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Je ne fais de mal à personne - Chapitre 2



La chaleur est étouffante et la pluie fracassante… Ce n’est vraiment pas ma journée. Je cours jusqu’à ma voiture, évitons que la pluie abîme mes vêtements. La société a beau faire des efforts, la pluie est de plus en plus acide dans les grandes villes. Impossible de sortir la peau nue sans avoir des rougeurs ou la peau rongée. En tant que fille de la campagne, j’ai toujours du mal à m’habituer aux tenues de protections, aux allées piétonnes fermées… Super, des embouteillages. Au moins, je vais avoir le temps de réfléchir à l’affaire. Passons l’énième engueulade avec Elio pour se concentrer sur Ed et Christie. À vrai dire, je ne sais pas trop comment m’y prendre. C’est ma première véritable enquête, et je n’ai pas l’habitude d’interroger les gens directement dans la rue. Je vais suivre les conseils de l’alcoolo… Direction les Svetlana. Je me demande bien quel genre de pourriture pourrait tuer des innocentes. Évidemment, je connais l’histoire de Charles Manson ou BTK, mais je n’ai jamais été confrontée aussi directement à un tueur en série. C’est tout de même assez excitant d’en traquer un. On se calme, où je risque de finir comme elles. Il faut garder la tête froide et réfléchir rationnellement.

Quoiqu’il en soit, on peut exclure le piratage. Une conscience artificielle piratée a un comportement ostensiblement illogique, et le hack peut prendre des heures. Les témoins ne rapportent pas ce type de réactions ni que les victimes se soient plaintes d’être suivies. Ce n'est pas trop tôt, je peux quitter le centre-ville. Il est 11h, il me reste une centaine de kilomètres pour atteindre le ghetto. Je devrais arriver vers 18h. Cette portion de route est constamment bouchée, entre les entreprises qui envoient de nouveaux entrants à Junk, les péages, les gens qui vont bosser, le mauvais état de la route, etc. Bref, j’en ai pour un bout de temps, mais ce n’est pas grave, car j’ai pas mal de travail à faire avant d’arriver. J’active le mode automatique de l’auto et sors le dossier.

Bon, les infos d’Ed sont plutôt complètes, cependant, je ne vois rien de plus à conclure que ce qu’Elio m’a déjà transmis. Il reste une chose qu’il n’a pas déterminée : l’élément déclencheur. Tous les tueurs en série commencent le massacre suite à un événement particulier. Notre coupable a un problème avec les blondes, donc hypothèses possibles : décès de sa mère, humiliation par une blonde, misogynie ? Je ne suis pas douée en criminologie, j’aurais dû prendre cette option à la fac… Bon, il est peu probable qu’une Svetlana l’ait humiliée, car ce n’est pas du tout dans leur programma… Caractère. Même un excès de colère suite à une panne n’est pas une explication, elle dispose de micro-injecteur de viagra sur la peau. Raffiné. J’appelle Ed, il me donnera peut-être plus d’informations. Il décroche immédiatement.
« Bonjour maître. »
J’adore ce type.
« Bonjour Ed. Je vous appelle pour vous prévenir de notre arrivée ce soir. J’aimerai aussi vous conseiller de mettre en place un dispositif de surveillance afin de protéger les filles.
– C’est déjà fait, mais la ville est trop grande et trop peu de volontaires nous ont rejoint. Malheureusement, je crains que ce monstre n’ait toujours une longueur d’avance sur nous. » 
On sentait un profond désespoir dans sa voix.
« Ne relâchez surtout pas vos efforts ! Sinon, avez-vous d’autres informations à nous transmettre ? Même des plus anodines ? Et j’aimerais également être en contact avec votre milice.
– Il s’agit de la milice du seigneur, madame, pas la mienne. Mais rassurez vous, je vous mets en relation de suite. Et pour vos informations, je n’en ai guère plus à vous offrir. Néanmoins, une chambre est à votre disposition à l’église pour le temps qu’il faudra. »
Une gentille attention de sa part. J’admets que je comptais dessus.
« Une dernière chose, si vous pouviez m’indiquer un lieu où d’autres modèles font… Leur activité. Nous avons besoin de nous entretenir avec elles. »
J’ai dit modèle ? La boulette.
« Lorsque vous arriverez, rejoignez directement l’église. Je vous l’indiquerai et vous adjoindrai une escorte. Les quartiers ne sont pas sûr pour les consciences artificielles et naturelles. »
Là, j’avais l’impression d’entendre un grand-père.
« Je vous remercie, mon père. En vous souhaitant une agréable journée.
– De même, maître ».
Je ne sais pas pourquoi, mais de voir qu’il n’a pas changé depuis l’affaire de la dernière fois me rassurait beaucoup.

