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Six minutes


J’imagine que je devrais commencer mon histoire en disant que je n’ai pas toujours été un homme religieux. Enfin je veux dire, je ne le suis toujours pas.  Mais au moins, maintenant je sais qu’il y a plus que juste « nous ». Je ne sais rien à propos d’un quelconque Jugement Dernier ou d’un éventuel plan de Dieu mais, malgré ce que disent les athées, il y a réellement un autre monde qui nous attend après la mort.  

Je voudrais pouvoir vous dire que je suis mort avec dignité, mais ça serait un mensonge. Je suis ce que j’aime à appeler un fournisseur de besoins intimes. D’autres personnes m’appellent juste gigolo. La découverte de ma sexualité associée à quelques gros problèmes familiaux ont fait de moi un enfant brisé qui cherchait de l’attention partout où il pouvait en trouver. Tinder, Grindr, et merde, même Craigslist. Sur n’importe quelle plate-forme où un homme seul avec un peu d’argent avait la possibilité de chercher de la compagnie, vous pouviez me trouver. 19 ans n’est pas un âge facile pour être un gigolo, mais je ne pouvais pas me permettre d’être trop difficile. J’étais mignon, et l’argent me permettait de ne pas dormir dans un carton sous un pont lambda. Quoi qu’il en soit, une nuit, alors qu’un cinquantenaire et moi étions en train de nous disputer sur si, oui ou non, j’avais mérité mes 200€, tout dérailla. Il y eut des cris, des objets lancés, des coups et, avant d'avoir pu faire quoi que ce soit, je me retrouvai avec un couteau planté dans la hanche. J’étais un gigolo perdu, et saignant à mort dans le salon d’un étranger.  

Mort est un gars plutôt sympa. Dans la vingtaine, cheveux châtains, le genre de gars qui porte des costumes à cravate. Assez mignon, pour être honnête. Je ne peux pas vraiment vous dire comment j’ai réagi à ma mort. Tout a été assez vite, Mort était pressé et j’avais l’impression qu'il n’était pas le genre à attendre. J’avais juste accepté que j’étais mort, il n’y avait pas grand-chose d’autre à faire.  

Mort me conduisit hors de l’appartement du cinquantenaire, où nous montâmes dans un bus banal. Il s'installa à l'avant, et démarra. Il y avait déjà quelques individus à l’intérieur. Personne de particulièrement intéressant. Je choisis une place derrière Mort lui-même.  

« Et… On va où ? », je demandai aussi naturellement qu’un homme mort pouvait le faire.  
Mort soupira et me répondit avec indifférence : « L’au-delà.  

- Cool… C’est quoi ?  
- J’sais pas. C’est pas mon job de savoir. » 

Je ne peux pas vraiment dire que sa réponse me satisfaisait, mais peu importe. De toute évidence Mort n’allait pas me dire quoi que ce soit d’utile ; alors je m’assis et attendis. Nous récupérâmes d’autres personnes. A chaque fois qu’on arrivait dans un nouvel endroit, Mort se levait, sortait du bus et revenait avec un nouveau corps. Surtout des vieilles personnes. J’étais, de loin, la personne la plus jeune ici. 

Le dernier arrêt fut dans un petit quartier pas très loin de ma ville. Une odeur de fumée envahit le bus. Il y avait une maison en feu, et on pouvait entendre des personnes crier. Mort s’arrêta en face de celle-ci, sortit du véhicule et revint avec deux enfants couverts de cendres. C’était la première fois que je ressentais quelque chose de négatif depuis ma mort. Le plus âgé des enfants était un petit garçon qui devait avoir 11 ans. Le deuxième était une fille d’environ 8 ans. J’avais des frères et sœurs qui devaient avoir leur âge avant que mon père me vire de chez moi. Ils étaient la seule chose que j’avais regrettée en changeant de vie. Je ne sais pas pourquoi, mais ils s’assirent à côté de moi. Peut-être parce que j’étais le plus jeune après eux ? Ou peut-être parce que j’étais assis à l’avant du bus ? Je ne sais toujours pas. Une fois assis, la petite fille tira sur mon t-shirt : « Où est maman ?» 

