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Les siffleurs : Le récit de Ruth, partie 3


Temps approximatif de lecture : 10 minutes. 

C'est le troisième post que je fais concernant la retranscription du journal de bord de Ruth. Si vous ne l'avez pas déjà fait, je vous recommande de lire les deux premières parties avant de commencer celle-ci. En réponse à mon hésitation concernant le fait de continuer la retranscription des écrits de Ruth, une lectrice a trouvé le moyen de me contacter sous le pseudonyme de kiastrashero. Son message était le suivant : “Aux vues des notes que vous avez transcrites, il semble plus qu'elle VOULAIT que l'histoire soit racontée, en tant qu'avertissement pour les autres de ne pas aller rechercher ce qu'ils étaient venus trouver. J'espère que cette sinistre impression que vous avez résulte juste de la lecture de ce journal alors que vous êtes seul.” 

J'espère que c'est vrai. J'espère que toutes les personnes qui lisent cette histoire la prendront comme l'avertissement que Ruth souhaitait faire. À en juger de ce qu'il reste, je pense qu'il s'agit de l'avant-dernière mise à jour. 

Nous reprenons donc au troisième jour de novembre, la deuxième matinée après que Ruth ait été séparée de Ira et de Bill. 

****** 


3 Novembre

La pluie s'est infiltrée dans mon abri de pin la nuit dernière, mais au moins je peux dire que ça m'a sortie de ma transe. J'ai serré la ceinture de mon sac, ajouté quelques morceaux de bois aux deux feux, j'ai dégainé mon couteau et l'ai calé dans ma main. 
Bill m'avait dit de faire ça, il y a longtemps, si je savais que j'aurais peut-être à courir et à combattre en même temps. Je reviens vers le nord, vers l'endroit où je l'ai vu tomber. Vers l'endroit où les siffleurs nous ont surpris… 

Les siffleurs ne sont pas les seules choses au sujet desquelles il faut s'inquiéter dans les bois. Il y a des ours, des loups, des coyotes… un tas de prédateurs sans peur qui encerclent notre camp la nuit. La croyance populaire nous enseigne qu'il faut faire du bruit si l'on traverse une forêt dense à la tombée de la nuit. Il faut éviter au maximum de surprendre un prédateur. 
Cependant, je soupçonne depuis longtemps que le bruit attire les siffleurs. Les espèces chassées ne s'annoncent pas. Elles avancent discrètement. 

Après ce qui est arrivé à Lillian et Geoff, et récemment Ira, je n'ai aucun doute sur le fait que nous sommes des proies pour eux. 

J'ai décidé de suivre en silence la lisière de la ciguë, en gardant la piste sauvage à ma droite. Le signal de fumée du feu en plein dans le dos, j'avançais prudemment en faisant profil bas et en appelant Bill à voix basse dès que le vent ralentissait. Je devais parfois m'arrêter pour écouter. Après presque une heure à ramper et à murmurer en vain à travers les arbres, j'ai perdu toute prudence. 

“Putain de merde, Bill !” ai-je hurlé. 
Quelques secondes plus tard, sa réponse s'est fait entendre. Deux chocs sonores. 

J'ai répondu en frappant mes mains, et il l'a refait, je l'ai ensuite trouvé. Je l'ai retrouvé trempé jusqu'à la moelle, écroulé contre la base d'un grand épicéa qui n'était même pas à quelques mètres de l'endroit où j'avais hurlé. Les aiguilles sur lesquelles il s'était assis étaient douces et sèches. Je me suis assise juste à côté de lui, épuisée. J'ai déchiré la bande sur ma main puis tenu son visage dans mes paumes. Ses yeux étaient alertes, en dépit de tout. 

“Où es-tu blessé ?” 

Il a levé sa cheville. Elle était toujours enveloppée, mais gonflée comme de la pâte de pain. Elle avait dû être fracturée durant tout ce temps, et notre sprint à travers la vallée a donné le coup final. 

