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Nouveau départ, partie 3


Temps de lecture : 6 minutes

Toujours fébrile, Jarod observe le tableau des départs. Ses mains le démangent. Elles sont sales, il faut qu’il les nettoie. Bien qu’il sache pertinemment qu’il n’y trouvera aucune trace de quoi que ce soit, il les sort de ses poches et les frotte énergiquement. Le regard toujours fixé sur l’affichage, le jeune homme se sent défaillir. Son vol est retardé de trois heures. Les lettres rouges qui défilent devant lui sonnent comme des moqueries, une ultime ironie qui prolonge encore un peu plus son calvaire.

T’es pas encore sorti d’affaire, Jarod. Ça laisse trois heures à ceux qui te courent après pour te retrouver. T’as eu de la chance avec les hommes d’affaires en costume, mais la prochaine fois, ce seront vraiment des flics.

Le fuyard chasse cette idée de son esprit. Il prend une grande inspiration et se dirige vers le café. En traversant l’allée, il manque de se faire rouler dessus par un Lav-Bot, un pachyderme électronique autonome qui nettoie sans interruption le terminal. Il ne semble cependant pas le remarquer. En fait, son regard reste figé sur la vision d’une femme. La serveuse du café.

Jarod secoue la tête et tente de reprendre ses esprits en s'asseyant à une table. Il fait défiler devant lui les boissons proposées sur la tablette de commande. Il clique sur un article au hasard. N’importe quoi fera l’affaire, il a besoin d’un remontant, peu lui importe sa nature. Derrière lui, la serveuse s’occupe d’un vieil homme qui jette des regards insistants sur son postérieur, puis retourne au comptoir en passant près de Jarod. Il décèle dans son sillage une odeur forte de cigarette qu’on a visiblement essayé de cacher sous une couche de parfum. Un mélange abject qui donne la nausée à Jarod et l’amène à frotter ses mains de plus en plus fort. Il n’a aucun mal à imaginer cette jeune femme assise vulgairement sur son canapé, tenant sa cigarette entre les doigts de sa main molle, regardant une émission abrutissante à la télé. Il est même certain que son haleine doit refouler le menthol. Oui, elle doit sûrement mâcher des tas de chewing-gums pour masquer son odeur de cancer. Jarod en est sûr. Il connaît même le goût de sa bouche, de sa salive amère et épaisse. Soudain, il éprouve de la haine envers cette inconnue. Elle va clairement sur sa quarantaine et pourtant, elle travaille ici, comme vulgaire serveuse dans un café fréquenté par des pervers en transit et des homosexuels infidèles. Sa vie est inintéressante et morne, cette pauvre femme n’a pas d’avenir. Elle crèvera idiote, persuadée de détenir la connaissance parce qu’elle a fait des tests à deux balles dans des magazines people vantant son intelligence.

La serveuse s’approche de Jarod qui découvre alors ce qu’il a commandé : un alcool colonial, tout droit venu d’une des planètes les plus reculées. Parfait, pense-t-il alors qu’elle dépose le verre devant lui.

« En voilà une heure saugrenue pour boire un tel truc ! » s’amuse-t-elle, dévoilant un sourire jaunâtre.

Le jeune homme ne répond pas. Il la fixe d’un regard vide. Elle est fière d’elle. Elle a dit un mot soutenu, bravo. Jarod la déteste. Le sourire de la jeune femme s’efface et elle repart en haussant les sourcils. Jarod la hait. Il y a de la réprobation dans son regard. Et clairement, avec sa petite vie minable, elle n’a pas lieu de le juger. En fait, la dernière personne qui ait osé le faire de cette manière, c’était Kelsi. Jarod se frotte les mains. D’une certaine façon, la serveuse lui ressemble.


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L’ancien professeur ne réalisait pas encore totalement ce qu’il venait de faire. Assis sur un banc au bord de l’eau, il observait ses mains. Même après les avoir précautionneusement lavées, elles conservaient une légère teinte rougeâtre. Jarod remarquait aussi des taches sombres sur les manches de son sweat-shirt. Son estomac se retourna, le jeune homme expulsa son contenu en se pliant en deux. Il réalisait enfin et il se mit soudainement à trembler, ses membres semblaient incontrôlables. Il colla sa main à sa bouche et hurla de toutes ses forces. Il aurait pu crier sans se cacher, personne ne l’aurait entendu. Le vacarme incessant des usines monstrueuses qui tournaient nuit et jour sur le port, les immenses vaisseaux cargos qui en sortaient et les autoroutes qui passaient au travers ne laissaient aucune chance à l’ouïe d’entendre d’autres bruits. Après une grande inspiration, il finit par se lever.

