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Le père Cooke, chapitre 1 : Un chat dans le berceau

« Oh merde » ai-je pensé en passant la porte d'entrée, alors que je découvrais le petit corps poilu de Cee Cee, le hamster de ma fille, étendu sur le sol devant moi.
 
Ce n'était pas le vrai nom de cet animal, normalement on l’appelait Chubby Cheeks, mais Allison, la petite sœur de Samantha, avait du mal à le prononcer, alors nous lui avons trouvé un surnom.
 
J'ai touché le corps de Cee Cee avec ma chaussure pour être sûre qu'il était bel et bien mort, et effectivement, il l'était. Je craignais l’arrivée de ce jour. Notre chat, Baal, adorait tuer de petits animaux et les laisser dans la maison pour que je les trouve, et son endroit favori pour les déposer était juste à côté de la porte d'entrée.
 
Samantha avait certainement laissé la porte de sa chambre ouverte avant d’aller à l'école. Je l’avais pourtant prévenue que si elle oubliait de la fermer ça finirait par arriver. À chaque fois qu’on ouvrait la porte, même pendant une seconde, Baal arrivait en courant et essayait de se faufiler à l’intérieur.
 
Je me suis dit que Samantha allait vouloir enterrer le hamster dans notre jardin, alors je suis allée dans le garage afin d’y récupérer une boîte pour lui faire un cercueil. Et j’ai ensuite utilisé mes clefs de voiture pour pousser le petit corps dedans. Je sais que je n'ai pas été très délicate avec lui, mais ce hamster était mort, je ne pense pas l’avoir beaucoup dérangé.
 
Alors que je fixais la boîte du regard, j'ai brièvement pensé à la jeter à la poubelle et dire à ma fille que Cee Cee s’était échappé. Je voulais lui épargner le chagrin de perdre son animal de compagnie, mais plus j'y pensais, plus je me rendais compte que c'était une mauvaise idée. Les animaux meurent, et c’était quelque chose qu'elle allait devoir accepter.
 
Je suis allée dans la cuisine avec le cercueil improvisé et l'ai rempli de serviettes en papier pour empêcher le corps de glisser dedans. Une fois tout ça fait, je me suis dirigée vers le tiroir et en ai sorti du ruban adhésif afin de maintenir le couvercle de la boîte bien fermé. C’est à cet instant que j'ai vu la note que j'avais écrite ce matin sur le tableau.
 
Elle disait : « LES FILLES TERMINENT PLUS TÔT ». Je l'avais soulignée trois fois et pourtant, je l’avais oubliée.
 
« Si l’école terminait plus tôt aujourd’hui, les filles devraient déjà être à la maison » ai-je pensé. J'ai vérifié l'heure, juste pour être sûre, et il était déjà plus de deux heures. Elles auraient dû rentrer plus d'une heure auparavant.
 
« Samantha ! Allison ! » ai-je crié en traversant la maison. J’ai scandé leur nom une nouvelle fois en arrivant au pied de l'escalier.
 
Personne n'a répondu, mais j'ai entendu un léger bruit sourd venant d'une des pièces de l’étage. En montant les marches, j'ai vu que la porte de Samantha était grande ouverte, et je pouvais apercevoir son sac à dos posé sur son lit. Elle était donc sûrement à l’intérieur.
 
Une fois arrivée en haut, je suis directement allée dans la chambre de Samantha pour y jeter un rapide coup d'œil, mais elle n'était pas là. J'ai remarqué que la cage de Cee Cee était au sol, complètement renversée, la partie supérieure un mètre plus loin. J'ai refermé la porte et j'ai continué à crier, me demandant où elles avaient bien pu passer. Elles savaient pourtant très bien qu'il valait mieux ne pas quitter la maison sans me prévenir.
 
En arrivant devant la chambre d'Allison, je me suis rendue compte que la porte était légèrement entrouverte. Je ne sais pas pourquoi, mais quand j'ai saisi la poignée, j'ai eu le pressentiment que je ne devais pas l’ouvrir. Je me suis dit que c'était une peur irrationnelle, probablement causée par mon inquiétude croissante pour mes filles. Mais je n’allais pas la laisser m'empêcher de les chercher. J’ai pris une grande inspiration et j'ai ouvert la porte. Ce que j'ai vu m’a immédiatement fait reculer. J’étais dégoûtée.
 
