Le plat que ma femme venait de me préparer était tout chaud, et les volutes de fumée qui s’en échappaient allaient s’écraser contre le plafond bleu lavande de la cuisine. Ma femme et moi travaillions dans une petite ferme à l’écart de la ville, dans les terres vallonnées de la Bretagne. Nous ne cultivions et n'élevions à l’époque que ce dont nous avions besoin, et je ne me rendais que rarement au marché du village le plus proche pour vendre nos produits. Nous étions discrets, avions peu d’amis et étions sans enfant, mais nous aimions ça.
C’était un soir où ma femme et moi dînions à l’étage de notre maison. Alors qu’elle me servait une nouvelle fois de son fameux hachis, j'étais plongé dans une grande réflexion à propos de ce que j’allais devoir retaper dans la grange à l'intérieur de laquelle les bovins se réfugiaient et dormaient le soir. La semaine passée, un orage avait fracassé une fenêtre et arraché la gouttière. Le regard plongé à travers la fenêtre, j’observais les quelques moutons de mon troupeau paître dans la prairie. Malgré cette quiétude, un élément dans le troupeau me dérangeait. Je distinguais dans la brume naissante une forme se déplaçant parmi eux, chancelant et trébuchant. Elle était assez grande, fine, et se déplaçait en exagérant ses mouvements, comme quelque pantin tenu par des ficelles invisibles. Ma femme, qui avait remarqué que j’observais quelque chose par la fenêtre, prit ses grandes lunettes carrées et observa à son tour.
« C’est un héron. Je ne sais pas pourquoi tu t’extasies comme ça devant cette volaille depuis tout à l’heure, mais ce n’est pas elle qui s’envolera avec un de tes moutons. Mange ton plat, il va refroidir. »
Elle enleva ses lunettes et soupira.
« Il a l’air d’être mal en point. Il a dû se faire attaquer pour avoir une démarche pareille.
– Ce n’est pas un problème, si ? Je crois bien que c’était lui qui pillait notre mare à poissons. »
J’acquiesçai en grommelant et continuai de l’observer. Il battait des ailes comme pour essayer de s’envoler mais ses mouvements n’étaient pas coordonnés. Il battait parfois d’une seule aile et tournait sa tête dans tous les sens. Il se retournait parfois vers les moutons qui ne prêtaient pas attention à lui, et se mettait à faire des rondes autour d'eux comme un prédateur affamé, toujours avec cette démarche ridicule. Avant que la nuit ne tombât et que la brume n’enveloppât tout le troupeau, je le vis s’enfoncer dans le bois, à l’autre bout de la prairie. Après ça, je partis me coucher sans m’attarder sur cet étrange événement.
Le lendemain, vers 10h, je m’occupais des problèmes que l’orage m’avait causés, ma femme était dans le poulailler à ramasser les œufs et les moutons broutaient tranquillement dans la prairie. À la fin de mes travaux, je décidai de m’avancer vers le troupeau afin de rejoindre la forêt, espérant y retrouver ce drôle d’oiseau. J’avançai sans vraiment prêter attention au bétail qui m’entourait, certains levant la tête pour me regarder passer, d’autres se reposant à l’ombre d’un arbre sans me prêter la moindre attention. Arrivé à l’orée de la forêt, j’enjambai un arbre mort, et me baissai afin d’éviter les branches qui tentaient de me griffer le visage de leurs longs doigts effilés. Je n'eus même pas à marcher deux minutes, que je retrouvai la carcasse du pauvre animal étendue entre deux arbres couchés. Les renards étaient déjà passés par là, volant à l’oiseau quelques parties de son corps et partant aussi discrètement qu’ils étaient arrivés. J’auscultai le cadavre de l’animal avec un morceau de bois afin de m’assurer qu’il avait bel et bien été attaqué la nuit dernière. Rien, pas de pattes ni d’ailes cassées, et aucune plume ne manquait visiblement à l’appel. Je tournais autour de la scène de crime tel un détective à la recherche de preuves. Je remarquai alors, sur le haut du crâne, un détail qui m’avait jusqu'alors échappé : celui-ci semblait s’ouvrir comme une boîte de conserve dont on aurait dévoré l’intérieur… Au sens propre. Je passai mon bâton non sans dégoût dans l’entaille béante du crâne de la pauvre victime, et constatai avec un frisson d’horreur qu’il n'y restait rien.
Je rentrai en début de soirée et racontai tout à ma femme, ne lui épargnant aucun détail. En m’écoutant, son visage passa rapidement du petit sourire de celle qui allait donner une réponse rationnelle à un rictus crispé de dégoût.
