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Les brumes de sang : Le cas du 216 Portstreet, partie 1


Temps approximatif de lecture : 13 minutes.


Autres chapitres : - Les brumes de sang : Le Hiérophante



Londres, 4 octobre 1920


Lili rentre dans son appartement, un confortable logement de fonction offert par l’organisation. Elle n’y passe pas beaucoup de temps, ce qui explique le manque de décoration et l’aspect très utilitaire qui se dégage de l’endroit. Il y a cinq pièces : une cuisine, une chambre et une salle de bain, évidemment, avec un salon ainsi qu’un bureau. L’épaisse couche de poussière qui recouvre le sol témoigne du peu de monde voyant ce, pourtant chouette, petit nid. Jetant son sac dans l’entrée, elle va se faire cuire rapidement de quoi calmer son estomac. La dernière affaire avait été éprouvante, une sombre histoire de harpie qui enlevait des gamins… Dieu merci, ils ont pu être retrouvés et sauvés et retrouvés à temps. La créature, passée par le fil d’un bon gros calibre 12 incrusté de glyphes purificatrices.

Le repas étant prêt, l’agent apporte alors son assiette dans le bureau. La solide porte de bois est constamment verrouillée et incrustée de runes obscures. Des symboles occultes crépitant d’une énergie invisible, fais pour interdire l’accès aux curieux et aux créatures de la nuit. Lili pose sa main sur la poignée et cette dernière tourne seule, avant d’ouvrir l’entrée.


Il se découvre alors une relativement grande enceinte, avec une table de travail au centre et entourée de placards de diverses tailles. Différents livres sans nom et aux couvertures sombres sont disposés à proximité. Une grande variété d’outils à l’usage ésotérique sont rangés dans des coffres de bois, mais ce n’est pas ce qui choque le plus. Une armoire de verre laisse apparaître quelques armes de poings ainsi que plusieurs objets d’apparence ordinaire comme des lunettes, un grappin ou une boule à neige à l’exception qu’ils sont tous sertis d’étranges pierres bleutées et cristallines. Une sorte de courant électrique violet semble enfermé à l’intérieur et tenter constamment de s’en échapper.

La détective pose la nourriture et s’installe dans le profond fauteuil de cuir épais. Tout en mangeant, elle sort un petit tube pneumatique du tiroir. Un dossier sur lequel elle n’est pas, mais les hommes affectés à ce cas n’ont pas donné de nouvelles depuis quelques jours. L’Agence finira par envoyer du renfort, cependant Lili ne compte pas attendre avant de commencer à se pencher dessus. Il est à peu près certain que Dwayne, le chef de la section, va lui demander de s’y mettre. En vérité, la raison qui pousse la femme à prendre cette avance est surtout la crainte qu’il ne leur soit arrivé le pire… comme c’est trop souvent le cas dans ce métier.

Elle extrait du tube un ensemble de papiers et de documents, toujours aussi surprise qu’il puisse en contenir autant. Ils recèlent finalement assez peu d’informations, surtout des séries de témoignages recueillis concordants. Sobrement nommé « Le cas du 216 Portstreet », les interrogés expliquent que des disparitions sont survenues alors que les victimes sont entrées dans une maison chic, occupée par un couple de retraités et par le personnel à leurs service. La police n’a retrouvé aucune trace des disparus, mais les agents ont eu la confirmation qu’ils ont tous en commun d’avoir pénétré ces lieux pour une raison ou pour une autre. Ils ont également infiltré ces lieux et ont fini par disparaître à leur tour, mais pas immédiatement car ils ont été aperçus en train de sortir du bâtiment. Ils n’ont donné signe de vie que seulement quelques jours après l’événement. Ce qui frappe la grande brune est que l’équipe, durant ce laps de temps, s’est presque mise en veille. Elle n'effectuait plus ses tâches et semblait avoir adopté un mode de vie ordinaire. En l’absence de plus de preuves et au vu des rapports de ces derniers, seule une surveillance de l’endroit à été autorisée. Effectivement, les dernières entrées du dossier indiquent que la maison n’abrite rien d’étrange.


Des conneries tout ça ! Ils ont tous fini par se volatiliser sans explication ! Le seul lien est cette baraque glauque, aucune chance pour que ce soit juste une coïncidence. Van Helsing ne pourra pas agir plus frontalement juste avec ces soupçons car nous avons affaire à des humains ! Lili se dit qu’elle va devoir apporter tout ce qu’il faut pour permettre cette intervention dans les règles et le plus vite possible…

En dehors de ces témoignages, la bâtisse n’a pas un passé occulte ou mystérieux, ses occupants non plus, ni même le quartier. Un vampire aurait résidé à quatre pâtés de maisons il y a trois cents ans, mais aucune chance pour établir une causalité entre ces deux infos. Surtout qu’il aurait été détruit à l’époque. Bref, tout à découvrir et un Dwayne à convaincre pour avoir carte blanche. Heureusement, elle s’entend bien avec cette peau de vache. Lui apprécie son professionnalisme et sa rigueur et elle, elle aime son côté carré et son pragmatisme à toute épreuve.

Le lendemain, Lili se dirige vers le sanctuaire. Un grand building de verre et d’acier sur le modèle new-yorkais. Il ne fait pas tâche dans cette City qui en abrite plus d’un, seul le symbole de l’organisation sur les portes permet de le distinguer quelque peu. Une croix rouge surmontée par une boucle et finissant comme un poignard. L’intérieur est similaire à n’importe quel hall de siège social, à la différence de cette ambiance art déco très colorée et d’une décoration murale ainsi que d’un sol fait de lignes abstraites. Un œil avisé reconnaîtra un enchevêtrement de cercles mystiques ayant pour but de détruire les créatures inhumaines. Sous ses allures de bureaux de compagnies commerciales, il s’agit d’une forteresse impénétrable pour les ennemis de l’humanité. Elle prend alors l’ascenseur vers le cinquième étage, celui des opérateurs de terrain, des chasseurs. Un grand open-space s’ouvre alors à elle avec une série de pièces de travail fermées sur chaque côté, une vingtaine de personnes s’activent et commencent à se mettre au travail tout en profitant du petit déjeuner offert par la maison. Pourquoi s’en priver ? Van Helsing sait débusquer les meilleurs cuisiniers de la région ! Un homme s’approche alors d’elle, un grand blond aux yeux émeraudes, aussi mignon que musclé. Il tient un plateau repas avec des croissants, du café, du jus d’orange ainsi que du pain beurré. Il le pose sur son bureau puis se tourne vers sa collègue avec un sourire.

