Aujourd'hui, j'ai rouvert la fenêtre
du salon jaune. Depuis combien de temps était-elle murée ? Personne n'a
voulu me le dire... Ni pour quelle raison d'ailleurs... Mais
franchement, ça valait le coup. La vue qu'on a est magnifique...
Toute la propriété... Les terres de Lord Smith, mon père.
Mon père qui me méprise... Mon père qui me hait... Mon père, cet ancien capitaine d'infanterie qui ne supporte pas d'avoir pour seul héritier un rêveur sans ambition... Mon père qui me méprise... Mon père que, de tout mon cœur, je hais.
Toute la propriété... Les terres de Lord Smith, mon père.
Mon père qui me méprise... Mon père qui me hait... Mon père, cet ancien capitaine d'infanterie qui ne supporte pas d'avoir pour seul héritier un rêveur sans ambition... Mon père qui me méprise... Mon père que, de tout mon cœur, je hais.
***
Voilà deux jours que j'ai
descellé cette fenêtre, mais je ne parviens pas à me la sortir de la
tête, décidément, elle m'intrigue... Pourquoi a-t-on décidé de la murer?
Elle n'a pourtant rien de particulier, elle offre la même vue que les
autres fenêtres de la façade... Alors, pourquoi?
C'est en compulsant
au hasard le journal de mon grand-père (mort il y a quinze ans) qu'il
m'a semblé trouver un élément de réponse :
Muré la fenêtre. Saleté ! Impossible de s'y fier. Parfois elle retarde... Parfois elle avance !
Je méditais sur le sens de ces mots quand un cri m'a tiré de ma torpeur.
« JOHN! Tu farfouilles encore, misérable avorton! Quand vas-tu quitter tes livres et travailler ! »
Je me suis senti sortir de mes gonds et me suis écrié, tendant le poing vers mon père:
« J'en ai assez ! Cessez de m'insultez, ou je...
– PETER ! PETER ! » a-t-il crié, appelant son homme de main, qui a accouru, grognant et éructant comme un singe.
Réconforté par la présence du larbin, il a repris confiance et, d'un air goguenard, m'a dit :
« Ou
je ? Ou je quoi, petit idiot ? Tant que tu vivras sous mon toit, je
t'insulterai et tu le supporteras, INCAPABLE ! Tu ne seras jamais digne
d'être un Smith ! JAMAIS ! »
Frémissant de colère, j'ai remonté l'escalier d'un pas rageur et me suis jeté sur mon lit, les mots trottaient
dans ma tête et je m'efforçais de leur donner un sens... Parfois elle
retarde, parfois elle avance. Ça ne voulait rien dire... Rien du tout...
***
Après
une nuit sans sommeil, j'allais me décider à tout bonnement abandonner
ce mystère quand je l'ai enfin compris ! C'était tout à l'heure dans le
jardin, je regardais cet animal de Peter s'acharner sur les
plates-bandes... Quand tout à coup, il s'est étalé dans la boue, la tête la
première... Se moquer de cette brute pouvant s'avérer dangereux, je suis donc monté pour cacher ma joie et allé m'enfermer dans le salon jaune...
Et,
regardant par la fenêtre, j’ai aperçus Peter au même endroit que tout à
l'heure, jardinant comme tout à l'heure, mais, à mon
étonnement, parfaitement propre : il aurait pourtant dû être tout crotté !
Mais c'est alors que la même chose s'est reproduite et, glissant, il s'est étalé de tout son long dans la boue à nouveau...
C'est
alors que j'ai compris... Effectivement, la fenêtre retarde... C'est à
dire qu'elle montre les évènements quelques minutes après qu'ils se
sont réellement produits...
Est-ce à ce moment que l'idée m'est
venue ? Ou est-ce après la conversation avec mon père qui a suivi alors
que je descendais du salon jaune ?
« Ha! Tu tombe bien mon cher
garçon... Sais-tu qui va venir nous voir demain ? Hmmmm ? Le notaire
Renfield! Et sais-tu pourquoi, chair de ma chair ? Pour te déshériter ! Tu
n'auras rien de moi ! Avorton ! RIEN ! » m'a crié mon père, arborant un
sourire narquois sur son visage décharné.
