Disclaimer

DISCLAIMER

Les contenus proposés sur ce site sont déconseillés aux personnes sensibles et aux mineurs de moins de 12 ans.

Dernières nouvelles

Les Histoires de Skull a mis en audio notre traduction de Disney's Catacombs, vous pouvez retrouver la vidéo directement sur l'article en cliquant ici !

Vous voulez trouver toutes nos plateformes, ou vous êtes curieux de savoir quels médias parlent de CFTC ? Tout est sur notre Linktree !

Un message pour l'équipe ou l'association ? Consultez notre page Contact !

Monsieur le Président

À presque soixante-dix ans, je considère que c'est inacceptable d’être réveillé par un type en treillis. Et par tout un régiment, ça l'est d'autant plus.
Pourtant, les militaires sont là, au pied de mon lit, me pressant de bien vouloir les suivre sans attendre après m'avoir sorti manu militari d'un sommeil profond, littéralement.

Avec un grognement d'ours mal léché, je me redresse. Si je suis devenu président du Sénat, c’est en grande partie pour l'apparente tranquillité de la fonction. Enfin, je vais néanmoins m’habiller sans râler, bien que le lieutenant-colonel semble considérer que l’on peut se rendre à l’Élysée en pyjama, en l'état. Ah, les militaires… Dans tous les cas, un coup d’eau sur le visage et le costume de la veille feront l’affaire. A trois heures du matin, aucun journaliste ne devrait m’attendre en guet-apens.
Ce n’est qu’une fois dans la voiture que je commence réellement à m’interroger. Que se passe t-il ? Les tas de testostérones en uniforme m’ont seulement dit que le Premier Ministre se chargerait d’exposer les raisons de cette intrusion à mon domicile une fois que nous serons à l’Élysée. Je cherche bien à joindre Édouard pour avoir des précisions avant l'heure, mais en vain. Le Premier Con, je l’assure.

Je passe les portes du Palais présidentiel, à l'entrée duquel tout un tas de petites mains s’affairent, paniquées. On dirait le dîner de famille du lapin d’Alice au pays des merveilles, tant c'est l'effervescence. Je les ignore, et me dirige d'un pas ferme vers le bureau du président, mais un général dont le nom m’échappe complètement me barre la route, et m’invite à le suivre dans la salle d’opération militaire. J'aperçois alors un homme en noir tenant la poignée de ce qui semble être la valise nucléaire se glisser derrière nous, et nous emboîter le pas. Tout ça m'a l'air grave, très grave. Je commence à saisir la situation. Une fois entrés dans la salle, je constate que la quasi-totalité du gouvernement est présente, mis à part les sous-ministères dont tout le monde se fout. Ceux qui comptent sont là.
Le Premier Ministre s’approche de moi, tenant de la main gauche une petite boîte noire et métallique disposant d’un verrou à sécurité digitale. Il a des allures de chef de gang.

« Henry, laisse-moi t’expliquer la situation... », engage-t-il sans un bonjour,  me tendant la main malgré tout. La poignée qui s'en suit est calibrée, du même type que celles que l’on distribue lors des bains de foules. Du type qui se veut réconfortante et chaleureuse. Espèce de vieux salopard manipulateur. Cependant, au vu de sa mine déconfite, cette poignée de main semble tenir davantage du réflexe que de la volonté consciente , car je me doute de ce qu’il va dire.

« Il est mort ? ». Pas de temps à perdre en salamalecs ou autres formalités.
« Nous avons perdu la liaison avec son avion alors qu’il passait au-dessus de l’Atlantique. Plusieurs équipes de secours ont été envoyées, mais aucune réponse ne nous est parvenue ». Il reprend son souffle. « Nous ne parvenons à récupérer des images satellites claires, ni à comprendre ce qui se passe. Donc, conformément à la constitution, vous devez assurer l’intérim ».
« C’est une attaque, quelque chose de ce style ? ». J’espère que c'est un accident, ou un sabotage dans le pire des cas.
« Nous l’ignorons. C’est pour cela que tu dois ouvrir cette boîte ».

Sans rechigner, je pose mon pouce sur le lecteur digital. Un petit bruit électronique, puis mécanique, précède le déclenchement de la serrure. A l'intérieur du contenant, un ruban rouge sur lequel brille un code en lettres d’or trône au centre d’un coussin pourpre. La suite de chiffres et de lettres la plus importante et la plus puissante du pays, permettant le déclenchement de l’ultime argument de la France. Je me saisis de l'objet, et me tourne sans attendre vers l’état-major. La moitié d'entre eux scrute des cartes, pendant que l’autre s’époumone au téléphone.