La rampe de sécurité avait été rendue glissante par la pluie acide qui en grignotait la peinture. Jarod s’y percha à califourchon, contemplant l’étendue d’eau noire en dessous de lui. S'il sautait, personne ne le remarquerait. La nuit était bien avancée, et à cette heure-ci, les gens préfèrent traîner dans des quartiers plus éclairés. Non loin d’ici, on dansait sans se soucier de rien dans des boîtes de nuit. On mangeait dans des restaurants servant de la nourriture venant des colonies. On se faisait opérer pour se faire installer des implants illégaux comme des injecteurs de drogues sous-cutanés. Un homme sautant d’un des quais du port n’attirerait pas l’attention. Jarod s'attardait à ressentir une dernière fois la pluie tomber sur son visage, irritant sa peau. Puis, il lâcha la barre et laissa son corps basculer dans le vide.

Sa main se referma subitement sur la rambarde mouillée. Le cœur battant, il se hissa tant bien que mal sur la terre ferme. À la seconde où il s’était laissé tomber, il avait compris quelque chose. Il ressentait de la peur. Pas de la culpabilité. Il chercha au fond de lui, haletant, assis sur le sol détrempé. C’était la peur qui l’avait poussé à vouloir en terminer. La peur de tout ce qui allait se passer à présent, car, tôt ou tard, on finirait par comprendre que l’incendie de son appartement n’était pas naturel. On finirait par le traquer, où qu’il aille, où qu’il se cache. Mais au-delà de cette peur, il n’y avait rien d’autre. Un océan de tranquillité, un vide à la fois effrayant et relaxant. Jarod essayait de se persuader de l’horreur de son geste, du calvaire absolument atroce qu’il avait fait subir à Kelsi, mais en lui, rien ne bougeait. Pas même une once de culpabilité ou de dégoût. Aussi loin que pouvait remonter son cheminement de pensée, il était convaincu qu’il avait fait le bon choix. De plus, Jarod sentait que ce n’était pas tout.

En remontant ainsi dans son propre esprit, il avait vu une minuscule étincelle, presque cachée. Une étincelle qu’il a aussitôt essayé d’éteindre, d’étouffer avant qu’elle ne grandisse. Mais il était trop tard. À l’instar de son appartement, la minuscule étincelle allait mettre feu à tout ce qui l’entourait. Jarod rouvrit tout à coup les yeux et se résigna devant le poids de la vérité : il y avait pris du plaisir.


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Son verre est vide depuis plus de vingt minutes. Jarod n’est pas pressé, il a encore plusieurs heures à attendre avant de pouvoir enfin quitter cette planète. Autant d’heures où il pourrait se faire attraper, si tant est qu’on le cherche réellement. Mais Jarod n’y pense pas. Il ne s’en rend pas compte, depuis qu’il s’est assis à cette table, dans ce café, il ne s’est pas frotté les mains une seule fois. Son esprit tout entier est concentré sur une seule idée : cette haine viscérale qu’il éprouve pour la serveuse. Il l’observe, allant et venant entre les clients, riant à gorge déployée lorsqu’on lui raconte le moindre ragot, avec ses dents pourries par la clope, convaincue qu’elle est séduisante. Il sent encore et toujours son odeur putride quand elle passe à côté de lui. Elle ne daigne même pas le regarder. La salope.

Elle s’arrête derrière son comptoir et regarde sa montre qui se met à sonner. C’est l’heure de sa pause. Elle jette un œil à sa terrasse, Jarod est le seul client restant. Elle l'observe d’un air étrange. Il ne baisse pas les yeux, et la fixe en retour.

« Qui crois-tu être ? Penses-tu m’intimider ? » pense le jeune homme.

Comme s'il avait parlé à voix haute, la serveuse détourne le regard et fouille dans son sac. Elle en sort un sandwich emballé dans du papier journal ainsi qu'un petit écriteau estampillé « EN PAUSE » qu’elle met en évidence sur le comptoir. L’ancien professeur la voit s’éloigner et se diriger vers une porte menant à l’arrière du spatioport. Avant de s’y engouffrer, elle se retourne et observe une nouvelle fois Jarod qui, sans en être conscient, s’est levé de sa chaise. Cette fois, ce n’est plus du défi, mais de l’inquiétude qui transparaît dans ses yeux.

Un frisson remonte le long de la colonne vertébrale de Jarod pour mourir dans sa nuque. Un frisson de rage. Une colère puissante qui monte en lui. Ses muscles se tendent, sa mâchoire se resserre. Sans s’en apercevoir, il a déjà traversé la terrasse et se dirige à son tour vers la porte menant à l’arrière du spatioport. Il passe sans le regarder devant le tableau d’affichage des vols qui indique le départ du sien dans deux heures. Machinalement, sa main actionne la poignée de la porte qui se referme d’un coup sec derrière lui.

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