« - J’ai essayé de faire le plus français possible ! Toi qui te plains toujours de notre bouffe !

Lili lâche un petit rire amusé

- Merci Jere ! Je vais pouvoir m’y mettre sans avoir la nausée ni le mal du pays !

Jeremiah Borrow s’installe avec enthousiasme

- Alors, on bosse sur quoi aujourd’hui ? On a fini de dézinguer cette putain d’horreur volante, on est un peu au chômage technique là.

Sa partenaire sort alors les documents de la veille et les pose devant lui.

- On reprend le cas du 216 Portstreet. Je suis inquiète pour les collègues, on doit faire quelque chose et vite !

Borrow inspecte les documents.

- On a déjà fichu le couple Taylor sous surveillance, mais aucune preuve qu’ils ne soient pas humains ou compromis… tu veux faire quoi ?

- Reprendre l’investigation, m’infiltrer chez eux !

Il prend alors une mine contrite.

- Et disparaître à ton tour ?

Elle sourit.

- Tu seras là pour surveiller et voir ce qu’il m’arrive. Je compte sur toi pour éviter que ça ne tourne au vinaigre.

- Bordel, c’est un risque absurde ! Et en plus, le boss ne nous a même pas mis sur le coup !

- Je vais arranger ça.

Dit la chasseuse en se levant de sa chaise après avoir fini son repas.

- Non, mais attends… »


Son amie n’attend pas et se dirige vers le bureau du « Chien noir d’Helsing », surnom pour cet ancien agent de terrain légendaire : Dwayne Evans. Il serait parvenu à terroriser les vampires écossais au point d’en faire fuir la plupart, en son temps. L’épisode de la coterie de Cork reste son fait d’armes le plus impressionnant, la destruction complète d’un clan vampirique qui s’était installé dans la ville et commençait à la transformer en ferme humaine. A l’abri des regards, comme toujours. Ils portaient un nom à la con, les « Dévoreurs d’épinière » ou un truc du genre. Bref, le chef est un vétéran qui sait ce que signifie « combattre l’occulte ».

C’est le bordel dedans, les feuilles volantes côtoient les chemises perdues ainsi que les  taches de café. La carte de la ville accrochée sur le mur est gribouillée dans tous les sens, selon une logique que seul son auteur peut comprendre. Les sièges accueillent des vêtements abandonnés là, montrant qu’il dort quelques nuits par semaine ici. Plusieurs affaires de toilettes qui sont disposées çà et là en témoignent également. Elles se confondent avec ses médailles et récompenses qui sont les seules choses à peu près entretenues. Le vieux briscard est là, avec son verre de whisky matinal. Il a son éternelle coupe de cheveux tirée en arrière avec une mèche qui lui tombe sur le front, son épaisse barbe taillée grisonnante ainsi que ses sourcils touffus froncés lui donnent un regard dur. Ses yeux bleus sont constamment plissés et lui créent des rides sur les pommettes. Il arbore également son costume trois pièces fermé par une cravate et un veston marron. Il n’a pas changé depuis que Lili a été transférée au sanctuaire de Londres, il y a deux ans.

« - Johnson, bon boulot avec Borrow avec la bestiole. Prenez quelques jours, vous l’avez bien mérité, lâche sans préambule son patron.

- Mr Evans, nous avons autre chose en tête avec Jeremiah. Répond-elle poliment.

- Vous n’arrêtez jamais vous deux, hein ? Rigole-t-il en retour. Oubliez pas de penser à votre famille et vos amis, sinon vous finirez comme un vieux clébard à pioncer dans votre bureau. L’homme soupire.

- Ma famille est morte à la der des der et niveau amis… Je ne suis pas très douée, vous savez.

- Eh bah apprenez. Allez, foutez le camp et tâchez de vivre un peu ! Depuis son divorce, le « Chien noir » passe une bonne partie de son temps à inciter ses subalternes à « vivre » et arrêter de « crever au boulot comme des connards ». Sa manière d’éviter aux autres ses mêmes déconvenues, pense l’agent.

- Sauf votre respect, je veux aider nos compagnons disparus au 216 Portstreet ! Plus on passe de temps en stand-by, plus on risque de ne jamais les retrouver ! Vous connaissez les statistiques comme moi !

- On ne peut rien faire pour le moment, on surveille et on attend. Qu’est-ce que vous voudriez faire de plus ? S’agace le vieil homme.

- Une mission d’infiltration, je me fais embaucher là-bas ! Ils sont vieux et doivent avoir besoin d’aide pour une si grande maison !

- Décrochez un peu, Lili.

- Après cette mission, je vous promets de prendre des vacances. Elle le regarde droit dans ses yeux blasés.

- Bon, vous me saoulez. Je vous mets sur le dossier, mais vous avez intérêt à poser vos jours sinon je vous mets en corvée de surveillance. Là, vous allez vous faire chier ! Lili sourit.

- Deal, boss !

Dwaynes se lève et se tourne vers les grands tiroirs métalliques situés à l’arrière et sur les côtés de la pièce. Il en ouvre un et sort un épais dossier rempli de documents fourrés dans un classeur bleu vif. Il jette ensuite sur la table ce dernier, que la femme prend aussitôt.

- Restez constamment en communication avec le Sanctuaire et jouez pas à la conne, ok ? Vous trouvez un truc, vous appelez les renforts !

- Je le fais toujours ! S’indigne Johnson.

- C’est ça, les jeunots se croient toujours invincibles et finissent par faire de la merde un jour. Alors vous suivez les protocoles, ils sont pas là pour rien !

- Bien, monsieur. Acquiesce la jeunot.

- Bon, j’ai du boulot. Il se rassoit et indique la porte à son interlocutrice, qui s’en va en suivant le mouvement. »


En fermant la porte, survient Jeremiah Borrow avec un air contrarié.