Allison était à genoux sur son lit, appuyée sur son bras gauche pendant qu'elle léchait du sang coulant du bout de sa main droite. Elle se léchait les doigts comme le ferait un chat se lavant par de longs coups de langue. Autour de son cou se trouvait le collier de Baal.
 
Quand elle a remarqué ma présence, elle s’est arrêtée et a poussé un doux miaulement, puis elle s'est mise à ronronner. Ça semblait si peu naturel venant d'elle.
 
« Allison… » ai-je dit en m'approchant lentement. Elle m'a simplement fixée et a continué à faire ces troublants bruits de chat.
 
C'est alors que j'ai regardé le sol et que j'ai remarqué des pattes noires et poilues qui sortaient de sous son lit. Je me suis accroupie, j’ai attrapé la plus visible de celles-ci et l’ai lentement fait glisser de sous le lit pour découvrir le cadavre de Baal.
 
J'ai levé les yeux vers Allison et je l’ai regardée continuer d’imiter les moindres mimiques et les moindres sons de notre chat qui était mort. Elle le copiait jusqu’à sa façon de pointer sa tête vers moi avec un air curieux.
 
« SAMANTHA ! » ai-je soudainement crié, inquiète pour mon autre fille. Ça a fait sursauter Allison qui a alors poussé un sifflement strident, puis un grognement du fond de sa gorge.
 
J'ai couru hors de la chambre et j'ai fermé la porte derrière moi. Je me suis frénétiquement précipitée d’une pièce à l’autre, appelant Samantha aussi fort que possible. Elle n'était pas censée laisser Allison toute seule, mais je ne la trouvais nulle part. J’espérais qu'elle pourrait m’expliquer ce qui était en train de se passer.
 
J'ai fouillé toute la maison jusqu’à arriver devant la porte du seul endroit que je n'avais pas encore été voir, le sous-sol.
 
« Sois là, s’il te plaît » ai-je pensé alors que j’ouvrais lentement la porte.
 
« Samantha ! » ai-je appelé dans l’obscurité. Aucune réponse. À vrai dire, je ne m’attendais pas à ce qu'elle me réponde car elle avait une peur bleue du noir. Si elle était en bas, les lumières auraient été allumées. Mais je voulais quand même vérifier.
 
J'ai appuyé sur l’interrupteur et je suis descendue au sous-sol. Une fois en bas des escaliers, j'ai regardé autour de moi et j'ai crié son nom encore une fois. Toujours aucune réponse. J'étais sur le point de remonter lorsque j’ai vu la porte qui menait au jardin s’ouvrir et Samantha montrer le bout de son nez.
 
« Maman, c'est toi ?
 
– SAMANTHA ! »
 
Je me suis précipitée vers elle et je l'ai prise dans mes bras.
 
Heureuse qu'elle soit en sécurité, ma peur s'est rapidement transformée en colère alors que j'essayais de comprendre ce qui pouvait bien se passer. J’ai éloigné Samantha et je l'ai tenue à bout de bras.
 
« Qu'est-il arrivé à ta sœur ? » lui ai-je demandé.
 
Elle s'est mise à sangloter.
 
« Je ne sais pas. J’étais allongée sur mon lit quand elle est arrivée et s'est mise à quatre pattes en portant le collier de Baal. Quand je lui ai demandé de sortir de ma chambre, elle m’a attaquée. »
 
Elle m’a ensuite montré les griffures sur ses bras.
 
« C’est Allison qui t’a fait ça ? » ai-je demandé alors que j’examinais les longues traces rouges sur la chair de ma fille.
 
Elle a hoché la tête.
 
« J'ai essayé de la forcer à sortir, mais elle était comme un animal sauvage, alors j'ai couru chez April. J'ai essayé de t'appeler, mais tu n'as pas répondu. »
 
J'ai voulu prendre mon téléphone que je gardais normalement dans ma poche, mais il n'y était pas. Je l’avais sûrement laissé dans la voiture. Ça m’arrivait souvent de l’oublier lorsque je le branchais sur le port USB en conduisant.
 
« Allez, viens » ai-je calmement dit. Je lui ai pris la main et l'ai conduite jusqu’à l’escalier pour aller dans la cuisine. J'allais l'emmener dans la salle de bain et désinfecter ses blessures, mais je me suis arrêtée quand j'ai aperçu Allison assise sur le comptoir de la cuisine.
 