« De quelles informations disposons-nous ? ».
« Malheureusement monsieur le Président, les seuls informations dont nous pourrions disposer ne nous sont pas encore parvenues. Nous avons perdu le contact avec la Guyane ainsi qu'avec les territoires proches, et les hommes en faction ou même les administrations ne répondent plus. Nous cherchons actuellement les raisons de ce silence ».
L'homme qui vient de parler est le général chargé du renseignement, un homme austère de bonne compétence selon sa réputation. Mais ce qu'il me sert ne me convient pas. Malgré tous nos moyens de surveillance, il n’est pas foutu de glaner quoi que ce soit.
« Pas de vidéos sur internet, ou sur un quelconque réseau nous permettant d’en apprendre plus ? ».
« Des extraits d’émeutes en Amérique latine. Nous pensons à une révolution dont le président serait un dommage collatéral mais... ».
Cette-fois-ci, mon locuteur est un militaire de carrière, ayant effectué quinze années de légion étrangère avant de rejoindre les renseignements. Pourtant, il ne me regarde pas dans les yeux. Et ce n’est pas de la honte que je vois dans son regard. « Plusieurs éléments ne collent pas. Il y a peu de vidéos proportionnellement à la population, et encore moins de mentions des événements. De plus, il semblerait qu'internet ait brutalement été coupé dans le sous-continent. Quant aux liaisons satellitaires, elles ne parviennent pas à retransmettre une fois braquées sur la région. Même les américains ne disposent pas de brouilleurs capables de faire une telle chose. Nous ne comprenons tout simplement pas ». Je me tourne alors vers un secrétaire d’État, à moins que ce ne soit un sous-secrétaire ou encore un chef de cabinet… Enfin bref, un type avec un poste occulte et pompeux.
« Vous, établissez un contact avec le commandement de l’OTAN et le Conseil européen. Si crise il y a, c'est ensemble que nous devons réagir ». Il hoche de la tête, et part s'exécuter. A nouveau, je me tourne vers l'état-major.
« Et Washington, que font les Américains ? ».
Le soldat reprend.
« Le Pentagone est passé en Defcon 3 suite à la disparition similaire d’un porte-avion au large de Porto Rico. Nous savons également que les États-Unis ont déployé une force aérienne de reconnaissance chargée de comprendre ce bordel ».

Sans attendre, je prends un téléphone et appelle directement ces couillons. Quand on parle d’Amérique Latine, les Yankees sont frileux au multilatéralisme. Mais quoi que je dise, cette foutue administration ricaine refuse de me passer le Président ou même un membre du cabinet. Fait chier. Un administratif me sert une soupe diplomatique fade. Je n’en tirerai rien, le gendarme du monde ne veut pas que l’on se mêle de son pré-carré. Je ne vais pas me gêner, tiens.

« Monsieur le Président, nous avons le conseil en visioconférence. La Chancelière demande des explications sur la situation, ainsi que sur le silence américain ». Pas le temps de jouer au couple franco-allemand harmonieux. Je ne compte pas me la jouer solitaire, mais je vais prendre les devants au vu des capacités de projection de l’Allemagne.
« Édouard, tu vas t’occuper de rassurer tout ce beau monde, de transmettre les informations et d'en glaner de nouvelles. Je la sens très mal cette histoire. Convaincs-les de mettre leurs armées en état d’alerte. ». Le ministre grisonnant acquiesce immédiatement, trop content de ne pas assumer la responsabilité d’une éventuelle catastrophe. J'ai toujours eu une magnifique tête à chapeaux.

« Parfait, messieurs de l’état-major. Quelles sont nos options ? »
« Nous pouvons envoyer des équipes de reconnaissances, mais cela est risqué car nous ignorons le sort subi par les équipes de secours ». Un autre médaillé prend alors la parole.
« Un Rafale peut y être dans une heure, ils sont déjà affrétés et attendent vos ordres ».
« Les engins américains ont perdu le contact. Il y a quelque chose de similaire aux IEM là bas, et l’électronique embarqué est omniprésent dans nos appareils », fais-je remarquer. Mais un troisième décoré ajoute :
« La coupure n’est sûrement pas immédiate. Envoyons un pilote en constant lien radio, il nous fera un rapport en temps réel, nous permettant de mieux cerner la situation ». Bonne idée.
« Que la liaison soit directement retransmise ici, je veux que nous soyons en lien avec lui directement ». Aussitôt, un haut gradé de l’armée de l’air beugle  mes ordres dans son portable.

