« Qu'est-ce que je fais là, encore ? » était une question que je me posais très régulièrement ces derniers temps, mais aujourd'hui était la goutte d'eau qui faisait déborder le vase.
J'avais assisté à de nombreux rituels à base de pentagrammes inversés, de bougie noire et de litanie à la gloire de Satan afin de l'invoquer, donc me retrouver en pleine nuit au milieu d'une forêt du Finistère en compagnie de mon ami Kévin et d'une pseudo-sorcière au prénom imprononçable typique de la région me faisait perdre patience.
Alors qu'elle dansait autours d'un feu « sacré » allumé au sans plomb 95 avec une boite d'allumette achetée au Lidl quelque heures avant, notre sorcière en profitait pour psalmodier un mélange de français, d'anglais, de celte et d'akkadien ancien digne d'une incantation d'un film bollywoodien.
Assis côte à côte à une distance respectable du spectacle, mais pas si éloignée du bidon qui nous noyait sous une odeur infâme d'essence, Kevin et moi-même étions un peu sceptique vis-à-vis de la jeune femme. On en avait croisé des « experts » dans le domaine du satanisme, allant des chercheurs un peu barrés aux amateurs de la théorie du complot en passant par des gamins ayant créé des blogs dédiés à des rituels sortis de leur propre imagination, mais là on avait clairement touché le gros lot avec Noelaïg. Elle nous avait l'air d'être le candidat idéal à l'invocation de l'Homme cornu, surtout lorsqu'elle nous a expliqué descendre d'une longue lignée d'anciens druides celtes ayant pour habitude d'invoquer Satan à la première nouvelle lune d'avril, mais on s'est vite mis à douter de ses réelles capacités lorsqu'elle nous a demandé si ça nous dérangeait d'aller prendre un menu au McDonald's de Chateaulin car c'était un lieu « chargé en énergie », selon elle.
Après s'être mise à crier un mot à répétition en jetant des branches dans le brasier tout en faisant des tours sur elle-même, la sorcière s'était agenouillée et avait arrêté de bouger. Kévin m'a alors regardé avec un regard empli de désespoir et de tristesse encore plus profond que lors de toutes les autres tentatives ratées que nous avions expérimenté, et j'ai décidé de prendre la parole afin d'arrêter le massacre.
« Bon, c'est pas tout, hein - Kévin continuait de me regarder pendant que je me relèvais - mais je crois qu'on a tous assez perdu de temps, hein. C'était sympa Noe... Noelaich, mais je suis pas sûr qu- »
Avant même que je termine ma phrase, Noelaïg s'est relevée en tournant son regard vers moi, tout en s'écriant qu'il était convenu que durant tout le rituel, elle n'était plus Noelaïg mais bien Abūtum-Maṣṣarum et que l'interrompre est quelque chose de déconseillé. J'allais émettre une objection quand Kévin m'a fait signe de la tête de me rasseoir, ce que je fit avec un soupir. Et avec un air satisfaite, notre sorcière s'est remise à danser autours du brasier de plus belle, en psalmodiant encore plus fort. Qu'est-ce qu'il faut pas faire pour rencontrer le porteur de lumière quand même...
On est le 16 Avril, il est presque 1 heure du matin et on se rapproche de 0 degrés Celsius. Et je suis en plein milieu d'une forêt avec un pote en train d'attendre qu'une fille qu'on connaît depuis à peine quelques jours daigne réussir à invoquer une entité magique surpuissante. C'est dans ce genre de situations que je me rappelle ce que me répète ma mère depuis quelques années déjà, sur le fait de reprendre ma vie en main. Et plus j'y réfléchis, plus je me dis que je devrais peut-être arrêter mes conneries et essayer de faire quelque chose d'utile aux autres, parce que visiblement ma façon de vivre va rencontrer un mur dans très peu de temps. Et là, j'ai comme l'impression que le mur prend étrangement l'apparence d'une rousse aux yeux bleus, dansant autours d'un feu en hurlant des mots aléatoires et en jetant tout ce qui lui passe sous la main dans le brasier, en faisant des gros yeux. Bordel, mais qu'est-ce que je fais là, encore ?
