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Maître Fernand


Temps de lecture : 6 minutes

« Dossier numéro 404 333 658 245 451

Pour : A. Lhomelet

Objet : Convocation à l’audience du 30/05/21

Monsieur Lhomelet,

Vous êtes prié de vous présenter au TPM de Paris afin d’assister au procès de votre vie, lequel se déroulera le 30/05/21 à 22h00.

NB 1 : Merci d’arriver avec une heure d’avance.

NB 2 : La représentation par un avocat est obligatoire »

Cette brève convocation, estampillée d’un symbole dont j’ignore encore la signification, n’était annonciatrice de rien de bien positif. Si apprendre que l’on est mort n’est déjà pas une chose agréable, savoir que l’on sera jugé pour les actes réalisés de notre vivant l’est encore moins. Ceci-dit, malgré l’inquiétude suscitée par une telle nouvelle, il fallait avouer que la situation était excitante ; qui aurait soupçonné l’existence de telles procédures après la mort ?

La rue dans laquelle je m'étais « éveillé » était particulièrement calme ce soir-là. Certes, il y avait bien quelques ivrognes titubant sur le trottoir, mais après tout, ils ne pouvaient pas me voir, n’est-ce pas ?

Tandis que je rangeai soigneusement la convocation dans la poche de ma veste, je fus abordé par un étrange inconnu. Pour tout dire, je ne l’avais pas vu arriver. D’ailleurs, celui-ci semblait sortir tout droit du néant, étant donné qu’il n’y avait personne d’autre que des clochards dans les alentours.

« Ah, Monsieur Lhomelet, vous voilà enfin réveillé ! Cela doit vous faire bizarre, non ? On ne meurt pas tous les jours après tout. Ressentez-vous de la peur ? De l’excitation ? »

Alors que j’étais sur le point de lui répondre, il anticipa mes propos.

« Oh ! Pardonnez mon impolitesse, je suis Maître Fernand, avocat au Barreau pour morts de Paris. Je vois que vous avez déjà reçu votre convocation. Que le hasard fait bien les choses ! Vous aurez probablement besoin de mes services. »

Après quelques instants de silence, il laissa échapper un léger rire, puis s’empara en une fraction de seconde de la convocation que je tenais encore dans les mains. Me Fernand la scruta rapidement avant de s’exaspérer.

« Si les tribunaux traditionnels étaient déjà suffisamment incompétents, ceux des morts dépassent l’entendement. Voyez-vous, l’adresse exacte du TPM n’est même pas précisée. Comment auriez-vous pu vous y rendre ? C’est inadmissible ! »

À vrai dire, même sous son air sévère, Maitre Fernand était plutôt bel homme. En effet, il était assez grand, avait des traits fins et de beaux cheveux bruns ondulés. En l'observant de plus près, une particularité me frappa : ses pupilles étaient anormalement noires, un regard perçant, qui semblait pouvoir lire à travers l’âme. Il n’avait pas le physique frêle que l’on se ferait traditionnellement d’un avocat, même s’il en possédait l’accoutrement. Il me redonna la convocation.

« Gardez-la précieusement, sans elle, vous ne pourrez entrer dans le tribunal. Enfin, je suppose que votre silence vaut acceptation de ma proposition de représentation, aussi je pourrais d’ores et déjà rédiger la convention d’honoraires, afin de gagner un peu de temps. Vous savez, votre audience approche. »

Alors que je m’apprêtais à protester, il posa son index sur mes lèvres.

« Et si par malchance le doute venait à s’installer dans votre esprit, sachez que mon cabinet est toujours ouvert à celui qui en connaît le chemin. Je vous laisse ma carte, mais je ne doute pas que nos chemins se recroiseront, Monsieur Lhomelet. »

Il me donna sa carte de visite, puis me salua. À peine eus-je le temps de cligner des yeux que Me Fernand avait disparu.

Quel étrange personnage. Toujours est-il qu’il avait raison, ma montre affichait 20h33, et nous étions le 30 mai. Il me restait donc moins d’une heure trente avant mon procès. Je regardai la carte que m’avait laissée l’avocat, sur laquelle il était sobrement inscrit au stylo l’adresse du cabinet. En réalité, je n’avais guère le choix. Fort heureusement, je connaissais bien l’adresse à laquelle Fernand était établi.

Sur le chemin, j’eus le temps de penser à certaines choses, même si je suis actuellement incapable de m'en rappeler la moitié. Aussi, je m’interrogeais, bien évidemment, à la teneur de ce procès ; serais-je jugé pour avoir tué des fourmis quand j’étais plus jeune, ou le serais-je pour avoir battu cet enfant dont j’ignore tout ? C’était si injuste, tout le monde a le droit à des accidents de parcours. Personne n’est parfait. Et qu’arriverait-il si l’issue de ce procès était en ma défaveur ? Quel serait mon sort ?