Il est resté silencieux, mais a grimacé alors que j'enlevais sa chaussette et les bandages inutiles. J'ai tenu son pied contre ma cuisse, et j'ai senti que les tissus enflés étaient dans tous les sens. Un bleu sombre s'étalait sur tout le haut de son pied. Il a pris mes mains avant que je ne puisse faire quoi que ce soit. 

“Où est Ira ? J'ai senti la fumée de votre camp.” 

J'ai secoué la tête. “Je n'ai pas pu le rattraper. Il n'avait pas de sac pour le ralentir, et c'est de toute façon un coureur rapide. Il avait passé la crête avant moi, et une fois que je suis arrivée là-haut, il avait disparu. S'il a vu ma fumée, il ne s'est pas arrêté dans sa course pour me rejoindre...”  

“Il t'a laissé ? Il n'avait même pas d'équipement.” 

Je me suis concentrée sur son pied, sachant que j'aurais besoin de quelque chose de serré et de robuste pour l'envelopper si j’entretenais quelque espoir de ramener Bill à mon camp. J'ai enlevé la paire de chaussettes bleues en laine de l'homme mort qui était sur mes pieds. Elles étaient petites pour Bill, et ont donc pu faire office de bandage de compression. Je les ai enroulées autour du pied concerné, et des larmes coulèrent sur son visage avant que je ne finisse. 

“Je suis désolée” ai-je murmuré. “Mais tu es chanceux. Je ne pense pas qu'il soit entièrement cassé. Juste vilainement fracturé. Ira saurait le confirmer...” 

Il m'a fixé après que j'ai dit cela, mais j'ai évité son regard. J'ai cherché jusqu'à ce que je trouve une branche sèche assez droite pour servir de béquille. Bill dépasse de peu un mètre quatre-vingt, alors ce fut délicat de marcher sur deux kilomètres de montée avec la moitié de son corps s'appuyant sur mon épaule. Je pouvais voir qu'il souffrait horriblement, mais nous avons fait le voyage sans s'arrêter, et je ne me suis demandé si je ne l'avais pas poussé trop loin que lorsqu'il se fut effondré sous mon abri de pin. Ça n'avait aucune importance. Nous étions autant en sécurité que nous pouvions l'espérer. Je lui ai donné la dernière aspirine de l'homme mort et j'ai élevé son pied. 

Nous n'avons rien d'autre. Pas de nourriture et rien pour en attraper. Mais je m’inquiéterais de cela demain. Ce soir, tout ce que je peux faire c'est garder le toit intact et entretenir le feu. Ira verra la fumée et viendra à notre rencontre avant que Bill ne soit prêt à marcher de nouveau. 

Il le fera. 

Il le doit.  


6 Novembre

L'enflure de la cheville de Bill a diminué. J'ai tué un oiseau en lui lançant des cailloux. On est tombés bien bas. Lancer des cailloux sur des animaux pour les manger est l'un des plus sombres stades du désespoir humain, auquel nous n'aurions jamais dû être réduits. 

Alors qu'il restait immobile, Bill a fabriqué un arc. Il va utiliser des plumes de l'oiseau pour plumer les flèches, et peut-être fabriquer des appâts de pêche. Il a conservé la plus longue plume pour moi. Pour l'utiliser, a-t-il dit, au cas où mes stylos ne marcheraient plus.  

Nous devons explorer la région avant de nous remettre en route. Je pourrais grimper au sommet d'un des pics, mais je ne peux me résoudre à laisser Bill seul si longtemps. Ce n'est pas qu'il est inutile, mais la terrible vérité est que nous sommes tous les deux au bout de nos forces. Si nous étions séparés, si je devais de nouveau finir seule, je ne pense pas que j'aurais la force de continuer. 

Ça dérange Bill de ne pas savoir ce qui est arrivé à Ira.

“Les siffleurs étaient derrière nous. Lui était devant” dit-il souvent. “S'ils étaient en chasse, ils m'auraient attrapé. Alors, ils ne chassaient pas. Qu'est-ce qu'ils voulaient ? Pourquoi est-ce qu'il ne s'est pas arrêté ?” 

