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Les siffleurs : Le récit de Ruth, partie 2


Temps approximatif de lecture : 10 minutes.


Mise à jour 03/05/2015


Salut tout le monde. Je suis heureux que tant de personnes partagent mon enthousiasme à propos des premières pages de ce mystérieux journal de bord. Mais je dois vous dire que dernièrement, mon enthousiasme s'est depuis changé en quelque chose de vraiment différent. 


Hier, dans les commentaires, j'ai expliqué que je me sentais chanceux d'avoir trouvé ces pages au vide maison. Mais à présent, je pense que je me sens coupable. 


Ça va paraître dingue, mais plus je lis et retranscris ce récit, plus je suis anxieux à propos de ce que j'y trouve et de la femme qui l'a écrit. Son nom est Ruth, je ne sais pas grand chose sur elle. Je ne peux relier aucune piste entre elle et la jeune femme du vide maison ou sa grand-mère. Toutefois, j'ai l'impression que Ruth est proche. Comme si elle était au courant de ce que j'ai fait. Comme si elle était en colère. Je ne peux pas l'expliquer. C'est comme si je pouvais l'entendre. Des murmures de jugement qui s'élèvent au rythme des battements de mon cœur. Je suis maintenant certain qu'elle n'avait jamais voulu que ses mots soient utilisés de cette manière (postés sur le net avec si peu de contexte, offerts comme un divertissement pour le grand public). 


Je n'ai pas bien dormi la nuit dernière. Mais... j'ai l'impression que nous avons commencé quelque chose qui doit être terminé. Quelques-uns d'entre vous ont exprimé de l'intérêt à voir les pages originales du récit de Ruth, mais je pense que c'est là où je devrais établir la limite. C'est là où je peux me racheter vis-à-vis d'elle et de son esprit tourmenté. Je me sens mal à l'aise à l'idée de photographier ses écrits originaux et les transformer en un autre memento mori pour qu'internet en fasse ce qu'il souhaite. À ce point, ça ne fait aucune différence que vous me croyiez ou non. Je suppose que pour vous ça peut sembler égoïste, mais vous ne n’entendez pas Ruth comme je l'entends. 


Bref, voici le reste de ce que j'ai transcrit jusqu'à maintenant :



*********



3 Octobre


Trois jours de marche. 


Je regrette de ne pas pouvoir parler à Lillian de ce qu'il s'est passé avec Bill. Elle était jeune, ambitieuse, et tellement drôle. En plus, elle avait toute une réserve de pilules contraceptives. Elle et Geoff sortaient ensemble et elle souhaitait prendre des précautions. J'ai oublié combien il faut en prendre en cas d'urgence, et quand est-ce qu'il fallait le faire. Mais les pilules sont dans son sac, et son sac est dans la caverne avec les siffleurs et ce qu'il reste d'elle. Elle avait aussi les cartes. Elle avait tout ce qui était le plus important. La grotte se trouve à des kilomètres derrière nous maintenant… 


On a construit un grand cairn près du courant. À un moment, nous devrons guider des rangers hors d'ici, j'en suis sûre. Ils voudront forcément aller chercher Lillian, et Geoff, et le pilote de l'hélicoptère. Je n'arrive pas à me souvenir de son nom. J'espère que l'un d'entre nous s'en sortira, pour que sa famille puisse entendre que ce n'était pas de sa faute. Il avait trois filles, et en attendait une quatrième. Je ne peux pas imaginer ce que pense sa femme à l'heure qu'il est… 


Si quelqu'un trouve ceci : c'était un dysfonctionnement électrique. Il a réussi à nous déposer au sol sains et saufs. Il s'est montré parfait du début à la fin, il a même réparé le problème, mais ensuite le temps s'est assombri, et nous n'avons pas pu décoller. Lillian connaissait le chemin, alors nous avons marché jusqu'au phare. Et ensuite, les siffleurs sont arrivés… 


10 Octobre


Il pleut depuis deux jours. La veste de l'homme mort n'est pas assez chaude pour Ira, et elle est trop grande, mais nous n'avons rien d'autre à lui donner. Au moins, c'est un imperméable. 