Je m’assieds quelques instants, tentant vainement de faire fi de toute l’agitation environnante, dans la quête totalement vaine d'un replis sur soi momentané.

« Monsieur le Président... ». Je ne suis pas certain d’entendre.
« Monsieur le Président ! ». J’essaye péniblement de sortir de mes pensées.
« MONSIEUR LE PRÉSIDENT ! ».
« Inutile de hurler, que voulez-vous ? ». Non, définitivement non. Impossible de faire le vide cinq petites minutes.
« Nous avons perdu les communications avec le Mexique et l’Australie, les autorités locales ne répondent plus ». Et merde.
« Quoi ? Comment est-ce possible ? ».
« Quelques images postées sur internet nous sont parvenues. Elle sont cependant brèves ».

L’homme qui m'a arraché à mes pensées, dont j’ignore complètement le poste ou la fonction, ouvre un ordinateur portable et lance une série de vidéos. Tout est complètement surréaliste. Le cameraman semble courir à toute allure dans une rue de Mexico, mais ce n’est plus la Mexico que l'on connaît. Le sol est devenu poisseux, aussi bourbeux et sombre que du pétrole, dans lequel quelques visages se dessinent fugacement. Enfin, « visage » est un bien grand mot, tant ces faces grimaçantes s'éloignent de toute notion d'harmonie humaine. Elles n'en évoquent rien d'autre qu'une parodie macabre et grotesque, tant leurs proportions sont absurdes et hétéroclites. Un œil recouvrant presque toute la joue, ou encore un nez aplati jusqu’aux oreilles. Au final, la seule chose liant ces figures infernales tout droit sorties d'une œuvre cubiste de mauvais goût, c'est leur déformation immonde insultant Dame Nature elle-même.

L’homme continue sa course, filmant par intermittence ses compatriotes les moins chanceux. Mes nerfs optiques peinent à décrire l’ensemble à mon cerveau. Certains se sont mis à genoux afin de s’automutiler en psalmodiant des chants catholiques, d’autres exécutent sommairement des « Desviados ». Mais contre toute attente, ce n’est pas le plus choquant, non, loin de là. Ceux dont les membres… fusionnent avec les murs, les lampadaires ou leurs voitures, ça, mon cerveau l'assimile encore plus difficilement. On peut voir une femme dont la chair est comme collée à la portière de sa voiture, s'étalant doucement sur la paroi métallique du véhicule. Cette dernière ondule d’une façon presque aqueuse, fondant lentement chair et métal en un ensemble contre-nature sous les hurlements étrangement mécaniques de la pauvre femme. Alors que l'homme continue sa fuite effrénée, sur le coin de l'image apparaissent un petit garçon et ce que je suppose être son grand frère. Ils sont englués ensemble comme des siamois ayant grandi différemment, rattachés l'un à l'autre par un ballon de basket en fusion s’écoulant sur leurs ventres tel une seconde peau. C'est absurde, surréaliste. La ville s’est transformée en un vaste théâtre des horreurs. Rien n’a de sens, pas plus la ville elle-même que ces habitants.
Je prends une grande inspiration, et me retourne vers l'homme qui m'a montré ce tissu abject de fadaises.
« Vous vous foutez de ma gueule ? ». Je chope ce petit connard de farceur par le col.
« Ces informations viennent des renseignements monsieur, elles sont confirmées par d’autres vidéos du même acabit ! ». Il a mal choisi son moment pour sa petite blague de mauvais goût.
« Espèce de taré, tu vas regretter ton petit tour ! ». Mais le directeur de la DGSE pose sa main sur mon épaule.
« Aussi fou que cela puisse sembler, elles sont vérifiées, monsieur le Président. Les États-Unis sont passés en Defcon 1 à la chute de Mexico ». Estomaqué, je lâche le pauvre homme. Jamais dans l’Histoire le Defcon 1 n’a été déclaré, pas même en 62 durant la crise de Cuba.