La nuit, nous les entendons de presque toutes les directions, mais ils gardent leurs distances. Ils ne nous encerclent pas au plus proche comme ils le font habituellement. C'est comme s'ils voulaient que l'on sache que nous sommes dans leur territoire, coincé dans leur tanière. Quand nous dormons, c'est chacun notre tour. 


10 Novembre

Aucune nouvelle. Le temps est sec, mais bien plus froid que ces dernières semaines. L'hiver est tardif et j'ai peur que quand la neige arrivera enfin, tout tombe en une fois, nous enterrant sans aucun point de repère. 
J'ai construit un coupe-vent et amélioré notre abri. J'ai attrapé un lapin. J'ai aidé Bill à se laver. Je le surprends sans cesse en train de reposer tout son poids sur son pied. Il veut accélérer les choses. 

Pas de signe d'Ira, et pas beaucoup de repos. 


12 Novembre

Il a neigé pendant la nuit, enfin. 
Comme je l'avais prédit, c'est arrivé d'un coup, un énorme dépôt de poudre suivit d'un matin ensoleillé. Le feu de signal sur la colline était étouffé, mais Bill ne m'a pas laissé partir pour le ré-allumer. 

“Il l'aurait vu, depuis le temps” a-t-il dit en parlant d'Ira. 

“Économisons le bois sec.” 

Il s'est fait une seconde béquille et les utilise toutes les deux pour me faire plaisir, mais il dit qu'il ne peut pas rester oisif plus longtemps. 

“Ça a l'air tellement risqué” ai-je dit “Bouger avec ce temps, alors que tu es blessé...”

“Si on reste ici, on va mourir” m’a-t-il répondu. 

Il parle de construire une luge une fois que la neige sera assez épaisse. Je ne peux pas l'écouter. Je vais prendre l'arc et me rendre au sommet de la colline. 

Partir en reconnaissance. Chercher des traces.


13 Novembre

Il n'y avait rien à voir d'intéressant depuis le haut de la crête. La neige n'est pas encore tombée autour de la baie, et le fait que nous puissions peut-être juste suivre le littoral vers le sud m'a traversé l'esprit. Nous pourrions allumer un nouveau feu chaque jour sur la plage et le laisser fumer. Peut-être qu'un avion passera. Peut-être qu'Ira nous verra de là où il se cache. 
Peut-être que les siffleurs ne savent pas nager… 

Bill dit que l'on partira demain. 

“Et pour Ira ?”

Il a haussé les épaules, l'air épuisé. “On ne sait pas de quel côté il est allé. On ne sait pas où le chercher. On ne sait pas où il est.” 

“Si on part, on ne le reverra peut-être jamais.” J'ai commencé à pleurer et Bill s'est éloigné de l'abri et s'est recroquevillé comme s'il allait dormir. Il m'a tourné le dos. 

J'ai parcouru du regard le col et la vallée en essayant d'atténuer mes sanglots. C'était le crépuscule. Aucun feu à l'horizon. Pas de fumée. S'il était dans les environs, il devait avoir froid. Il était sûrement en train de mourir et je ne pouvais rien faire.

Il fait complètement noir maintenant et pour la première fois depuis des semaines, les siffleurs n'ont pas fait un seul bruit. 


14 Novembre

Bill m'a fait me lever à l'aube. Il avait préparé de l'eau chaude et un bout de lapin pour moi. Je garde les os et les pattes dans un sac en plastique, pour plus tard. Je ne sais pas s'ils seront bons en soupe, mais bientôt ce sera peut-être tout ce qu’il nous restera. Il m'a tendu mon sac pour que je l'enfile, puis a mis ses mains sur mes épaules. 

“Je suis désolé” a-t-il murmuré “Je ne sais pas quoi faire d'autre.”

Je lui ai rendu son regard désespéré, je l'ai regardé prendre son propre sac et envoyer à coup de pied de la neige et de la terre dans les braises du feu. J'ai pensé à laisser une note pour que Ira nous suive, ou un signe, mais la neige tombe de nouveau.

Toute trace de nous sera bientôt effacée.


