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Anatomie Divine (2) - Sharki



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Temps de lecture : 8 minutes

Le quartier populaire de la zone Est était plutôt calme ce soir. Comme d'habitude, il y avait un grand nombre d'échoppes et divers marchands sur les trottoirs. Au centre d'une petite place, sous un lampadaire à la lumière blafarde, un jeune poète essayait de se faire entendre par les passants. Il s'était hissé au sommet de ce qui avait dû être une statue en des temps plus glorieux. Ici, les artistes ambitieux ne reculent devant rien pour ne serait-ce qu'effleurer la curiosité d'un mécène. Mais ce n'était pas le cas de Sharki.

Non, c'était les mécènes qui venaient à elle. Et plus précisément dans le bar cabaret La Pointe Dansante, formidable tremplin pour les jeunes danseurs et danseuses de talent. S'il y avait un lieu dans toute la zone Est qui pouvait décemment faire vivre ses artistes, c'était bien ici. Les mécènes venaient des quatre coins de la cité, et il se disait même que les Ordos gardaient un œil sur ces virtuoses aux morphologies exceptionnelles.

Sharki était là. Sur scène, entourée de ses assistants. Elle donnait en spectacle son corps si étrange. Un corps façonné à la manière de l'argile qui ondulait au milieu de l'estrade et duquel émanait une douce mélodie. D'une maigreur rare, sa silhouette semblait bien peu musclée. Fine et fragile, sa peau à la limite du translucide laissait apparaître ses os. Ces derniers étaient striés en de multiples endroits sur les bras et les jambes, permettant ainsi à des cordes vibrantes de frotter et glisser sur ceux-ci. Chacune d'entre elles avait été tissée avec soin à partir de cheveux et de crins rarissimes. Quasiment élastiques, elles permettaient, une fois pincées, une grande variété de notes selon la tension qu'exerçaient les membres de la danseuse. Ces accessoires figuraient parmi les miracles anatomiques dont les scientifiques des Ordos étaient capables. Et même le monde du spectacle pouvait en bénéficier.

Dans une danse aussi envoûtante qu'hypnotique, Sharki laissait ses assistants jouer leur mélopée. La grâce qui se dégageait d'elle et de sa robe virevoltante rappelait l'un des fantastiques oiseaux que l'on peut retrouver dans les bosquets chamanistes. Ainsi, c'est face à ce ballet organique que la foule écoutait en silence, contrastant avec le brouhaha provenant de l'extérieur de l'enceinte. Le reste du monde était suspendu ; seul comptait l'art, seule comptait Sharki.

Un assistant éteignit la lumière. La simple lueur des bougies présentes sur la scène éclairait désormais cet instrument humanoïde. Les cordes, constamment en mouvement, reflétaient le feu des bougies au milieu de la pénombre, transformant la scène en un véritable spectacle cosmique. Semblables à des étoiles filantes, les cordes déchiraient le voile nocturne ayant pris place dans La Pointe Dansante.

À la dernière note, la pénombre perdit peu à peu du terrain. Un langoureux silence précéda de tonitruants applaudissements, ainsi que de vives poignées de mains dans le carré réservé aux mécènes.

« Fabuleux », pouvait-on entendre d'un côté, « C'était sa meilleure performance ! Et de loin ! » pouvait-on entendre d'un autre. La foule commençait déjà à s'agglutiner autour de la scène, avec comme seul espoir celui d'obtenir un autographe, un regard, un sourire. Sharki s'évapora derrière le rideau de la scène. Et comme tous les soirs, elle n'accorda aucune attention aux spectateurs. Comment préserver la nature mystique de son spectacle si elle brisait si facilement la barrière qui la séparait de son public ?

Non. Elle ne pouvait voir ses admirateurs de près, telle était la règle imposée par ses mécènes depuis ses débuts. À eux seuls revenait ce privilège, celui de la rencontrer, de la forger, de la façonner.

Une fois arrivée dans sa loge, elle verrouilla la porte et s'assit. Exténuée. Enfin seule.

Sa loge était son sanctuaire, l'unique lieu de sa vie qui lui était libre d'accès.

Des photos de ses précédents spectacles et des guirlandes serpentaient sur les murs.

À l'opposé de son miroir se trouvait un bureau sur lequel s'amoncelait une montagne de parchemins et de lettres. Il s'agissait de messages envoyés par ses plus fervents admirateurs, et elle ne pouvait hélas pas leur répondre.

« Est-ce cela le prix du succès ? Condamnée à ne jamais rencontrer ceux qui m'aiment et me soutiennent ? se demanda-t-elle à voix haute.

– C'est le prix à payer, tu le sais, la voix venait de l'arrière de la loge.

– Qui est là ?