Oui... À ce moment-là, le plan s'est imposé à moi comme une évidence...
***
C'est ainsi que le lendemain, j'ai conduit mon père dans le salon jaune.
Il
pressentait que j'avais quelque chose à l'esprit sans parvenir
à deviner quoi. Il a dû se fourvoyer sur mes intentions car il m'a dit
que ses pensés ne changeraient pas quoi que je fasse, qu'il me
déshériterait, moi, cloporte, indigne d'être son fils ; et il a rit à
s'en faire tousser.
J'ai fermé la porte et suis redescendu, trouvant le notaire Renfield et Peter en bas de l'escalier...
Je leur ai dit d'attendre trois minutes avant de monter, arguant des petites manies de mon père...
Trois minutes... La durée exacte du décalage... Juste ce qu'il me fallait pour m'assurer un alibi parfait...
Je suis allé me promener sous la fenêtre du salon, puis au moment calculé, je me suis écrié :
« QUOI ? MON DIEU !!!! J'ARRIVE !!!! »
Puis j'ai rapidement remonté l'escalier de service, et suis entré dans le salon jaune juste à temps pour poignarder mon père.
Trente-sept
fois. Je ne peux pas dire que j'ai détesté ce moment, bien au
contraire... J'ai senti 37 années de souffrances s'envoler hors de mon
corps. Je me sentais bien... Si bien... Surtout quand j'ai vu le visage
de mon père expirant son derniers souffle... Mais il me fallait garder à
l'esprit que les témoins allaient bientôt arriver et qu'eux seuls
seraient mon alibi...
Alors, je suis redescendu par l'escalier de service
et quand j'ai entendu le notaire entrer puis crier sa surprise devant le
cadavre de mon père, quand je l'ai entendu appeler mon double du
passé, lui dire de venir vite, et mon double lui répondre à la
perfection... Je suis remonté en trombe, peignant sur mon visage la
stupéfaction et l'horreur... Et tout s'est passé à la perfection. Ça
oui...
***
Et c'est le lendemain, après une bonne nuit de
sommeil, que je me suis rendu compte que mon plan était une réussite
totale... Voilà mon père le Lord envoyé Ad Patres et deux témoins prêts à
jurer que je ne peux être le coupable. Et en plus, j'allais hériter de
tout le domaine, oui, cela méritait bien un toast du meilleur bourbon des
caves de feu mon père en l'honneur de cette chère fenêtre... Je
me suis avancé vers elle... Elle à qui je devais tout ça... J'ai touché le
rebord encore muré et ai voulu admirer le paysage qui m'appartenait
dorénavant. Quand j'ai eu devant les yeux un spectacle horrible...
Un
cadavre ensanglanté gisait à terre, 3 étages plus bas. Et, pour ma
plus grande horreur, je me suis rendu compte que ce cadavre... C'était moi !
« Impossible ! me suis-je écrié au comble de l'horreur. La fenêtre
retarde ! Il aurait fallu que je tombe il y a trois minutes ! Ce qui est
impossible puisque je suis...
– Bougez pas ! a crié Peter qui venait de
rentrer dans la pièce et m'a saisi par le col. Pour le Lord ! Je sais
que c'est vous ! Je l'ai lu dans vos yeux ! Je ne sais pas comment vous
avez fait, mais vous allez payer ! »
Et à ces mots, il m'a poussé d'un simple revers de main, me faisant passer par la fenêtre...
Et
c'est là... Dans le vide, me rapprochant tellement vite du sol que l'adrénaline
faisait ralentir le temps et le magnifique paysage autour de moi, que
ça m'est revenu... Les mots de mon grand-père...
Parfois elle avance !
Hey cool cette histoire, d'ailleurs j'y ai vu une référence à Dracula avec Renfield.. Peut être, peut être pas ^^
RépondreSupprimerLe fils, débarrassé du père, qui prend son envol
RépondreSupprimerEn tout cas on peux dire qu'il est tombé des nues
SupprimerPlutôt bon !
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