Encore peu sûr de saisir la situation, j'interroge l'assemblée.
« Bon, qu’est ce qu’ils veulent faire ? ». Un homme prend la parole pour me répondre, représentant de la France à l’OTAN et expert en géostratégie, ou quelque chose du genre.
« Le haut commandement de l’OTAN vient d’appeler à la mobilisation des forces armées. Washington fait savoir qu’une frappe préventive n’est pas à exclure, une frappe nucléaire tactique plus précisément. Le bureau ovale pense à une épidémie inconnue, là où certains groupes de scientifiques privilégient la thèse d’un objet cosmique déréglant nos lois physique. Un trou noir peut-être. ».
« La chose paraît se répandre à une vitesse incontrôlable ». Si l’Australie est tombée, ce n’est pas un océan qui va protéger la métropole.
« C’est pour cela que je pense que diverses têtes nucléaires ont déjà été mises à feu. Jamais l’US Army ne laissera un… truc pareil traverser la frontière ». Nous devons prendre les devants. Même si l’Amérique sanctuarise son territoire, il ne nous aideront pas avant un bon bout de temps.
« Décrétez la phase 6 de pandémie. Je veux un couvre-feu. Limitez également les déplacements, fermez les aéroports et gelez tout échange physique avec d’autres continents. La circulation ne doit être que de nécessité, que les citoyens restent chez eux le temps que la crise soit jugulée. Demandez à Édouard de faire un communiqué et un discours aux français, il vaut mieux qu’un visage connu s’en occupe. Mais avant cela, je veux que des équipes de maintien de l’ordre équipées soit déployées dans les villes les plus vitales et stratégiques. Je décrète également l’article 16 de la constitution, les instances valideront en cours de route ». A ces mots, plusieurs ministres et exécutants prennent note, et s’attellent à appliquer mes directives.

Une carte en temps réel de l’évolution du phénomène s’affiche via un projecteur. L’Afrique du sud est contaminée, et cette abomination remonte vers l’Europe. Si la méthode USA fonctionne, je devrai me résoudre à faire de même avec les pays frontaliers, et pour le Maghreb également.
Mon Dieu, mais qu’est-ce-que c’était que cette horreur, sur les images ? Les vidéos tournent et retournent dans ma tête. Ces offenses aux principes de la physique, ces offenses à ce qui doit être… Ça ne peut être réel.

« Monsieur, nos satellites nous informent que les bombes américaines ont bel et bien été lancées, et viennent de toucher leurs cibles. Le Mexique n’existe plus. ». J’adresse un regard à mon locuteur, puis replonge dans la projection.
« Le pilote est aussi en route ».
« Je crois que sa mission n’a plus grande importance. Général, occupez-vous de la liaison. Tenez-moi informé » dis-je en désignant aléatoirement l'un d'entre eux.
Malgré tout, la progression de l'aberration est fulgurante. En l'espace de quelques heures, plusieurs autres continents sont touchés. Je réprime un rire nerveux. Mes ordres et mesures sont tellement dérisoires. Comment instituer une quelconque réaction en un laps de temps si court ? Un sentiment d’impotence grandit en moi, comme si je jouais un rôle futile face à des événements incontrôlables. Il ne me reste que ce gros bouton rouge et ce code, la dernière réponse ignoble de l’humanité. A l'heure actuelle, la carte indique le Mali, nos troupes présentes sur place ne répondant probablement plus. Un nouveau foyer qui n’est pas adjacent à celui de la contamination originelle. Pour ce que l’on en sait, l’Afrique est en effet loin d’être desservie correctement. Il est donc temps.

Je me tourne vers l’homme à la valise, et lui pose ma main sur l’épaule.
« Veuillez ouvrir cette attaché-case, s’il vous plaît ». Sans aucune hésitation, il se met à l'oeuvre. Terrifiante obéissance.
« Messieurs, le Mali est mort. Vous savez ce que cela signifie ». En guise de réponse, je n'ai droit qu'à un silence de mort. « Le choix ne nous appartient plus ». L’homme en noir achève de soulever le couvercle de la maudite boîte, laissant apparaître un tableau de commande surplombant un clavier. Un officier se lève alors, et s'installe en face de l'arme de destruction. Sans broncher, il y entre les cibles que je lui désigne, à savoir tous les centres de population des pays méditerranéens adjacents au Mali, ainsi que ce dernier. Il faut parfois brûler une partie de la forêt pour éteindre un incendie. Mais alors que je m'apprête à effectuer l'ultime action avant l'annihilation, un jeune adulte tout juste sorti de l’école s’approche de moi d'un pas vif. Il doit être stagiaire, pistonné dans un cabinet ministériel.
« Non, nous pouvons attendre ! Au moins attendre de voir si la destruction du Mexique a réellement été efficace, avant d’oblitérer tous ces pays ! ».
« Si elle a été efficace, c'est uniquement grâce à la rapidité de décision du Président américain. Autrement dit, nous ne pouvons attendre ». Je fais signe à deux soldats de l’éloigner.
« Si l’Europe s’en sort ce soir, ce sera le fait de la détermination française ». Enfin, j’entre les codes. Dans 20 minutes, les vecteurs de contamination seront limités.

