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Une ville aux frontières de la réalité

 Chaque année depuis que mon fils Lucas a eu 10 ans, lui, ma femme Jennet et moi prenions des vacances d'une semaine dans le Vermont. Il y a des années, le père de ma femme lui avait laissé un petit chalet au bord d’un lac dont je n’avais jamais entendu parler, dans une ville qui m’était inconnue jusque-là ; un endroit parfait pour s'évader, à l'écart de la civilisation. Nous nous y aventurions tous les mois de juillet ; la nuit précédant le départ était passée à remplir avec enthousiasme des valises de vêtements, des glacières de snacks et de boissons, et à fixer notre modeste barque sur sa vieille remorque branlante. Le dîner de ces nuits-là était toujours le meilleur. Ma femme ne s'épargnait aucune dépense, passant des heures à préparer des repas qui auraient pu rendre jaloux même la royauté.

Nous nous réveillions toujours le lendemain matin à l'aube, montions dans la voiture et prenions le petit-déjeuner dans un restaurant voisin appelé Cleo’s en prévision du voyage à venir. De là, nous commencions notre route de huit heures vers le Vermont. Après la première année, ma femme et moi avions cartographié chaque arrêt de station-service et chaque aire de repos pour faire le plein d'essence et les pauses toilettes. C'était devenu une sorte de rituel comme notre façon de faire le laissait penser. Pendant des années, tout sur notre trajet s'était déroulé comme prévu, mais pas cette fois-là. L'année dernière, l'autoroute qui parcourait les soixante ultimes kilomètres de notre voyage était en travaux et avait été complètement fermée. Nous n'avions eu d'autre choix que de prendre le détour indiqué à travers les petites routes.

Il avait commencé à pleuvoir assez abondamment avant que nous n’atteignissions la bifurcation du détour, et nous nous étions presque immédiatement perdus. Les panneaux étaient devenus trop difficiles à voir et, pour ne pas glisser hors de la route, nous nous déplacions près de 25 kilomètres à l'heure en dessous de la limite de vitesse. Au bout d’une heure environ, nous nous sommes retrouvés dans un petit village délabré appelé Orion’s Crest, selon notre carte. Il était presque impossible de distinguer quoi que ce soit de la ville alors que nous traversions les étroites rues à une seule voie, n'apercevant que des lanternes au-dessus des trottoirs ou suspendues aux devantures des magasins.

Ma femme et moi avons décidé que le temps rendait les choses beaucoup trop difficiles. Nous avons décidé de nous garer sur le premier parking que nous avons vu pour attendre la fin de la tempête. Ceci fait, j'ai arrêté la voiture, fermé les yeux, posé ma tête contre le siège et j’ai écouté la pluie. Ma femme était assez frustrée. Il n'y avait eu aucun avertissement de pluie sur son application météo, et elle voulait désespérément savoir combien de temps cette tempête allait durer. Nous aurions déjà pu être en train de profiter de nos vacances, mais au lieu de cela, nous étions coincés dans une ville marécageuse, piégés par les forces cruelles de mère nature.

Je ne l’avais pas réalisé lorsque nous étions arrivés, mais nous nous étions garés sur le parking d’un restaurant. D'après ce que je pouvais discerner, cela ressemblait beaucoup à l’établissement Chloé, dans notre ville. Comme si ma pensée avait allumé un interrupteur invisible, les lumières du restaurant ont clignoté. En grandes lettres rose fluo familières ; Chloé. Dès que le panneau est apparu, la pluie s'est arrêtée. Le ciel était encore assombri par les nuages et l’on pouvait toujours entendre le tonnerre au loin. J'ai donné un coup de coude à ma femme et lui ai indiqué le panneau.

« Hmm, a-t-elle dit. Je ne savais pas que c’était une chaîne. 

– Ça n’en est pas une », ai-je répondu.

J'ai tourné la tête pour voir Lucas. Il s'était endormi.

Je ne peux pas dire pourquoi, mais j’ai ressenti le besoin soudain de voir le restaurant de plus près. Du parking, il ressemblait exactement à celui de chez nous. Comme s'il avait été copié et collé, ou même ramassé et déplacé vers notre emplacement. Quelque chose à ce propos m’a semblé étrange.

« Hé, ai-je chuchoté à moitié à Jennet. Je reviens tout de suite. »

Sans quitter des yeux l'enseigne au néon, je suis sorti de la voiture. Ma femme me demandait quelque chose, mais j'étais trop concentré pour y prêter attention. Pour je ne sais quelle raison, le restaurant me captivait. Je suis allé vers l'établissement, parcourant de temps en temps l’endroit du regard à la recherche de signes de vie. Nous étions seuls. Je me suis dirigé vers la fenêtre près de l'entrée et j'ai jeté un œil à l'intérieur. Rien d'inhabituel. Soudainement, l'alarme de la voiture s'est déclenchée. Je me suis retourné pour voir ma femme se penchant du côté du conducteur pour essayer de l'éteindre. Mon fils est sorti de la voiture, les mains sur les oreilles. L'alarme a cessé progressivement alors qu'il se rapprochait de moi.