« Allison, ai-je prononcé, en lui tendant ma main pour tenter de l’apaiser.
 
– Ce n'est pas Allison, a précisé Samantha.
 
– Qu'est-ce que tu veux dire ? ai-je rétorqué, tournant mon regard vers ma fille aînée.
 
– C'est Baal. »
 
Avant que je ne puisse demander de plus amples explications à Samantha, Allison a sauté du comptoir et a couru vers sa sœur, en soufflant lourdement et en grognant.
 
J'ai couru avec Samantha jusqu’au sous-sol et j'ai fermé la porte juste à temps pour protéger ma fille. J’ai fermement tenu la porte pendant qu'Allison griffait et frappait de l’autre côté en essayant d’ouvrir. Je n'ai pas lâché prise, j’ai tenu le coup jusqu'à ce qu'elle abandonne et décide de s’éloigner.
 
Je me suis tournée vers Samantha :
 
« Il faut que j’aille chercher mon téléphone dans la voiture.
 
– Non, a-t-elle répondu en secouant la tête.
 
– Ne t’inquiète pas. Je ne vais pas partir longtemps. »
 
J’ai sorti mes clés de voiture de ma poche.
 
« Viens ici et tiens la porte bien fermée. Elle ne pourra pas l'ouvrir si tu la maintiens. » lui ai-je donné pour consigne. J’ai pensé que ça la rassurerait pendant mon absence.
 
Elle a tendu la main à contrecœur et a saisi la poignée.
 
« Je reviens tout de suite » ai-je assuré.
 
Il m'a fallu moins de trois minutes pour courir jusqu'à ma voiture, récupérer mon téléphone et revenir.
 
« Tout va bien se passer, lui ai-je promis en arrivant, pourquoi tu ne retournerais pas chez April ? Je viendrai te chercher très rapidement. »
 
Elle est restée là à me fixer.
 
« Vas-y vite Sam. Allison ne va pas quitter la maison. »
 
Je n'étais pas sûre de ça, mais j'espérais que c'était vrai.
 
Après l’avoir convaincue d’aller chez son amie, j'ai sorti mon téléphone et j’ai ouvert mon répertoire. J’ai fait défiler la liste jusqu'à ce que je trouve le numéro de mon mari. Pendant que j'attendais qu’il décroche, je fixais le plafond, me demandant où se trouvait Allison.
 
« C'est le Père Cooke » ai-je entendu. Je n’ai pas reconnu la voix.
 
J'ai éloigné le téléphone de mon oreille pour le regarder. Le numéro qui s'affichait à l'écran n'était pas celui de mon époux.
 
« Je suis désolée, ai-je dit, j'ai dû composer le mauvais numéro.
 
– Si vous cherchez le Pasteur Reed, il ne sera pas là aujourd'hui. Je peux peut-être vous aider. »
 
Ça expliquait mon erreur. Le numéro du pasteur Reed était juste au-dessus de celui de mon mari. Dans ma hâte de le prévenir, j'avais dû accidentellement appuyer sur le mauvais contact.
 
J’ai présenté mes excuses une nouvelle fois avant d’ajouter : « Je dois vraiment contacter mon époux. »
 
J'ai raccroché pour mettre fin à cet appel. Je ne voulais pas me montrer rustre auprès d’un prêtre, mais je n’avais pas le temps de lui expliquer la situation.
 
J’ai rouvert ma liste de contacts et j'ai pris soin de bien sélectionner le numéro de mon mari. Après plusieurs sonneries, je suis directement tombée sur son répondeur. Je lui ai laissé un message lui disant de me rappeler dès que possible, pour ensuite raccrocher et tenter de le rappeler. J’ai essayé plusieurs fois, mais à chaque tentative, j’étais redirigée vers sa boîte vocale.
 
Frustrée, j’ai appuyé mon dos contre la porte, et je me suis laissée glisser jusqu'à m’asseoir sur les marches. Je ne savais pas quoi faire à ce moment-là, si ce n'était attendre… Alors c’est ce que j'ai fait.
 
Quand le téléphone a sonné quelques minutes plus tard, j'ai sauté sur place et j'ai répondu aussi vite que possible, pensant que c'était mon époux.
 