18 Novembre

La marche est devenue plus facile depuis que nous avons réussi à devancer la neige, mais le climat nous poursuit. La côte gèle. 
On avance bien, et je pense qu'on est tous les deux soulagés d'avoir quitté la piste. Mis à part la boue et le gravier, le terrain est plus praticable le long de la place que çe ne l'était entre les arbres. Cela fait maintenant cinq nuits que nous n'avons pas entendu les siffleurs. Peut-être qu'ils n'aiment pas le froid, ou peut-être que nous avons finalement quitté leur territoire naturel. Même le plus petit espoir est comme une lente agonie tant que nous n'avons pas de réponse à nos questions. 

On a eu de la chance durant la pêche d'hier, une énorme truite était coincée dans un petit étang après que la marée ait baissé. Probablement malade. Probablement déjà en train de mourir. Nous avons passé la journée entière à nous en rassasier et à la couper en tranche pour les faire fumer. 

J'ai trouvé la montre en or d'Ira dans mon sac. Je l'avais offerte pour notre deuxième anniversaire. Il avait l'habitude de l'enlever chaque fois qu'il travaillait avec ses mains et a dû la cacher dans mon sac pour la mettre en sécurité. J'ai demandé à Bill s’il voulait la porter, mais il a refusé. Ça ne sert à rien de regarder l'heure, je suppose. Je l'ai enterré près du feu, construit un cairn au-dessus avant de prononcer quelques mots, comme à un enterrement. Bill n'a rien dit. Moi, je devais le faire. Je devais faire quelque chose pour réussir à continuer. Je ne suis pas sûre qu'il soit mort, mais je ne peux pas ignorer ce que cela implique s'il est tout seul dehors et que nous le laissons derrière. 

La plus horrible pensée est qu'il soit la raison pour laquelle les siffleurs ont disparu. Peut-être qu'il les attire loin de nous ou peut-être qu'ils le chassent et qu'ils l’ont attrapé. Peut-être que leur faim est satisfaite… pour l'instant. 

“Ne pense pas à ça” m'a dit Bill, mais je sais qu'Ira se trouve également dans ses pensées. Bill est un folkloriste, comme moi, mais ce n'est pas ce qui l'a attiré ici. Il voulait voir les siffleurs de ses propres yeux, comme Lillian l'a fait. Il voulait se documenter sur eux, connaître leurs habitudes. Il voulait pouvoir les considérer comme une espèce à part entière pour la science. 

“Tout ce qu’il s'est passé jusqu'à maintenant colle avec la légende” ai-je dit. 

“Ne commences pas, Ruth.” 

Mais je ne me suis pas arrêtée, parce qu'il connaît les histoires encore mieux que moi. Il sait que nous ressemblons aux autres personnages, à présent. 

Traqués. Maudits. 

“Ils choisissent des groupes esseulés. Ils séparent les gens. Ils s'attaquent à une proie à la fois.” 

“Tu ne crois pas ces histoires. Tu n'y as jamais cru.”

J'ai ouvert la bouche, mais les mots s'effacèrent. 

“Je crois que nous ne reverrons jamais Ira...” 

Nous avons dormi séparément malgré le froid mordant. Bill est toujours debout avant que je ne m'éveille. 

Bill dit qu'il reconnaît cette bande côtière. Il y a un pic à l'est qu'il nomme Phanfone Point. 

“Je dirais que nous arriverons dans huit jours à Red Hill, si nous longeons la côte vers le nord.” 

Moi, je ne me fais pas d'illusions.


28 Novembre 

Dix jours depuis que j'ai écrit pour la dernière fois. Tout se mélange. Ce bout du littoral est exactement semblable à ce que nous avons vu des jours auparavant, l'eau est aussi plate et grise. S'il n'y avait pas Bill et le compas, je supposerais que nous longeons un grand lac et pas une crique de l'Océan Pacidique. 
Je supposerais même que nous avançons en cercle. 

Nous avons Phanfone Point pour nous repérer. Et aussi les étoiles. 

Le temps s'est éclairci. L'hiver hésite de nouveau à pointer le bout de son nez. 

J'ai peur de ne jamais plus voir de feuilles sur les arbres ou de fleurs s'ouvrant dans un champ d'herbes. Je travaillais tout le temps. Ira et moi n'avons pas pris de vacances l'été dernier. J'ai tellement gâché mes chances…

Certains jours, Bill et moi ne prononçons pas un mot. 