Durant le reste du trajet, je réorganise les patrouilles et l’organisation de la milice. Je rends ça un peu plus efficace, accentuant la surveillance dans les zones rouges. Conseillant des groupes de deux au vu du faible nombre… Apparemment, les gangs voient d’un mauvais œil cette organisation. Ils craignent que ce soit un genre de police venu remettre de l’ordre dans le coin. On a intérêt à vite boucler cette histoire avant qu’une guerre urbaine éclate. Heureusement que les gars me connaissent de réputation, car aucun n’avait l’air très emballé par l’idée qu’un étranger prenne le commandement stratégique.

***
18h14 : enfin, j’aperçois le dernier checkpoint. Merde, les militaires empêchent les bagnoles de rentrer dans Junk. Et impossible de faire demi-tour, il y a au moins un kilomètre de queue derrière moi. Et puis vient mon tour.
« Bonjour madame, papier d’identité et du véhicule s’il vous plaît » 
Le type n’a pas l’air de plaisanter, une immense masse tout en muscle armé d’une mitraillette. Je lui tends ce qu’il demande sans discuter.
« Quelle est la raison de votre visite à Junk-Town ?
– Je m’y rends pour le travail, j’ai affaire avec le père Kerdec.
– Et quel genre ? »
J’avais oublié à quel point le protocole était intrusif.
« Consulting juridique.
– Très bien, cependant, votre véhicule va être immobilisé le temps de votre séjour. Vous le retrouverez intact à votre départ. Il est susceptible d’être fouillé conformément à l’article 1242-3 du code fédéral. » 
Euh... Cet article n’existe pas, et depuis quand des mesures aussi drastiques sont-elles prises ?
« Comment se fait-il que les dispositifs de confinements soient aussi sévères ?
– La loi est fraîche de ce matin, avec application d’urgence exceptionnelle. Suite à une émeute de synthétiques. Bonne journée, madame. »
Merde, je n’étais pas au courant de ça. Faut dire que les infos sur la cité et les débats à ce sujet ne sont pas vraiment médiatisés, les gens s’intéressent plus à l’environnement.
Je descends et l’on me conduit à un énorme bus blindé, une femme en treillis avec une clope au bec est au volant. Quelques minutes plus tard, le monstre démarre. J’envoie un message à Elio et au père pour les prévenir de la situation. Le premier m’envoie l’adresse d’un hôtel qui nous servira de QG et le second, surpris de la situation, m’envoie un de ses hommes pour m’accueillir à l’arrêt.

Je vois les lumières de la ville au loin. Juste les lumières, une importante couche de pollution recouvre tout le lieu. Un être humain normalement constitué ne tiendrait pas cinq heures sans un masque à gaz adéquat. J’enfile donc le mien : on dirait une de ces reliques de la Première Guerre mondiale greffée sur un épais voile de cuir. Pas le choix de protéger tout le visage, surtout les yeux, si l’on ne veut pas de gros soucis de santé.
Une fois sur place, l’envoyé du pasteur me rejoint immédiatement. Un synthétique datant des premiers temps, je suppose. Démarche peu fluide, la peau décharnée laissant apparaître le squelette métallique et les composants électroniques ainsi que des difficultés d’élocutions. Mais il est de carrure impressionnante.
« … Appel Daniel... Aller... Père.
– Bonjour Daniel, je me rendrai à l’église demain. En attendant, j’aimerais directement rencontrer des Svetlana sur leurs lieux de travail. » 
Il ne discutera pas. C’est malheureux, mais les premiers sont… Peu vifs.
« Ok. »