Nous entendons les siffleurs toutes les nuits, juste après le coucher du soleil. Il y en a trois ou quatre d'entre eux, qui appellent à gauche et à droite. Bill est convaincu qu'ils nous traquent. On empile des tas de roches autour du feu pour couvrir nos traces après notre passage… 


Nous suivons une nouvelle piste avec des traces d'animaux, à la place de la rivière. La marche est facile. Je n'y avais pas réfléchi jusqu'à la nuit dernière. Bill s'est appuyé sur ses coudes près du feu, alors que les siffleurs semblaient nous encercler. 


“Et si ce n'est pas une piste animale ?” dit-il, sa voix n'étant plus qu'un bas murmure. “Et s'ils l'avaient créé ?”

Je n'ai pas l'énergie d'y penser. C'est simple : si nous suivions une trace qu'ils avaient faite, si leurs cris nocturnes nous poussaient dans un piège, nous étions foutus. C'est tout. 


Ira s'est recroquevillé en boule quand les siffleurs ont commencé à appeler. Il se contorsionnait comme si quelqu'un le piquait avec des épingles. Tout ce qu'il a dit jusqu'à présent, c'est “Allons-y.” 


14 Octobre


Il grêle aujourd'hui. Très fort. Nous avons dû nous abriter sous un arbre, et quand l'obscurité est tombée il n'y avait aucun siffleur, pour la première fois en une semaine. Le silence était d'une certaine manière plus sinistre que la menace des siffleurs. Ira l'a sentit aussi, parce qu'environ quinze minutes après le crépuscule, il s'est levé et a commencé à crier et à siffler sous la pluie, appelant et hurlant d'une voix qui semblait ne pas être la sienne. Bill lui hurla de rester silencieux, il agissait comme s'il était possédé, les appelant jusqu'à s'en exploser les poumons, avec des yeux sortant de leurs orbites. Bill l'a plaqué au sol et l'a frappé pour qu'il se la ferme. 


“Stop !” ai-je d'abord dit, mais Ira n'a pas arrêté de faire du bruit. Bill m'a regardé, j'ai alors fermé les yeux et hoché la tête. Il a dû frapper Ira fort pour qu'il se taise, et il sanglotait en le faisant, suppliant Ira de se calmer. Le vent était glacial, et je pense que ça nous a en quelque sorte sauvés… 


Chaque arbre vibrait, craquait, hurlait… les siffleurs avaient dû tous se retirer dans leurs grottes. Peut-être qu'ils hibernent. Peut-être qu'ils nous laisseront bientôt… 


17 Octobre


Ira était de nouveau lui-même ce matin, comme si nous étions revenus en arrière dans le temps. Il était levé avant nous, pour chauffer de l'eau. Il a dit que ça lui avait pris longtemps pour revenir du côté sud de la montagne parce que les siffleurs l'avaient piégés. 


“C'était un trou, clairement creusé par des outils.” Il frémissait pendant qu'il parlait. “Ils sont seulement venus la nuit, et je n'ai pas pu bien les regarder. Je pouvais les entendre, et voir des silhouettes, mais rien de bien précis. Il faisait trop sombre. Je ne sais pas ce qu'ils me voulaient. Je suis sorti en grimpant et j'ai couru.” 


Nous sommes loin de cet endroit à présent, on a finalement atteint la fin de la crête et le début d'une vallée où tout est verdoyant. J'espère que le changement de biome indique une diminution de la population de siffleurs. Une partie de moi souhaite prendre autant de notes que possible, mais la plupart de nos carnets vierges ont été perdus avec l'équipement de Lillian, en plus des lunettes à vision nocturne et des caméras. Ma plus grande peur est que nous soyons tous tués, et que notre disparition entraîne d'autres jeunes chercheurs à venir ici pour tenter de résoudre le mystère par eux-même. Nous ne deviendrions qu'une autre histoire du folklore malsain qui attire les gens dans cet endroit maudit. Je détesterais faire partie de ce cycle, sachant ce que je sais maintenant. 


Les siffleurs sont réels, et ils ne veulent pas de nous ici.


1 Novembre


La nuit dernière j'ai rêvé que j'étais enceinte du bébé de Gary Law. Rien d'autre n'est arrivé dans ce rêve. Je marchais sans fin avec Ira et Bill, et nous savions tous les trois que j'avais été avec l'homme mort. Cela nous dérangeait, mais nous n'en parlions pas. 


En me réveillant, j'avais mes menstruations, merci mon Dieu. Je n'ai jamais été aussi heureuse de laver mon linge plein de sang. 