Nous arrêtons de marcher. Il assemble l'abri, je construit le feu. Il sort la nourriture, je sèche nos vêtements humide. Nous mangeons. Nous dormons. Et le dès matin nous marchons. 


1er Décembre

J'ai vu Red Hill la première. Notre bande de littoral devenait rocheuse, alors nous sommes allés dans un bosquet de cèdres et nous avons trouvé une piste d'ours abrupte. 

Nous n'avons pas entendu de siffleurs depuis des semaines, alors nous avons craqué et nous avons crié à chaque pas. User ainsi de nos voix nous a rendu frivoles. 

Bill a commencé à fredonner une chanson que je n'avais jamais entendu. Quelque chose qu'il tire de son enfance, ai-je supposé tout en marchant alors que je tapais du pied. Il a ri tout en la chantant, ri jusqu'à ce que des larmes s'écoulent sur son visage. Il a dû s'arrêter pour retrouver son souffle, et j'ai pris un peu d'avance, parce qu'il me semblait qu'il avait besoin de rester seul un moment. Il semblait qu'il avait finalement réalisé ce que j'avais réalisé quand nous avions quitté notre camp vers le col : que nous avions abandonné Ira à un sort inconnu. Qu'il avait peut-être succombé à une mort pourtant évitable parce que nous étions trop effrayés et brisés pour le rechercher. 

J'ai marché en direction d'une trouée dans les arbres, Bill faisant de l'hyperventilation derrière moi, et j'ai vu une ligne droite au loin. Une éclaircie où une herbe d'un vert clair frémissait au milieu des conifères. Nous étions au bord d'une crête et nous pouvions distinguer vers le bas, dans l'ordre distant d'une minuscule ville, juste une bosse de broussailles et de granite émergeant des basses-terres marécageuses. Maintenant je pleurais aussi. Il y avait un château d'eau, une longue clôture de perches. Dans la distance, quelques bâtiments de bas niveau et des lignes de courants étaient visibles contre un rideau d'arbres. 

J'ai appelé Bill, qui s'est précipité à côté de moi, s'est arrêté et a regardé. Il a passé ses bras autour de moi à cause du soulagement, en me serrant fort contre sa poitrine. Je l'ai embrassé sans réfléchir, et il a rejeté sa tête en arrière, expirant dans mes cheveux en tremblant, mais sans me relâcher de ses bras.

“Je suis désolée.” ai-je dit. 

“Je ne sais pas comment...” a-t-il commencé, sans finir. 

Je me suis glissée hors de son étreinte et je lui ai fait signe de me suivre dans la descente. Il a commencé à neiger. 

L'obscurité est tombée une fois que nous fûmes à environ un kilomètre et demi à l'extérieur de Red Hill. Le terrain était difficile, épineux et boueux. J'ai couru avec ma pâle lampe-torche, en la concentrant intentionnellement sur mes pieds et le sol devant moi, mais Bill a saisi mon bras alors que la lune commençait à s'élever. Il m'a arrêtée. 

“Regardes” a-t-il dit. 

J'ai regardé en direction de Red Hill. Je pouvais toujours voir clairement le château d'eau, un dôme blindé loin au-dessus de tout. Il se découpait sur les cieux. “Quoi ?”

“Il n'y a aucune lumière.” 

J'ai cligné des yeux, cherché du regard, mais bien sûr il avait raison. Alors que la nuit tombait, rien n'était venu à la vie à Red Hill. Il n'y avait pas de lampes aux portiques, pas de fenêtres éclairées, pas de signal rouge et clignotant au sommet du château d'eau. L'endroit semblait abandonné, aussi immobile et sombre que la mort. 

“On ne peut pas s'arrêter ici en pleine nuit en étant à découvert” ai-je dit. 

“Tu peux avancer sans allumer la lumière ?”

Ma lampe-torche était presque morte, et la lune se levait de toute façon. Je l'ai éteinte et nous avons continué, sans nous presser de manière aussi urgente qu'avant. J'étais alarmée par le bruit que mes bottes faisaient sur le sol trempé. La voix de Bill se réduisit à un murmure emplit de prudence.