« - Bon, je suppose qu’on est sur le doss ?

- Tout juste ! On peut s’y mettre dès maintenant ! Elle affiche un sourire un peu narquois, même en essayant par tous  les moyens de le réprimer.

- Tu fais chier, Lili !

- Plus vite fini, plus vite tu pourras retourner jouer du piano !

- Du saxophone…

- Oui, pardon. Borrow prend le dossier des mains de sa collègue, ne cachant pas son manque de motivation. »

Jeremiah s’occupe à chaque fois des analyses préliminaires, c’est le meilleur pour ça. Il retourne ensuite s’asseoir pour étudier l’affaire en détail. Lili, pendant ce temps, se prépare à son futur travail d’auxiliaire de vie/femme de ménage/domestique que vont bientôt chercher les Taylor. L’actuelle va gagner un confortable pécule grâce à la loterie locale. Protocole « Tyché », le nom d’une ancienne déesse de la chance grecque. Les grands pontes adorent ces références pompeuses, mais elle doit bien admettre que c’est plutôt classe. Une « certaine gueule ».



Quelques jours plus tard, l’équipe prend ses quartiers dans un petit hôtel de la ville « cockroach legs inn » car les arches de chaque côté ressemblent à des pattes d’insectes. Plutôt accueillant, bien que rustique, c’est une planque parfaite pour les opérations. Elle n’est qu’à quelques rues de la cible qui plus est. Lili commence son infiltration dès le lendemain, son attirail est prêt ainsi que son costume. Les labos ont mis au point un gadget particulièrement utile pour ce genre de mission, une espèce de diffuseur de liquide transparent similaire à de l’eau mais qui réagit à de fortes présences spirituelles notamment démoniaques : appelé « Juniper Sling n°2 ». Des lunettes adaptées sont ensuite utilisées pour voir le dégradé de couleurs révélées par la substance, si le lieu est gorgé de ces résidus. Ils ne constituent pas une preuve en soi, bien des endroits en sont remplis, car traversés par des courants ésotériques bénins. Néanmoins, cela reste un outil intéressant afin de localiser une source si elle existe.

L’agent garde quelques autres atouts dans sa besace de servante, comme une arme de poing occulte type « WebleyWhisper ». Un revolver parcouru de veines de métal azur marqué de glyphes, inconnus de sa propriétaire, qui s’avère particulièrement efficace pour combattre les créatures obscures ! Borrow se tiendra en renfort avec le reste du matos et prêt à intervenir au cas où les choses tournent mal. Il est également rassurant de savoir que son partenaire a une formation d’ingénieur occulte, « horloger » comme l’organisation préfèrent les nommer pour plus de discrétion. Il saura donc quoi faire si le matériel merde, ce qui arrive très souvent. Cette technologie aussi incroyable qu’instable est sujette à pas mal de pannes et dysfonctionnements.


Londres 15 octobre 1920

Lili est en costume de domestique devant la lourde porte de fer forgé du portail de ses futurs patrons. Ils ont un jardin relativement grand et entretenu, la maison ressemble à un petit manoir avec de solides rideaux rouges devant les fenêtres. De l’extérieur, impossible de voir l’intérieur de cette demeure de style typique londonien. James Taylor est un ancien administrateur colonial et sa femme, Victoria Taylor, est fille d’industriel. Ce n’est pas étonnant que tout ici transpire la prospérité. Les voisins les regardent tout de même avec un œil presque compatissant, le couple sortant très peu depuis quelques années et s’étant progressivement coupé de ses liens sociaux. Beaucoup pensent que l’âge commence ses affres et que les pauvres n’ont plus l’énergie ou la volonté pour assumer leurs devoirs de bon voisinage. Néanmoins, le personnel ne s’est jamais plaint et ceux interrogés n’ont rien eu à redire sur leurs employeurs ou leurs comportements.

Le fait est qu’une équipe d’Helsing  a  disparu peu après être sortie d’ici, ce ne peut pas être une coïncidence. Elle enquêtait sur un probable trafic d’humains, certainement à destination de créatures néfastes, et leurs pistes les menaient en ces lieux ! Mais ce ne sont que des suppositions, rien ne permet de justifier une intervention directe. Peu importe, elle prouvera que son instinct ne l’a pas trompé vis-à-vis de cette famille, se dit l’agent. Elle trouvera les preuves ainsi que ses collègues. La future nouvelle employée sonne alors la cloche de l’entrée afin de signaler sa présence.



Un homme bien habillé, en costume, approche d’un pas vif et souple. Il est assez vieux, dans la cinquantaine, et n’a plus qu’une partie de ses racines chevelues mais reste très bien coiffé tout de même. Son nez épaté ne change rien à l’élégance sobre de ce visage filiforme qui ne souhaite trahir aucune émotion. Il esquisse pourtant un sourire à la jeune femme, un sourire de bienvenue et de soulagement visiblement. L’hôte la fait entrer dans la propriété avec une distante chaleur tout en lui expliquant qu’une dame de maison est plus qu’une bonne nouvelle. L’habituelle est partie prestement la semaine passée et trouver du personnel efficace fut une corvée biblique ! Lili plaisante sur son statut de sauveuse des chaumières et cela détend l’homme qui se décrispe un peu. Il indique se nommer Henry Bolen et être l’intendant de la famille. Puis lui explique qu’un jardinier passe régulièrement, un cuisinier tous les jours ainsi qu’un infirmier deux fois par semaine et cela sans compter ceux complètement extérieurs comme les comptables ou les avocats ! Tout un petit univers gravite autour de la planète Taylor, précise le majordome et qu’en faire partie offre de nombreux avantages tel qu’un salaire confortable par exemple. Le financement des études pour les enfants également ou bien cinq semaines de congés payés ! Les meilleurs employeurs de l’Empire !

