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Tout a commencé quelques jours avant le 31 octobre. Il faut savoir que la petite ville dans laquelle j’habite est très soudée. Tout le monde se connaît et s’entraide pour le moindre problème. Si, par exemple, une personne a besoin d’utiliser le four de quelqu’un ou de prendre une douche à cause d’une coupure d’eau, vous pouvez être certain que l’un de ses voisins lui ouvrira en grand sa porte. Ce que je viens de dire s’applique aussi pour les grandes fêtes, notamment Halloween.
— Mieux qu’un arbre qui donne des bonbons ?
— Un arbre ? Je ne sais pas. Par contre, un magasin, ça, c’est sûr !
— Attends ! Tu as réussi à trouver un magasin qui n’est pas en rupture de stock ?
— Oui ! Par contre, c’est une petite boutique. Malgré ça, le propriétaire a un stock gigantesque de bonbons ! Assez pour fêter deux fois Halloween !
— Et tu es sûr qu’il a le stock qu’il dit avoir ?
— Oui ! Il me l’a même montré ! J’en ai déjà discuté avec le conseil municipal et ils sont tous d’accord pour qu’on s’approvisionne chez lui.
— Et tu sais qui est ce type ?
— Un nouvel habitant. Il vient juste d’ouvrir sa confiserie. Je crois qu’il vient d’Allemagne, mais j’en suis pas sûr. Il a un nom bien typique du pays. Très sympa au premier abord. Sa boutique n’est pas loin. Tu peux aller vérifier si tu veux.
— Ça marche ! C’est quoi son nom déjà ?
— Mmmh… Schwartz. Oui, c’est ça. Schwartz.
— OK. Merci pour l’info. J’irai voir ça dès que j’ai le temps. À plus tard !
— À plus ! »
Les murs étaient décorés avec un papier peint vieillot et quelques cadres photos étaient disséminés un peu partout dans la pièce. Certaines images montraient une famille devant une boutique avec la même enseigne que la boutique du gérant. La légende de l’une d’elles disait : « Munich, 1941 ». J’ai supposé que c’était peut-être une affaire familiale. Par contre, je ne comprenais pas pourquoi il s’était donné la peine de se déplacer jusqu’aux États-Unis pour ça. Il aurait très bien pu rester dans son pays. Qui sait ? C’était peut-être le rêve américain qui l’avait attiré ici.
Je me souviens qu’ils étaient dans une sorte de laboratoire. Le gérant était-il chimiste ? Je n’en savais rien et, à vrai dire, ce détail n’a pas attiré mon attention plus que ça. Alors que je faisais les cent pas dans la pièce, j’ai aussitôt entendu du bruit provenant de l’arrière-boutique. J’ai crié une nouvelle fois : « Ho Hé ! Il y a quelqu’un ?! ». Je n’ai de nouveau pas eu de réponse.
Je sais que ce n’est pas très poli de faire ça, mais j’ai pénétré dans l’arrière-boutique. Comprenez-moi ! Ça faisait plus de quinze minutes que je poireautais comme un idiot sans que personne ne se présente. Je trouvais que ça n’était pas une façon de traiter ses clients. Pour en revenir à l’arrière-boutique, l’endroit était sombre, mais j’ai réussi à trouver un interrupteur. La petite ampoule accrochée au plafond m’a permis d’observer plusieurs étagères où était stockée une quantité faramineuse de friandises.
C’est en avançant un peu plus dans la pièce que j’ai de nouveau entendu un bruit. Ça venait d’une porte située tout au fond de l’arrière-boutique. En me rapprochant, j’ai pu distinguer des bruits mécaniques provenant de ce que je supposais être une machine. J’avais l’impression que le bruit provenait de sous mes pieds. J’en ai conclu que cette porte devait probablement mener à un sous-sol. À mesure que je me dirigeais vers la porte, mon rythme cardiaque s’affolait de plus en plus. Je connaissais plein d’histoires sur des caves qui se finissaient très mal et je n’avais pas du tout envie de faire partie de l’une d’elles. Au moment où j’ai posé ma main sur la poignée pour la tourner, une voix a surgi derrière moi : « La curiosité est un vilain défaut, jeune homme ! ».
