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Le poudrier



Temps approximatif de lecture : 6 minutes. 

Dans ma famille, la famille Sendak, on a un don un peu spécial : celui de pouvoir manipuler ses rêves. Par rêve, j’entends bien ceux que vous faites quand vous dormez hein, pas ceux que vous pouvez avoir éveillé, comme sortir avec la super Cynthia qui n’a d’œil que pour Greg, l’avant-centre de l’équipe de foot du coin. Alors bon, on n’en fait pas forcément tout un plat en public, mais entre nous, ce n’est pas la même histoire : c’est un pouvoir compliqué, qu’il faut savoir manier correctement avant de l’utiliser. 

Pour vous expliquer un peu le principe, je vais prendre l’exemple de mon grand frère, Rémi. Mon père lui a parlé de son pouvoir pour la première fois à ses 6 ans. Comme il y a plein de dangers à faire des rêves lucides sans supervision, il lui a appris la première leçon fondamentale : se réveiller. La première méthode, élémentaire et très pratique quand on est jeune comme Rémi l’était, c’est le choc émotionnel. Paniquer, s’effrayer, se mettre en colère. En général, ça suffit à réveiller, surtout au début. 

Mais plus on grandit, plus on prend goût au fait de pouvoir modifier les rêves. On se met à voler, à faire pleuvoir l’argent, à changer la couleur du ciel, le goût de la mer, c’est grisant. Et plus ça l’est, moins le choc émotionnel sera facile à obtenir, ou efficace à l’usage. Alors à ce moment-là, mes parents organisent une petite fête à la maison (en général en même temps qu’un anniversaire, vers 14 ou 15 ans), et on se voit offrir une ancre. Une ancre, c’est un objet physique, en général. On a pour consigne de le fixer plusieurs heures par jour, tous les jours, de manière à ce que l’objet imprègne notre cerveau comme faisant partie du quotidien. De cette manière, il nous suit en rêve. Ensuite, il faut associer l’idée du réveil à l’objet. Ça, c’est un peu plus compliqué ; je sais que Rémi fixe son ancre longtemps avant de s’endormir, et longtemps au réveil. Papa est encore plus fort. Il se réveille sans ancre, simplement en se rappelant de la voix de la speakerine de l’aéroport de quand il était enfant.

Moi, j’ai reçu la mienne pour mes quinze ans. C’était un pendentif tout bête, trois cercles concentriques en argent, qui peuvent bouger parce qu’ils sont traversés par un axe vertical. Je l’aimais beaucoup, mais j’avais surtout hâte que mon ancre soit prête pour pouvoir reprendre les rêves lucides. En attendant, j’avais dû suivre un programme strict avec régime, méditation, médication douce et plus encore pour m’assurer de ne pas déclencher de rêves impromptus.

 Ensuite (Rémi m’avait prévenu), j’ai eu droit aux récits de mon père. Il a fait beaucoup de voyages oniriques – c’est lui qui les appelle comme ça – et a trouvé bon de m’expliquer l’ensemble des dangers qu’on pouvait rencontrer au sein de nos rêves à nous, rêveurs lucides héréditaires.

 D’abord, il y a les Secs, ou bien les Creux. Ils ressemblent à de grands êtres humains, frêles, avec de la peau qui craque quand ils bougent. Comme du parchemin. On ne sait pas trop d’où ils viennent, mais parfois, au lieu de rêver de manière classique, on se retrouve chez eux, dans un grand désert désolé, où ils errent. Je n’en ai jamais vu, mais ils me font très peur, d’après les dessins que m’en a fait Rémi. Papa dit qu’ils vivent dans des grandes ruches étranges, taillées dans la pierre des canyons où ils errent. S’ils attrapent un rêveur, il ne se réveillera jamais comme il s’était endormi.

Je crois que c’est ce qui est arrivé à maman.

On l’a retrouvée un matin, avec papa, dans son lit. C’était un dimanche, je crois. Elle ne bougeait plus, mais respirait encore. Impossible de la réveiller. Elle est toujours à l’hôpital. 