« Je suis désolé de vous déranger Mme Duncan, mais je n'ai pas pu m'empêcher de repenser à vous. J'espère que ça ne vous dérange pas que je vous rappelle, mais je voulais m'assurer que vous alliez bien. Vous aviez l'air troublée. »
 
C’était le Père Cooke.
 
« Non ! ai-je crié, je ne vais pas bien ! Mon hamster et mon chat sont morts, une de mes filles pense ne plus être une humaine... Donc non... Je ne vais pas bien du tout !
 
– Vous devriez peut-être commencer par le début, a-t-il dit calmement, dites-moi ce qui s’est passé et n'oubliez aucun détail, aussi incroyables ou anodins puissent-ils paraître. »
 
J'ai été surprise par sa réponse. Depuis le début, il était poli avec moi alors que je lui avais crié dessus. Il semblait sincèrement se soucier de moi et avait l’air de vouloir m'aider. Il pouvait peut-être me dire quel était le problème. C'était un prêtre, après tout, et ce à quoi j'avais affaire semblait un peu en dehors des limites du rationnel. Je me sentais mal d’avoir été désagréable avec lui.
 
Au départ, j’avais l’intention de demander à mon mari de rentrer à la maison et de m'aider à attraper Allison afin que nous puissions l'emmener à l'hôpital le plus proche. Mais en y réfléchissant, ce n'était peut-être pas la meilleure solution. J’ai pris une grande inspiration et j'ai raconté au père Cooke le déroulement des événements depuis que j’étais rentrée à la maison.
 
« Restez où vous êtes, m’a-t-il répondu après que j'ai fini de lui raconter tout ce qui avait pu se passer et après lui avoir donné mon adresse, j’arrive très vite. »
 
Il semblait convaincu que mon appel téléphonique n'était pas un accident. Il était persuadé que quelque chose avait guidé ma main et nous avait réunis tous les deux pour que nous puissions aider Allison ensemble. J'espérais pour ma fille que c'était vrai.
 
Vingt minutes plus tard, quelqu’un a frappé à la porte du sous-sol qui donnait sur le jardin. Je suis allée voir et je l’ai ouverte. Le Père Cooke se tenait devant moi, il était habillé exactement comme je pouvais m’y attendre. Lorsqu’il m'a vue, il a repoussé ses épaisses lunettes jusqu'à l'arête de son nez et s'est présenté avec un grand sourire.
 
« Entrez s’il vous plaît, lui ai-je dit, me décalant pour l’inviter à avancer.
 
– Où est votre fille ? a-t-il demandé sans perdre de temps.
 
– Je ne sais pas, ai-je répondu en haussant les épaules, elle est probablement à l'étage. »
 
J'ai suivi le père Cooke vers l’escalier menant à la cuisine. Il s’est arrêté pour tendre l’oreille. Nous pouvions entendre le léger son des pas de ma fille au-dessus de nous.
 
« Y a-t-il quelqu'un d'autre dans la maison à part votre fille et nous ? a-t-il demandé.
 
– Non. »
 
Le père Cooke a alors traversé la maison jusqu'à arriver à l’escalier. Il a posé sa main sur la rampe et a commencé à monter les marches.
 
« Où est la chambre d'Allison ? » a-t-il demandé en se retournant avant de continuer à avancer.
 
Je lui ai pointé la direction du doigt, puis j’ai attendu au bas des escaliers alors qu’il entrait dans la chambre. Quelques instants plus tard, il est sorti et a continué sa marche dans le couloir. Je ne pouvais plus le voir, mais je pouvais toujours l'entendre.
 
« Bonjour Allison, a-t-il dit, je suis le père Cooke. Je suis un ami de ta maman. »
 
Allison a poussé un sifflement strident en guise de réponse et s'est ensuite mise à grogner.
 
Le père Cooke a lentement reculé dans le couloir. Il a tenté de calmer Allison avec de doux gestes de ses mains. Lorsqu’il est revenu vers les escaliers, il les a descendus à reculons, en gardant les yeux rivés sur ma fille. Elle l'a suivi en sifflant et en grognant et ne s'est pas arrêtée avant d'avoir atteint les marches.
 
« Allons-y » a-t-il dit en posant sa main sur mon épaule pour me guider. Il m’a conduite à la cuisine pour me faire redescendre au sous-sol.
 