« À ton avis, qu’est-ce que ça peut être ? Les rongeurs ne font pas ça, et puis le trou était propre, je veux dire, le crâne était comme scalpé, il n’était pas fracassé. Et puis, comment il aurait pu tenir debout hier soir dans la prairie ? Il n’y a quand même pas un collectionneur de cervelles d’oiseau dans le coin, quand même ? »
La dernière eut le don de faire sourire ma femme d’un air navré.
« Je ne sais pas, je ne connais pas d’animal capable de faire ça… »
Le repas et la soirée furent relativement calmes. Seuls le tintement des couverts et le tic-tac de l’horloge rompaient le silence. Ainsi, nous partîmes nous coucher dans ce même silence profond, dans lequel baignait la maison depuis maintenant le début de la soirée.
Durant la nuit, je me réveillai. Fixant le plafond, je tendis l’oreille, et écoutai dans la nuit. J’avais entendu quelque chose, un bruit vraiment étrange. Un cri ? Le bruit retentit de nouveau, une plainte s’élevait dans la nuit, dehors. Je me levai et m’habillai, avant de prendre la direction de la porte d’entrée. Les plaintes se faisaient de plus en plus fréquentes, et paraissaient lointaines. Mais même à cette distance, pour je ne sais quelle raison, cela m’intimidait, et une boule se formait déjà dans mon ventre. La Peur. Je m’équipai d’une lampe et d’une petite hache plantée dans un vieux tronc d’arbre. Je m’enfonçai dans la nuit et l’épaisse brume qui s'était installée sur ma demure. Les plaintes venaient de la prairie, et pour je ne savais encore quelle raison obscure, je ne pus les identifier à celles d'aucun de mes moutons, ni à celui d’aucun autre animal…
Arrivé à la prairie, je retrouvai mon troupeau réveillé et collé à la barrière. Ils voulaient à l'évidence fuir un danger. Même un des deux mâles dominants se cachait parmi eux. Je passais parmi les bêtes à la recherche du deuxième, en vain. De plus en plus inquiet, je me retournai vers la direction d'où provenaient les cris, ou hurlements, qui avaient remplacé tous les autres bruits nocturnes. Je m’avançai dans la brume, me rapprochant de plus en plus de la source, les cris et les bruits de sabots précipités étaient de plus en plus distincts et n’en finissaient plus. Enfin arrivé, je découvris un spectacle morbide, effrayant : le deuxième mâle faisait des tours sur lui-même et secouait sa tête avec des mouvements incertains, balançant par un unique morceau de peau le haut de son crâne et ses deux cornes naissantes.
Il se retourna aléatoirement vers moi et se stoppa. Il était seulement dirigé par quelques spasmes. Ce fut le silence le plus long de ma vie. La nature autour de moi semblait retenir son souffle, comme terrifiée par la scène se jouant devant elle. Il était tout au plus à un mètre cinquante de moi. Je remarquai avec terreur ses yeux me fixant avec intensité à travers l'obscurité. Le silence se brisa lorsqu'il essaya, de sa gueule d'ovin, de prononcer des mots. Je hurlai de terreur, et lançai ma hache dans sa direction, sans grand succès. Je me précipitai jusqu’à chez moi, trébuchant comme le héron de la veille. Je claquai la porte derrière moi, haletant, transpirant. La boule dans mon ventre ne cessait de grandir. Je courus jusqu’aux toilettes vomir mon repas. Ma femme, en peignoir dans les escaliers, me demanda ce qui n’allait pas. Au contraire de l’ovin, aucun mot ne put sortir de ma bouche.
C’était un soir où ma femme et moi dînions à l’étage de notre maison. Alors qu’elle me servait une nouvelle fois de son fameux hachis, j'étais plongé dans une grande réflexion à propos de ce que j’allais devoir retaper dans la grange à l'intérieur de laquelle les bovins se réfugiaient et dormaient le soir. La semaine passée, un orage avait fracassé une fenêtre et arraché la gouttière. Le regard plongé à travers la fenêtre, j’observais les quelques moutons de mon troupeau paître dans la prairie. Malgré cette quiétude, un élément dans le troupeau me dérangeait. Je distinguais dans la brume naissante une forme se déplaçant parmi eux, chancelant et trébuchant. Elle était assez grande, fine, et se déplaçait en exagérant ses mouvements, comme quelque pantin tenu par des ficelles invisibles. Ma femme, qui avait remarqué que j’observais quelque chose par la fenêtre, prit ses grandes lunettes carrées et observa à son tour.