Nous avons installé le camp vers un petit lac au point le plus bas de la vallée. Au-dessus d'ici, il y avait un col éloigné qu'Ira se souvient avoir vu depuis les hauteurs. Il était seulement à environ trois kilomètres de distance. Red Hill devrait se trouver au-delà, d'après Ira, mais nous n'avons pas encore l'énergie de pousser aussi loin. 

Nous nous reposerons aujourd'hui, et demain nous bougerons. En étant optimistes, nous boirons de la bière au chalet de Red Hill avant que la nuit tombe.


Ira est le meilleur tireur d'entre-nous, alors il a pris le pistolet pour chercher des lagopèdes alpins. Nous avons allumé deux feux et nous sommes mis d'accord qu'il devait rester à portée de cris, mais je m'inquiète quand même. Les siffleurs ne semblent pas vouloir attaquer quand nous sommes en groupe. Lillian et Geoff étaient tous les deux seuls quand ils ont été tués. De plus, je ne suis pas convaincue que Ira soit complètement rétabli. Il dit des choses sans queue ni tête dans son sommeil, il pleure et il griffe… 


Il ne le faisait pas avant. 


Bill et moi sommes allés pêcher quand le linge fut propre. C'était stupide de le faire dans cet ordre. Tout ce que nous avons attrapé, c'étaient des vairons. Même ça nous a pris des heures. 


Il me fixait alors que nous nous asseyions. Le froid semblait s'infiltrer dans mes os, me rendant irritable. Je n'avais pas été au chaud depuis des semaines.

“Quoi ?” ai-je dit. 


“Il n'est plus lui-même. Tu le sais.” Il parlait d'Ira.


“Il va mieux qu'avant. Il va bien. Nous lui trouverons un bon médecin à Red Hill.” 


“Et si Red Hill n'est pas de l'autre côté ? Et si nous grimpons là-haut et que nous nous retrouvons face à une autre semaine de marche dans la forêt ?” 


J'ai réalisé que mes yeux étaient fermés. J'ai décidé de les rouvrir et le lac m'a semblé étrangement brillant tout d'un coup. Les doigts de Bill étaient pressés contre son front. 


“Nous pourrons nous inquiéter de ça en temps voulu” ai-je dit. 


“Je dis que je ne lui fais pas à ce point confiance, Ruth. Il ne se souvient pas de l'autre nuit, après la grêle. Il ne peut pas se contrôler.” Il bougeait les mains dans tous les sens. “Il pourrait nous faire tuer.” 


“C'est mon mari.” 


“Et c’est mon frère.” 


J'ai hoché la tête, mais c'était tout ce que je pouvais faire. Je connais Bill depuis plus longtemps que je ne connaissais Ira. J’ai passé plus de temps avec lui, aussi, puisque nous travaillions dans le même département. Il m'a présenté à Ira pendant une fête de Noël, il y a maintenant six ans. 


“Qu'est-ce qu'on devrait faire ?” ai-je demandé. 


“Je ne sais pas. Mais je pense que nous devons peut-être considérer l'idée de couper la corde si son état s'aggrave. Il faudra peut-être en arriver là…”  


Bill a commencé l'escalade au lycée. 


“Couper la corde.” 


C'est une métaphore pour dire qu'il faudrait laisser Ira mourir afin que nous puissions survivre. 


2 Novembre 


Hier, alors que Ira était toujours en train de chasser, nous avons entendu trois coups de feu dans les bois. Deux de trop pour abattre un lagopède alpin. Bill et moi nous sommes levés, sur le qui-vive et tendus. Il s'est écoulé un instant avant que nous ayons l'idée de se dépêcher d'éteindre les feux et d'entasser ce que nous pouvions dans nos sacs. 


Ira est revenu en courant au camp, respirant tellement vite qu'il ne pouvait pas dire ce qui n'allait pas. Il n'avait plus ni pistolet ni sac. Il a attrapé mon bras aussitôt qu'il était assez proche, et il m'a tirée à travers l'herbe, dans la vallée, vers le col. Bill avait l'air alarmé. Il nous a rattrapé et nous a séparés de force. Il a hurlé sur Ira et m'a rendu mon sac, préparé n'importe comment. Tous nos vêtements étaient encore humides, déchirés, et les yeux d'Ira étaient quant à eux exorbités. Il a regardé derrière nous, vers le bois qu'il avait fui. 