La jeune femme écoute avec attention et note l’enthousiasme du serviteur et feint d’être très impressionnée. Henry l’a conduit ensuite dans le hall de la maison, qui est en réalité un long couloir, fait de bois et de bibelots ainsi que de tableaux familiaux, avec diverses portes et un escalier menant à l’étage. Tout y est très sombre, l’électricité y est installée bien sûr, mais les ampoules n’éclairent qu’un maigre halo, si bien qu’il faut évoluer dans l’obscurité lorsque l’on en quitte le rayon afin d’en atteindre un autre. Le guide ouvre une de ces portes et pénètre un coquet salon. Trois fauteuils pourpres d’apparence très confortables ainsi qu’un canapé assorti sont disposés autour d’une table basse. Une profonde cheminée offre chaleur et lumière à cet ensemble. Quelques armoires à alcools et jeux sont plaqués contre les murs et sont ouvertes, pour cause le maître des lieux déguste une sorte de brandy en jouant aux cartes. Bolen s’avance tout en faisant signe à la nouvelle venue de rester sur place, il prend alors la parole lorsque Mr Taylor lève la tête. Il semble très ancien, avec des rides creusées et des yeux bleus presque éteints, il tremblotte légèrement et paraît frigorifié. Son visage rond donne un air un peu enfantin au vieillard bien que les sourcils fournis et froncés dissipent bien rapidement cette première impression. Il garde cependant une importante chevelure lui tombant sur les épaules. Une coupe peu commune pour quelqu’un de son milieu, se dit l’infiltrée.





« - Mr, je me permets de vous déranger afin de vous présenter votre nouvelle dame de maison. Rose McFarland. Si l’on en croit l’agence de recrutement alors elle correspond à toutes vos attentes ! Il semble stressé et caresse compulsivement son bouton de manchette en attendant la réaction de son interlocuteur.

- McFarland, McFarland… c’est un nom irlandais ça ? Je ne veux pas de ces traîtres chez moi, Henry ! Je te l’avais pourtant dit maintes et maintes fois ! Les joues du vieux prennent une teinte rougeâtre.

- C’est écossais, monsieur, je vous assure. La confusion est courante, mais ce patronyme n’est en rien lié à l’île verte. Je m’en suis assuré ! Il caresse toujours plus vite son bouton.

- Faites-la venir, je veux la voir ! S’énerve toujours plus le type. Lili fait alors quelques pas dans sa direction puis fait une révérence respectueuse.

- Je suis Rose McFarland, je suis née à Edimbourg. Je suis honorée de vous rencontrer, monsieur Taylor.

Il se lève alors et l’inspecte sous toutes les coutures. Saisit son visage pour mieux l’observer à la lumière. Il maugrée alors en réponse.

- Je ne vois pas de taches de rousseur et vous ne paraissez pas être une rustre. Vous devez bien être britannique. Il relâche sa prise. Je ne vais pas vous faire passer un entretien ou vous cuisiner des heures. Je ne crois qu’en la pratique, faites l’affaire pendant deux mois et je vous recrute pour de bon. Si je vois que vous êtes une tire-au-flanc, une voleuse ou une malpolie alors je n’aurais nul remords à vous mettre à la porte. Est-ce clair, mademoiselle McFarland ? Son ton est sinistre et froid, tel un sergent parlant à une recrue.

- Oui, monsieur.

- Parfait, voici la liste des consignes principales. Vous ne devez pas faire de bruit après 21h30, vous ne devez pas vous trouvez plus de deux minutes dans la même pièce que ma femme ou moi-même. Chaque pièce doit être nettoyée tous les deux jours, ni plus, ni moins. Vous aurez un plan de la maison avec un parcours défini, l’ordre est important, vous ne devez pas aller trop vite ou trop lentement. Suivez juste le rythme. Les pièces non indiquées ne vous sont pas accessibles, n’y entrez pas. Vos repas sont entre 6h30 et 7h30 le matin, 11h30 et 12h30 l'après-midi et enfin 18h30 et 19h30 le soir. Si vous souhaitez grignoter, ce sera à votre charge. Si vous avez des questions, votre supérieur ci-présent se chargera d’y répondre. Laissez-moi maintenant. Il congédie ses employés d’un geste de la main. »

Une fois dehors, Henry soupire de soulagement.

« - Eh bien, tout s’est parfaitement passé, me voilà soulagé.

- Vraiment si bien que cela ? « Rose MacFarland » est dubitative.

- Mr Taylor est un homme de son temps, ne faites pas attention à ses excentricités. Si vous suivez les règles alors ne craignez rien de lui, vraiment. Il sort un petit document d’une des commodes du couloir.

- Si j’en brise une par inadvertance, je dois donc craindre ? Le majordome grimace.

- Le renvoi, rien de plus. Comprenez que c’est un vieil homme qui est… attaché à ses principes et à une certaine conception de l’ordre. Il n’est pas méchant, mais certainement obtus sur quelques sujets. Il tend les documents à la jeune femme.

- C'est-à-dire ? Lili les prend puis les ouvre.

- C’est à dire que c’est un ancien officier de l’armée de l’Empire et qu’il est le meilleur employeur de la région. Vous ne trouverez pas meilleur endroit pour travailler qu’ici, mademoiselle et gardez bien cela en tête. C’est au tour de la chasseuse sous couverture de grimacer. L’intendant renchérit donc. Écoutez, tout se passera pour le mieux, je vous l’assure, vous n’aurez même aucun contact avec eux ainsi que trois jours de congés par semaine, vous serez logée, nourrie et complément blanchie accompagnée d’une solde plus que confortable. C’est ce qui compte, personne ne vous demandera de lui faire la conversation. D’accord ? Elle fait mine de réfléchir.

- Ça me semble plus qu’honnête. Je marche. Mais c’est quoi ces papiers ?

- Vos missions et instructions détaillées. Nos employeurs aiment que les choses soient faites d’une manière… précise. Il vous faut donc suivre sans discuter ces directives.

- Elles n’ont pas beaucoup de sens, je dois nettoyer la cuisine qui est au rez-de-chaussé puis aller faire la chambre à l’étage avant de me rendre au cellier à côté de la cuisine, puis de retourner avant de redescendre ! La liste des tâches n’en a pas beaucoup plus, pourquoi ne faire qu’une moitié du couloir par jour ? Et ça, ça n’a pas de sens non plu… Elle est coupé par Henry.