« C’est un héron. Je ne sais pas pourquoi tu t’extasies comme ça devant cette volaille depuis tout à l’heure, mais ce n’est pas elle qui s’envolera avec un de tes moutons. Mange ton plat, il va refroidir. »
Elle enleva ses lunettes et soupira.
« Il a l’air d’être mal en point. Il a dû se faire attaquer pour avoir une démarche pareille.
– Ce n’est pas un problème, si ? Je crois bien que c’était lui qui pillait notre mare à poissons. »
J’acquiesçai en grommelant et continuai de l’observer. Il battait des ailes comme pour essayer de s’envoler mais ses mouvements n’étaient pas coordonnés. Il battait parfois d’une seule aile et tournait sa tête dans tous les sens. Il se retournait parfois vers les moutons qui ne prêtaient pas attention à lui, et se mettait à faire des rondes autour d'eux comme un prédateur affamé, toujours avec cette démarche ridicule. Avant que la nuit ne tombât et que la brume n’enveloppât tout le troupeau, je le vis s’enfoncer dans le bois, à l’autre bout de la prairie. Après ça, je partis me coucher sans m’attarder sur cet étrange événement.
Le lendemain, vers 10h, je m’occupais des problèmes que l’orage m’avait causés, ma femme était dans le poulailler à ramasser les œufs et les moutons broutaient tranquillement dans la prairie. À la fin de mes travaux, je décidai de m’avancer vers le troupeau afin de rejoindre la forêt, espérant y retrouver ce drôle d’oiseau. J’avançai sans vraiment prêter attention au bétail qui m’entourait, certains levant la tête pour me regarder passer, d’autres se reposant à l’ombre d’un arbre sans me prêter la moindre attention. Arrivé à l’orée de la forêt, j’enjambai un arbre mort, et me baissai afin d’éviter les branches qui tentaient de me griffer le visage de leurs longs doigts effilés. Je n'eus même pas à marcher deux minutes, que je retrouvai la carcasse du pauvre animal étendue entre deux arbres couchés. Les renards étaient déjà passés par là, volant à l’oiseau quelques parties de son corps et partant aussi discrètement qu’ils étaient arrivés. J’auscultai le cadavre de l’animal avec un morceau de bois afin de m’assurer qu’il avait bel et bien été attaqué la nuit dernière. Rien, pas de pattes ni d’ailes cassées, et aucune plume ne manquait visiblement à l’appel. Je tournais autour de la scène de crime tel un détective à la recherche de preuves. Je remarquai alors, sur le haut du crâne, un détail qui m’avait jusqu'alors échappé : celui-ci semblait s’ouvrir comme une boîte de conserve dont on aurait dévoré l’intérieur… Au sens propre. Je passai mon bâton non sans dégoût dans l’entaille béante du crâne de la pauvre victime, et constatai avec un frisson d’horreur qu’il n'y restait rien.
Je rentrai en début de soirée et racontai tout à ma femme, ne lui épargnant aucun détail. En m’écoutant, son visage passa rapidement du petit sourire de celle qui allait donner une réponse rationnelle à un rictus crispé de dégoût.
« À ton avis, qu’est-ce que ça peut être ? Les rongeurs ne font pas ça, et puis le trou était propre, je veux dire, le crâne était comme scalpé, il n’était pas fracassé. Et puis, comment il aurait pu tenir debout hier soir dans la prairie ? Il n’y a quand même pas un collectionneur de cervelles d’oiseau dans le coin, quand même ? »
La dernière eut le don de faire sourire ma femme d’un air navré.
« Je ne sais pas, je ne connais pas d’animal capable de faire ça… »
Le repas et la soirée furent relativement calmes. Seuls le tintement des couverts et le tic-tac de l’horloge rompaient le silence. Ainsi, nous partîmes nous coucher dans ce même silence profond, dans lequel baignait la maison depuis maintenant le début de la soirée.