Le garçon était en pleurs. Je ne savais pas vraiment quoi dire. C’est bizarre de penser à l’âge auquel on commence à comprendre ce qu’est la mort. J’imagine que chacun apprend à un moment différent de sa vie. Pour cette famille, c’était quelque part entre 8 et 11 ans.  

« Elle ne t’a pas dit ? Elle est restée pour s’occuper de papa. Mais elle m’a dit de vous amener en vacances. Est-ce que ça te plairait ?» 

La petite fille sourit timidement et hocha de la tête. Le garçon me regarda par-dessus sa sœur. Il me fixa longtemps et intensément. Je mis mon bras autour de ses épaules, et lui souris de la façon la plus rassurante que je pouvais. Il se tourna et enfouit son visage entre ses mains.  

Nous restâmes dans le bus pendant des heures. Mort conduisait sans se fatiguer. Personne ne parlait vraiment. Quelques-uns échangeaient entre eux sur qui ils étaient quand ils étaient vivants, et comment ils étaient morts. Mais la plupart restait silencieuse. Le petit garçon s’arrêta de pleurer après que sa sœur se soit endormie. J’essayais bien de lui parler, mais il ne répondait pas. Je continuai malgré tout. Après neuf ou dix blagues pourries, j’arrivai enfin à lui arracher un gloussement, et me sentis heureux pour la première fois depuis qu’ils étaient montés dans ce bus.  

« Je m’appelle Tommy. 
- Je m’appelle Cal, ravi de te rencontrer, Tommy. » 
Le garçon sourit. 
« Dis-moi Tommy, qui est ton amie ? », dis-je en lui montrant la petite fille entre nous deux. 
« C’est ma sœur, Sarah. 
- Je suis enchanté de vous rencontrer tous les deux. Tu sais, tu es vraiment très courageux. Tu l’es beaucoup plus que moi à ton âge. » 

Tommy sourit et nous parlâmes encore un peu. Il finit par s’endormir, comme sa sœur. Je restai éveillé, n'arrivant pas à m'assoupir de la même façon. Le bus roulait depuis plusieurs heures mais je ne me sentais pas du tout fatigué. Dehors, le désert s’étendait à l’horizon. Il n’y avait plus eu de signes de civilisation depuis un moment, lorsque j'aperçus une figure noire au loin. En se rapprochant, on put distinguer une maison.  

Elle n’avait qu’un étage, et était en briques et plâtre. On aurait dit que quelqu’un avait pris une maison au hasard et l’avait balancée là, au milieu de nulle part. Elle détonnait dans le désert et, bien évidemment, Mort n’en avait rien à faire.


On s’arrêta en face de la bâtisse. Mort se leva et sortit un carnet de la poche intérieure de son manteau. Il le regarda et dit d’une voix monotone : « Premier arrêt, Thomas Gables. Sarah Gables. Théodore Witchem. Debout et sortez. » 

Les enfants se levèrent en entendant leur prénom et regardèrent autour d’eux, confus. Je les serrai contre moi, inquiet de ne pas avoir entendu mon prénom et à l’idée de devoir abandonner les seules personnes dont je me souciais dans ce nouveau monde. Je regardai autour de moi et vit un homme, Théodore, j’imagine, debout, se dirigeant vers l’avant du bus. Il grommelait quelque chose. Mort s’impatienta et se dirigea vers lui. Il l’attrapa par la manche et le traîna vers la porte pour le jeter dehors. Théodore paniqua et commença à crier qu’il ne pouvait pas aller dehors, que ça n’arriverait pas. Je pouvais sentir Sarah s’agripper à moi et enfoncer sa tête dans mon t-shirt. Elle savait que ce n’était pas des vacances. Elle savait que quelque chose n’allait pas.  

