« J’ai pas envie d’aller sur la digue. Tu n’as qu’à y aller toute seule, je t’attendrai là. »
Rachel fronça le nez et Gabin redressa la tête, lui jetant son regard qui signifiait : J’avais pas envie de venir tout court.
Rachel avait toujours aimé monter sur la digue. Gabin supposait qu’être
cernée par la mer et le bruit des vagues l’apaisait. Mais voilà, Gabin
n’avait pas envie d’être coopératif aujourd’hui.
Tout
d’abord, Rachel avait lourdement insisté pour qu’il vienne promener le
chien avec elle. Il avait protesté, Gribouille n’était pas son chien, et
puis le temps était infect, mais rien n’y avait fait. La vérité, c’est
que Rachel considérait qu’il n’était pas sain pour un enfant de passer
sa journée derrière un écran d’ordinateur, et en la matière leurs
parents rejoignaient malheureusement la jeune femme en tous points. Il
avait donc trainé des pieds tout le long du chemin jusqu’au port pour
bien faire sentir son mécontentement.
La
mer était calme mais une lourde brume, comme il y en avait souvent dans
le coin, pesait sur la ville. Des goélands volaient à ras de terre
entre les bateaux amarrés et Gribouille les coursait en aboyant à qui
mieux mieux. C’était un jeune caniche, tout menu et à la fourrure aussi
rousse que la chevelure de sa sœur. C’était un bon exemple de tel chien
tel maître selon Gabin.
« Très bien, céda finalement Rachel. Reste ici, mais ne t’éloigne pas, OK ? »
Oui, oui. Et je prendrai pas les bonbons du vieux monsieur.
La
jeune fille le fixa encore quelques secondes, puis se détourna en
soupirant. Elle s’éloigna vers la digue, le chien sur les talons. Rachel
était un véritable éclair dans le décor. Elle portait une lourde robe
en lainage vert émeraude et la couleur de ses cheveux contrastait
singulièrement avec la grisaille ambiante.
Elle monta quelques marches et fut avalée par la brume.
Gabin
s’approcha de l’eau et fouilla dans les galets du bord. Il en
sélectionna quelques-uns puis, se plaçant face au port, lança le
premier. Le brouillard était particulièrement dense, épais comme de la
purée de pois. On n’y voyait guère à plus de cinq mètres. Le galet fusa
au-dessus de l’eau, où il ricocha en sauts souples et énergiques.
Le
galet fit trois bonds avant de disparaitre dans le brouillard. Gabin
distingua le bruit d’un saut supplémentaire avant que toute trace de son
lancer ne soit totalement avalée par la brume. Pas mal. Le secret se
trouvait dans le mouvement du poignet, sec et vif. Le galet devait se
trouver parfaitement horizontal à la surface pour y rebondir sans y
plonger. Il en lança de nouveau un.
Le choix du galet était également d’importance. La pierre parfaite était plate et symétrique, à la surface lisse et sans aspérités.
Plaf. Plaf. PLOUF !
Gabin tressaillit. Un long frisson comme un doigt glacé descendit le long de sa colonne vertébrale.
La dernière éclaboussure avait fait trop de bruit, sans pour autant avoir été vraiment imposante. Il avait beau scruter le port avec la plus grande attention, le temps était bien trop mauvais pour qu’il puisse discerner quoi que ce soit. Peut-être une dorade sautant en dehors de l’eau ? Cependant, un frémissement inexpliqué lui courrait jusque dans les os, comme une crispation lui tendant les jambes en ressorts. Les ricochets ne l’amusaient plus.
La dernière éclaboussure avait fait trop de bruit, sans pour autant avoir été vraiment imposante. Il avait beau scruter le port avec la plus grande attention, le temps était bien trop mauvais pour qu’il puisse discerner quoi que ce soit. Peut-être une dorade sautant en dehors de l’eau ? Cependant, un frémissement inexpliqué lui courrait jusque dans les os, comme une crispation lui tendant les jambes en ressorts. Les ricochets ne l’amusaient plus.