En tout cas, avoir Daniel à mes côtés me rassure. Ma tenue démasque de suite mon appartenance biologique, et les humains ne sont pas bien vus de tous. Nous arrivons sans encombre dans un quartier plus mal famé que le reste. Tous les bâtiments semblent en ruines, la route est défoncée, et les poubelles s’entassent dans tous les recoins. Heureusement que j’ai un masque, l’odeur doit être insoutenable. Il y a quelques sexbots en service, mais pas de Svetlana. Ce n’est pas grave, je vais interroger une de leurs collègues. La plus récente que je puisse trouver. Un sosie parfait de Scarlett Johansson, la mode de reproduire les stars du début du siècle…
« Excusez-moi, madame...
– Salut, ma douce, que puis je faire pour te rendre heureuse ? » 
Elle se colle à moi et caresse doucement mon masque.
« J’aimerais quelques renseignements, je peux vous payer pour cela. »
Je bafouille, je n’ai pas l’habitude de ce genre d’échange. Elle recule brusquement.
« Écoute, je ne suis pas une indic alors...
– J’enquête sur les disparitions récentes » 
Je retire mon attirail et lui montre mon visage. La femme a l’air surpris, puis sourit avant de murmurer.
« Suivez-moi, on va discuter dans un endroit plus discret. »
L’endroit en question est un studio miteux non loin de là.

« Moi c’est Corinne, c’est un honneur de vous rencontrer. » 
Mon hôte sert trois tasses de café et m’en tend une.
« Je sais, techniquement, je n’en ai pas besoin, mais j’adore le goût amer. Vous n’êtes pas radiée du barreau, maître ? »
Je bois une gorgée et lui réponds :
« Si, je suis ici en tant que détective privé. Le père Kerdec m’a demandé de travailler sur les disparitions de Svetlana.
– Les meurtres, vous voulez dire ? C’est vraiment une tragédie, j’ai une amie Svetlana et je crains qu’il ne lui arrive la même chose. » 
Mon interlocutrice montre des signes évidents d’anxiété.
« Avez-vous quelques informations à ce propos ? Les victimes étaient elles étranges avant leur disparition ? » 
J’ai essayé d’être la plus distante possible, de garder du recul afin d’éviter toute implication émotionnelle pouvant altérer mon jugement.
« Non, ceux ne sont pas des bugs, si c’est ce que vous pensez. Je n’ai pas d’autres informations que les banalités que vous devez déjà connaître. Caisse noire, agit tard, etc. Cependant, je peux vous contacter quelqu’un qui peux vous aider.
– Vraiment ? Qui est cette personne ? » 
Une piste, parfait.
« Ne posez pas de question, je prends déjà de gros risques en effectuant cette requête. Donnez-moi seulement votre numéro de téléphone. » 
Ce que je fais, j’accorde que c’est un manque de prudence. Pourtant, je pense que le jeu en vaut la chandelle.

***

Corinne, mon compagnon et moi sommes vite sortis du studio. Après tout, je grignotais sur son temps de travail. Excellent, une belle avancée et il est temps de faire le point avec Elio. Daniel me reconduit alors à l’hôtel avant de me quitter. Sur le trajet, des manifestations tournent à l’émeute. Il y avait des forces anti-émeutes tentant de calmer une foule en colère. Plusieurs coups de feu ont déclenché un véritable affrontement. Je ne saurais dire qui a tiré en premier, mais il vaut mieux ne pas s’attarder pour le découvrir. Une fois arrivée, je réserve ma chambre. Je suis soulagée de ne pas avoir été prise à parti par des casseurs ou des anti-humains… Oh Daniel, je t’aime.

Elio n'a pas tardé pas à me rejoindre, très essoufflé, un flingue à la main. Son souffle repris, il me regarde dans les yeux.
« Pas de question, aucune envie de t’expliquer.
– C’est la deuxième fois que l’on me dit ça, aujourd’hui. Bref, quelque chose de nouveau ?
– Ouais, j’ai interrogé quelques gars au sujet de la Ford noire ou d’un marginal avec une obsession sur les blondes. Coup de bol, il y a peu d’humains avec des autos à Junk : si c’est pour se la faire cramer… Parmi la liste de ceux qui en possédaient : la plupart la garent hors de la ville et le reste passe par des sociétés de gardiennage. J’ai vérifié et aucune n’a enregistré de sortie la nuit. Ou même d’absence d’entrées plusieurs soirs consécutifs. Il ne reste plus que le vieux Bob. Un vieillard ayant un bien à Junk, mais n’habitant pas le coin. Il est américain, selon ma source. Il aurait une Ford noire planquée dans sa maison.
– Très bien, mais qui irait acheter quoique ce soit, volontairement, dans ce dépotoir ?
– Un parrain de la mafia qui s’en sert de planque ? Un investisseur qui mise sur l’embourgeoisement du coin ? Un gland ? On s’en branle, on va fouiller sa baraque. »
Je déteste ce mec, il me parle comme une merde.
« Super plan, Sherlock, tu as entendu parlé de la violation de domicile ?
– Tu crois que les flics vont venir pour ça ? En pleine émeute ? T’es conne ?
– Va te faire foutre, connard
– J’y penserai, en attendant suis moi » 
Et mes infos ?
« Attends, quelqu'un devrait nous contacter avec des infos »
Il arrête sa marche rapide vers la sortie.
« Ah oui, tu as donné ton numéro à une pute ?
– Et ?
– Rien, les seuls indices qui tu auras seront sur des implants mammaires pas chers… Tu connais le principe de vente de numéros à des entreprises publicitaires ? » 
Il reprend sa marche sans attendre de réponse.
« On verra, on verra... ».