« Le collier que votre fille portait, il appartenait au chat ? a demandé le père Cooke une fois que nous étions en sécurité derrière la porte close.
 
– Oui, il était à lui, ai-je répondu.
 
– Où avez-vous trouvé votre chat ?
 
– C'était un chat errant. Il est apparu un beau jour et s’est mis à traîner devant la maison. Les filles ont commencé à le nourrir et à le laisser entrer donc nous l'avons en quelque sorte adopté. Il n'avait pas l'air d'être un méchant chat.
 
– Et il portait toujours ce collier ? »
 
J'ai hoché la tête.
 
« Je dois passer un appel, a-t-il annoncé en sortant un téléphone de la poche de sa veste, c'est un peu en dehors de mon domaine de compétence.
 
– Vous pensez toujours pouvoir l'aider ?
 
– Je pense que oui » a-t-il affirmé avant de s’éclipser pour passer son appel.
 
À son retour, il souriait.
 
« Les renforts sont en route. »
 
Pendant que nous attendions la personne qui allait nous venir en aide, le prêtre a fait de son mieux pour apaiser mes inquiétudes et me rassurer.
 
Peu de temps après, on a de nouveau frappé à la porte donnant sur le jardin. Il est lui-même allé ouvrir.
 
« Je suis le père Cooke. C’est moi qui ai appelé. »
 
Le prêtre s’est présenté et a tendu la main au grand homme maigre qui se tenait devant la porte ouverte. Il avait également l’allure d’un ecclésiastique, mais il ne portait pas de col blanc.
 
« Père Cooke ? L’exorciste ? a demandé l’invité, en serrant la main tendue de l’autre.
 
– Je suppose que ma réputation me précède... a répondu le père Cooke, qui semblait assez mal à l'aise.
 
L’homme s’est ensuite présenté.
 
« Je suis Théodore Alexander.
 
– Magister Alexander ? »
 
Les deux hommes semblaient avoir entendu parler l'un de l'autre. Je pourrais même affirmer qu'ils avaient l’air de partager un respect mutuel.
 
« Je suis un peu surpris qu'ils vous aient envoyé, a dit le père Cooke à l'homme qu’il avait appelé Magister.
 
– Ils ne m'ont pas envoyé. Je m’occupais d'une autre affaire quand j'ai entendu votre appel. Il est rare qu'un prêtre nous demande de l'aide. J’étais intrigué et j'ai voulu voir par moi-même ce qui était si important. Je dois avouer que je ne m'attendais pas à vous trouver ici.
 
– J'étais également en ville pour une affaire différente. D’ailleurs vous pourriez peut-être m’éclairer sur ce cas, il implique un pasteur du coin. »
 
Le Magister Alexander a commencé à sourire en disant : « Je ne suis pas sûr de savoir de quoi vous parlez. »
 
Il était évident pour moi qu'il mentait.
 
« Nous pourrons en discuter plus tard, après avoir réglé le problème que nous avons ici, a dit le père Cooke, qui avait aussi remarqué que son interlocuteur ne lui disait pas la vérité.
 
– Bien sûr, a répondu le Magister Alexander, et maintenant, où est la fille ?
 
– Elle est à l'étage, ai-je indiqué alors que je m’empressais de pointer le plafond du doigt.
 
– Vous devez être Mme Duncan, m’a dit le Magister Alexander en me tendant la main, c'est un plaisir de vous rencontrer.
 
– Pareillement. » ai-je rétorqué, mais je n’étais pas honnête. Il y avait quelque chose de troublant dans la façon dont cet homme me regardait.
 
« Je vais vous montrer le chemin » a finalement proposé le père Cooke.
 
J’ai suivi les deux hommes dans ma maison jusqu'à ce qu'ils s'arrêtent en bas de l’escalier. Le premier a montré ma fille du doigt, assise tout en haut.
 
« Elle le porte autour du cou » a déclaré le prêtre.
 
J'ai regardé avec stupeur le Magister Alexander monter l’escalier et poser sa main sur la tête d'Allison. À ma grande surprise, à son contact, elle s'est penchée et a recommencé à faire ce ronronnement si perturbant.
 
