Je ne fais de mal à personne - Chapitre 3
Cinq
années qu’elle m’a quitté. Enfin, je dis cinq ans, mais je n’en suis
même plus sûr. Les jours me paraissent infinis. Je me sens comme un
robot effectuant une programmation dénuée de tout sens… Avant, ce
n’était pas ça. Oh, certes, nous étions pauvres et vivions de petit
boulot par ci par là… Mais c’était différent…
Il y a quelque temps, j’ai atterri à Junk
: un des seuls coins où je pouvais avoir un toit. Et, contre toutes mes
attentes, l’accueil des locaux a été très chaleureux – enfin celui des
humains. On ne se mélange pas trop, ici. Les gens forment une communauté
soudée qui inclut sans problème les nouveaux arrivants : grâce à ça,
j’ai fait la connaissance de gars supers tels que Clara ou Hugo. Tiens,
il y a même un type qui m’a aidé à trouver un job en tant que gardien
d’une baraque un peu excentré de la ville, pour le compte d’un Ricain
qui ne venait que tout les 36 du mois.
Je
ne dirais pas que la vie était douce, certainement pas, mais je me
sentais à ma place au moins. C’est un sacré sentiment de se sentir à sa
place quelque part. La sensation de savoir pourquoi on se lève le matin,
d’avoir des lieux de rassemblement et la certitude de ne jamais se
retrouver seul. Ouais, j’aimais cela. Je commençais même à oublier peu à
peu Inès.
Puis,
un jour peut-être trop alcoolisé, Joseph a voulu faire un tour au
quartier rouge. On l’a suivi, l’idée de se faire une synthétique ne
dérangeait personne. C’est en rigolant que nous y sommes allés, enfin, je
n’ai pas rigolé longtemps : j’ai vu une femme. C’était elle,
le visage de ses 20 ans, une posture altière, cette assurance… Je la
reconnaissais. Sur le moment, j’étais sous le choc, et je me suis figé. Ce
qui n’a pas empêché mes camarades de partir à l’hôtel adjacent avec
leurs partenaires rémunérés. J'ai mis plusieurs minutes à reprendre
partiellement mes esprits, en tout cas, je suis parvenu à m’approcher d’Inès.
Elle m'a fait un large sourire que je lui ai rendu par automatisme.
Cependant, ma voix avait foutu le camp et je n'ai pu dire un mot.
Surprise de mon mutisme, mon aimée m'a simplement pris par la main afin de
m’emmener, à mon tour, dans l’hôtel. Une fois dans la chambre, elle
a retiré ma veste puis commencé à déboutonner ma chemise. J'ai saisi ses
mains :
« Inès, Inès ! ai-je dit, les larmes aux yeux.
– Je peux être qui tu veux, a-t-elle répondu en m’embrassant dans le cou.
– Non… Tu n’es pas n’importe qui… Qu’est-ce qui t’arrive ? »
Les multiples verres m’embrouillaient complètement le cerveau. Je n’arrivais pas à réfléchir.
« Tu devrais te détendre, laisse-moi faire si tu le désires. »
Elle a achevé de m’ôter mon vêtement et est descendue sur mon torse avec des baisers.
À
cet instant, une immense colère m’a envahi. Ce n’était pas ma femme,
elle ne parlait pas comme ça. J'ai donc repoussé violemment l’imposteur
sur le sol où elle s’est écroulée. La fille m'a regardé, interloquée, en
sanglotant.
« Je suis désolée, je ne voulais pas te brusquer, ne me fais pas de mal. »
Cette
chose m’implorait, accrochée à mes genoux. La déception a alors laissé
place à une profonde haine. Elle souillait le visage d’Inès avec ce
comportement digne d’une… Esclave. Non, jamais ma moitié n’aurait baissé
les yeux ou se serait soumise. Inès était DIGNE ! Digne, putain de
merde ! Je l’ai alors frappée dans la mâchoire, puis j’ai continué
jusqu’à ce que ses circuits internes sortent par ses orbites.
***
Allongé
sur le lit, je me suis souvenu. C’était il y a longtemps. Au début de
notre relation, en désespoir de cause, ma femme s’est proposée comme
modèle pour une entreprise de robotique dont j’ai oublié le nom, pour
faire un robot. Cela aurait pu nous rendre riche avec les droits
intellectuels sur la copie du corps, mais bon, l’entreprise a fermé
suite à un procès et nous n’avons jamais perçu de royalties. C’est vrai,
les Svetlana étaient basées sur
ma femme. Une grande nouvelle, une merveilleuse nouvelle ! Il est
évident qu’il n’ont pas copié que le corps, les scientifiques ont
obligatoirement fait un examen psychologique où je ne sais quoi pour
faire de ces synthétiques de parfaites copies de ma femme. Du moins, il y
a le matériel de base pour le permettre. Je me suis levé et suis parti,
résolument déterminé à retrouver mon amour.