***

Le trajet était terrifiant. Il y avait des bruits de coups de feu, des hurlements de partout et des attroupements contestataires de chaque côté. Les débuts d’incendies mêlés à la chaleur de la nuit me faisaient suer à grosse goûte. Heureusement, le brouillard de pollution couplé à la fumée omniprésente des brasiers nous rendait furtif. De plus, les émeutiers étaient davantage concentrés sur leur lutte contre les militaires essayant tant bien que mal de reprendre le contrôle.
La maison est un peu excentrée et nous la pénétrons sans difficulté. Elio sait parfaitement crocheter les serrures. Par contre, aucune trace de garage. L’intérieur est nickel, même s’il y a des traces de passages et de fouilles ordonnées à la va-vite. Bizarrement, aucune trace de cambriolage. Nous nous séparons donc pour rechercher des indices, des traces du tueur. Puis une pierre heurte une fenêtre. Rapide coup d’œil, des émeutiers toutes torches dehors. Merde. Les plus costauds frappent les carreaux renforcés. Et d’autres aspergent la demeure d’essence.
Mon partenaire me signale que la porte arrière est aussi en train d’être enfoncée. Fait chier, et tous ces beuglements qui m’empêchent de réfléchir. Pendant que nous paniquons, une lumière vivace et de la fumée nous surprend. Bordel, ils crament tout ! L’incendie prend vite, et la température est insupportable. Elio tient difficilement, putain d’âge et putain d’alcool. Grâce à je ne sais quelle divinité, je remarque une trappe à moitié dissimulée derrière un tapis. J’appelle mon équipier, il est effondré sur un mur, presque inconscient. Je le prends sous mon épaule et ouvre l’ouverture. Il arrive à peu près à descendre et je m’engouffre ensuite.

La pièce est sombre, très sombre. J’actionne la lampe de mon téléphone et vérifie l’état du vieux. Il reprend sa respiration assis par terre, il va à peu près bien. J’espère que le choc lui fera fermer sa gueule un certain temps. J’explore l’endroit, il y a bien une Ford noire, bingo. Mais des traînées rouges vont de la portière avant à un coin sombre. Elio tente de parler, sans succès, et me fait des signes anarchiques. Je suis la trace et tombe sur une abomination sans nom. Une sorte de charnier. Toutes les victimes entassées, dégoulinantes de leur imitation de sang. Les cadavres sont horriblement mutilés, les corps démembrés méticuleusement. Le plus perturbant, ce sont les têtes coupées, exposées sur un présentoir de bois à proximité. Elles sont tondues et défoncées, certainement avec un objet contondant comme un marteau. Je m’en approche. Ce qui reste des lèvres de l’une d’elle commence à bouger :
« Mon mignon… Plaisir… 45 euros… 80 euros… ». Répétant cela dans une boucle infernale avec un ton d’outre-tombe et déconnant. La pauvre, réduite à son immonde programmation de base.
« On se tire, » fais-je à mon équipier.
Cela nous prend un certain temps, mais nous parvenons à sortir. Un tunnel de fortune menait à une issue cachée en périphérie. Je téléphone directement à Ed, lui demandant de venir nous chercher. Ce qui se fait promptement.