Durant la nuit, je me réveillai. Fixant le plafond, je tendis l’oreille, et écoutai dans la nuit. J’avais entendu quelque chose, un bruit vraiment étrange. Un cri ? Le bruit retentit de nouveau, une plainte s’élevait dans la nuit, dehors. Je me levai et m’habillai, avant de prendre la direction de la porte d’entrée. Les plaintes se faisaient de plus en plus fréquentes, et paraissaient lointaines. Mais même à cette distance, pour je ne sais quelle raison, cela m’intimidait, et une boule se formait déjà dans mon ventre. La Peur. Je m’équipai d’une lampe et d’une petite hache plantée dans un vieux tronc d’arbre. Je m’enfonçai dans la nuit et l’épaisse brume qui s'était installée sur ma demure. Les plaintes venaient de la prairie, et pour je ne savais encore quelle raison obscure, je ne pus les identifier à celles d'aucun de mes moutons, ni à celui d’aucun autre animal…
Arrivé à la prairie, je retrouvai mon troupeau réveillé et collé à la barrière. Ils voulaient à l'évidence fuir un danger. Même un des deux mâles dominants se cachait parmi eux. Je passais parmi les bêtes à la recherche du deuxième, en vain. De plus en plus inquiet, je me retournai vers la direction d'où provenaient les cris, ou hurlements, qui avaient remplacé tous les autres bruits nocturnes. Je m’avançai dans la brume, me rapprochant de plus en plus de la source, les cris et les bruits de sabots précipités étaient de plus en plus distincts et n’en finissaient plus. Enfin arrivé, je découvris un spectacle morbide, effrayant : le deuxième mâle faisait des tours sur lui-même et secouait sa tête avec des mouvements incertains, balançant par un unique morceau de peau le haut de son crâne et ses deux cornes naissantes.
Il se retourna aléatoirement vers moi et se stoppa. Il était seulement dirigé par quelques spasmes. Ce fut le silence le plus long de ma vie. La nature autour de moi semblait retenir son souffle, comme terrifiée par la scène se jouant devant elle. Il était tout au plus à un mètre cinquante de moi. Je remarquai avec terreur ses yeux me fixant avec intensité à travers l'obscurité. Le silence se brisa lorsqu'il essaya, de sa gueule d'ovin, de prononcer des mots. Je hurlai de terreur, et lançai ma hache dans sa direction, sans grand succès. Je me précipitai jusqu’à chez moi, trébuchant comme le héron de la veille. Je claquai la porte derrière moi, haletant, transpirant. La boule dans mon ventre ne cessait de grandir. Je courus jusqu’aux toilettes vomir mon repas. Ma femme, en peignoir dans les escaliers, me demanda ce qui n’allait pas. Au contraire de l’ovin, aucun mot ne put sortir de ma bouche.
Texte de Skress-Honne
Hmm.. je reste sur ma faim
RépondreSupprimerC'etait genial, mais... C'est tous ?! Où est la conclusion ?!
RépondreSupprimerAlors je pense que la bastiole qui essayai/ mangeait la cervelle de son mouton c'est attaquée a lui. C'est pour ca qu'il presise a la fin qu'il ne peux rien dire.
RépondreSupprimerSalut,
RépondreSupprimerje suis l'auteur de cette nouvelle, pour répondre à certains points qui vous seraient assez sombres, la fin est laissée comme telle pour y laisser de la place à l'imaginaire des lecteurs, je n'ai pas décrit le change-peau non plus pour vous laisser une certaine liberté et non, le personnage principal ne s'est pas fait attaquer par la bête, le fait qu'il ne puisse plus parler ne résulte que du fait qu'il était terrifié de ce qu'il venait de voir, comme le montre le fait qu'il avait été aux toilettes pour vomir, il avait juste la gorge nouée par la peur.
Après, le texte va sans doute être remplacé par sa version originelle car j'estime que trop de points ont été changé (ça ne change pas la forme de l'histoire mais elle n'en reste pas moins de mon point de vue trop modifiée).
Si vous avez d'autres points qui ne sont pas clairs là dessus, n'hésitez pas à me demander
Pourquoi le mouton a parlé ?
SupprimerSalut, le mouton a parlé car comme tu as dû le remarquer à son comportement, c'était le "change-peau" qui était dans sa tête et essayait d'utiliser son corps, ainsi que sa gueule pour essayer de parler, donc ce n'était pas directement le mouton mais la créature qui essayait de communiquer.
SupprimerJe risque d'être un peu titillant mais, à un moment tu parles de plusieurs animaux, au pluriel ont dit animaux et non pas "Des animals", voilà dsl mais c'est ma seule déception, sinon les nouvelles comme ça donc plutôt excellente. J'aime bien ce genre de nouvelle si tu en as d'autres, n'hésite pas.
SupprimerJ'aime l'atmosphère dans laquelle se déroule cette nouvelle. C'est bien joué unknown, il faut l'avouer, même si j'aurais aimé un développement plus profond sur ce fameux change-peau.
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