J’ai sursauté et j’ai failli trébucher en me retournant. La personne qui m’a fait peur était un vieil homme portant des lunettes et un tablier. Il affichait un grand sourire sur son visage et avait un léger accent :
— Veuillez m’excuser ! Ce n'était pas mon intention.
— Vous êtes le propriétaire, c’est ça ? Je suis désolé ! C’est moi qui m’excuse ! C’est votre boutique après tout. C’est normal de détester les fouineurs.
— N’en parlons plus ! C’est déjà oublié ! Je m’appelle Hans Schwartz, mais vous pouvez m’appeler Hans.
— John.
— Ravi de vous rencontrer, John. »
J’étais essoufflé. Pendant que je reprenais ma respiration, M. Schwartz a continué à me parler :
« Dites-moi, mon garçon. Vous m’avez l’air de quelqu’un de plutôt cardiaque, je me trompe ?
— Disons que je ne ferais jamais un marathon. Laissez-moi juste quelques instants et je suis à vous.
— Rien ne presse, mon garçon. Prenez votre temps. »
J’ai finalement réussi à reprendre mon souffle. J’ai donc continué ma conversation avec M. Schwartz :
« Laissez-moi deviner. C’est votre ami Sam qui vous envoie, n’est-ce pas ?
— Comment le savez-vous ?
— Voyons ! Je viens d’arriver en ville, Sam vient me voir et c’est ensuite à votre tour, seulement un jour après son passage. De plus, j’ai entendu dire que vous étiez très soudés dans cette ville. Je suis peut-être vieux, mais pas sénile, mon garçon.
— Dit comme ça, ça parait logique. J’ai l’impression que vous allez facilement vous fondre dans le décor.
— Ravi de l’entendre ! À propos, quel est l’objet de votre visite ?
— C’est à propos de votre stock de bonbons. Sam m’a dit que vous en aviez assez pour toute la ville et je voulais vérifier si c’était vrai.
— Et donc ? Vous êtes satisfait de ce que vous avez vu ?
— Oh oui ! Je dirais même que vous nous sauvez la mise !
— J’ai entendu parler de cette histoire de rupture de stocks de bonbons. Quelle tristesse ! Une soirée d’Halloween sans bonbons, ce n’est plus Halloween bon sang ! Ravi de vous aider dans cette situation délicate.
— Encore merci ! Ça compte beaucoup pour les enfants, vous savez ? Certains n’ont pas toujours les moyens de fêter Halloween ou d’acheter des bonbons. Ce genre d’évènements est important pour resserrer les liens entre les habitants.
— Je suis parfaitement d’accord avec vous ! Ce geste est tout à fait louable de la part de votre communauté. »
— C’est mon accent ou les photos qui vous ont mis la puce à l’oreille ?
— Les deux, je dirais.
— Curieux et observateur ! De mieux en mieux !
— Désolé ! C’est plus fort que moi.
— Je plaisante, voyons ! Il n’y a aucun problème. Et pour répondre à votre question : oui, pendant ma jeunesse.
— Votre famille vous manque ?
— Très souvent ! Il m’arrive même de me demander ce qui se serait passé si j’étais resté gentiment à Munich. Là-bas, au moins, j’aurais facilement pu honorer la mémoire de mes parents.
— Toutes mes condoléances.
— Il ne faut pas vous en faire. Ils sont morts il y a bien longtemps.
— C’est vrai que ma remarque était un peu stupide. Désolé.
— Voyons ! Il ne faut pas ! C’est l’intention qui compte. »
— Vous étiez chimiste, c’est ça ?
— Oui, et bien plus encore. J’ai fait des études en chimie et en génétique avant de travailler dans un grand laboratoire. Je crois que pendant tout ce temps, j’ai perdu de vue l’essentiel. C’est pour ça que je suis là. C’est ma dernière volonté avant de quitter ce monde. Excusez-moi pour tout ça ! Je deviens gâteux au fil des années. Je vous raconte ma vie depuis tout à l’heure. Ça doit probablement vous ennuyer.
— Absolument pas ! Je suis sûr que, de là où il est, votre père doit être fier de vous.
— C’est très gentil, mon garçon. J'espère sincèrement que vous dites vrai.
— N’en doutez pas un seul instant.
— Oui, en effet ! C’était ma passion quand j’étais jeune.