Je
me suis donc préparé. La première fois, j’ai eu beaucoup de chances que
personnes ne fasse attention à mon escapade, mais je ne peux pas me
reposer sur ma bonne étoile. Il me fallait agir avec méthode. Élément
essentiel : trouver un coin tranquille afin d’éduquer la future à
devenir elle-même. Pour cela, la maison était parfaite de par son
éloignement. Et en plus, il paraissait qu’une cave était construite en-dessous. J’en ai trouvé l’entrée, sous un tapis, après de minutieuses
recherches. L’intérieur de celle-ci était spacieux, équipé d’un atelier
avec quelques bricoles (du bois, des clous, des outils…) et surtout une
voiture était garée là. Ce qui réglait l’étape n°2 du transport. Dernière
étape, un programme d’action : la nuit pendant ma garde. Une évidence.
Je pouvais donc agir dès le soir venu.
Je me suis habillé en fonction des circonstances : un sweat
a capuche avec des gants, puis j’ai pris la voiture. Je n’ai pas eu à
beaucoup sillonner, repérant une potentielle. La voiture s’arrêta près
d’elle, et je lui ai fait signe de monter. Mes mains tremblaient, je suais à
inonder un désert… Installée à côté de moi, ma moitié a caressé mes
cuisses et est remontée lentement vers mon entrejambe. Outré, j’ai écarté promptement ses avances. Cela l’a beaucoup amusée, et elle a ri à gorge
déployée en me demandant si j’étais du genre prude. Ce rire, il était
magnifique : aussi pure et cristallin que celui d’Inès… Mes zygomatiques
s’activèrent donc comme pour lui répondre, comme si mon corps
réintégrait un organe vital. Une symbiose absolument parfaite. Nous nous
sommes arrêtés devant la maison et je l’ai fait entrer.
« Waouh, t’as une de ces maisons… Impressionnant. », a dit l’ange en posant son sac à main sur le canapé et en retirant ses vêtements.
Je
suis resté devant la porte du salon, la fixant sans dire un mot. Je ne
savais pas vraiment comment lui rendre la mémoire, faire revenir ma
femme dans ce corps. Mes pieds ont avancé l’un après l’autre vers elle,
lentement. Elle se tenait nue, face à moi. Je lui ai saisi les épaules
fermement, la regardant droit dans les yeux, mais je n’arrivais presque
pas à desserrer les dents. Celles-ci se levaient et puis se claquaient
brutalement. Mon angoisse et ma peur prenaient le dessus, malgré la
lutte acharnée de mon conscient.
« Oh, je vois », a-t-elle dit en esquissant un sourire avant de me griffer le visage en poussant
des petits cris. De surprise, je l'ai poussée au sol. Et le pitoyable
jeu d’acteur a repris :
« Je vous en supplie, monsieur, je ne suis qu’une femme fragile et innocente. Ne me faites pas de mal... »
C’en était trop, il fallait qu’elle comprenne que ce n’était pas ce
genre de personne. Il fallait lui expliquer. Je me suis positionné sur
elle afin de la bloquer, et ai pris sa tête entre mes mains. Bon dieu,
impossible de parler avec ce fichu de claquement de dents ! « Pitié, non », a
supplié la prostituée tout en écartant les cuisses. Cela suffisait !
Et, de rage, j’ai percuté le sol avec son crâne mainte et mainte fois…
Jusqu’à la transformer en une bouillie infâme.
***
L’expérience
n'avait pas été concluante, c’est le moins qu’on puisse dire… C’est donc que
je m’y prenais mal et que je devais revoir ma méthode. Chaque soir, je
pouvais peaufiner mes techniques sur une nouvelle prétendante.
Malheureusement, chaque soir, une nouvelle tête ornait la cave…
Néanmoins, les résultats étaient de plus en plus prometteurs. La
solution se nichait dans la rééducation : si je pouvais discuter
sereinement avec ma prétendante, j’arrivais à la faire évoluer
sensiblement et dans un temps incroyable ! Par contre, je devais me
méfier de leurs fourberies. Elles faisaient semblant de redevenir Inès
afin de me tromper, mais je connais trop ma femme pour que ce type de
stratagème fonctionne. Ce comportement me met toujours hors de moi, se
retrouver devant une immonde imitation de mon épouse est à la fois
insultant et blessant.