« Papa, où sommes-nous ?

– Nous nous sommes juste arrêtés pour laisser passer la pluie. Allez, p’tit gars. Allons-y. »

Nous sommes remontés en voiture et nous sommes engagés sur la route. Plus loin en ville, nous sommes tombés face à un autre spectacle inhabituel. Des véhicules de police bloquaient la route, ainsi que des barricades ; le mot ATTENTION peint sur celles-ci. Un officier est sorti de l'un des véhicules et a levé la main, me signalant de m'arrêter. Il s’est approché et a toqué à ma vitre.

« Bonsoir, mes amis. » 

La voix de l’officier était grave et grinçante. 

« Vous allez devoir faire demi-tour. Il y a eu un très grave accident de ce côté.

– Qu'est-il arrivé ? » a demandé ma femme en se penchant pour mieux voir l'officier. L'officier a regardé Lucas sur le siège arrière.

« Il serait préférable que le petit n'entende pas les détails, m’dame. »

J'ai acquiescé et l'ai remercié de nous avoir épargné l'information.

« Qu'est-ce qui vous amène à Orion’s Crest, vous trois, si ce n’est pas indiscret ?

– Nous sommes en voyage dans le Vermont. Nous possédons un chalet là-haut. Le détour nous a éloignés de notre route. Comment pouvons-nous contourner l’accident ? »

L'officier nous a ensuite donné des instructions qui nous mèneraient dans quelques rues moins fréquentées, nous menant à une autre autoroute. Nous l'avons remercié et avons fait demi-tour ; une tâche difficile avec une remorque sur une si petite route.  Les nuages s'étaient pour la plupart dissipés et la lumière du soir remplissait le ciel d'orange et de bleus sombres. Nous avions deux heures de retard sur notre planning et Lucas commençait à s'inquiéter d'être dans la voiture depuis si longtemps.

Quinze minutes plus tard, nous avons rencontré un autre barrage routier, similaire au premier. Il y avait des tout-terrains de la police et d'autres barricades avec ATTENTION peint dessus. Un autre flic s'est approché de notre voiture après nous avoir fait arrêter. J'ai failli éclater d’un rire nerveux. C'était le même officier qu'auparavant.

« Bonsoir, mes amis, a dit l'officier. Vous allez devoir faire demi-tour. Il y a eu un très grave accident de ce côté. »

Abasourdi, je me suis tourné vers ma femme. Son expression était la même que la mienne. « Vous ne vous souvenez pas de nous, officier ? Nous étions juste ici il y a quelques minutes », a dit Jennet. L'officier est resté un moment à nous regarder. Son visage vide de toute expression.

« Il serait préférable que le petit n'entende pas les détails, m’dame.

– Vous allez bien, officier ? », ai-je demandé, perplexe. Encore une fois, il nous a juste regardés.

« Qu'est-ce qui vous amène à Orion’s Crest, vous trois, si ce n’est pas indiscret ? »

Qu’est-ce que c’était que ce bordel.

J'ai demandé à l'officier s’il m’était possible de sortir et de parler avec lui.

« Bien sûr, monsieur. »

J'ai remonté les vitres et je suis sorti. L'air était beaucoup plus frais qu'il ne l'était au restaurant sur lequel nous étions tombés par hasard.

« Alors, vous ne vous souvenez pas que nous nous sommes arrêtés ici il y a quelques minutes ?

– Non, monsieur, a-t-il répondu d’un air nonchalant.

– Je m’inquiète un peu du fait que… 

– Aimeriez-vous les voir ? » m’a-t-il coupé. Pris au dépourvu par sa question, je l’ai fixé un moment.

« Quoi ? 

–  Aimeriez-vous les voir ?

–  Voir quoi ? ai-je demandé.

–  Leurs corps. »

À ce stade, j'étais assez paniqué.

« Que voulez-vous dire par… »

L'officier m’a interrompu.

« Venez ! » Il a commencé à marcher vers les tout-terrains. « Venez voir. »

J’ai regardé ma femme par la vitre, qui essayait de faire signe à l’officier sans y croire. Elle a haussé les épaules, mais m’a fait signe de le rejoindre. Je me suis exécuté, aussi curieux qu'elle.

Alors que l'officier et moi passions le barrage, il a commencé à fredonner. Je l'ai regardé, toujours confus, et il s'est retourné vers moi. J'ai rapidement détourné le regard et examiné les environs pour éviter un contact visuel gênant. Les 4X4 étaient vides. Devant, après les feux clignotants, se trouvaient ce qui semblait être deux corps sur la route, recouverts de bâches grises. Lorsque nous les avons atteints, l'officier s'est tenu entre eux, pointant chacune de ses mains vers les défunts.

« Choisissez, a-t-il dit.

– Quoi ?

– Choisissez celui que vous voulez voir en premier. 

– Non.

– Bien. » Il sourit. « Les deux en même temps alors. »

Il s'est agenouillé et a soulevé les bâches, révélant les visages des morts. En un instant, mes genoux ont lâché et je suis tombé par terre.