— Et ça l’est encore aujourd’hui ?
— C’est que je ne suis plus tout jeune, mon garçon ! Ma vue baisse et mes articulations commencent à me faire mal. Vous ne voudriez quand même pas que je canarde un passant sans le vouloir ?!
— Non. Bien sûr que non. »
Soudain, l’horloge murale située dans la pièce s’est mise à sonner :
— Mes aïeux ! Je n’ai pas vu le temps passer ! Navré, mon garçon, mais je dois retourner au travail. J’ai été ravi de vous avoir rencontré !
— C’est pareil pour moi ! Et pour les bonbons ? On s’organise comment ?
— Ne vous en faites pas ! Votre ami Sam m’a déjà tout expliqué. Des habitants viendront les chercher.
— Merci pour tout.
— C’est moi qui vous remercie. Je me sens utile ici et ça me procure une immense joie. Prenez soin de vous, mon garçon, et passez une bonne journée.
— Au revoir, Monsieur… Je veux dire… Hans. Passez aussi une bonne journée.
— Merci, mon garçon. Laissez-moi vous raccompagner. »
Après ça, je suis sorti de la boutique pour rentrer chez moi. En passant le seuil de ma porte, j’ai rangé mon manteau et je me suis affalé sur le canapé. Ce M. Schwartz avait tous les traits d’un papi gâteau. Son histoire m’avait beaucoup touché, même si certaines questions restaient en suspens. Je n’arrivais pas à m’enlever de la tête les bruits provenant du sous-sol. Qu’est-ce qu’il pouvait bien cacher derrière cette porte ? Et d’ailleurs, quel genre de confiserie a un sous-sol ? Je trouvais ça plutôt bizarre et c’était assez clair que M. Schwartz ne voulait pas du tout en parler. Puis, je me suis souvenu que tout le monde a des secrets et que ce n’est jamais une bonne idée de les déterrer. Après ça, la journée s’est déroulée normalement et j’ai fini par m’endormir très tôt. J’avais une journée chargée le lendemain et je ne voulais pas arriver au travail en traînant les pieds.
Faisons maintenant une avance rapide jusqu’au soir d’Halloween. Alors que certains peaufinaient la décoration de leur maison jusqu’à la dernière minute, d’autres adultes s’occupaient de rafistoler les costumes qui avaient été utilisés l’an dernier. On ne réutilise pas tout évidemment ! Je sais que vous pensez qu’on est ringard, mais on essaie toujours d’innover au fil des ans.
Il arrive même que ces petits chenapans sonnent plusieurs fois de suite à la même maison. Je me demande comment est-ce qu’ils font pour s’épuiser moins vite que les adultes ? C’est vraiment fascinant. Je connais certains habitants qui ont la boule au ventre à l’idée de ne plus avoir assez de bonbons à leur proposer. Fort heureusement, il arrive un moment où les enfants savent se montrer raisonnables et rentrent chez eux. Le lendemain, ils s’amusent à comparer leurs prises avec les autres et s’échangent certaines friandises. Je les envie beaucoup. Eux, au moins, s'amusent.
Pour en revenir à notre histoire, l’année dernière n’a pas fait exception. Tout s’est passé comme je vous l’ai expliqué. C’était un véritable marathon ! La seule différence, c’est que les enfants étaient plutôt étonnés de ne pas voir leurs bonbons habituels. Néanmoins, ils ont fini par les apprécier et nous ont même dit qu’ils étaient plus jolis et encore plus délicieux que ceux qu’on distribuait les années précédentes.
J’en arrive à la partie horrible de ce récit. Il était 3h00 du matin quand c’est arrivé. J’étais en train de dormir quand j’ai été réveillé par des bruits venant de l’extérieur. Étant à moitié endormi, j’ai d’abord cru qu’il s’agissait de jeunes qui avaient fait le mur et qui traînaient encore dans la rue. C’est assez rare, mais ça peut arriver. Ils voulaient peut-être continuer Halloween en pleine nuit pour se faire peur ?