Gabin
s’éloigna du bord et s’assit un peu plus loin, à quelques mètres de
l’escalier. Ses yeux ne pouvaient quitter l’eau du port qui léchait les
galets à intervalles paresseux. Elle montait et descendait mollement,
sans frémissement particulier.
Un
raclement contre la pierre l’arracha à sa contemplation. Gribouille
descendait les escaliers. Il trottina jusqu’à lui et vint s’asseoir à
ses pieds en silence. Gabin lui caressa distraitement la tête, puis
saisit un nouveau galet et le retourna entre ses mains. Le chien leva
alors la patte avant et gratta du bout de celle-ci son jean. Gabin fronça
les sourcils. Il tourna la tête vers la digue, ou du moins, dans la
direction dans laquelle il savait qu’elle se trouvait.
Il lui sembla que sa voix n’avait pas porté, comme engloutie par l’épaisseur opaque qui le cernait.
À ses pieds, le chien le fixait calmement.
Rachel ne redescendit jamais de la digue.
À ses pieds, le chien le fixait calmement.
Rachel ne redescendit jamais de la digue.
oOo
Des
recherches furent organisées dans l’heure suivant la disparition de
Rachel. Leur père était chef d’escadron de la gendarmerie, aussi toutes
les ressources possibles furent immédiatement mobilisées. Des plongeurs
explorèrent minutieusement toute la zone entourant la jetée. On ne
trouva rien.
Son
père tenait là une première victoire. Sa fille ne pouvait s’être
noyée : rien n’avait été découvert le long de la digue. Le courant était
fort et y rabattait tout ce qu’il attrapait. C’était là qu’on
retrouvait toujours les corps fracassés des touristes imprudents, ceux
qui nageaient quand même par drapeau rouge. Tout ce que la mer avalait
et charriait, elle le vomissait là. Si Rachel était tombée à l’eau, son
cadavre se serait trouvé à cet endroit.
Rachel
ne s’était pas noyée. Il le répétait, encore et encore, comme un
mantra. Elle avait dû faire une mauvaise rencontre sur la digue, croiser
un homme qui l’avait contrainte de le suivre, qui l’avait enlevée ! Et,
alors qu’il s’escrimait à organiser des recherches, Gabin avait vu un
de ses collègues se pencher vers son coéquipier et lui murmurer : « Elle
a été dévorée par le brouillard, c’est la brume qui l’a prise »
On
ne pouvait en effet quitter la digue sans passer à l’endroit où Gabin
se trouvait ce jour-là. De cela il était sûr, seul le chien était
ressorti du brouillard qui pesait alors sur le port. Personne d’autre.
Son
père le savait, bien sûr, même si pour rien au monde il ne l’aurait
admis. Certains soir où la nuit était particulièrement noire, et qu’il
s’asseyait devant la fenêtre pour perdre son regard en elle, Gabin
voyait tout au fond de ses yeux qu’il savait que sa fille était morte.
Sa
mère, elle, ne se faisait aucune illusion. Elle s’efforçait de se
montrer forte pour son fils et son époux, mais Gabin l’avait déjà
entendue pleurer dans les toilettes en pleine nuit. Toujours est-il que
Gabin ne trouva ni chez l’un, ni chez l’autre un écho avec lequel
partager sa propre souffrance.
Il
avait surpris une conversation, un matin de marché : « Vous avez su,
pour le fils du boucher ? On l’a repêché seulement trois heures après
qu’il soit tombé à l’eau. Les crabes lui avaient déjà mangé les
yeux ! Ils n’avaient touché à rien d’autre mais il n’avait plus
d’yeux !» Ces paroles gravèrent sous son crâne une image terrible pour
son esprit d’enfant, qui devait par la suite hanter ses cauchemars.
Seul
le chien paraissait insensible à la disparition de Rachel. Gabin se
surprenait parfois à le fixer haineusement. C’était un petit gabarit
qui, quoi qu’il se fût passé sur cette digue, n’aurait pas pu faire
grand-chose. Mais tout de même, il aurait au moins pu grogner, aboyer
comme un fou, et alors Gabin aurait compris que quelque chose n’allait
pas. Eh bien non. Le chien était redescendu en silence pour s’asseoir à
côté de lui et avait levé ses grands yeux vers les siens. Il n’avait
même pas couru.