D’une main il caressait ses cheveux, de l’autre il fouillait dans sa poche pour y saisir une sorte de pendentif. De là où je me tenais, je ne parvenais pas à distinguer le symbole qui était dessus. Il a placé le bijou contre le front de ma fille et a commencé à parler dans une langue qui m’était totalement étrangère. À la fin de son rituel, les yeux d'Allison se sont retournés vers l’arrière de sa tête avant qu’elle ne s’effondre sur le sol.
 
J'ai mis ma main devant ma bouche, choquée. J’étais sur le point de courir vers ma fille en haut des escaliers, mais le père Cooke m'a arrêtée en plaçant sa main sur mon bras.
 
« Elle va bien, m'a-t-il murmuré, il sait ce qu'il fait. Cette façon de faire est beaucoup plus sûre que de devoir pratiquer un véritable exorcisme. »
 
J'ai regardé le prêtre, puis le Magister Alexander. Je lui ai demandé :
 
« Pourquoi aurait-elle besoin d'un exorcisme ?
 
– Votre fille était possédée par votre chat.
 
– Comment est-ce possible ?
 
– C’est possible à cause de ça. »
 
L’homme avait enlevé le collier afin de le tendre vers nous.
 
« Ça m’a pourtant tout l’air d’un simple collier, non ? »
 
Je savais que quelque chose n'allait pas du tout avec ma fille, mais il était difficile de croire qu'elle était possédée par… notre chat.
 
« C'est bien plus qu'un simple collier, m’a-t-il assuré en le glissant dans sa poche, c'est un simulacre.
 
– Un quoi ? »
 
Je n'avais jamais entendu ce mot auparavant.
 
« C'est un objet possédé, a poursuivi le père Cooke, il permet à l'esprit qui y est lié de posséder le corps de celui qui le porte. »
 
Avant que je ne puisse poser l'une des mille questions qui me venaient à l'esprit, le Magister Alexander s'est penché et a pris Allison dans ses bras.
 
« Où est sa chambre ? » a-t-il demandé en se relevant.
 
Je lui ai montré la porte qui était encore ouverte, puis j'ai monté l’escalier et je l'ai suivi. Je suis entrée dans la pièce alors qu'il la posait doucement sur le lit.
 
« Elle va probablement dormir pour le restant de la nuit, a-t-il dit en s'écartant de mon chemin.
 
– Pourquoi le chat portait un collier comme celui-ci ? lui ai-je alors demandé en sortant de la chambre.
 
– Je ne sais pas. »
 
Je ne l'ai pas cru. J’étais persuadée qu'il en savait plus qu'il ne le faisait paraître. Je voulais le confronter et exiger des réponses, mais je n'en avais pas la force. J'étais trop fatiguée après tout ce que je venais de vivre. Au lieu de ça, je me suis assise sur le lit d'Allison et j’ai passé ma main dans ses cheveux.
 
« Pourquoi lui avez-vous menti ? »
 
Le Père Cooke était monté à l’étage pour demander des comptes au Magister Alexander, juste devant la porte de la chambre. Même s'il essayait de parler à voix basse, je pouvais clairement les entendre.
 
Je me suis levée et je me suis discrètement dirigée vers la porte pour mieux les écouter.
 
« Je l'ai fait pour protéger sa famille. Si elle savait que ce chat appartenait à sa grand-mère, comment pensez-vous qu'elle réagirait ? Sa mère a donné sa vie pour quitter la congrégation ! Elle a payé le prix ultime pour que sa fille puisse avoir une vie normale. Je suis obligé d'honorer le pacte qu'elle a conclu. »
 
Ma mère est morte lorsque j'étais très jeune et je n'ai jamais connu mes grands-parents. Ce que je venais d'entendre m’avait bien sûr alarmée. Est-ce que le Magister Alexander insinuait que ma mère était une sorte de sorcière ?
 
« Si sa mère a fait un pacte pour quitter la congrégation, pourquoi le chat était-il ici ? a demandé le père Cooke en descendant les escaliers.
 
– J'espérais que vous pourriez me répondre à ce sujet, a répondu l’autre, ce chat ne devrait pas être ici. Tout comme nous, et pourtant nous voilà. Nous avons été réunis pour une raison ou pour une autre et nous devons absolument découvrir laquelle. »
 
C'est la dernière chose que j'aie entendue avant que les deux hommes ne sortent finalement de chez moi.

Traduction de Naveen


Texte original 
Auteur original : Ken Lewis

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