Pas. Possible. Pas réel. Ça ne pouvait pas l’être.

Sous les bâches se trouvaient les visages ensanglantés de Jennet et Lucas. Ressentant une forte sensation de vertige, j'ai fait de mon mieux pour rester debout. J'ai commencé à m'éloigner de la scène avant de me tourner et de sprinter vers ma voiture. Je me suis arrêté à quelques mètres. Là, dans la voiture, ma femme et mon fils ; vivants, me regardant d’un air confus. Je leur ai fait signe de la main comme pour leur dire « Je vais bien. » Les yeux de Jennet ont alors dérivé quelque part derrière moi. On aurait dit qu’elle criait, pointant follement du doigt ma direction. Je n’ai même pas entendu ses pas, mais à présent, l’officier se tenait derrière moi, et j’avais un couteau enfoncé dans le bas du dos. La douleur était immense. Je suis à nouveau tombé au sol. L'officier, maintenant à genoux devant moi, m'a attrapé par les cheveux et a relevé ma tête pour que nos visages se fassent faces.

« J’adore les visages. Ils sont le point culminant de leur histoire. Les derniers mots exprimés à travers un regard mort. C'est ma partie préférée. »

Il s’est levé et s’est tourné vers la voiture. J'entendais maintenant Lucas et Jennet crier. Ma femme a frénétiquement essayé d'ouvrir la portière de sa voiture, en vain.

« Choisissez, a-t-il dit calmement.

–  Quoi ? » J'ai senti ma conscience disparaître ; le désir de fermer les yeux se fortifiant à chaque respiration. Je ne pouvais même plus ressentir la douleur. J'étais trop fatigué pour.

« Choisissez-en un. »

Je n'ai même pas pu prononcer le moindre mot. Parler était une tâche trop difficile dans mon état.

« Très bien, les deux alors », s’est-il répondu à lui-même.

Il s’est dirigé vers la voiture et s’est installé dans le siège du conducteur. Ma femme était montée à l'arrière pour protéger Lucas. L'officier m'a regardé à travers la vitre, arborant un sourire insidieux ; sa mâchoire se détendait comme celle d'un serpent. Il s'est ensuite tourné vers ma femme et mon fils. La dernière chose que j'ai vue avant de m'évanouir, c’était lui avalant inexplicablement ma famille.

Quand je me suis réveillé, j'étais dans un lit d'hôpital. À ma gauche, dans un autre lit, se trouvait une jeune femme. Son bras était enveloppé d'une épaisse gaze. Du sang coulait tout le long et gouttait à côté d'elle. Alors que je le regardais goutter, ma douleur est revenue, et avec elle, les souvenirs de ce qui s'était passé. Une infirmière a accouru. Je ne l'avais même pas réalisé, mais je m’étais mis à crier.

Après m’être calmé, un engourdissement a envahi mon esprit et mon corps. J'ai été informé par un médecin que je dormais depuis maintenant six semaines. Je ne savais pas quoi faire. Ma famille avait été officiellement portée disparue et une enquête était en cours. J'ai parlé avec des psys et les autorités, leur racontant toute mon histoire. Personne ne m'a cru, mais ils ont au moins pu exclure mon implication. Ma voiture avait été repérée par une caméra de circulation quelques jours auparavant, conduite par une femme non identifiée.

Après quelques jours de plus au lit, j'ai été autorisé à me lever et à marcher. L'hôpital lui-même semblait normal, mais quelque chose en particulier a attiré mon attention. Je rentrais de la cafétéria lorsque j'ai remarqué le panneau au-dessus de la porte verrouillée par carte-clé du service où j'avais été enregistré.

Le panneau disait : Service des cas curieux. PERSONNEL AUTORISÉ UNIQUEMENT.


Traduction de Daniel Torrance

Texte original
Auteur original : R.L Roger

4 commentaires:

  1. Pour une fois je suis vraiment pas sûre d'avoir compris... Si un esprit plus avisé pouvait m'éclairer, ça ne serait pas de refus

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    1. Le protagoniste va en vacance avec sa famille, et se perds. Il se retrouve devant un accident avec un barrage de police. Sur les ordres de l'officier, il contourne le barrage avant de rencontrer le meme barrage avec le meme officier qui lui dit la meme chose en ignorant ce qu'on lui dit, jusqu'a qu'il sorte de la voiture. L'officier lui montre ensuite les corps des victimes, qui sont en fait sa famille. Il retourne vers sa voiture pour verifier qu'ils vont bien. Sa famille est sauve, mais il se fait poignarder par l'officier qui mange sa famille. Il se reveille ensuite dans un hopital ou il est soigne, sa famille etant portee disparue.

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  2. Je suis certaine qu'il y a un twist à la fin, quelque chose qui nous aide à comprendre ce qui lui est arrivé, mais je n'arrive pas à comprendre et ça me frustre xD
    Si quelqu'un pouvait éclairer ma lanterne !

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