C’est ce que je pensais jusqu’à ce que les voix se multiplient de plus en plus et deviennent de plus en plus fortes. On aurait presque dit qu’ils criaient. C’est à ce moment-là que je me suis complètement réveillé et que mes craintes se sont confirmées. J’entendais bel et bien des gens crier dans la rue. Alors que j’étais sur le point d’aller voir ce qui se passait, j’ai entendu une fenêtre se briser et l’alarme d’une voiture se déclencher. Quelques secondes après ça, une sorte de cri animal a résonné dans tout le quartier. Je me suis donc précipité vers la fenêtre pour voir ce qu'il se passait.
Plus loin encore, une horde d’enfants à la peau putréfiée et avec le cerveau à l’air libre a commencé à poursuivre toute une famille. Je vous le jure ! On se serait cru dans un véritable film de série Z. D’autres petits monstres, avec une tête de citrouille, sont sortis d’une maison après avoir balancé un couple par-dessus leur balcon. Les pauvres ont atterri directement sur leur voiture, leur tête écrasée contre le pare-brise. Néanmoins, ce n’était rien en comparaison des squelettes qui tabassaient un homme au beau milieu de la route. Le pauvre était méconnaissable. Ils s’étaient tellement acharnés qu’il n’avait quasiment plus de visage.
Il y avait aussi d’autres monstres qui avaient une apparence hideuse et qui étaient une sorte de mélange de ceux que je vous ai décrits précédemment. On avait par exemple un loup-garou zombie, un vampire fantôme ou encore des squelettes avec une tête de citrouille. Oui ! Vous avez bien lu ! Des squelettes avec des têtes de citrouille. Rien que de l’écrire, c’est ridicule. Et pourtant, c’est la vérité !
Fort heureusement, j’ai installé un judas muni d’une caméra Wi-Fi quelque temps auparavant. Même si le quartier est tranquille, on ne sait jamais ce qui peut nous tomber dessus. Je peux vous dire que j’étais soulagé que ça serve enfin à quelque chose ! En regardant mon téléphone, j’ai été à la fois rassuré et choqué de voir que ce n’était pas un monstre, mais Sam, qui avait trois griffures béantes au niveau du torse.
Les plaies saignaient abondamment et je craignais qu’il ne survive pas. J’ai tout de suite ouvert la porte pour traîner Sam à l’intérieur. Après l’avoir fait, j’ai aussitôt fermé cette dernière pour la barricader afin que nous soyons tous les deux en sécurité. J’ai essayé de parler à Sam pour voir s’il réagissait, mais il avait déjà du mal à concentrer son regard sur moi et il avait aussi du mal à respirer :
— Faut… Faut pas qu’il entre…
— Ne t'inquiète pas ! J’ai éteint toutes les lumières et j’ai barricadé la porte ! Il ne viendra pas !
— J’ai… J’ai froid…
— Je vais chercher de quoi te réchauffer et panser tes plaies ! Tiens le coup ! J’arrive tout de suite ! »
— J’ai… J’ai toujours mal, mais… ça va un petit peu mieux…
— Normalement, t’es tiré d'affaire… enfin… pour le moment. Malheureusement, je ne peux rien faire pour la douleur. Va falloir que tu serres les dents jusqu’à ce qu’on aille à l’hosto.
— Merci…
— C’est normal. Qu’est-ce qui s’est passé ? J’y comprends absolument rien ! D’où viennent tous ces monstres ?!
— Le… Le loup garou…
— T’en fais pas ! Il ne viendra pas ici !
— Non… Tu ne comprends pas… C’est… C’est… »
Il a commencé à pleurer : « C’est… C’est mon fils… ».
« Ton… Ton fils ? Que… Qu’est-ce que tu racontes ? C’est… C’est impossible !
— C’est lui… Je l’ai vu…
— Comment ça ? Explique-moi.
— Je… J’étais en train de dormir quand j’ai entendu du bruit dans la chambre de Tim. Au début, je pensais qu’il jouait aux jeux vidéo. Je me suis donc levé pour aller le gronder quand j’ai entendu des cris inhumains qui venaient de sa chambre. Je suis rentré et… Oh Mon Dieu !
— Ça va aller, Sam. Continue.