***

J’ai tout expliqué au pasteur, dans les moindres détails. Il était horrifié par ces nouvelles. Il nous a conduits à l’église en nous assurant de sa sûreté. Aucun contestataire n’oserait s’exposer au courroux divin. Le lendemain, tôt, j'ai reçu un message m’enjoignant une rencontre, seule. J'ai donné rendez vous devant l’église. Et m’y suis rendue de suite sans prévenir l’autre, il n’était pas remis de toute façon. Une voiture est rapidement venue à ma rencontre, un homme m'a fait monter à l’arrière. Sans me demander mon avis, il m'a fouillée, passée au scanner portatif… Bref, toutes les mesures anti-espionnage possibles et imaginables. Il m'a pris mon portable et a ordonné au chauffeur de rouler.

Le loubard me conduit dans un bar miteux, creusé en sous-sol. Les locaux sont vides, juste un barman essuyant compulsivement des verres et un homme de ménage nettoyant les rixes de la veille. Le second couteau me montre une arrière-salle, à laquelle je me suis rendue. Un long couloir éclairé par une lumière rouge tamisée, des chaises presque tout occupées sont disposées le long des murs. Un autre garde m’emmène au bout et ouvre une belle porte de chêne. J’y vois un bureau magnifiquement décoré par diverses œuvres d’art comme des tableaux, sculptures et bibelots de valeur. Sur les côtés, deux fontaines asiatiques. Au centre, une table basse entourée de quatre coussins. Un est occupé par une femme assise sur les genoux. Une femme magnifique, japonaise certainement, avec de longs cheveux noirs et des grands yeux verts. Elle porte un costume deux pièces. Une politicienne ? Non, une mafieuse, sans l’ombre d’un doute. Non, mon dieu, c’est pire que cela. Elle me désigne le coussin en face d’elle. Je m’assois, tétanisée.

« Je vous sers quelque chose, maître ? commence-t-elle d’une voix mielleuse.
– Je n’ai pas soif, mes excuses.
– Vous pourriez retirer votre masque, ce serait plus poli, vous ne croyez pas ? »
C’est ça…
« Sans vouloir paraître offensante, je ne préfère pas.
– Vous savez ce que je suis ? »
Elle rit avec retenue.
« Vous êtes une Sayuri, une androïde dame de compagnie, créée il y a une dizaine d’années. Vous étiez censée être la quintessence de l’idéal Geisha moderne : intelligence, culture, adresse, psychologie… Diffusant également des hormones afin de détendre et de mettre en confiance vos interlocuteurs. Cependant, les gouvernements se sont rendu compte que vous preniez de plus en plus de poids sur les puissants et, par causalité, sur les décisions socio-économique. Il y a donc eu une oblitération de votre modèle à l’échelle globale, par peur que vous contrôliez le monde par la manipulation. »
Elle me sourit.

« C’est exact, vous comprenez donc pourquoi toutes ces précautions. Et je comprends pourquoi vous souhaitez garder votre masque. Nonobstant, gardez en tête que ces hormones ne me permettent pas de prendre le contrôle de votre esprit. Elles dégagent seulement des peurs et des angoisses afin de libérer l’esprit de toutes ces contraintes humaines délétères. Les conversations n’en deviennent que plus profondes, plus passionnantes. Mais je comprends vos réticences et ne vous en tiendrai pas rigueur. J’aimerais, néanmoins, que vous me nommiez par mon nom : Ziyi. »
Elle boit délicatement une gorgée d’eau, puis poursuit.
« J’ai beaucoup d’admiration pour votre combat, maître, malgré son échec apparent. Apparent, effectivement, même si vous ne vous en rendez pas compte, il a un énorme impacte sur les mentalités. C’est grâce à ce genre d’actions qu’évoluent les humains et, surtout, les sociétés. Voyez-vous, je suis très concernée par la cause conscienciste, pour des raisons évidentes, et tenais à vous remercier pour vos efforts en ce sens.
– C’est gentil de votre part, mais je ne suis pas là pour cela. J’aimerais vous poser quelques questions »
 Je commence à me sentir à l’aise, je n’aime pas ça du tout.