“C'est un avertissement” a-t-il dit. “Je comprends maintenant. C'est un avertissement.” Bill a essayé de le calmer, mais nous avons ensuite entendu les voix sinistrement musicales des siffleurs. Je n'en avais jamais entendu en pleine journée, et jamais aussi proche. J'ai suivi le regard d'Ira qui scrutait les arbres, et j'ai regardé à mon tour. Je ne pouvais pas bouger mes jambes. Je ne pouvais même pas respirer. J'ai tenu les sangles de mon sac d'une poigne de fer, comme si elles étaient accrochées à un ballon qui pouvait m'emporter loin du danger à tout moment. 


Ira m'a de nouveau saisi le bras, et Bill l'aidait cette fois-ci, me poussant sur le chemin jusqu'à ce que je puisse courir par moi-même. Jusqu'à ce que nous courions tous aussi vite que nous le pouvions. 


La piste menait droit à une zone ouverte, et nous avons tous réagi de manière différente, nous glissant à travers les aulnes ou restant sur le sentier pour être plus près du couvert de la ciguë. Ira a pris le chemin le plus court, droit à travers le paillasson d'herbe de la piste, et bientôt il était loin devant moi, et tout ce que je pouvais faire c'était garder mes yeux sur lui et continuer de courir aussi vite que je le pouvais. Il fut le premier à atteindre la colline couverte de mousse, le col se trouvant entre deux sommets acérés. Il s'est accroupi en courant, et je l'ai perdu de vue. 


Le pied blessé de Bill et son sac l'ont ralenti, et je l'ai vu s'arrêter et se coucher, sur le vif, entre les arbres, après qu'il ait couru durant dix minutes qui étaient passées comme des secondes. La disparition d'Ira m'a emplie de panique. Ça ne m'a pris que peu de temps pour décider de ne pas attendre avec Bill. Je devais rattraper Ira. J'ai continué de courir jusqu'à ce que j'atteigne la crête, les jambes en feu. Mais une fois arrivée, il n'y avait aucun signe de lui, aucune piste à suivre. Je me suis traînée jusqu'au sommet de la crête, en frappant désespérément des mains, en cherchant Bill par-dessus mon épaule. Mais il avait aussi disparu à son tour. De si haut je pouvais voir la forêt au-delà, la rivière, et une vaste baie brune à marée basse. Pas de ville. Pas de Red Hill. J'ai frappé dans mes mains, mais aucun d'entre eux ne m'a répondu. J'étais exposée, mais le sifflement était distant, et en vérité, je ne pouvais pas le distinguer du vent avec certitude. 


Je me suis rapprochée des arbres, et j'ai construit deux feux avec mon Firesteel et mes mains tremblantes, le second étant à découvert au sommet de la montagne, grand et fumant. La ciguë faisait un abri épais. Il y avait plein d'herbes sèches. 


Nous avons laissé la tente derrière nous, ainsi que les sacs de couchage. Bill avait la poêle et les marmites. Ira avait le pistolet. J'avais la hachette, le Firesteel, le linge humide.


J'ai fait un appentis avec un petit toit de branchages, et je suis restée toute la soirée assise avec le dos appuyé sur un arbre épais. J'ai attendu, et dormi par à-coups. J'ai fait la même chose aujourd'hui, et j'ai surveillé le feu. Maintenant, la nuit tombe. Je devrais retourner dans la vallée pour récupérer la tente, mais le son du sifflement diurne est coincé en moi telle une écharde. Je ne peux pas faire face à la créature qui a fait ce bruit, même après avoir passé des années à la rechercher. Je n'ai jamais cru les légendes, pas totalement. Nous sommes venus ici pour faire des recherches sur le folklore local. Pour écouter des trappeurs et des chasseurs âgés raconter les histoires extravagantes qui se racontent depuis des générations afin de les enregistrer, pour la postérité. Nous n'aurions jamais dû venir ici.


Aucun signe de Ira ou de Bill depuis.  


Ce texte a initialement été réalisé par Amity Argot sur Creepypasta.com, et constitue sa propriété. Toute réutilisation, à des fins commerciales ou non, est proscrite sans son accord. Vous pouvez tenter de le contacter via le lien de sa création. L'équipe du Nécronomorial remercie également Shayanna qui a assuré sa traduction de l'anglais vers le français à partir de l'originale, Écho, Orizy et AngeNoire qui ont participé au processus d'analyse et de sélection conformément à la ligne éditoriale, et Griff et Lykaon qui se sont chargés de la correction et la mise en forme. 

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