“Nous allons toquer à la première porte que nous rencontrerons” a-t-il dit. “Nous dirons que notre hélico s'est écrasé.” 

“Qu'est-ce qui ne va pas, selon toi ? De quoi as-tu peur ?” J'étais terrifiée, mais je n'étais pas sûre de savoir pourquoi. 

“Je ne sais pas” m’a-t-il répondu. 

La lune était directement au-dessus de nos têtes quand nous atteignirent la clôture de perches que nous avions aperçu depuis la crête. La prudence et la fatigue avaient rendu la dernière ligne droite de notre voyage interminable. Il y avait des bruits dans les bois à proximité, mais pas de siffleurs, peut-être des loups. Mais j'étais plus intéressée par les habitants de la ville. Lillian nous avait mis en garde contre les résidents de ces terres enfoncées, dans ces étendues isolées de forêt. Le gardien du phare avait une fois pointé un fusil sur son front lorsqu'elle l'avait surpris après qu'elle ait passé quelques semaines au loin. 

Nous sommes passés outre la clôture de perches, et nous avons traversé une étendue plate de terre où étaient plantés des poteaux. Des poteaux de spiroballe. 

C'était une cour de récréation. Aucun enfant ne pouvait être vu, aucun adulte, aucun signe de vie. J'ai rallumé ma lumière, et Bill fit la même chose. Il avait une lampe-chapeau plus brillante et blanche que ma petite torche incandescente, il m'a devancé à travers la cour, droit vers un ensemble de balançoires et quelques bâtiments qui ressemblaient à des maisons. Les rues les séparant n'étaient que de la terre dure saupoudrée d'un gravier rugueux de quartz qui scintillait dans la lumière.

Il était téméraire. Il s'est dirigé vers le porche de la première maison à notre niveau, il frappa rudement sur la porte d'entrée. 

“Il y a quelqu'un ?” a-t-il crié “Notre hélicoptère s'est écrasé. Nous avons besoin d'aide !”

Tout était silencieux. J'ai observé les environs pendant qu'il fixait la porte, en espérant que le bruit provoque du mouvement humain quelque part à Red Hill. Pas de chance. Nous sommes allés de maison en maison, toquant et criant devant huit bâtiments de cette rue esseulée. Nous avons fini par le chalet, une sorte de bâtiment multi-fonctions qui contenaient des chambres à louer, un guichet de poste et une salle de réunion. C'était désert, comme le reste. Ma lampe-torche se mit à clignoter et rendit l'âme alors que nous nous tenions sur le porche frontal. Bill a testé la poignée et le chalet s'est révélé être déverrouillé. 

“Je ne vois pas pourquoi quelqu'un objecterait” a-t-il dit tout en inclinant sa lampe-chapeau en avant sous la poutre, observant au passage mon visage. Nous tremblions tous les deux..

“Le pilote avait dit que des gens vivaient ici toute l''année.”

“Il a dû faire erreur.”

À l'intérieur, Bill a cherché un interrupteur le long du mur du chalet, mais il n'y avait pas d'électricité. J'ai trouvé une lampe à kérosène remplie sur une étagère et une pochette d'allumettes dans un cendrier sur une table dans la salle à manger du chalet. J'ai allumé la lampe, et j'ai respiré un petit peu plus facilement. Bill s'est promené dans les différentes pièces du chalet avec sa lampe-chapeau, en se repérant, mais je me suis assise à une table avec la lampe, en soutenant ma tête et en essayant de ressentir de la gratitude pour l'abri qui nous avait été offert. 

Il est revenu, en essuyant ses mains sur son pantalon. 

“Le disjoncteur n'a rien fait. Il y a un générateur dans le local d'entretien, on dirait qu'il reste un petit peu de carburant, mais j'attendrai le matin pour l'essayer.”

Comme je ne répondais pas, il s'est assis en face de moi à la table. 

“Chalet bandonné ou non, nous devrons passer l'hiver ici.”

J'ai acquiescé. 