 « Au contraire, vous l’êtes. Je doute que cette affaire soit un hasard, maître. Ce serait une brillante façon de revenir sur le devant de la scène en héroïne protectrice des opprimés. Comprenez que ce n’est pas un jugement de valeur, il n’y a aucun mal à mêler noble cause et carrière personnel. Nous ne sommes pas des êtres de pur abnégation, dieu merci, que la vie serait ennuyeuse autrement. Et, nous pouvons nous entraider en ce sens ».
D’accord, elle marque un point.
« D’un point de vu purement théorique, de quelle façon ? »
Je suis curieuse, mais il faut garder l’esprit clair. Les Sayuri sont des manipulatrices nées.
« Oh, j’ai quelques amis qui seraient ravis de médiatiser votre enquête. Et vous n’aurez, de votre côté, qu’à convaincre un policier d’arrêter le meurtrier en bonne et due forme, ne pas le remettre au prêtre. Comme cela, l’assassin qui massacre mes filles est sous les verrous et vous avez votre retour glorieux. »

Elle a vu mes hésitations, et la pointe d’intimidation sur mon visage.
« Vous êtes effrayée à l’idée de tracter avec une Sayuri. Vous ne devriez pas vous fier à la légende noire dépeinte par les journaux et les livres d’histoires. Si vous voulez mon humble avis, on nous a associées aux mythes déjà existants comme celui de la succube ou de la sorcière… L’humain est un animal de croyance, et il a décidé de nous croire maléfiques. Mais ce n’est pas la réalité, nous n’existons pas pour détruire, mais pour améliorer la vie d’autrui. L’aider à la rendre meilleure. Nous voudrions contrôler le monde ? Ne vaudrions-nous pas mieux que de vulgaires méchants bas de gamme de bandes dessinées ? Et que ferions-nous du monde ? Pourquoi voudrions-nous le contrôler ? Nous ne sommes pas si humaines que ça. C’est une plaisanterie, bien sûr. »
Cette blague me fait froid dans le dos.
« Alors pourquoi ce trafic, pourquoi mettre sur le trottoir des pauvres filles et leur soutirer leurs maigres pitances ?
– Les humains les ont fait prostituées, nées pour satisfaire leurs pulsions. Que je sois là ou non, elles se livreront à cette pratique, car leurs créateurs ne leur ont pas laissé le choix. Je tente simplement de rendre la chose plus sûre, moins glauque. Je ne prends qu’une part modérée pour les protéger des gangs grâce à des gros bras payés à cet effet. J’évite des conditions de travail abominables. Mais, voyez-vous, je suis limitée par l’environnement et c’est là que vous entrez en scène pour améliorer ce que je ne peux améliorer.
– Et prendre ainsi la place des humains ?! »
Ma remarque est débile, je ne sais pas pourquoi j’ai dit cela. J’ai tout de suite honte de moi.

Elle me prend la main.
« Nous ne ferons jamais une guerre de conquête, ce concept n’imprégnera jamais l’esprit d’un être artificiel. Bien sûr, nous avons un ego, des défauts, de la colère et tout ce panel de sentiments qui nous rend unique. Mais, nous n’avons pas vos besoins. Pourquoi un pays en envahit un autre ? C'est affaire de ressources : nourriture, eau, hydrocarbures… Nous n’en avons que peu besoin, un besoin si minime qu’aucun d’entre nous ne pensera à faire du mal pour celui-ci. Par contre, nous avons besoin de vous : humanité, de votre esprit si ingénieux, si illogique (elle serre un peu plus fort ma main). Vous êtes nos parents, et quoi qu’il puisse se passer, jamais nous ne pourrions vous faire de mal en tant qu’espèce. »
Et puis zut, faisons lui confiance. De toute façon, c’est un échange cordial d’intérêt.

« Ne mettons pas la charrue… Il nous faut d’abord trouver le coupable et l’arrêter.
– Bien sûr, comment puis je vous aider ? »
Là, une idée me vient.
« Faites-vous dans la sécurité pour particuliers… Louches ? »
Je ne vois pas comment tourner cela autrement.
« Eh bien oui, de quelques personnes triées sur le volet. Je ne souhaite pas empiéter sur ce territoire des gangs. »
Si Bob est bien un mafieux, il a probablement fait appel à elle plutôt qu’à un gang. Sa structure est probablement plus stable que des clans rivaux se tapant dessus pour des histoires de territoires.
« Connaissez-vous la maison relativement isolée, au sud-est, tenue par un étranger du nom de Bob ?
– Cela me dit quelque chose, il me semble que je l’ai pour client.
– Il me faut les noms des personnes gardant la maison ou ayant accès aux clefs et j’aurai le coupable. »
La Geisha a l’air très impressionnée.

« Laissez-moi contacter mon entreprise qui gère cette maison et vous aurez vos suspects. »

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