Avant même d’avoir pu me poser toutes les questions possibles, j’arrivai à l’adresse indiquée par Me Fernand, qui n’était en fait rien d’autre que mon appartement. Je trouvais cela curieux, je n’imaginais pas un avocat, même pour morts, donner des conseils juridiques depuis mon domicile. Arrivé, au bon étage, je pus immédiatement reconnaître Maître Fernand, lequel m’attendait déjà devant la porte ouverte de l’appartement, comme s’il savait le moment exact où j’allais arriver.

« Vous voilà arrivé à bon port, Monsieur Lhomelet. Je suis heureux que vous ayez su faire le bon choix. Comme vous pouvez le constater, j’ai un cabinet itinérant, qui change en fonction de mes clients. »

Il regarda à l’intérieur de l’appartement dont il tenait la porte, et esquissa un sourire. Il y avait un enfant qui dormait sur le canapé, dans les bras de sa mère, elle aussi endormie. Ils paraissaient paisibles, presque soulagés.

« Amusant, n’est-ce pas ? Rares sont les ambiances aussi tranquilles dans ce genre de circonstances. »

Devant ma stupéfaction, il continua.

« Et pour être tout à fait franc, au vu de votre passif, je ne peux que les comprendre. »

Il m’invita à entrer. Je m’exécutai, sans dire un mot.

« Ne vous inquiétez pas, vous ne pouvez pas les réveiller, et d’ailleurs ils ne peuvent pas nous voir. En même temps, qui voudrait ? »

Il me demanda ensuite où est-ce que l’on pouvait être plus tranquille. Je lui indiquai la pièce faisant office de bureau.

Il se mit à l’aise en s’installant confortablement dans mon fauteuil en cuir, me contraignant à rester debout. Il sortit de sa poche un Mont Blanc et une feuille blanche. Il écrivit des signes incompréhensibles ; il rédigeait probablement la convention d’honoraires qu’il avait évoquée auparavant.

« Ce que j’aime bien avec vous, Monsieur Lhomelet, c’est que vous n’êtes guère bavard. Mais si vous avez des questions, c’est le moment tout désigné. »

Pour la première fois, je pus enfin prendre la parole :

« Comment va se passer l’audience ? Il se passera quoi si on perd ? »

Il me répondit tout en continuant de gribouiller sur sa feuille.

« Le procès d’après-vie aspire à compenser le mal que vous avez répandu de votre vivant, rien de plus. Tous les morts y passent ; si vous avez été suffisamment bon, vous continuerez d’évoluer dans ce monde, vous pourrez alors communiquer avec les autres morts, vous balader, veiller sur vos proches, ce genre de choses. En revanche, si vous avez répandu le mal, votre âme sera fragmentée en de nombreux morceaux, et chaque fragment sera converti en de la bonne fortune, laquelle sera redistribuée aux vivants selon moultes modalités, toujours dans cette idée de compensation. Le cas échéant, vous n’existerez tout simplement plus. Cela dit, je sais de source sûre que vous n’avez pas été un homme très vertueux durant votre vie, mais soyez certain que j’ai pu défendre des énergumènes bien plus mauvais que vous. »

Il arrêta d’écrire pendant quelques secondes, et s’exclama :

« Vous devez vous douter que mes services ne sont pas gratuits, comment souhaitez-vous régler mes honoraires ? J’accepte les souvenirs, comme les fragments d’âme. À savoir que les fragments ne doivent pas nécessairement provenir de votre âme. Faîtes à votre convenance. »

Pour une raison obscure, je n’ai pas hésité. Je ne sais pas ce qui a motivé cette décision, mais j’ai su que je devais abandonner mes souvenirs.

Maître Fernand l’avait bien compris car il gribouilla quelques caractères supplémentaires avant de me tendre la convention et le stylo.

« À partir du moment où vous aurez signé, vous ne vous souviendrez plus d’aucun des êtres qui vous sont chers, ils deviendront des inconnus à vos yeux et apparaîtront comme tels dans votre mémoire. Vos souvenirs seront alors ma propriété. »

Avant de signer, je ne pus m’empêcher d’aller regarder une ultime fois ce garçon et cette femme, blottis l'un contre l'autre. Si j’avais pu pleurer, je l’aurais fait.

Cette étape franchie, nous partîmes au Tribunal pour Morts. Le procès fut anecdotique, Maître Fernand obtint ma relaxe sans la moindre anicroche. Il y avait finalement une justice en ce bas monde.

Tandis que je me réjouissais de ma renaissance, Maître Fernand m’adressa un regard noir tout en m’avertissant :

« Ne vous méprenez pas, il n’y a en réalité ni de gagnant ni de perdant. Peut-être que votre âme n’a pas été démantelée, mais vous resterez dans un monde dont vous avez oublié les plus belles choses, vous n’êtes rien de plus qu’une coquille vide. Ce fut tout de même un plaisir de travailler avec vous. Adieu, Adrien. »

Ensuite, il disparut définitivement, du moins pour moi.

Mais l’avocat se trompait : on ne peut regretter quelque chose dont on a plus connaissance, et cette photo que j’ai dans mon portefeuille ne représente désormais que des inconnus. Comment pourrais-je avoir perdu quelque chose ? L’important est mon ressenti, et je me sens bien. J’ai la conviction d’avoir fait le bon choix.

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