— Il était en train de… de se transformer. Il avait l’air de souffrir… »
— Quand il est devenu… cette chose, il a commencé à me poursuivre dans toute la maison. Et ensuite… Oh Mon Dieu ! Tim ! Mon petit garçon ! »
Il s’est totalement effondré. Je crois que je ne me suis jamais senti aussi impuissant de toute ma vie. Comment vous voulez dire à un homme d’avancer après qu’il ait vécu une telle chose ? À sa place, je ne le pourrais pas. Malgré tout, je devais l’emmener à l’hôpital le plus vite possible. J’ai donc dû puiser au plus profond de moi-même pour le convaincre de vivre :
« Sam ! Écoute-moi ! J’ai réussi à te rafistoler, mais tu n’es pas hors de danger pour autant. Il faut immédiatement qu’on aille à l’hôpital.
— À quoi bon ?! Mon fils est devenu un monstre ! T’entends John ?! Mon fils est devenu un monstre ! Ma seule raison de vivre s’est envolée ! Et tu veux que j’aille à l’hôpital ?!
— Il faut que tu restes calme et que tu gardes tes forces.
— Que je reste calme ?! Mon fils s’est transformé en monstre et s’est jeté sur moi ! Et tu me demandes de rester calme ?! »
Je sentais qu’il ne voulait rien entendre, alors j’ai décidé d’être plus convaincant :
Après lui avoir dit ça, il a séché ses larmes avant de se ressaisir :
« D’accord…
— OK ! Tiens-toi à moi. Je vais t’aider à te relever. »
Après qu’il soit debout, j’ai réfléchi à un moyen de sortir discrètement de chez moi pour rejoindre la voiture :
« OK ! On va attendre que les monstres regardent ailleurs pour se faufiler en douce, jusqu’à ma voiture. On ira ensuite à l’hôpital.
— Tu crois que ce sera possible en m’aidant à marcher ?
— La voiture n’est pas loin. On a nos chances.
— OK. Je te fais confiance. »
C’est pendant le court instant, entre le moment où j’ai inséré la clé et celui où la pensée de la tourner a germé dans mon esprit, que j’ai réalisé que la voiture ferait forcément du bruit en démarrant. Les monstres l’entendraient à coup sûr et se rueraient vers nous. Malheureusement, je ne me suis pas préparé mentalement à cette situation et j’ai inconsciemment tourné la clé. Au moment où le moteur a vrombit, j’ai entendu un hurlement animal loin derrière la voiture. J’ai regardé dans mon rétroviseur pour constater avec horreur que ce cri venait du loup-garou… Enfin, je veux dire… Tim. Il a commencé à courir vers nous à une vitesse affolante :
— Putain de merde ! Il faut qu’on se casse d’ici ! »
Je n’ai pas hésité une seule seconde. J’ai écrasé la pédale d’accélérateur et j’ai filé en ligne droite pour lui échapper. J’avais beau accélérer, Tim se rapprochait de plus en plus. En passant, d’autres monstres se jetaient sur la voiture, même s’ils se faisaient vite écraser.
C’est au bout d’une dizaine de kilomètres que j’ai remarqué que d’autres personnes se trouvaient derrière le rail de sécurité. Ils avaient dû fuir la catastrophe bien avant nous. J’ai pensé qu’ils avaient réussi à contacter la police et à trouver un autre endroit pour se mettre en sécurité. Ça ne voulait dire qu’une chose : la ville n’était plus sûre. Malheureusement pour eux, ils ont attiré l’attention de Tim. Il s’est immédiatement jeté sur eux et a commencé à les dévorer. Je n’ai pas osé regarder dans mon rétroviseur. Sam, lui, était en larmes. Imaginez une seconde voir son fils dévorer une autre personne. J’avais pitié de lui. Il ne fait aucun doute que ça le marquera à vie.
— Oui Sam ?
— Merci.
— Tiens bon. Tu vas t’en sortir. »
D’après ce que m’avait dit Sam, ces monstres étaient en fait des personnes qui s’étaient subitement transformées. J’ai dit à voix haute : « Pauvre Tim ! Tu ne méritais pas ça ! » Soudain, un détail m’a interpellé. Ceux qui n’étaient pas transformés n’étaient que des adultes. J’ai d’abord cru que c’était une coïncidence et que c’était sans importance. C’était le cas, jusqu’à ce que je me dise qu’une telle chose ne pouvait pas être due au hasard. Ce qui venait d’arriver était si inattendu que ce détail anodin devait avoir son importance. Tim avait été transformé en loup-garou. Et si tous ces monstres étaient en fait des enfants ? À mesure que je réfléchissais, cette hypothèse me paraissait de plus en plus plausible. Je dirais même que c’était la seule qui me paraissait convaincante.