« Enfin, je sens l'énergie de Satan ! » s'écria Noelaïg en agrippant le bidon d'essence et en le jetant dans le brasier avant même que nous puissions réagir à la stupidité de cette action. En l'espace d'un instant et sous nos regards ébahis à moi et Kévin, la flamme s'est mise à grossir aussi bien en hauteur qu'en largeur, enveloppant tout sur un rayon d'à peu près deux mètres autours du point initial du brasier, la sorcière compris, avant de nous coucher au sol tout en envoyant valser sur la forêt environnante des milliers de morceaux de bois, de plastique et de femme rousse enflammés.
Et pendant que cette forêt millénaire commençait à s'enflammer aussi bien que la maison d'un pyromane et que nous sombrions dans l'inconscience avec Kevin suite au contre-coup du souffle de l'explosion, j'ai ressenti quelque chose de spécial et réellement étrange. Non pas que comprendre que notre « druide » venait de rejoindre ses ancêtres dans le même état qu'un puzzle 300 pièces n'était pas spécial et réellement étrange, loin de là, mais j'ai ressenti comme une présence.
Une présence qui m'empêchait de rejoindre Kévin au pays des rêves.
Alors que tout s'illuminait autours de moi, j'ai trouvé la force de me relever, avec un peu de mal tout de même. Complètement sonné, à vrai dire. Et pendant que j'essayais de retrouver mon équilibre en vérifiant que je n'étais pas blessé, j'ai entendu une voix rauque dans la direction du cratère où se tenait le brasier et Noelaïg il y a quelques minutes. Alors que je me tournais dans la direction de la voix, je l'ai vu. Une forme sombre ressemblant à un être humain, des jambes ressemblant à celles d'un cerf et des cornes de bouc sur sa tête. Il était debout, regardant dans ma direction, parlant dans une langue que je ne comprenais juste pas du tout. En fait, tout bien réfléchis, je crois que même s'il s'était exprimé dans ma langue en m'interpellant, je n'aurais juste pas compris que cette incantation foireuse avait réussi. Et alors qu'un crépitement inquiétant commençait à se faire entendre dans la forêt tout autours de nous, l'Homme cornu pencha sa tête sur le côté et recommença à parler, de manière plus compréhensible désormais:
« Petit humain, es-tu celui qui m'a invoqué ? » dit-il d'une voix rauque à glacer le sang. A cette question, j'ai hoché la tête négativement, et je lui ai montré la chaussure de notre sorcière. Il s'est alors approché de celle-ci, l'a prise et l'a retourné, laissant tomber un morceau de pied complètement noir au sol. Il a alors soupiré en regardant tout autours de lui, avant d'émettre un « Encore ces amateurs... » tout en lâchant la chaussure. « Je suis censé servir la personne qui m'invoque, petit humain. Si celle-ci n'est plus, alors je n'ai pas à rester. » dit-il en me regardant de nouveau.
Et, tout en étant complètement ébahis par la scène, j'ai observé Lucifer lever l'un de ses bras en l'air, la paume ouverte. Et tandis qu'il refermait son poing, les flammes aux alentours s'éteignaient les unes après les autres, replongeant la forêt dans l'obscurité la plus complète, à tel point qu'il n'était plus possible de le voir. Au moment précis où la dernière braise s'est éteinte, j'ai alors cessé de ressentir sa présence et je me suis écroulé.
Mais avant de sombrer dans l'inconscience, j'ai entendu une dernière fois la voix rauque de l'homme cornu. « Qu'est-ce que je fais là, encore ? »
Texte de Daemoniack
J'aime beaucoup !
RépondreSupprimerUne fois n'est pas coutume, j'ai un petit doute sur la façon d'interpréter la fin : il a pas à réussi à repartir, et il est coincé sur terre ?
Je pense que oui, vu que la voix rauque (donc celle de l'homme cornu") a demandé ce qu'il fichait encore dans la forêt. Donc le dénouement de l'histoire est que le Diable est coincé sur Terre.
RépondreSupprimerRah le pauvre je le plaint si il est coincé sur Terre ça me fait de la peine le pauvre va se suicider en nous voyant
RépondreSupprimerJ'avoue que je n'ai rien compris. ^^
RépondreSupprimerMais non, il est pas coincé. Ca fait allusion au personnage principal.
RépondreSupprimerAu début il se demande qu'est-ce qu'il fait là, dans une forêt à essayer d'invoquer Satan.
A la fin, Satan se demande qu'est-ce qu'il fait là, dans une forêt, invoqué par une amatrice même pas foutue de faire un rituel correctement.
En fait c'est plutôt marrant ^^
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RépondreSupprimerLe MacDo de Chateaulin ! J'y crois pas !
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