« Monsieur le Président, nous avons perdu le contact avec notre pilote, mais nous avons néanmoins pu obtenir de nouvelles informations ». Il s'interrompt, guettant ma réaction. Bon sang, cessez votre mystère, Général.
« Continuez ». Mon ton sec lui fait comprendre ce que je pense de son suspense.
« Et bien, nous avons quelques images retransmises des caméras embarquées. Lui, il commençait à délirer. Le pauvre gars pensait que son avion cherchait à l’absorber, que ses bras était happés par le poste de pilotage, son visage dévoré par son casque et le siège qui le... ».
« Venez-en au fait ».
« Il entendait un maelström de cris unissons, formant un cœur macabre blasphématoire lui raclant le cerveau comme si des milliers de tisonniers ardents lui transperçait l’organe de part en part... ».
« GÉNÉRAL ». Le vieux militaire est aussi pâle qu'un damné.
« Je… Excusez-moi, monsieur le Président. Ses derniers instants furent éprouvants... ».
« Continuez, et transmettez les documents ». Il le fait, tremblant et suant d’un stress intense. Quelques larmes coulent le long de sa joue. « Que vous a-t-il dit qui puisse nous être utile, avant que le contact ne soit définitivement coupé ? »
« Ce n’est pas une maladie, ni un châtiment. C’est autre chose, une chose tellement immonde et abjecte qu’elle pervertit et broie la notion de réalité pour en instituer une nouvelle. Une réalité où l’humanité n’est qu’une écume gesticulante et bruyante hurlant sa souffrance tout en s’exaltant de sa propre transfiguration indicible et cyclopéenne ! ». Alertés par l'état de mon interlocuteur, quelques gardes s’approchent. Je leur ordonne de dégager ce malade.

Les photographies prises par l’appareil,  pourtant mitraillées, ne sont semble-t-il pas nettes. On y distingue néanmoins des choses, des choses absurdes. Je plisse les yeux. Non, les clichés sont tous clairs. Parfaitement clairs. Le continent sud-américain est… transformé. Il est devenu une immense masse tournoyante de terre, de boue et de chair. La chose est si mouvante que l’immondice ne semble pas avoir de forme définie, tourbillonnant et se remodelant sans cesse sur elle-même. Le pire étant les millions d’humains mutés, mutilé ou fusionnés dans des mélanges totalement absurdes sur le continent comme des plaques d’eczéma vivantes. Perdant mon sang-froid, j'arrache les clichés au mur, et jette ces ignobles… trucs au sol, qu'un homme vient aussitôt ramasser et ranger. La salle me regarde étrangement, se demandant sûrement que faire si même le Président craque comme le vieux général délirant que j'ai précédemment congédié. Oh, ne vous inquiétez pas, le Président ne craque pas, il est parfaitement lucide et apte à diriger les opérations.
Bon, il faut que je me calme, c’est en gardant la tête froide que je pourrai prendre les meilleures décisions.

« Monsieur... ». Le ministre des affaires étrangères s'avance, l’air tétanisé et triste.
« Quoi ? ».
« Nous avons perdu contact avec Washington ».
Non… Simplement, non…
« Que faisons-nous, Monsieur ? ».
Je ne sais pas.
« Monsieur ? ».
Qu’est ce que tu veux que je fasse ? Pourquoi tu restes là, attendant mes ordres ? Parce que tu sais que tu n’as nulle part où fuir, je suppose.
« Répondez ! ».
Pas le temps de partir dans le grand nord. De toute façon, tu ne tiendrais pas trois semaines avec les maigres réserves que tu prendrais avec toi, monsieur le ministre.
Devant mon silence, il s'emporte.
« Mais putain, c’est vous qui êtes en charge. Bordel ! ».
Il n’y a rien à faire.
Puis, il me colle une gifle.
« Je ne sais pas, je n’en sais rien. Regardez la carte, monsieur le ministre, l’Espagne envoie des appels de détresse . Cette... chose sera bientôt à nos portes. Il n’y a rien à faire, à part prier pour que l’Angleterre nous vitrifie ».