J'essayais tant bien que mal de justifier mon déni à ce sujet. Cependant, le nom de M. Schwartz hantait mes pensées. Je n’arrivais pas à m’enlever de la tête qu’il puisse être mêlé à tout ça. Alors que je serrais le volant, j’ai réfléchi à quelle décision je devais prendre. Je ne vous cache pas que ça n’a pas été facile. Néanmoins, et après quelques minutes d’incertitude, j’ai démarré la voiture pour prendre la route en direction de la confiserie. En roulant, j’ai vu que le bord de la route était jonché de cadavres, mais qu’aucun monstre n’était présent dans les environs. Ils avaient dû retourner en ville pour tuer plus de personnes.
Au fond de moi, je me disais que c’était une mauvaise idée. Je n’arrêtai pas de répéter dans mon esprit que ce que j’étais sur le point de faire était stupide et que je devrais gentiment me mettre à l’abri. Cependant, une force irrésistible m’attirait vers la porte. Après quelques minutes d’hésitation, j’ai finalement toqué à la porte en criant : « M. Schwartz ?! Vous êtes là ?! C’est John ! Je suis venu vous rendre visite il y a quelques jours ! Ho hé ! Il y a quelqu’un ?! ». Je n’ai eu aucune réponse.
Je n'ai pas arrêté de me demander ce que je fichais ici. C’était évident qu’il était absent. Alors pourquoi je restais planté devant cette maudite porte comme un piqué ? Je n'arrêtais pas de faire les cent pas devant la porte. Je n’arrivais toujours pas à prendre une décision. Puis, sans crier gare, je me suis arrêté et j’ai poussé un juron en criant : « Et puis merde ! ». L’instant d’après, j’ai fait une chose dont je me croyais incapable. J’ai brisé l’un des carreaux de la porte et j’ai déverrouillé cette dernière.
En ouvrant les yeux, ma mâchoire est tombée à la renverse. On se serait à la fois cru dans un film de science-fiction et dans le laboratoire d’un savant fou. Il y avait une vingtaine de cuves qui contenaient chacune un monstre différent. Je ne sais pas pourquoi, mais je me suis soudainement rappelé des bonbons entreposés dans l’arrière-boutique. Je pouvais dire à l’œil nu qu’il y avait autant de bonbons différents que de monstres dans ces cuves. Toute la salle était d’ailleurs parsemée de bidons noirs dont la contenance avait l’air d’être de 60 litres. Certains portaient le pictogramme « Inflammable », « Explosif » ou encore « Toxique ». Ils étaient tous reliés aux cuves et, par conséquent, aux monstres, par de longs tuyaux transparents.
Je ne comprenais absolument pas ce qui se passait. Qu’est-ce que c’était que cet endroit ? D’où venaient tous ces monstres ? Et surtout, qu’est-ce que trafiquait M. Schwartz ? J’ai soudain entendu du bruit dans le fond du sous-sol. Je n’y avais pas prêté attention, mais des cages étaient présentes dans l’un des coins de la pièce. Elles étaient recouvertes par un drap blanc et disposées à même le sol. Je me suis rapproché d’elles tout en ayant la boule au ventre. J’avais déjà vu assez de choses horribles comme ça et il était hors de question que je meure ce jour-là. Quand je suis arrivé aux niveaux des cages, j’ai lentement soulevé le drap blanc pour découvrir, avec horreur, des espèces de rats mutants de laboratoire. La plupart avaient la cervelle à l’air tandis que d’autres avaient une taille énorme, des griffes acérées et des crocs d’une longueur démesurée... Certains rats avaient même l’air fantomatique et nébuleux.
Je me suis retourné pour trouver M. Schwartz en haut des escaliers, un fusil de chasse à la main. Il n’avait plus du tout son air sympathique de la dernière fois. À présent, son sourire était diabolique. Il a commencé à descendre les marches et a braqué son fusil sur moi :
— Alors c’est vrai…C’est vraiment vous…
— Vous êtes plus fûté que vous en avez l’air. Vous êtes bien le seul à m’avoir démasqué.