– Ton plus grand protecteur. »

Sortit de l'ombre un homme imposant. Il portait un long manteau ample aux coutures dorées sophistiquées et un haut col cachant son cou. Ses yeux étaient sombres, presque invisibles. De profondes cicatrices sillonnaient son visage jusqu'à l'arrière du crâne. Aucune expression ne traversait son faciès tant sa peau avait été tirée au fil des années. D'un blanc cassé, maladif, son épiderme semblait craquelé par endroit.

« Oh... Je ne vous attendais pas ici.

– N'ai-je pas le droit de venir te rendre visite ? Moi qui t'ai tout donné. »

Il fit quelques pas pesants en direction de Sharki.

– Ne suis-je pas celui qui t'a forgé ce corps... magnifique ? »

Son ton était cassant, sa voix grave. Chacune de ses syllabes était appuyée minutieusement. Il caressa de sa main l’un des bras dénudés de la jeune fille. Sharki fut prise de frissons mais ne laissa rien transparaître. La seule échappatoire possible était d'attendre que ce désagréable moment passe.

Il s'écarta pour aller se positionner près du mur adjacent, devant les photos. Il sortit un cliché de sa poche et l'accrocha. L'air satisfait, il recula de quelques pas.

« Tu as progressé avec brio au cours de ces dernières années, je suis très satisfait. Tout le monde parle de toi dans le quartier. Peut-être même qu'un jour, nous entendrons ton nom dans toute la cité.

– Ce serait incroyable, arriva-t-elle à dire en se redressant sur son fauteuil.

– Oui. Sûrement, oui... mais je ne laisserai pas cela se produire. »

Les frissons laissèrent place à des tremblements, et à un froid soudain. Le froid de la peur.

D'une célérité surprenante, le mécène se jeta sur Sharki et l'emporta au fond de la loge, décrochant violemment les guirlandes sur son passage. Sa force surhumaine rendait toute résistance futile, les meubles explosèrent comme s'il ne s'agissait que de jouets. Une immense douleur lui brûla la peau tandis qu'elle sombrait dans l'inconscience. La dernière lettre soulevée par le tumulte glissa sur le sol, et tout devint noir.

Une forte lumière brûla la rétine de Sharki alors qu'elle essayait d'ouvrir les yeux. Elle tenta de bouger, en vain. Ses quatre membres étaient sanglés avec une précision chirurgicale à une table en bois.

Prendre ses repères était difficile, néanmoins elle devina que la pièce dans laquelle elle se trouvait était vide. Nulle autre lumière que celle du projecteur au-dessus d'elle n’était présente. Était-elle dans un sous-sol ? Ou encore au beau milieu de la nuit ? Elle n'avait plus la notion du temps.

Tentant de se calmer, elle voulut porter son attention sur la table à laquelle ses bras et ses jambes étaient attachés. Des flaques de sang séché étaient étalées sur la majeure partie du bois, mais certaines paraissaient récentes. Une odeur d'encre lui caressa les narines, comme si elle avait été là depuis le début mais qu'elle n'y avait pas prêté attention. Elle baissa la tête et regarda ses bras, puis ses jambes. Des traits avaient été peints à l'encre noire, délimitant chacun de ses membres comme du bétail destiné à l'abattoir.

Sharki eut comme des réminiscences. Quand avait-t-elle été en pareille situation ? Elle n'était bien sûr pas née avec ce corps si étrange. On l'avait changée, façonnée de nombreuses fois comme on retravaille une sculpture. Cette pièce, cette cave, il s'agissait du laboratoire qui l'avait transformée à jamais. Elle se débattit de plus belle. Pourquoi était-elle ici ? Pourquoi la faire revenir ?

« Tu te souviens enfin ? »

L'homme apparut plus loin dans la pièce, ses deux yeux transperçant la pénombre comme deux orbes brillantes. Il approcha de Sharki, s'exposant de plus en plus à la lumière.

Ne portant plus son manteau, il apparaissait sans ses apparats, sans déguisement. Deux jambes supplémentaires pendaient de part et d'autre de son bassin. Des coutures entre ses différents membres étaient visibles à l'œil nu, de même que de profondes craquelures autour. Un troisième bras s'agitait sur son thorax. À la place de la main se trouvait un outil de chirurgie complexe contenant scie, pince, écarteur. Elle voulut crier mais une main l'en empêcha. Pas celle du mécène. Elle perçut du mouvement derrière elle. D'autres personnes arrivaient dans la pièce, d'autres choses. Dans un défilé sordide, des amalgames de chair commencèrent à tournoyer joyeusement autour de la table. Ils étaient petits et gros. Chacun d'entre eux peinait à déplacer sa carcasse moribonde.

« Voici ce que vous auriez tous pu être, mes chéris.

Les petites créatures gargouillèrent en cœur comme pour approuver.

