillée en lui. Il s'était alors levé, et de son avant-bras s'échappait de la fumée, comme s'il brûlait. Un tatouage se dessinait sur celui-ci. Le tatouage d'une balance. 

Les moqueries autour de lui s'étaient arrêtées, laissant place à de l’incompréhension. Soma avait alors levé le bras, et tous ceux qui l'entouraient s'étaient mis à crier. Leur corps semblait se métamorphoser. Ils devenaient de plus en plus minces. Rachitiques. Affamés. 

Ils s'étaient alors mis à crier, puis s'étaient dirigés vers le comptoir où se trouvaient des burgers encore chauds. Pour calmer cette faim, ils ne voulaient maintenant plus que manger tout ce qui leur tombait sous la main. Mais, à l'instant où ils portaient le burger à leur bouche, celui-ci pourrissait instantanément. Certains continuaient quand même à vouloir le manger, mais le recrachaient aussitôt. Impossible de manger de la nourriture dans un état de décomposition si avancé. D'autres avaient jeté leur dévolu sur les boissons sucrées qui étaient disponibles. Mais, quand ils essayaient de les boire, elles s'évaporaient immédiatement. 

Ainsi était la malédiction que Soma avait lancé sur le monde. Partout où il irait, tout le monde souffrirait de la faim. Autant qu'il avait souffert. Il ne savait pas d'où venait ce pouvoir, mais cela lui convenait. Sa vengeance ne faisait que commencer. Lui, qui n'avait plus souri depuis des années, souriait maintenant à pleine dents. Il avait enlevé son T-Shirt, révélant son corps meurtri par la faim, et avait levé les mains au ciel, comme pour le remercier pour ce don. 

Ce don qui n'avait cessé de grandir. Très vite, son influence s'était étendue à travers tout le nord du Japon. Personne ne pouvait manger. Personne ne pouvait boire. Chaque morceau de nourriture porté à la bouche pourrissait instantanément. Chaque goutte d'eau portée aux lèvres disparaissait immédiatement. 

 Malgré le fait qu'un être humain ne peut survivre plus de 3 jours sans boire, les personnes frappées par cette malédiction ne mouraient pas. Comme si leur supplice se devait d'être le plus long possible. Comme pour Soma, leur corps maigrissait. Il n'y avait plus que des corps squelettiques dans les rues du Japon. Chacun cherchait à boire et à manger, dans chaque coins du pays. 

Beaucoup avaient essayé de fuir le pays, mais il n'y avait pas assez d'avions ou de bateaux pour tout le monde. Et il n'y avait pas assez de pilotes en bonne santé pour conduire tout ce monde loin de Soma. Certains essayaient de dévorer vivants les animaux qu'ils trouvaient. Chats, chiens, rats... Mais cela n’échappait pas à la malédiction. À peine la viande était-elle portée à la bouche qu'elle pourrissait. S'ils essayaient de mordre directement l'animal, celui-ci se mettait tout de suite à pourrir. D'autres avaient succombé au cannibalisme, faisant pourrir en un instant la pauvre victime. 

 La totalité du Japon souffrait de la famine. Mais ce n’était pas assez pour Soma. Il allait bientôt rejoindre le continent. Il ne serait heureux qu'une fois que le monde entier souffrirait de la faim. Avant son voyage, il avait été comme appelé par une chapelle, perdue au beau milieu d'un village rural. Après avoir ouvert les portes de celle-ci, il avait découvert un cheval, qui semblait l'attendre. Un cheval noir. 

Alors qu'il s'en approchait, une voix d'outre-tombe s'était fait entendre, faisant trembler les fondations de la chapelle. 

« Lève-toi, ô cavalier de l'apocalypse apportant la famine. Chevauche ton destrier, noir comme la nuit éternelle, et apporte la désolation sur cette Terre. » 

Montant sur son cheval, il s'était alors mis en route vers son destin. 

Texte de Kamus

3 commentaires:

  1. Ce premier cavalier, Soma du Japon et son histoire apocalyptique, donne faim de la suite :P Un peu triste de ne pas retrouver directement Edgar; mais je suppose qu'on le reverra tôt ou tard...
    Sinon tous les symbolismes sous-jacents sont excellents, hâte de bientôt découvrir Guerre, Conquête et Mort ^^
    Un bravo à toi Kamus, et courage pour les derniers chapitres de cette épopée ;)

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  2. C'est de la tuerie cette histoire ! J'ai vraiment aimé le développement du perso, ça m'a donné envie de dessiner un cavalier de l'apocalypse, c'est vraiment le kiff😍👌

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    1. N'hésites vraiment pas ! Si tu le fais envoi le nous ! ��

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