Gabin se trouvait parfois éveillé au cœur de la nuit, les joues ruisselantes de larmes et, serrant convulsivement les draps entre ses doigts, il songeait : Meilleur ami de l’Homme, mon cul.
Gabin se trouvait parfois éveillé au cœur de la nuit, les joues ruisselantes de larmes et, serrant convulsivement les draps entre ses doigts, il songeait : Meilleur ami de l’Homme, mon cul.
Gabin
n’avait jamais eu de relation houleuse avec sa sœur, au contraire de la
plupart des fratries. Rachel ne le battait jamais. Elle n’avait levé la
main sur lui qu’une seule et unique fois, et Dieu sait – avec le recul
il s’en rendait bien compte – que Gabin l’avait mérité :
Martin,
le fils des voisins, avait sonné chez eux un samedi après-midi pour
qu’ils sortent jouer. Il avait deux lourds bâtons entre les mains et lui
en avait tendu un. Ils avaient ensuite pris la direction du lac. Une
petite colonie de ragondins y avait pris ses quartiers, creusant les
berges comme du gruyère. Les habitants du coin avaient pris l’habitude
de les nourrir de pain rassis comme on nourrissait les canards, aussi
n’étaient-ils pas bien farouches. C’est pour cette raison que les deux
enfants avaient pu se faufiler entre les animaux sans les inquiéter.
Martin s’était approché furtivement de l’un deux qui leur tournait le
dos et grignotait quelque chose qu’il avait trouvé entre des racines.
Martin avait resserré ses mains sur le bâton, l’avait dressé tout
au-dessus de sa tête et avait frappé de toutes ses forces. La branche
avait sifflé en fendant l’air. Tous les animaux avaient immédiatement
fui dans toutes les directions. Mais Martin n’avait pas perdu de vue sa
cible et l’avait talonnée jusqu’à ce que la pauvre bête se retrouve
acculée contre un arbre. Gabin s’était tétanisé. Il se sentait nauséeux –
le ragondin poussait de petits couinement affolés – mais il ne voulait
surtout pas passer pour un dégonflé aux yeux de Martin. Aussi avait-il
tout de même donné quelques coups, sans grande conviction. Martin, lui,
avait les yeux brillants d’excitation, presque voilés de plaisir. Gabin
était alors bien trop jeune pour pleinement saisir avec quelle ampleur
le comportement de son camarade était inquiétant. Toujours est-il que
c’est ainsi que Rachel les avait trouvés. Elle avait alors levé très
haut la main et baissé vivement le bras, lui assenant une gifle qui lui
avait fait voir des étoiles et partir la tête sur le côté. Gabin avait porté
immédiatement la main sur sa joue brûlante et hoqueté d’étonnement. Sa
stupéfaction avait été telle qu’il avait eu du mal à reprendre son souffle.
Elle l’avait regretté instantanément, il l’avait vu dans ses yeux.
Rachel
ne pouvait rester longtemps fâchée contre lui, même lorsqu’il était
insupportable, comme tout bon petit frère se devait de l’être. Même
lorsqu’il cassait ses affaires par accident, parce qu’il avait touché à
ce qu’il n’aurait pas dû. Lorsqu’il levait vers elle ses yeux de chien
battu, il lui était physiquement impossible de lutter. Il en jouait,
bien entendu, mais avec mesure : il se sentait parfois si fragile et
petit devant l’amour absolu et inconditionnel que lui portait Rachel, et
qu’il décelait alors comme à travers des volets, sans en comprendre
totalement la profondeur.
Pourtant,
lorsqu’il quitta la maison pour poursuivre ses études à Paris après son
baccalauréat, Gabin insista avec une rare pugnacité pour emmener
Gribouille avec lui. Il n’aurait pas supporté d’être séparé de l’animal.
La pensée de Rachel montant sur la digue, Gribouille dans son dos, la
pensée qu’il avait été le dernier être vivant à avoir… Non.
C’était le chien adoré de sa sœur adorée, et pour ça il se le traînerait jusqu’au bout.
C’était le chien adoré de sa sœur adorée, et pour ça il se le traînerait jusqu’au bout.