– Toi Sharki, la plus belle de mes créations, te voilà parfaite ! Et je suis prêt à cueillir ton corps, comme on cueillerait un fruit mûr.

Le mécène jubilait, de la bave noire coulait de sa bouche.

– Après tant d'années d’attente, tant d'années à te faire travailler ! »

Sharki tremblait et pleurait à chaudes larmes. Elle manquait de s'évanouir à chaque instant tant l’horreur qu’elle éprouvait était grande.

« Redressez-moi cette fichue table ! » cria-t-il à ses sous-fifres. Dans une fanfaronnade immonde, ils activèrent le mécanisme avec l'aide de leurs nombreux membres tombants.

« Tu vas danser... Oui, tu vas danser une ultime fois ! »

La lumière s'éteignit. Tout n'était qu'épouvante au milieu de ce vacarme écœurant. Peut-être valait-il mieux ne rien voir, après tout.

Au bout d’un court instant, des centaines de bougies s'allumèrent d'un seul coup, laissant Sharki apercevoir l'horrible ironie qui se dessinait sous ses yeux. D'autres petits amalgames étaient présents devant elle. Assis par terre ou sur de vieilles chaises, ils trépignaient d'impatience.

« Que le spectacle commence ! »

Les précédents assemblages humanoïdes toujours présents autour d'elle la détachèrent et commencèrent à placer autour de son corps plusieurs cordes, semblables à celle qu'elle utilisait habituellement dans ses spectacles.

À l’exception que celles-ci n'étaient ni tressées à partir de matières raffinées, ni chatoyantes. Leur tressage était de plomb et leur surface terne.

L'ignoble public commença à applaudir. Les sons de claquements de mains habituels n'étaient ici que des bruits de succions et de chocs visqueux.

Sharki commença à tournoyer, elle n'avait pas la force de résister. Malgré cette tornade d'horreur, elle trouvait un peu de réconfort dans l’attention qu’on lui portait. Ses assistants musiciens n'étaient que des ignominies, mais elle se laissa emporter dans ce qui devrait être son ultime spectacle. Elle était, ce soir plus que jamais, proche de son public.

Elle virevolta en tous sens, les notes que créèrent sa danse et ses musiciens résonnèrent dans la cave morbide. Elle exhalait toute sa souffrance, son désarroi et sa terreur dans une chorégraphie ultime. Un chef d'œuvre ! Plus elle tournoyait, plus les cordes de plomb sciaient sa peau. Son sensible épiderme rougeoyait sous la pression et du sang commença à couler. Une robe écarlate se constitua le long de ses formes au fur et à mesure que les plaies s'élargissaient. Plus rien n'allait être en travers des cordes de son ossature désormais.

La foule, aspergée de son hémoglobine, exultait, poussait des cris de joie hideux et dégénérés. Jamais ils n'avaient vu pareil spectacle. C'est alors que le cri d'extase du macabre maître de cérémonie retentit. Il allait finaliser sa plus grande œuvre. C'est lors du crescendo final qu'il entra dans la danse. Il sautillait et valsait en duo avec la danseuse ensanglantée, ses outils chirurgicaux au clair. Il entreprit de découper en rythme chacun des membres de Sharki, toujours en train de danser, suivant méthodiquement les traits qu'il avait lui-même tracés au préalable. Finissant sa danse macabre dans un tourbillon sanglant, Sharki fut contrainte de rouler pathétiquement sur le sol. Fermant les yeux pour la seconde fois de la journée, elle souhaita ne plus jamais avoir à les rouvrir.

Le quartier était plutôt calme ce soir. Calme pour un quartier de la zone Est. Comme d'habitude il y avait un grand nombre d'échoppes et divers marchands sur les trottoirs. Au centre d'une petite place, sous un lampadaire à la lumière blafarde, une jeune femme-tronc essayait de danser. Qui comptait-elle impressionner ? Elle avait peut-être un jour été au sommet du succès, en des temps plus glorieux. Aujourd'hui, elle semblait plus être une bête de foire qu'une virtuose. Ici, les artistes ambitieux ne reculent devant rien pour ne serait-ce qu'effleurer la curiosité d'un mécène.

Ce texte a été réalisé par RemyC et constitue sa propriété. Toute réutilisation, à des fins commerciales ou non, est proscrite sans son accord. Vous pouvez le contacter sur nos plateformes, nous tâcherons de vous y aider si besoin. L'équipe du Nécronomorial remercie également Sawsad, Adiboy et Kitsune qui ont participé au processus d'analyse et de sélection conformément à la ligne éditoriale, et Blue et Noname qui se sont chargés de la correction et la mise en forme.

1 commentaire:

  1. J'attend la suite avec impatience!! J'adore! Mais va falloir un peu plus d'immersion dans ce monde. On est beaucoup dans le néant. Peut-être créer un lexique des choses que vous avez crées?

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