Tout le monde s'arrête une seconde, comprenant le désespoir de notre situation. Pendant cette petite seconde, chacun d’entre nous prend la pleine mesure de la réalité. Que c'est foutu, que nous n'avons aucune chance. Que nous allons tous disparaître. Puis, ils se remettent tous à s’agiter, s’invectivant, donnant ou demandant des ordres ineptes. Il y en a qui prient aussi. Bref, s’occuper pour ne pas penser, peut-être. L’espérance est un doux poison quant on réfléchit. Moi, je reste là, assis sur une chaise, contemplant le 9 mm que j’ai ordonné qu'on m'apporte. Le caporal a hésité un instant, puis s’est souvenu que je suis le chef suprême des Armées. La hiérarchie est tout ce qui lui reste.

Je ne saurais dire combien de temps s’est écoulé depuis que nous avons baissé les bras, mais la chose commence à faire sa besogne. Nous pouvons entendre les hurlements des parisiens, voir les crayons ou les armes pénétrer la chair pour former de nouveaux être immondes. La condition humaine en personne, c’est elle que nous voyons impitoyablement souillée de la plus vile des façons. Par la fenêtre, j’aperçois trois individus agglutinés ensemble, formant une sorte de cafard humain à trois têtes. Le pire étant qu'à travers les hurlements des victimes, la jubilation orgasmique est aussi palpable que la frayeur et la douleur.

Non, je ne saurais en supporter davantage. Je pointe l’arme sur ma tempe, la crosse de celle-ci déjà collée irrémédiablement à ma main. Avec un soupir, je presse la détente.
 La détonation retentit, la balle est projetée hors du canon. Lorsque je la sens se fondre sur ma peau, suivie par le canon de l'arme, mes yeux s’écarquillent de terreur. En dessous de moi, la chaise suit le mouvement, fusionnant lentement avec mon séant. Peu à peu, je ressens ces nouvelles extensions comme s'il s’agissait de mes organes. Je me sens dévoré par ces objets. Mon dos s’avachit sur le dossier, qui bientôt ne fait plus qu'un avec ma colonne vertébrale. De peur, je bascule en avant et tombe sur le sol. Dans une vaine tentative d'échapper à mon sort, je rampe dans la douleur et la folie croissante qui dévore peu à peu mon esprit, tant l'ignominie dont je suis l'objet est inconcevable. Je ne peux parler, ma langue ne faisant plus qu’un avec mes gencives et mes dents. Alors je beugle et rampe, comme une odieuse limace humaine cherchant inlassablement une bonne âme pour mettre fin à ce sinistre spectacle.

Mais point de bonne âme, le sort de mes camarades n’est guère plus enviable. À ma gauche, un agglomérat de viande et de membres formant une boule disgracieuse englobant tout ce qui la touche. A ma droite, une série de mutants aux corps disproportionnés et ridicules. Le cou de l'un se confond avec son dos élancé et s'allonge sur plusieurs mètres, comme s'il n’existait de lui que ce cou et cette tête à l’humeur changeante, entre joie psychotique et désespérance extatique. Un autre est encastré dans un mur, ayant pénétré lentement à l'intérieur de celui-ci jusqu'à le faire devenir organique, et agrippant toute personne s’approchant de lui dans une vaine tentative de fuite. Pas par malveillance, mais simplement pour s'accrocher à l'espoir de pouvoir sortir de cette situation. Les  personnes  qu'il parvient ainsi à saisir fusionnent  avec lui, les condamnant à leur tour à ne faire qu'un avec ce mur de chair, et à chercher de l'aide par n'importe quel moyen, formant ainsi une chaîne démente.

Finalement vient l’harmonie, les vociférations collectives devenant une clameur généralisée. Une ode à cette transformation que nous abjurons et haïssons à la fois. Une symbiose collective, magnifique et hideuse, nous faisant presque oublier que la Terre mute elle aussi.

Texte de Wasite

5 commentaires:

  1. Waouh ! Vraiment très sympathique ce texte

    RépondreSupprimer
  2. Un bon texte, très très Lovecraftien dans la description du phénomène, notamment dans le champ lexical utilisé, à tel point que je m'attendais à ce que le pilote décrive Cthulhu dans son rapport x)

    Sinon c'est bien écrit, bien construit, et c'est une vision de la fin du monde qui change un peu des clichés habituels de ce type de thématiques.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Plus de la version Tzeentchienne/warhammer du theme lovecraftien je dirai

      Supprimer
  3. On dirai le Chaos de Warhammer x)

    RépondreSupprimer