Ensuite, il y a les Veilleurs. Ceux-là, j’en ai croisé. Ils se tapissent dans les coins du rêve, un peu comme quand vous êtes sur votre canapé, ou dans votre lit, et que d’un coin de la pièce, vous apercevez quelque chose bouger un peu, ou bien une ombre qui vous paraît avoir une silhouette particulière. Et bien les Veilleurs donnent cette impression-là, en rêve. Quand vous l’avez, c’est que vous avez croisé leur regard. Sur le champ, votre songe se change en cauchemar. Et là, autant se réveiller de suite.

Papa racontait beaucoup ses voyages, et Rémi me montrait ses dessins. C’était assez prenant, mais la plupart du temps, au lieu de me faire peur, ça me donnait juste envie d’en voir plus. D’après Papa, il existe tout un monde au-delà de ce qu’on peut imaginer en rêve, un monde onirique qui existe sans être relié à un rêveur pour « l’alimenter ». C’est là où vivent les Creux, toujours selon lui. Rémi aussi y croyait, et souhaitait s’y rendre de lui-même plutôt que de manipuler ses rêves. Pourtant, les possibilités que papa m’enseignait étaient déjà appétissantes ! On peut revoir ses souvenirs, en modifier le cours, mettre au point un rêve comme une scène de cinéma dans laquelle on a le premier rôle, repasser ses journées au ralenti, mémoriser plus efficacement ses cours…

Mais bon, je peux comprendre que mon frère se soit lassé après cinq ans de pratique.
Quand j’ai commencé à enfin me servir de mon ancre correctement, j’ai passé près de deux ans à juste faire remonter des vieux souvenirs. À rejouer tous ces cours de maths où j’étais à côté de Cynthia, et où dans le vrai monde, je n’arrivais pas à lui parler. J’ai fait des dizaines et des dizaines de rêves dont je ne parlerai pas ici, qui impliquaient aussi Cynthia.

Et puis un soir, avec papa, on s’est disputés assez violemment. Mon frère était parti de la maison depuis trois mois. L’ambiance n’était plus terrible ; je rêvais beaucoup, Rémi n’appelait jamais à la maison, et l’état de maman ne bougeait pas d’un pouce. On s’est embrouillés pour une histoire de politesse, et ça s’est envenimé. Il m’a reproché d’être comme mon frère, de disparaître, de fuir la réalité au lieu d’utiliser les rêves pour la rendre plus agréable. Il m’a accusé de ne pas comprendre que ce qu’il m’enseignait visait ma survie, que j’étais comme lui venu au monde avec un pouvoir me dépassant.
C’est à l’issue de la discussion qu’il m’a enseigné quelque chose de fondamental, pour sceller notre réconciliation : ce qu’était une Huître, et comment formuler une Pensée Rémanente. Je vais commencer par expliquer cette dernière. La Pensée Rémanente, c’est ce dont je parlais plus haut. Quand mon père fait appel à la speakerine de l’aéroport, ce souvenir, c’est sa Pensée Rémanente : la susciter suffit à changer le cours du rêve. Ça permet de se réveiller si l’on oublie, ou perd son ancre dans le rêve. La Pensée peut également être une action courante, qu’on répète parfois sans y penser, de façon à pouvoir l’effectuer par accident, sans s’en rendre compte. Comme ça, même si on oublie d'être dans un rêve, on se réveille par accident en produisant cette action, en ayant cette pensée. 

Maintenant, une Huître. Une Huître est la chose la plus horrible qui soit dans le monde des rêves lucides. C’est un rêve qui imite à la perfection la réalité, qui fait perdre son ancre, et parfois même, la tête. On oublie ce qu’on fait là, qui on est vraiment : on devient le jouet du rêve, on se conforme au rôle qu’il nous attribue, on devient un personnage de plus. Croiser une Huître est exceptionnellement rare, et papa m’a expliqué qu’il ne rêve plus à cause de ça. Il en a croisé une, une fois. Il est resté prisonnier du sommeil vingt heures, avant de repenser à cette fois petit où il avait pris l’avion pour la première fois. Une pensée accidentelle, mais qui a suffi. Autrement, il aurait pu rester pour toujours dans le rôle d’Oscar, professeur de sport.