Les
années filèrent ainsi, dans une sorte de statu quo. Malgré les
protestations véhémentes de son père, le juge, considérant que la
disparition avait été constatée dans des circonstances présumant sa
mort, déclara Rachel décédée dix ans plus tard.
« Il
n’a rien dit, lui avait raconté sa mère au téléphone. Il a juste
signé les papiers et récupéré le certificat. Peut-être, et sa voix
avait tremblé à ce moment, peut-être qu’on pourra avancer
maintenant. »
Il
avait compris dès que la sonnerie du téléphone avait retenti le
lendemain. Cette fois, son père ne s’était pas perdu dans la nuit, non,
cette fois, la nuit l’avait dévoré, elle l’avait rejoint au pommier du
fond du jardin et étendu ses longs doigts en nœud coulant depuis la plus
haute, la plus solide branche.
La nuit l’avait dévoré comme la brume avait dévoré Rachel.
La nuit l’avait dévoré comme la brume avait dévoré Rachel.
« Oh Gabin, mon dieu Gabin, mon dieu, c’est ton père. Il a… Oh mon dieu, pourquoi, mon dieu, seigneur… »
Elle
s’était mise à sangloter au téléphone. Gabin tenait le combiné contre
son oreille, sans un bruit, sans qu’une parole ne lui traverse l’esprit,
juste du blanc, du blanc – (de la brume ?) – sous son crâne, les yeux rivés vers la fenêtre. Il faisait déjà nuit.
Il laissa son regard se perdre en elle.
oOo
Il
y eut beaucoup de monde à l’enterrement. Toute la gendarmerie était
venue s’entasser dans le petit cimetière de la commune. Ils n’avaient
pas organisé de veillée du corps. Un pendu, ça n’était jamais rien de
très beau à voir. Gabin ne versa pas une seule larme alors qu’on mettait
son père en terre. Une faille vide et froide, sans fond, sans aucun
fond s’était creusée au cœur de son corps. Sa mère n’était qu’un amas de
sanglots incontrôlables, portée à bout de bras par les anciens
collègues de son mari. Lorsque la cérémonie fut terminée, il s’approcha
d’eux pour leur demander de bien vouloir la raccompagner chez eux.
Rachel
n’avait pas de sépulture, pas de lieu où l’on aurait pu se recueillir
pour elle. Quand bien même il y en aurait eu un, cela n’aurait été
qu’une tombe vide de tout corps, vide de tout sens. C’est pour cela
qu’il se rendit au port. Il récupéra le bouquet de roses qu’il avait
laissé sur la plage arrière, fit descendre Gribouille de la voiture et
se dirigea vers la jetée. Le chien, à présent âgé, le suivait
mollement.
Il
y avait du brouillard, presque autant que ce jour-là. Il pouvait
presque voir Rachel sur l’escalier, les lourds plis de sa robe verte
battant ses jambes alors qu’elle montait les marches, le brasier de sa
chevelure déchirant la brume, quelques instants, un si petit instant
avant la dernière image qu’il aurait d’elle.
Une
fois les escaliers gravis, le Gribouille s’assit sur le sol de béton et
refusa d’avancer plus loin. Gabin tenta vainement de l’appeler et de
voir le chien abandonner Rachel, l’abandonner une nouvelle fois lui fit
monter un gout de bile en bouche.
« Sale bête infidèle » siffla-t-il amèrement.
En le voyant s’éloigner, Gribouille poussa quelques gémissements plaintifs. Gabin ne se retourna pas et poursuivit son chemin.
Une
fois arrivé au phare, il déposa les roses au sol et resta ainsi, les
mains croisées, à regarder les vagues frapper la digue. La faille dans
ses entrailles le tiraillait douloureusement. Il allait faire demi-tour
lorsqu’un éclat de couleur vive fila dans la périphérie de sa vision.
Gabin pivota lentement sur ses pieds et s’approcha du bord. A environ un
mètre du muret, il tendit la tête pour mieux observer le flanc de la
jetée. Il se figea.
Une
sorte d’animal aux membres fins et blancs entreprenait d’escalader la
digue. Ses mouvements étaient lents et feutrés, tout en précaution.