- Je n’en sais rien. Ce sont des personnes excentriques avec des exigences au diapason. Ne cherchez pas de logique dans tout ce qu’ils demandent, vous n’en trouverez pas. Contentez vous de le faire et de profiter de votre salaire, le reste n’a pas d’importance, si ?

- Mais…

- Écoutez, on s’en fiche de comment la maison est nettoyée.  Ça vous importe tant que ça ?

- Non, vous avez raison. Ce n’est pas mon problème, je suis juste là pour exécuter puis récupérer mon dû…

- Voilà le bon esprit. Il lui tape amicalement sur l’épaule. Prenez le temps de découvrir lesdites consignes et de faire vos quartiers. Nul besoin de vous presser. Revenez me voir quand vous serez prête ». Il sourit et elle lui sourit en retour.

Londres 20 octobre 1920

Cinq jours sont plus que suffisants, pour une observatrice éclairée, afin de déterminer s’il y a anguille sous roche. Et là, putain, on parle d’une sacrée anguille mais d’une anguille invisible. Rien de plus frustrant. La professionnelle a pu constater un problème : les résidents du 216 Portstreet ne sont pas normaux, mais rien pour prouver la nature surnaturelle de son observation ! Il y a aussi cette atmosphère étrange, les poussières qui apparaissent et disparaissent aléatoirement sur les bibelots, les tableaux qui peuvent subtilement varier d’une micro-teinte de couleurs, ses collègues qui semblent… perdus et ont des conversations qui n’ont parfois pas vraiment de sens. Un peu comme s’ils étaient en permanence sous une forme soft d’opiacés. Elle-même sent que sa perception se brouille progressivement, mais très lentement de sorte à ce qu’elle ne l’aurait jamais remarqué en d’autres circonstances. La grande brune soupçonne la présence d’une infestation chaotique, un démon ou alors quelque chose s’en rapprochant. Ces créatures distordent la réalité et infectent des lieux et des gens, ils rendent étranges et décalés les environnements. Lorsqu’ils ne les transforment pas en cauchemars purs et simples.

L’hypothèse démoniaque semble être la plus évidente, au vu des signaux faibles décelés par ci par là au cours de la semaine. Cependant, pas moyen de trouver là où réside la créature ! Probablement dans les pièces interdites, mais l’agent n’a pas encore eu l’occasion de s’y faufiler. Le Juniper Sling appliqué dans toutes les pièces qu’elle a nettoyé confirment également des résidus anormalement élevés d’énergie spirituelle. La disposition de ceux-ci, plus élevée dans certaines pièces et pas dans d’autres alors que connexes, éloigne la possibilité d’un courant énergétique naturel. Enfin, cela ne prouve rien non plus, lui a dit Borrow. Les pierres ou certains meubles peuvent très bien en être à l’origine si ces derniers ont été témoins de quelques événements occultes par le passé. La maison était en effet ancienne et les meubles tout autant… Mais Jérémiah a la même intuition que sa collègue, pourtant l’organisation ne pourra justifier une intervention sur cette seule base. Il recommande alors une chose audacieuse : poser une petite éponge discrètement près du maître des lieux. Ce n’est bien sûr pas une éponge ordinaire, mais un petit morceau absorbant gris avec en son centre, dissimulée, une bille azur. Un cœur dont la particularité est de capter et absorber les énergies lorsqu’elles sont en excès, prenant une teinte différente selon la nature de ladite énergie. « Terheather » comme l’ont appelée les génies des labos, un jeu de mot entre « Terry » du nom du tissu et de « Heather Van Helsing », le nom de la fille du patron qui a également bossé sur le projet. Un humour qui a toujours laissé les deux agents plutôt dubitatifs, en vérité.

Bref, l’idée derrière est de vérifier la théorie du démon. S’il y en a un alors les maîtres sont certainement possédés ou sous influences démoniaques, si c’est le cas alors ils vont dégager une énergie différente des êtres humains normaux. L’éponge pourra ainsi la capter et la montrer ! Lili valide ce plan. L’ingestion de l’éponge prendra du temps et elle pourra donc en profiter pour fouiller les pièces secrètes. Peut-être même pouvoir jeter un œil à sa femme qu’elle n’a jamais pu croiser, pas même une fois. Tout juste l’entendre se déplacer à l’occasion. Encore un truc bien louche et bizarre.

Une fois de retour dans la demeure, l'infiltrée se met immédiatement au travail. Elle « oublie » un de ses produits dans la salle de lecture de Mr Taylor, sachant qu’il y vient tous les jours à 8h30 tapante jusqu’au repas de midi. Pile poil ce qu’il faut pour l’éponge. Elle aurait aimé simplement pouvoir la déposer et partir avant l'arrivée du vieil homme, mais son activation demande une manipulation spécifique et le faire sans qu’il ne soit présent risquerait de fausser les résultats. Les probabilité sont faibles, mais pas question de prendre ce risque. Elle préfère affronter ses éventuelles foudres. 8H43, elle entre dans la pièce et son employeur est dans son fauteuil ancien. Il la fixe du regard, l’air furieux, son visage se crispe et ses joues deviennent de plus en plus rouges. La présence de la servante le dérange. Elle baisse la tête pour ne pas énerver davantage la bête et se dirige vers son produit, bafouillant rapidement une excuse. Tout en se mettant de dos par rapport à lui, elle effectue les gestes d’activation de son artefact, mais la manipulation prend un peu de temps. C’en est trop pour James qui se lève d’un bond, malgré son âge, et commence à lui hurler dessus. Il est comme possédé, exalté par une colère sourde et complètement disproportionnée. Lili tâche de rester concentrée mais sa nervosité augmente, le stress et l’anxiété de la situation commencent à brouiller ses gestes. Ce n’est pas habituel, son stoïcisme étant proverbial d’habitude. « Merde, qu’est ce qu’il m’arrive ? » pense-t-elle . Une pensée traverse l’esprit de l’agent, sa soif de récolter une preuve indéniable l’a poussée à un danger inconsidéré : c’était une erreur mais perdre son sang froid en serait une bien pire.