 Fort de ses avertissements, j’ai ralenti mes rêves, je me suis fait plus prudent. Les années ont passé. Les nouvelles de mon frère ont progressivement diminué. Déménagement après déménagement, il s’éloignait de nous géographiquement comme psychiquement. À l’heure où je vous parle, il habite en Argentine, où il écrit des romans pour enfants. Pour ma part, j’ai étudié le dessin, et en me battant contre mes propres démons, je suis devenu architecte. Mon père, pour sa part, s'est retrouvé à devoir affronter l’un des pires ennemis de la vraie vie, le cancer.

La vie a pris de la vitesse. J’ai rencontré Iris, la plus belle femme qui m’ait été donné de connaître. On s’est rencontrés dans mon cabinet, alors qu’elle accompagnait un client en tant que consultante. Le coup de foudre. Nous avons rapidement emménagé ensemble, sans imaginer ce que le destin nous réservait. À savoir, un enfant. Un garçon, Philis. Il serait donc à mon tour, bientôt, de lui apprendre tout ce que je sais sur les rêves et les pouvoirs de notre famille. Cet enfant a été d’emblée le joyau de ma vie, une petite créature braillarde et fragile, mais pleine d’une énergie et d’un espoir que même mes rêves les plus fous ne pouvaient égaler en beauté brute.

Sans nouvelles de Rémi, je me suis mis à cogiter sérieusement. J’avais besoin d’en savoir plus sur ce pouvoir, sur ce que pouvait faire notre famille. Alors je suis allé trouver mon père sur son lit d’hôpital. De cette journée, je me rappelle lui avoir posé mille et une questions. Sur les Huîtres, à la fin, beaucoup, et notamment jusqu’où allait leur pouvoir. C’est là que j’ai appris qu’elles pouvaient tout vous prendre. Qu’elles pouvaient rendre votre Pensée Rémanente inefficace, et vous empêcher pour toujours de sortir de leur écrin si vous vous apercevez trop tard du piège.

Je me souviens d’un frisson glacé, le long de la colonne vertébrale, quand je me suis demandé comment il pouvait savoir tout ça. À la place, je me souviens lui avoir demandé : 

« Quelle était la Pensée de maman ? »

Il a inspiré, fort et longtemps. Avant de me répondre que pour se réveiller, maman plongeait la main dans sa poche, et en retirait toujours son petit poudrier. Elle regardait dans le miroir, et celui-ci lui renvoyait non pas son image, mais rien.
Je suis sorti de l’hôpital, il y a quelques minutes, et je n’ai pas cessé de pleurer et de trembler dans ma voiture depuis.

Dans ma poche, il y avait un poudrier. Et lorsque j’ai voulu regarder mon reflet en tremblant…

Il n’y avait que du noir. 

Ce texte a été réalisé par Jared Gauss et constitue sa propriété. Toute réutilisation, à des fins commerciales ou non, est proscrite sans son accord. Vous pouvez le contacter sur nos plateformes, nous tâcherons de vous y aider si besoin. L'équipe du Nécronomorial remercie également Aévor et Caesar qui ont participé au processus d'analyse et de sélection conformément à la ligne éditoriale, et Neaoce et Trinity qui se sont chargés de la correction et la mise en forme. 

2 commentaires:

  1. Les secs c'est pas les bestioles d'un autre texte ?

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  2. juste une remarque mais ça m'a complètement sorti de l'histoire, si le pouvoir est héréditaire et que le père le possède, la mère ne devrait pas l'avoir (sauf relation consanguine mais vous avez l'idée)

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