Un
soir, un homme s'est présenté au bar que j’avais l’habitude de fréquenter.
La quarantaine, un chapeau, le visage rongé par l’alcool… Un flic, sans
aucun doute. Il a posé plusieurs questions à propos du bled et notamment
si l’on pouvait trouver des Svetlanas…
C’était évident, ce mec me poursuivait. Enfin, comment pouvait-il
retrouver ma trace ? Aucune chance, j’étais bien trop brillant pour
cela. Quoiqu’il en soit, pas question de se laisser distraire par ces
détails sans importance.
Plus je touchais au but, plus il était compliqué de trouver des candidats. Les Svetlanas devenaient méfiantes et les synthétiques s’agitaient. Les tensions
n’avaient jamais été aussi fortes et il ne manquait plus qu’une
étincelle pour que toute la ville flambe. Dans ces conditions, j’ai
adapté ma stratégie d’approche. Finis la Ford et les vêtements discrets
trop suspect, aborder sereinement et naturellement est plus efficace.
C’est donc ce que j'ai fait, et j'ai d'abord entamé la rééducation dans un hôtel bas de
gamme. Nul, mauvais, intolérable ! Impossible d’arriver à un quelconque
résultat à cet endroit ! Après tout, les synthétiques ne sont pas fait comme les
humains. J'ai donc découpé la tête de la prétendante et l'ai fourrée dans
mon sac, dans le but de converser plus tranquillement une fois à la
cave. Mais ça a été un échec, les circuits étaient trop endommagés et la pauvre
fille ne baragouinait que des bouts de phrases… Dommage. Plus de
décapitation préventive à l’avenir.
Et le soir suivant, ce soir, j’en ai convaincu une de me suivre bien que la ville
explosait littéralement de violence. Il y avait des affrontements entre
l’armée et des émeutiers… Des coups de feu de tous les côtés… Puis j’ai aperçu la maison incendiée au loin. Heureusement que j’étais en
chasse ! J'ai donc préféré amener la candidate dans mon appartement. À
peine le seuil franchit que je l’assommais. Plus de temps à perdre. Une
fois attachée et bâillonnée, je me suis assis devant elle, attendant
patiemment qu’elle se réveille. Inès est si belle quand elle dort. Après avoir émergé, elle s'est mise à pousser des hurlements étouffée par le tissu.
« Chut, chut, chut… lui dis-je en lui montrant mon poing.
Parfait, tu es là pour redevenir toi même, Inès, et je suis là pour
t’aider. Tu vas répondre à une série de questions et si tu réponds mal,
tu prendras un coup. Pour chaque mauvaise réponse, un coup
supplémentaire. C’est-à-dire que la première mauvaise réponse, c’est un
coup, la deuxième, ce sont deux et ainsi de suite… Compris ? »
La fille acquiesce. Avant d’ôter son bâillon, mes poings
renforcés de plaques métalliques lui caressent la joue.
« Tu es dans une file d’attente et quelqu’un te passe devant. Que fais-tu ?
– Je… Je lui dis de retourner à sa place. » Elle est tremblotante, un mauvais signe. Inès n’a jamais eu peur de moi.
« Bien, et si ce dernier refuse ?
– Je tente de le convaincre. »
Le choc de mon coup amoche ses lèvres qui se mettent à saigner abondamment.
« Non, Inès aurait alpagué le reste de la queue.
– Je ne suis pas Inès, putain ! »
Je lève, prêt à en asséner un second.
« Question suivante, question suivante ! crie-t-elle, la bouche ensanglantée.
– Quel est ton plat préféré ?
– De quoi ? (je serre les doigts) Les papillotes ! Les papillotes ! »
Deux
autres coups volent, directement sur son visage. Elle ne survivra
probablement pas à une autre mauvaise réponse. Dommage, je suis triste
pour cette pauvre demoiselle.
« Non, le bœuf bourguignon. Comment nous nous sommes rencontrés ? »
Pas de réponse. Tant qu’elle est en vie, le test continue et une abstention compte comme une mauvaise réponse.
« Veux-tu que je répète ? »
Toujours
pas de réponse, je me lève donc afin de la sanctionner quand ma
porte est sauvagement enfoncée. Deux personnes entrent :
l’alcoolique et une femme. Je me précipite pour les stopper lorsque que
le type dégaine son arme et me tire dans la jambe. Tombant à terre, je
me relève pour faire front, mais la femme m’envoie dans les roses par
un coup bien placé.
Vivement la suite! :)
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