L’articulation du coude se pliait selon un angle aigu et le corps
pivotait sur celui-ci, transférant tout son poids vers l’avant. La chose
progressait ainsi de pierre en pierre, presque rampante, et remontait
vers la voie aménagée sur la digue. Gabin comprit alors que l’éclat qui
avait attiré son œil était une lourde chevelure rousse, gorgée d’eau et
emmêlée. Elle tombait en rideau devant la tête de la créature et sinuait
le long de son échine, d’où pendaient des lambeaux de tissu vert. Elle
parut se stopper un instant sous son regard, puis reprit lentement sa
progression. Gabin ouvrit grand la bouche pour hurler mais n’émit aucun
son, la mâchoire demeurant béante. Ses cordes vocales ne lui répondaient
plus et il ne pouvait prendre que de courtes inspirations saccadées,
tout liquéfié de terreur. Un gel dévorant l’envahissait comme un manteau
de glace et le serrait en étau.
« Rachel ? » gémit-il finalement.
Il
n’était parvenu à émettre guère plus qu’un couinement de souris. Alors
la créature se figea et, les cheveux tous enchevêtrés d’algues et de
coquillages, releva deux orbites béantes vers lui.
« Ce sont les crabes, songea hystériquement Gabin, ce sont les crabes qui lui ont bouffé les ye… »
La
chose tendit une main décharnée qui se referma sur sa cheville et tira
brutalement. Gabin chuta en arrière et son crane heurta durement le sol,
ses dents claquant les unes contre les autres. Elle entreprit de le
trainer par-dessus le parapet, vers les rochers battus par les vagues.
Il ne parvenait pas à esquisser le moindre mouvement pour se dégager de
son étreinte. La créature le tirait par à-coups réguliers. Le sol lui
entamait la peau du dos.
Les
orbites vides le fixaient comme l’œil le plus perçant, comme si des
flammes y brûlaient, et Gabin comprit alors que cette chose n’était pas
sa sœur. Cette créature ne pouvait être Rachel, tout du moins exception
faite de son corps. Pas la Rachel qui lui souriait du fin fond de son
cœur, qui n’avait levé la main qu’une seule et unique fois sur lui, qui
l’aimait sans doute plus qu’elle ne s’aimait elle-même. Non, ce n’était
pas Rachel.
Cette
pensée l’électrocuta et Gabin, retrouvant enfin l’usage de ses membres,
plia la jambe pour asséner un violent coup de pied dans la poitrine de
son agresseur.
La créature fut rejetée en arrière avec un « Hmpfff ! » alors que l’air était expulsé de ses poumons. Elle revint cependant immédiatement à la charge, le saisissant à la gorge, et raffermit sa prise avec une force insoupçonnée. Son poids sur lui était lourd, gorgé d’une eau froide aux vapeurs d’iode. Par-delà le manque d’air qui obscurcissait progressivement sa vision d’étoiles, Gabin pouvait percevoir la respiration rauque de la chose qui finissait en petits souffles glacés sur sa joue. Elle tira de nouveau malgré ses ruades et son corps commença lentement à basculer par-dessus le rebord.
La créature fut rejetée en arrière avec un « Hmpfff ! » alors que l’air était expulsé de ses poumons. Elle revint cependant immédiatement à la charge, le saisissant à la gorge, et raffermit sa prise avec une force insoupçonnée. Son poids sur lui était lourd, gorgé d’une eau froide aux vapeurs d’iode. Par-delà le manque d’air qui obscurcissait progressivement sa vision d’étoiles, Gabin pouvait percevoir la respiration rauque de la chose qui finissait en petits souffles glacés sur sa joue. Elle tira de nouveau malgré ses ruades et son corps commença lentement à basculer par-dessus le rebord.
Soudain,
il y eut comme un choc et la chose le lâcha. Il manqua de chuter
totalement vers la mer et se rattrapa aux rochers, où il se déchira les
paumes. Un cri plaintif déchira l’air, suivi d’un bruit sourd. Dans sa
panique, Gabin tâtonna à l’aveugle à la recherche d’une meilleure prise.