Quand Théodore réalisa que Mort ne le laisserait plus monter dans le bus, il regarda la maison, marmonna quelque chose et commença à marcher dans la direction par laquelle le bus était arrivé. Mort, satisfait d’avoir accompli son travail, regarda dans le bus et scruta les passagers jusqu’à ce que son regard s’arrête sur les enfants à côté de moi. Tommy prit ma main et la serra aussi fort qu’il put.

« C’est l’heure de sortir du bus », dit Mort.  

Les enfants frémirent mais restèrent sur leur siège. Mort s’approcha doucement pour attraper Tommy.  

« Attendez. » 

Je me levai en trébuchant, puis me mis entre Mort et les enfants : « Je vais avec eux. » 

Mort fronça les sourcils : « Mais ce n’est pas votre arrêt.
- Je m’en fous.  
- Ok, soupira Mort, faites ce que vous voulez. Sortez-les juste de mon bus », dit-il en faisant signe aux enfants.  

Je me retournai et m’agenouillai : « Bon les enfants, c’est notre arrêt ». Sarah mit ses bras autour de mon cou et Tommy prit ma main, puis nous sortîmes. Une fois dehors, le bus redémarra et partit dans un nuage de poussière. Je regardai dans la direction où nous étions arrivés et m’aperçus que Théodore n’était plus visible. 

La maison me paraissait familière. D’une certaine façon, elle ressemblait à la maison dans laquelle j’avais grandi. Nous marchâmes vers la porte et toquâmes.  

J’imaginais le pire. Je m’attendais à des démons et à des chaînes depuis que j’étais monté dans le bus. Alors, imaginez ma surprise quand je vis que la personne qui ouvrit la porte était l’homme le plus beau que je n'eus jamais vu. Dans la fin de la vingtaine, des cheveux blonds légèrement ébouriffés avec un air très décontracté :
« Oh cool ! Je me demandais à quel moment de nouvelles personnes arriveraient à la maison. Je m’appelle Éric, entrez ! »   
Éric nous expliqua que la maison était une sorte de salle d’attente géante. On attendait ici, jusqu’à ce que quelqu’un vienne nous chercher. Tout le monde finissait par partir. Il ne savait pas quand ça arrivait et ce qui passait après. Il savait juste que ça arrivait.  

La maison était extraordinaire. Tout ce que vous aviez toujours voulu était là. La cuisine était toujours approvisionnée de nourriture et de bonbons. Les chambres étaient remplies avec tous les jeux auxquels j’avais toujours rêvé de jouer, sans jamais pouvoir le faire. Le salon était rempli de tous les meilleurs films ayant été créés. Ça rendait la vie ici agréable. Bien sûr, il était difficile de se rendre compte du temps qui passait. Il n’y avait qu’une seule horloge dans toute la maison et elle était dans le salon. C’était une horloge numérique avec une numérotation bleue. Je déteste devoir l’admettre, mais j’étais obsédé par cette horloge. Elle avait un pouvoir hypnotique qui semblait n’envoûter que moi. Je ne pouvais jamais m’arrêter de la regarder.  

Nous passâmes les premiers jours à parler et à apprendre à nous connaître. Nous échangions sur qui nous étions lorsque nous étions encore vivants. Bien sûr, je cachais certains aspects de ma vie afin de ne pas brusquer les enfants, mais à Éric je ne cachais rien. Les jours devinrent des semaines que nous remplissions avec des films et des jeux. Des compétitions et des fêtes. Les semaines devinrent des mois. Nous commencions à nous attacher les uns aux autres. J’avais l’impression d’être plus attaché à ces personnes que je ne l’avais jamais été avec qui que ce soit d’autre avant. Les enfants riaient et souriaient, et j’étais heureux. Les mois devinrent des années, et nous commençâmes à nous user. Nous ne vieillissions pas. Nous restions comme nous étions le jour où nous étions morts, mais sans nos blessures. Malgré tout, nous nous disputions de temps en temps sur la façon dont le monde que nous connaissions était dirigé et sur nos opinions. Même si ce n’était plus réellement important, tout compte fait. Honnêtement, j’appréciais quand même ça. C’était comme si nous étions réellement une famille. Les années devinrent des décennies, et nous commençâmes à nous fatiguer. C’était plus dur pour Éric. Il était dans la maison depuis bien plus longtemps que nous. Il commençait à dire que personne ne viendrait jamais le chercher. Il s’enfonçait dans sa déprime et je ne pouvais rien faire pour le réconforter.  