“On mettra la main sur une radio, autant de nourriture et de combustible que nous pourrons trouver. On se planquera et on attendra. Quelqu'un viendra forcément nous chercher.” 

J'ai encore hoché la tête, mais je ne pouvais pas le regarder dans les yeux. 

“Tu as juste besoin de repos” a-t-il dit, plus doucement. 

Il m'a guidé jusqu'aux chambres et a ouvert une porte grinçante. La pièce avait un double lit avec un joli édredon couleur crème, une armoire avec des portes accordéons et une immense fenêtre qui donnait sur l'obscurité. 

“Tu crois qu’il y a une chambre sans fenêtres ?” 

Il a regardé ma réflexion dans le verre sombre, puis a regardé le vrai moi. Je portais la lampe à kérosène et mon étreinte mal assurée projetait des ombres sinistres.

“Bien sûr” a-t-il répondu. 

Il s'est alors précipité dans la pièce juste à l'autre bout du hall. 

Elle était adjacente à une porte qui menait à un salon comportant une multitude de trophées de chasse et un énorme écran de télévision. Il y avait une lucarne et la lune était visible à travers. La chambre était presque identique à la première, excepté que le dessus-de-lit était un patchwork bleu et que la fenêtre avait été remplacée par une tapisserie suspendue représentant de ravissants boutons de fleurs. 

J'ai acquiescé, posé mon sac à dos et placé la lampe au sommet de la commode afin qu'elle projette de la lumière sur chacun des quatre murs. J'ai défait la fermeture éclair de ma veste, mais Bill est resté dans l'encadrement de la porte. 

“Je peux prendre la chambre en face.” 

“Arrête tes bêtises.”

Il m'a lancé un regard sérieux, mais a posé son sac à côté du mien et est allé dans le lit avec moi. 

“Je suppose qu'il fait trop froid pour dormir séparément” a-t-il dit, gêné, tout en enlevant ses bottes et en s'installant avec raideur sous les couvertures. 

“Pourquoi est-ce que ce serait différent de partager une tente ?” 

“C'est comme ça.” 

Je pensais que je tomberais dans le sommeil le plus profond de ma vie, mais le vent se leva et le chalet craqua et trembla autour de nous. J’avais l'impression que chaque son était celui d'un pas ou d'une plainte humaine. À un moment, j'ai réveillé Bill, sûre et certaine d'avoir entendu un bébé pleurer. 

Il a caressé mes cheveux et écouté pendant une minute entière, puis m'a obligé à me coucher sur le matelas en me pressant l'épaule avant de s'allonger lui aussi. 

“Va dormir” a-t-il dit. 

Mais je n'ai pas dormi. À la place, j'ai déplacé la lampe à kérosène jusqu'à la chaise dans un coin et j'ai écrit cette drôle de journée dans mon journal. Bill est immobile dans son sommeil, un bras étendu à côté de lui, à l'endroit que j'ai quitté. C'est différent, juste nous deux qui partageons un espace domestique. 

Qu'adviendra-t-il de nous, durant ces mois d'isolation ? 

À quoi ressemblerons-nous pour ceux qui nous trouveront ?

Je l'entends encore maintenant : un gémissement qui n'est certainement pas celui du vent. Les portes sont verrouillées, mais ça ne me console qu'à peine. Si les siffleurs sont réels, quoi d'autre pourrait vivre dans cet endroit ? Une banshee ? Un wendigo ? Ou quelque chose d'encore plus étrange ? 

Bill dort malgré le bruit. Il ne me croira pas demain matin.

Ce texte a initialement été réalisé par Amity Argot sur Creepypasta.com, et constitue sa propriété. Toute réutilisation, à des fins commerciales ou non, est proscrite sans son accord. Vous pouvez tenter de le contacter via le lien de sa création. L'équipe du Nécronomorial remercie également Shayanna qui a assuré sa traduction de l'anglais vers le français à partir de l'originale, Écho, Orizy et AngeNoire qui ont participé au processus d'analyse et de sélection conformément à la ligne éditoriale, et Griff et Lykaon qui se sont chargés de la correction et la mise en forme. 

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