— Espèce d’enfoiré ! C’étaient des enfants ! Pourquoi vous avez fait ça ?! Qu’est-ce qui vous est passé par la tête ?!
— Je vous conseille de baisser d’un ton ! Dois-je vous rappeler qui tient une arme ici ? À cette distance, je pourrais vous abattre comme un lapin. »
« Je vous l’ai pourtant dit : la curiosité est un vilain défaut. Cette manie de vous mêler de ce qui ne vous regarde pas vient de causer votre perte.
— Qu’est-ce qui était vrai dans votre histoire ?! Ne me dites pas que c’était du pipeau ?! Dire que je vous ai cru !
— Je ne vous ai pas menti, mon garçon. J’ai passé 40 ans de ma vie à suivre les traces de mon père. Et à présent, c’est chose faite ! Votre petite ville n’était qu’un début. Tout le monde se souviendra de mes friandises et je deviendrai le nouveau « Roi du Sucre » !
— Vous êtes complètement cinglé !
— Votre opinion sur moi m’importe peu. Vous devriez plutôt vous faire du souci pour vous. Vous en savez beaucoup trop à mon sujet. Je ne peux pas vous laisser partir. Ils ne vous retrouveront jamais et ils penseront que l’une de mes créations vous a dévoré.
— Espèce d’ordure ! Vous ne vous en sortirez pas !
— Je ne compterai pas trop là-dessus à votre place.
— Allez en enfer !
— Voulez-vous que je vous dise, John ? Je vous apprécie beaucoup. Si on met de côté votre tendance à fouiner, vous êtes un jeune homme plutôt sympathique. Quel dommage que je doive vous éliminer. »
Alors que je pensais que tout était fini, des sirènes de police ont retenti à l'extérieur de la confiserie. M. Schwartz s’est retourné, ce qui m’a offert une belle ouverture pour me jeter sur lui. J’ai tenté de prendre son arme, mais il l’a tenue fermement entre ses mains. Il avait encore beaucoup de force pour un vieillard ! On n’a pas arrêté de se débattre dans la pièce en cassant deux ou trois choses au passage. Nous avons, dans notre lutte, renversé l’un des bidons avec le pictogramme « Inflammable ». Le liquide qu’il contenait s’est répandu sur une large zone du laboratoire. Malgré ça, nous avons continué à nous battre plus violemment encore. Soudain, M. Schwartz a accidentellement tiré un coup en direction du sol, ce qui a instantanément enflammé le liquide au sol : « Non ! Mon chef d'œuvre ! »
En sortant, j’ai tapé le plus grand sprint de ma vie le plus loin possible de la boutique. Quelques secondes après être parti, une gigantesque explosion a eu lieu et a emporté la confiserie et les bâtiments alentour. L’explosion était si énorme que le souffle m’a propulsé loin en avant et m’a fait atterrir sur un trottoir. Je crois que je suis resté sonné et allongé sur le sol pendant quelques minutes. Après m’être relevé non sans difficulté, j’ai vérifié que j’étais toujours entier. Je ne sais pas par quel miracle, mais je n’ai eu que des blessures superficielles.
Il y a eu au total plus de 2000 victimes, sans compter les enfants qui se sont transformés en monstres. Halloween est devenu un jour de deuil, et plus tard un jour maudit pour le reste des habitants. Cependant, le fait que nous ayons tous partagé la même tragédie a étonnamment renforcé les liens au sein de notre communauté. Je crois que sans ce soutien mutuel durant cette terrible épreuve, notre ville se serait effondrée. Je sais que ça paraît immoral d’adorer encore cette fête après ce qui s’est passé. Néanmoins, ça me rappelle qu’avant cette catastrophe, Halloween était une journée où la joie et la bonne humeur étaient au rendez-vous. Si je n’avais pas ces beaux souvenirs en tête, je crois que je me morfondrais indéfiniment.
Je présume qu’à ce stade de l’histoire, vous devez sûrement vous demander ce qu’est devenu M. Schwartz ? En fouillant les décombres de la confiserie, la police a trouvé les restes de ses expériences, mais pas son cadavre. Je ne sais pas s’il a réussi à s’enfuir à temps, mais, si c’est le cas, je lui souhaite de ne croiser la route d’aucun d’entre nous.
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