48 ans avaient passés depuis le jour où les enfants et moi étions arrivés, quand Éric nous réunit tous dans le salon. Il ne nous avait jamais dit ce qu’il prévoyait, et il ne nous en avait jamais averti. Il l’avait juste fait. Je ne sais pas comment le feu avait démarré, je savais seulement qu’Éric l’avait allumé. Les flammes allaient plus vite que je ne pouvais courir. Le brasier traversa le sol et toucha nos pieds. J’entendis les cris autour de moi avant même de sentir la chaleur parvenir jusqu’à mon corps.  

Je ne sais pas vraiment pourquoi, mais j'avais l'impression que ça n'allait jamais s'arrêter. Peut-être parce que nous étions déjà morts, mais ça ne rendait pas la chose plus facile. Finalement, le feu cessa de me brûler et la chaleur fut remplacée par un froid qui me paralysa. Vous pourriez penser que j’étais chanceux, mais vous n’aviez pas à entendre les autres crier. C’était le pire. Je ne savais plus depuis combien de temps nous étions là, jusqu’à ce que je remarque à nouveau l’horloge. Comment j’avais pu la louper ? Avec ses chiffres bleus vifs contre le rouge flamboyant, elle sautait aux yeux. Je ne pouvais pas détacher mon regard d’elle. Je la regardais et je comptais les minutes passées à entendre ma famille brûler.
Les minutes devinrent des heures. Les heures devinrent des jours. Les jours devinrent des semaines. Les semaines devinrent des mois. Les mois devinrent des années. Je m’arrêtai de compter après 60. Je ne me souviens plus quand je devins fou. Sans doute quand je commençai à m’excuser pour ce que je ne pouvais pas faire. Je peux dire que ça n'a plus jamais été facile, après ça.  

On m’a dit que je m’étais réveillé dans l’hôpital en criant. Que le personnel m’avait mis sous sédatifs et dans un coma artificiel avant de me réveiller. On m’a dit que j’étais chanceux car les voisins avaient appelé la police en entendant les cris de l’appartement d’à côté. On m’a dit que si l’ambulance n’était pas arrivée à temps, je serai mort. On m’a dit que j’étais mort pendant 6 minutes. Et je peux vous dire que 6 minutes, c’est une éternité en Enfer. 





Traduction : Piaandy

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11 commentaires:

  1. É-NORME. L'histoire est vraiment intriguante et très bien écrite bravo

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  2. Quand la petite a demandé au narrateur ça m'a mis la larme à l'oeil, (Je sais je suis faible mais au moins j'étais à fond dedans), pour dire à quel point cette histoire était génial. Et la chute depuis le début je cherchais comment il a pu mourir, puisque un coup de couteau dans la hanche ne tue pas. Sans parler du paradis ou de l'enfer et de toutes les surprises qu'ils ont vu. Au final les enfants qui ont été brûlé c'est parce que contrairement au narrateur, eux sont "réellement" mort très inspirant cette histoire, dommage qu'il n'y a pas une suite.

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  3. Rectification, quand la petite a demandé au narrateur où est sa mère ça m'a mis la larme à l'oeil.

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  4. L'éternité, c'est très long, surtout vers la fin.

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  5. Super sympa, j'aime beaucoup ^^

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  6. Il aurait fait un super père de famille ^^

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  7. Quelle tristesse :'(

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