James lui saisit les épaules et la tourne vers lui. Ses hurlements sont accompagnés d’épais postillons qui s’écrasent sur le front baissé de la jeune femme, qui continue ses mouvements. Elle a remarqué, en effet, que dans sa rage il ne fait même pas attention à ses gestes. Uniquement et exclusivement centré sur l’extériorisation d’une fureur de plus en plus incontrôlable. Il va devenir violent, c’est évident, il faut qu’elle finisse l’activation avant que ses coups ne l’en empêchent. Après ça, il sera aisé de se mettre en position de défense et d’encaisser les frappes d’un vieillard. Une première gifle lui secoue la tête, il frappe plus dur que prévu, mais rien d’extraordinaire non plus. Ce n’est pas suffisant pour blesser une jeune adulte en bonne santé. Une seconde, ça devient difficile de garder sa concentration. Il lui prend le visage par le menton pour continuer à crier, elle persévère sans regarder l’objet. La femme a appris les gestes par cœur. Fait chier, du sang coule de son nez, visiblement les blessures arrivent plus vite que prévu. Ses pulsations cardiaques s’accélèrent, la peur l’étreint. Se ressaisir, penser à son entraînement et aux protocoles : « Toujours évaluer calmement les situations et les appréhender avec raison et calme », première règle. Un mantra absolu pour tout opérateur de terrain. Taylor finit par lui enfoncer son poing directement dans la mâchoire, projetant Lili contre un haut meuble sur lequel elle s’effondre. Dieu merci, elle venait de finir les gestes. Au sol, elle use de ses dernières forces pour cacher l’éponge sous la grande armoire qui l’avait accueillie avec force et douleur. Son épaule est déboîtée, tout son corps est douloureux. Merde, merde, merde. Maintenant, une nouvelle pensée la traverse : et si elle ne s’en sortait pas ? Et si ce cinglé allait la tabasser à mort ? Son flingue, elle n’a même pas pris son flingue ! « Putain, j’aurais dû prévoir que ce n’était pas juste un vieux connard » se dit la détective dans un sursaut de lucidité entre la peur et la sidération impuissante. C’est à ce moment que survient, après le vacarme, Bolen. Le majordome se racle la gorge, attirant ainsi l’attention de son patron qui cesse ainsi les coups de pieds sur sa victime ensanglantée.



« - Monsieur, j’ai pris l’initiative de vous apporter du thé. Un Earl Grey avec une pointe de lait vanillé, comme vous l’aimez. Son ton est complètement détaché. Comme si de rien n’était.

- Oh quelle charmante initiative, Henry. Je commençais à avoir la gorge aussi sèche que le Sahara lui-même. Il sourit de sa comparaison, son teint redevenu normal, son timbre amical et distingué tel un gentleman. Il se détourne de sa proie, semblant oublier son existence, pour retourner s’asseoir à sa place. Le domestique lui sert alors le breuvage pendant que James reprend sa lecture en toute tranquillité.

- La vanille est mexicaine, non ? Grimace-t-il.

- J’en suis bien navré, monsieur, mais le bourbon de Madagascar subit actuellement une pénurie. Je crains que l’île ne doit mâter une sédition retardant les expéditions. Henry reste imperturbable, sa voix ne varie presque pas.

- Ces français… incapables de gérer correctement une colonie ! Nous aurions bien deux ou trois choses à leur apprendre !

- Cela éviterait quelques embarrassantes situations de ce type, si je puis me permettre.

- Vous le pouvez ! Plaisante-t-il. J’aimerais reprendre ma lecture, vous pouvez disposez Henry. Je vous remercie pour cette délicieuse attention. Dit-il avant de tourner une nouvelle page de son ouvrage. Le majordome s’incline légèrement avant de tourner les talons. »


Il se dirige ensuite vers Lili et l’aide à marcher en offrant son épaule comme béquille. Il la mène dans sa chambre et la dépose sur son lit.

« Il vous est inutile de porter plainte mademoiselle Rose, je pense que vous le savez. Mr Taylor est très bien entouré et dispose d’une armée d'avocats, vous, je me permets de le supposer, pas même un. Il soupire. Ne refaites plus ce genre de choses, respectez les règles et tout se passera pour le mieux. Qu’est ce qui vous a pris ? Il reprend après un grognement de douleur de la jeune fille. Vous pouvez choisir de démissionner mais je vous le déconseille vivement. Ou bien vous remettre au travail et oublier cet incident, Mr Taylor l’a déjà oublié, lui. Je vous laisse une heure pour vous remettre en état, puis vous reprendrez vos tâches quotidiennes. Il est évident que je n’attendrais pas de vous les meilleures performances aujourd’hui, au vu des circonstances. Il commence à partir. Ne soyez tout de même pas trop dure avec vous-même, tous les employés de cette maison font tôt ou tard cette indélicatesse. Rassurez-vous doublement, car personne ne l’a jamais fait deux fois. ».

Une fois seule, la blessée se relève difficilement avant de se traîner jusqu’à son sac. Démissionner ? Pas question, mais coincer ce connard de cultiste, oui ! Elle en sort une crème, une crème d’urgence que chaque agent de terrain de l’organisation a: « Miracle Milk » ou « MM » comme l’ont surnommée les horlogers. C’est une crème blanche très liquide dans une petite bouteille bleu métallique dont l’intérieur est recouvert de symboles ésotériques. Elle a la particularité de soigner immédiatement les plaies, ressouder les os et remettre n’importe qui d’aplomb en un temps record ! Incroyable, non ? Mais le produit est utilisé le moins possible, uniquement en cas d’extrême nécessité car son contrecoup est particulièrement violent. Quelques jours après application, l’utilisateur attrape une infection virulente et mortelle dans 43 % des cas : « Le syndrome de l’hémostase défaillant » ou, plus communément, « La maladie d’Hektor ». Une affliction faisant que le sang coagule progressivement dans les veines du malade, provoquant d’intenses douleurs puis la mort. Sans la technologie occulte de la Fondation, il serait impossible d’espérer survivre. Mais là, 57 %, ça se joue, pense la jeunotte. De toute façon, elle ne ressortira pas vivante de l’endroit en cas de renvoi ou de démission. Les sous-entendus du type sont suffisamment explicites. C’est donc le tout pour le tout. Un compte à rebours de quelques jours, entre 3 et 5, avant que les premiers symptômes n’apparaissent. C’est largement suffisant. Ce soir, ce sera fini d’une manière ou d’une autre. Cette fois, elle aura son arme sur elle, cachée dans ses fripes.

