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La peur, la boule au ventre, les chocottes, la pétoche…
Le bus vient de nous déposer devant le portail gris et froid en fer forgé de la prison. Celui-ci s’ouvre dans un grincement sinistre, qui me glace les sangs. Il est 7h50.
Les gardiens à la mine patibulaire nous invitent à entrer, saluant tous les prisonniers un à un, comme pour nous donner la sensation que nous sommes encore des êtres à part entière. Quelle blague ! Une fois entrés dans ce lieu, nous ne sommes plus rien. JE ne suis plus rien ! En franchissant le portail, c’est la loi de la jungle. Les rapports de force et de domination y sont les maîtres.
Essayant de me faire le plus discret possible, je fonce devant la cellule qui m’est attribuée à cette heure-ci.
Je réussis l’exploit de ne pas me faire repérer. Mais à 8h pile, mes camarades de cellule me rejoignent, et un des matons ouvre la porte. Celui-là, ça va, je l’aime bien. J’adore l’écouter parler. Cinquante minutes plus tard, il nous faut changer de cellule. Oui, car dans cette prison, nous devons expressément changer de cellule (sauf cas exceptionnel), toutes les 50 minutes. Soit disant pour ne pas devenir fou à rester dans la même pièce toute la journée. Ce va et vient permanent cesse tous les jours à 17h. C’est donc dans ces intervalles que
commencent les premières brimades et bousculades de la journée à mon égard.
Les bruits de cochon, les insultes, les menaces…
Je sais que je devrais me défendre. Mais contre quatre autres prisonniers, c’est mission impossible sans me prendre une bonne raclée. Je sens encore la douleur dans mon dos, due à celle de la semaine dernière parce que je n’avais pas ramené assez d’argent. Je feins l’indifférence, même si leurs coups et leurs mots me blessent comme mille lames acérées. L’heure suivante est plus compliquée pour moi. Les autres détenus me jettent des objets quand le maton ne regarde pas et me volent des affaires. Et quand je proteste, car ras-le-bol, c’est moi qui prend.
"Bertrand ! Calmez-vous où je vous envoie chez le Directeur !"
Les autres ricanent dans mon dos, amusés. Ils tentent de me faire sortir de mes gonds pendant le reste de l’heure, en mettant des coups dans ma chaise et en me tirant les cheveux, mais je tiens bon.
C'est le moment de la promenade. Tous les détenus sortent en joie de la cellule pour se diriger vers la cour où sont déjà postés les gardiens, mais moi je ne veux pas y aller. C’est le premier des moments les plus dangereux de la journée. Je rechigne à sortir de la cellule, mais le maton refuse de me laisser là. Il me force à sortir et referme derrière moi. Alors, pour éviter toute agression, je fonce aux toilettes, évitant de justesse un prisonnier qui chute à 1cm de mes pieds. J’y reste le temps de la promenade.
Puis je dois retourner dans une nouvelle cellule. Même schéma que pour les deux premières heures, puis vient le temps le PLUS dangereux de la journée. L’heure du repas !
Ce qui implique de se rendre au self, une pièce où sont regroupés des centaines de détenus tous plus agressifs les uns que les autres, et manger tout en se protégeant de tirs amicaux de boulettes de viande à la sauce tomate et de spaghettis.
Non. Impossible. Je me rue aux toilettes pour m’y terrer pendant tout le repas. Pendant ce temps, bien en sécurité derrière cette fine porte, recroquevillé sur la cuvette pour que personne ne voit dépasser mes pieds, mon ventre gronde, et la faim me tenaille. Je prie pour que personne n’entende ce boucan. Le temps est long dans une surface de trois mètres carrés, sans oser bouger. Et en plus, cette odeur infecte de détergent industriel me donne la nausée. Mais je n’ai pas le choix.
Puis je me dirige, résigné, vers ma nouvelle cellule. Cette fois, j’ai droit à des crachats dans le dos et dans les cheveux. Je me sens sale. Mais ce n’est rien comparé à la dernière promenade de la journée, où je me retrouve plongé tête la première, dans une poubelle remplie au préalable de chewing-gums et de mouchoirs usagés. Là, les gardiens interviennent. Mes deux bourreaux et moi-même sommes emmenés chez le Directeur. Mais pourtant, afin d'éviter le mitard (et d’éventuelles représailles) à ces deux colosses, je mens au Directeur en prétextant avoir bêtement trébuché. Les deux autres sont simplement venus m'aider à me relever. Je vois bien qu’il n’y croit pas, mais il s’en contente, faute de pouvoir obtenir la vérité.
La dernière heure de changement de cellule est la pire. Tous les détenus rient de ma plongée dans les entrailles du Tartare. Je suis d’ailleurs baptisé ainsi, à cette
occasion. Enfin, la dernière heure touche à sa fin. Je fonce avant tout le monde jusqu’au portail. Sa gueule est déjà grande ouverte, prête à nous recracher, après nous avoir mâchouillé inlassablement durant 9 heures. Dès que je le traverse, mon estomac se détend et je redécouvre l’ivresse de la liberté. Je me rue sans attendre à l’avant du vieux bus qui me ramène chez moi pour le week-end. Puis une fois dedans, je songe au fait que je devrais retourner dans cette prison la semaine suivante. Pendant le trajet, je discute avec le chauffeur, seul être humain un peu chaleureux dans cette longue caisse de métal roulante. Les animaux s’excitent à l’arrière du bus, mais je les ignore. ENFIN, je rentre chez moi !
"Alors ? C’était bien le collège, mon chéri ?" me demande mon père, candide.
Il ne sait pas ce que je subis chaque jour. Les violences physiques et morales quotidiennes qu’endurent mon corps et mon âme, dans ce lieu que tout le monde appelle une école, mais qui pour moi est une prison.
Je sais qu’un jour béni, mon corps quittera définitivement ce lieu infâme, mais mon cœur, lui, a pris perpète.
Étant harcelée au collège et lycée, j'ai été stupéfaite et très triste en découvrant la fin... Je le comprends tellement et c'est super bien écrit !
RépondreSupprimerTerriblement juste...la fin m'a prise aux tripes. J'espère qu'un jour ces problèmes seront pris plus au sérieux.
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