Ses doigts rencontrèrent un morceau de roche plus petits que les
autres, d’une taille suffisamment modeste pour qu’il puisse le soulever.
Refermant sa main sur la pierre, Gabin poussa sur ses jambes pour se
redresser, titubant.
Gribouille
était mollement étendu contre le parapet opposé de la digue. La
créature l’avait envoyé voler contre le muret. Cette dernière s’était
tapie à quelques mètres de lui. Un trou béant lui découvrait la mâchoire
et les dents, là où le chien lui avait arraché la joue. Elle agita
furieusement la tête puis se tourna vers lui et retroussa ce qui lui
restait de lèvres. Elle tendit les muscles, se projeta en avant. Gabin
resserra les doigts sur la pierre et leva le bras.
Les dents éclatèrent sous la violence du coup qu’il lui assenât. La créature siffla, un sifflement aigu tout en échos, et se replia précipitamment vers les rochers. Elle se glissa entre leurs interstices et y disparut.
Les dents éclatèrent sous la violence du coup qu’il lui assenât. La créature siffla, un sifflement aigu tout en échos, et se replia précipitamment vers les rochers. Elle se glissa entre leurs interstices et y disparut.
Gabin
haletait. Il tenait toujours la pierre entre ses doigts blanchis. Il
tituba vers le chien, toujours étendu au sol, manquant à plusieurs
reprises de chuter. Il respirait toujours. Gabin le souleva le plus
précautionneusement possible, lui arrachant un gémissement sourd. Il
commença alors à rebrousser chemin, à reculons, sans jamais perdre de
l’œil les rochers entre lesquels la créature avait disparue. Lorsqu’il
eut finalement descendu les escaliers, il lâcha enfin la pierre et
courut comme un fou à la voiture. Le petit corps toujours au creux de
son bras, Gabin ouvrit la portière passager. Malgré toute sa
délicatesse, le chien eut une plainte plus prononcée lorsqu’il fut
déposé sur le fauteuil. Gabin remarqua alors que le truffe de Gribouille
était toute humide de sang.
Il
referma la porte, fit le tour du véhicule et s’installa derrière le
volant. Faisant fi de toutes les évidences, il se dirigea sur les
chapeaux de roue vers la clinique vétérinaire la plus proche. Il ne
voulait pas s’avouer qu’il était trop tard. Et ensuite ? La police ? Oh
oui, bien sûr, la police, on verra bien ce qu’ils vont en dire, de ton
histoire, la police !
Gribouille gémissait faiblement mais ses yeux demeuraient fixés sur lui et semblaient lui dire :
Tu as vu ? J’ai pas eu le courage la dernière fois, mais cette fois oui. Je pouvais pas te perdre toi aussi.
Gabin
se surprit à se demander si Rachel avait fini ainsi, trainée par-dessus
le parapet par une créature habitant le cadavre de sa victime
précédente. Si elle aussi n’était pas parvenue à crier, la terreur la
paralysant jusque dans ses cellules. Si elle avait été tirée sur les
pierres qui blessaient son corps, alors même qu’il se trouvait à une
dizaine de mètres sans se douter de rien.
Cette pensée le suffoqua.
La
respiration du chien se faisait de plus en plus hachée. Tenant le
volant d’une main, Gabin posa doucement l’autre sur sa tête.
Le chien battit faiblement de la queue.
Gabin se mit à pleurer.
Texte de Calyspo
Woaw.
RépondreSupprimerJuste woaw.
J'ai adoré, cette histoire est juste magnifique. Merci <3
Je ne commente jamais d'habitude, mais superbe!
RépondreSupprimerFantastique !!!
RépondreSupprimerGénial !
RépondreSupprimerRaaaaah putain la fin m'a arraché une larme
RépondreSupprimerÀ la fin j'ai eu envie de pleurer. Ça m'a fait tellement de peine
RépondreSupprimerJ'ai pas compris la fin, le chien battit faiblement de la queue ça d'accord, mais pourquoi ça l'a fait pleuré??
RépondreSupprimerSuper histoire !
RépondreSupprimerC'était une très belle histoire.
RépondreSupprimer