L’heure passe, toutes les blessures de la jeune femme sont guéries. Elle souffle, le décompte commence. Elle se dirige alors vers ses tâches quotidiennes. L’avantage d’un planning aussi carré est qu’elle peut savoir où se trouvent ses employeurs et à quel horaire. Pratique pour explorer chacune des pièces interdites sans être dérangée ni risquer d’être surprise. Bien sûr, elle évite Boren qui pourrait trouver étrange un si soudain rétablissement. Alors elle met un foulard sur son visage et met des vêtements couvrants comme pour cacher ses blessures. Lorsqu’il passe, toujours faire mine de travailler douloureusement. Parfait, l’intendant semble ne pas se questionner et plutôt être satisfait de « Mlle MacFarland ». Une fois à l’abri des regards, « Rose » entre dans la première pièce interdite. Une chambre de jeune homme, le fils de la famille est mort sur le front se rappelle-t-elle. Rien ne semble se démarquer, aucune étrangeté, si ce n’est une poussière pesante omniprésente. Respectueusement, la domestique ferme la porte. Après tout, elle a aussi perdu ses deux frères dans l’enfer des tranchées.

La seconde est un dressing, avec une myriade de vêtements semblant ne plus avoir été portés depuis des lustres. Quelques portraits familiaux sont accrochés au fond de la petite pièce, une urne est posée sur un meuble de bois simple qui trône en dessous. Visiblement, un mémorial familial. Une inspection rapide et efficace montre qu’il n’y a rien non plus d’intéressant. La troisième pièce, le bureau personnel de madame. À cette heure, elle est en train de peindre dans la véranda du bas. Un des rares moments qu’elle passe en dehors de ce lieu.

L’endroit tranche complètement avec le reste de la maison. Au lieu du luxe habituel, tout est fonctionnel ici. Chaque chose  a une raison utilitaire d’y être, certainement en raison de l’étroitesse de celui-ci. Un siège confortable et une table sont disposés au centre avec quelques papiers et notes également. On peut voir sur les côtés, des étagères remplies de livres. Rien d’occulte cependant, simplement un bureau légèrement étrange. Pénétrant l’endroit mais en prenant soin de remettre scrupuleusement chaque chose à sa place, Lili observe les livres et les notes. Sans intérêt, ils traitent de jardinage, décoration ou bien comptabilité. Comptabilité ? Le couple n’a-t-il pas un cabinet comptable pour s’occuper de cela ? Ils pourraient vouloir les surveiller, mais madame ne travaille pas sur des documents reçus par ses experts, elle referait tout elle-même ? Un travail de vérification détonnant du commun, surtout que cela demande des compétences très spécialisées ainsi qu’un fastidieux dévouement. Ce n’est pas impossible, nonobstant, une vérification ne mange pas de pain. L’enquêtrice sort son flacon de « Juniper Sling n°2 » et verse quelques gouttes sur l’un des livres. Quelques minutes après, une écriture se révèle. Bingo, de l’écriture spirituelle. C’est une pratique rare, le fait de sorcières, donc pas étonnant que l’équipe ayant fouillée l’endroit n’y ait pas pensé. En vitesse, Lili utilise son liquide révélateur pour voir ce que cache cette famille. Victoria Holgate, le nom de naissance de Mme Taylor, est bien une sorcière. C’est ici qu’elle cache ses ouvrages noirs. Pourtant ça n’explique rien, d’habitude les sorcières sont pacifiques et plutôt des membres positives des communautés, bien que cachant leurs natures. Les « sœurs d’Hécate » ne sont pas des ennemis de l’humanité ou d’Helsing… Sauf… sauf celles qui ont abandonné leurs covens, leurs cercles, pour se tourner vers des arts bien plus sombres. Si c’est le cas, alors c’est vraiment la merde. Une sorcière chaotique, c’est dangereux, vraiment dangereux. Même les créatures de la nuit évitent de croiser ce genre d’individus.

Les grimoires traitent en effet du chaos… de la manière dont on peut sculpter la réalité, la refaçonner, les sortilèges qui vont avec. C’est une librairie des arts magiques les plus profanes ! Bordel ! Ils parlent de sacrifices, du besoin de sang pour des rituels visant à « restaurer » sans en dire davantage sur ce qu’est cette « restauration ». Ils parlent d’offrandes à une autre « sœur de Bélial ». « Le rite du bonheur retrouvé » est particulièrement annoté et commenté, sans pour autant être plus détaillé sur son effet concret ! L’agent fourre tout ça dans son sac, en guise de preuve, mais ça ne suffira pas. Une sorcière qui étudie le chaos ? Ce ne serait pas la première fois sans pour autant que cette dernière le pratique, il faut joindre une autre pièce irréfutable au dossier d’activité chaotique. Là, Dwaynes aura les mains libres pour ordonner une intervention et boucler cette maison détraquée. L’éponge, il lui faut récupérer l’éponge. Elle regarde sa montre, bientôt 12h30, les maîtres vont donc partir manger. Ce sera l’occasion de la récupérer et de se barrer en catimini. L’investigatrice descend donc vers la pièce maudite de son agression, non sans boule au ventre et après avoir jeté un œil au travers de la serrure : personne. Elle entre, discrètement, et se dirige vers le meuble abîmé. Il reste du sang séché sur le sol, à tous  les coups on lui aurait demandé de nettoyer… bande de crevards. Se baissant donc pour récupérer l’artefact, elle doit plaquer son ventre sur le sol tant l’espacement est étroit. La détective plonge sa main et récupère le petit morceau de Terheather avant de sentir une pression sur son dos. Un canon de fusil. Merde. Une voix féminine prend alors la parole, une voix cassée et fatiguée. Presque désincarnée.


« - Il fallait respecter les règles et tout se serait bien passé, Mlle Macfarland. Enfin, si c’est bien votre vrai nom. L’employée ne répond pas et reste figée, réfléchissant à mille à l’heure. J’ai tout de suite su quand vous avez violé mon sanctuaire, j’ai pris mes précautions vous savez ? C’est la première fois que vous rencontrez une sorcière ?

- Deuxième fois. Répond sèchement la détective.

- Je connais Van Helsing, je sais que vous n’avez aucune pitié et que vous ne me lâcherez pas si je vous donne le moindre prétexte. Le canon est tremblotant.

- Ne nous en donnez pas alors. Laissez moi partir et j’en ferai part à mes supérieurs.

- Ne soyez pas insultante ! Je ne suis pas idiote, je sais ce que vous me ferez si je vous laisse partir. Comme je n’ai pas pu laisser partir vos collègues. Elle panique, c’est le moment de glaner quelques infos. L’otage fait le calcul que la sorcière ne veut pas l’abattre comme un chien, sinon elle l’aurait fait sans lui laisser l’opportunité de s’en sortir. Une négociation est peut-être possible.

- Mes supérieurs savent que je suis ici, si je disparais ils vont débarquer avec des équipes complètes mais vous devez vous en douter. Ils peuvent me repérer à tout moment, nous avons nous aussi notre magie. Le ton est confiant, comme pour subtilement prendre l’ascendant sur l’assaillante. Mais elle enfonce davantage le fusil entre les omoplates en guise de réponse.

- Je vous ai dit de ne pas me prendre pour une idiote ! Je sais tout ça et je sais comment y remédier ! Victoria paraît être à bout de nerfs.

- Comment ? La jeune femme espère un bluff.

- Vous verrez. Sortez de là, tout de suite. Johnson s’exécute progressivement et profite pour regarder rapidement l’éponge : rouge vive. C’est bien une magie démoniaque qui est à l’œuvre ici. Une sorcière du Chaos. Elle se lève doucement pendant qu’elle est toujours tenue en joue par la vieille femme habillée de façon particulièrement chic. P’tain, dessoudée par une vieille aristo habillée en Hermès, elle s’imaginait une autre mort en étant au service de Van Helsing. Mais ce n’était même pas cela le plus choquant, la cultiste paraît être très affectée par ses sombres pratiques. Physiquement. Ses cheveux courts gris ont des trous de calvities à plusieurs endroits, ses traits sont creux et sa peau est anormalement flasque. Ses yeux, autrefois vert émeraude, tirent aujourd’hui vers une pâleur blanchâtre. Les cavités à intervalles réguliers sur l’ensemble de son corps laissent presque supposer une grave infection ou d'énormes problèmes dermatologiques.

- Et maintenant ? L’opératrice lève les mains, afin de ne pas exciter la criminelle complètement instable mentalement.

- Maintenant, tu avances. Elle indique la porte d’un rapide mouvement de fusil.  À cette distance et vu le calibre, impossible de tenter quoi que ce soit. Une chevrotine à bout portant, c’est la mort assurée, ou la blessure mortelle.

Les deux femmes s’avancent dans le couloir, les employés qui passent ignorent la scène, comme si la prise d’otage n’existait pas. Un véritable délire ! Eux-aussi sont probablement sous l’influence inique de sa magie immonde. La sorcière reprend la parole une fois arrivée devant une petite porte verrouillée en verre d’un grand meuble, laissant apparaître divers bibelots précieux.

- Qu’est-ce que ça veut dire ? Dit l’inspectrice, dubitative. La sorcière prononce quelques mots semblant sortir des tréfonds de la Terre, avec une voix aussi rauque que caverneuse. La langue est inconnue de l’agent qui est pourtant plutôt polyglotte. Il lui est impossible de déterminer la nature du langage suite à cette seule écoute. Aussitôt fini, la porte de verre s’ouvre vers l’intérieur, révélant une ruelle sombre baignée dans une lumière rouge sang dans une version du quartier tout droit issue des représentations infernales les plus malsaines. Les inscriptions taguées sur un mur ne sont qu’un amalgame incohérent de dialectes connus et inconnus. Dans le ciel s’agitent des ombres de créatures ailées cauchemardesques, mais ce n’est pas le pire. Les proportions, les pavés et même l’architecture ne sont pas… possible. C’est une porte vers une dimension qui ignore les lois de la physique. Les pierres sont tantôt énormes que minuscules, les perspectives changent en permanence, donnant le mal de mer à l’observatrice. Ce n’est pourtant pas ce qui inquiète le plus la future victime, c’est ce brouillard noir presque opaque présent absolument partout. Il y a des formes disproportionnées et absurdes qui s’y baladent et s’y agitent constamment, presque comme une danse joyeuse et entraînante. Les créatures ne se contentent pas de danser, elles regardent la scène et ricanent presque, elles  cherchent à communiquer par des murmures soufflés qui s’incrustent directement dans l’esprit des deux femmes. Ces murmures ne sont pas des mots ou des paroles, n’ont pas de sens, ce sont… des émotions pures, juste des émotions qui traversent de plus en plus violemment le duo.

- Voici ce que cela veut dire. Agent de Van Helsing. Le ton de Holgate est satisfait, presque provocateur.

- Que vous me descendiez avec votre flingue ou que vous me balanciez là-dedans, ça ne change rien. Merde, c’est quoi cette strate infernale ?

- Si, ça change tout. Vous allez immédiatement comprendre. »


L’inspectrice sent alors une pression féroce la projetant en avant dans ce lieu maudit. Elle se retourne immédiatement et se voit, au seuil du portail, toujours en joue par la sorcière. Courant alors vers l’entrée tout en sortant son arme mais, sur un mot de la magicienne, la porte se referme et disparaît en à peine une seconde. La laissant seule dans ce qui semble être une fosse abandonnée de Dieu. Mais pourtant une seule chose lui vint à l’esprit, un tilt : des clones temporaires. Cette garce crée des clones temporaires qui vont disparaître loin de sa maison pour ne pas éveiller les soupçons. Heureuse d’avoir résolu ce mystère, Lili sourit, puis soupire longuement en prenant pleinement conscience de sa situation. « J’espère que Borrow va me sauver le cul sur ce coup ».


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