« Et c'est pour ça que le gouvernement nous cache la fuite d'Hitler en Antarctique ! »
Platisto-Galiléo, ou Simon de son vrai nom, nous inondait depuis une demi-heure d'explications complètement farfelues et délirantes sur des « vérités » concernant notre monde. Celui qui nous avait contacté en privé suite à notre topic sur le forum de paranormal que l'on fréquente avec Kévin nous avait donné rendez-vous dans l'Abattoir Café de Strasbourg, afin de discuter de mon problème de démon. Alors qu'on s'y était rendus sans en attendre grand-chose, il s'était vite avéré que ce drôle de personnage était un complotiste persuadé de détenir des vérités interdites et que le gouvernement voulait le faire taire.
Mis à part ses discours dérangés que Kévin buvait comme des vérités absolues ouvrant la voie de réflexions encore inconnues à ses yeux, il avait l'air d'être le moins dérangé des types qu'on avait croisés jusque-là. En effet, à chaque fois qu'il exposait une nouvelle théorie, il sortait du sac Eastpak qu'il avait amené avec lui une « preuve » de ce qu'il affirmait, ce qu'il fit à nouveau en nous passant une photographie montrant Hitler habillé avec un long manteau polaire dans un environnement entièrement blanc. Et alors qu'il enchaînait sur un sujet qui n'avait pas le moindre rapport avec celui qui l'avait amené ici et que le serveur s'approchait pour prendre notre commande, j'essayai de le faire revenir sur la raison principale de sa venue.
« Et concernant le démon dans ma tête, tu sais, Niarloth- »
« Non ! » me coupa Simon en frappant du poing sur la table, faisant sursauter le serveur et tomber au sol une des photos-preuves qu'il avait sortie précédemment, qui montrait un astronaute dans le désert du Nevada. « Déjà, tu le prononces mal. Et faut surtout pas l'appeler, il pourrait nous trouver. »
« Enfin un humain respectant ma grandeur ! » énonça la voix dans ma tête, avec une forme de soulagement. J'étais prêt à parier qu'il allait me demander d'en faire son grand prêtre ou une connerie du genre, comme ce fut le cas avec moi pendant les premiers jours où je l'entendais ou encore pour Kévin, après qu'ils aient eu une discussion tous les deux sur le trajet entre la Bretagne et Strasbourg, même si la majorité des phrases qu'ils s'adressaient étaient des insultes.
Simon ramassa sa photo, et nous en profitâmes pour passer commande. Alors que mon pote et moi-même prenions des Guiness comme à notre habitude, le complotiste commanda un déca recaféiné, provoquant le haussement de sourcils du serveur qui repartit en direction du comptoir.
Et alors que Simon s'apprêtait à se relancer sur un autre complot palpitant, Kévin le coupa net, demandant de manière crédule : « Mais il nous a pas déjà trouvés, s'il est dans sa tête ? », ce qui fit blêmir le complotiste, comme si une révélation venait de s'imposer à lui.
« Heu, de ce que je sais et de ce que j'ai appris de Roswell, les Autres Dieux comme lui vivent dans les contrées oniriques et ne sont donc pas forcément dans le monde de l'éveil dans leur entièreté. Mais je ne sais pas s'il n'est qu'une simple copie de conscience, ou une conscience de lui-même à part entière. »
Cette réponse mena à un silence assez froid. Non pas que les révélations qu'il apportait me tétanisaient ou me menaient à un stade de compréhension supérieur de la situation, mais la seule chose que j'avais réellement compris dans son discours était le mot « Roswell » qui me rappelait quelques lointains souvenirs d'émissions télés passant sur TMC le samedi soir. Et après quelques minutes à réfléchir au sens de ce qu'il disait, qui furent d'ailleurs coupées par le serveur nous apportant notre commande, j'ai décidé de lui répondre.
« Tu as parlé de Roswell, tu veux dire les extraterrestres qui se sont écrasés là-bas ? »
Kévin, qui venait de prendre une gorgée de bière, leva la tête, comme pour écouter la réponse qui alimenterait sa nouvelle passion. Simon, quant à lui, me regarda en fronçant les sourcils. « Y a encore des gens assez cons pour croire à ça ? Tout le monde sait que c'était un ballon-sonde, non ? »
Je n'avais jamais dévisagé quelqu'un aussi violemment de toute ma vie. Je lui ai lancé un regard tellement noir qu'il s'est étouffé avec son café en le remarquant, tandis que Kévin et Nyarlathotep faisaient preuve d'un silence mortuaire afin de ne pas m'énerver d'avantage. Et comme pour noyer le poisson, Simon enchaîna sur la réponse à ma question, en bégayant un peu: « Roswell a été le lieu de l'apparition d'un avatar de ton démon. Mais il n'était pas dans sa forme complète et il a fini par être banni de ce monde ».
« Je vois que la connaissance de ma présence a traversé les âges ! » répondit Nyarlathotep avec de l'assurance, comme fier. « Fais que cet humain inférieur soit le grand prêtre de mon culte ! »
Qu'est-ce que j'avais dit. Plus le temps passait et plus Nyarlathotep devenait prévisible et supportable, autant qu'une voix étrangère criant dans ma tête puisse l'être.
Je pris une gorgée de bière en réfléchissant à ce que j'allais répondre, mais Kévin fut plus rapide.
« S'il a déjà été banni auparavant, ça veut dire que tu sais comment faire pour qu'il s'en aille ? » demanda-t-il à Simon, des étoiles plein les yeux.
Celui-ci le regarda avec un petit sourire en coin. « Moi non » lâcha-t-il après quelques secondes, « Mais j'ai une amie médium qui saura sûrement. C'est elle qui m'a dit de vous contacter, pour voir si vous étiez vraiment possédés par le Chaos Rampant ».
Cette révélation nous surprit tous les deux, Kévin et moi. Même si ce Simon avait l'air de n'en connaître qu'un minimum sur le sujet, l'idée qu'il connaisse une personne pouvant m'aider à me débarrasser définitivement de mon problème était une perspective très envoûtante. Néanmoins, le fait que cette personne soit aussi sûrement une déglingo ne m'enchantait clairement pas : j'en avais marre des gens bizarres, et je regrettais presque de ne pas avoir écouté ma mère quand je lui avais annoncé vouloir parcourir la France avec Kévin.
Et alors que j'allais poser plus de questions au complotiste, celui-ci se mit à fouiller dans son sac; et finit par en sortir un objet carré entouré de papier d'aluminium.
« Encore une preuve sur une de tes vérités délirantes ? » lui demandai-je, encore un peu énervé par son mépris de tout à l'heure.
« Non, je vérifie juste que vous racontez pas de conneries ! » me répondit-il sans prêter attention à ma provocation.
Et alors qu'il posait le boitier sur la table, il appuya dessus, sans rien provoquer de la part de celui-ci. Il réessaya une nouvelle fois, puis deux, sans plus de succès, et finit par donner un coup de poing dessus. Cette fois, l'objet parut mieux fonctionner, car il se mit à émettre un bruit blanc qui fit sourire Simon.
« On dirait la radio de ma voiture » remarqua Kévin, qui avait suivi la scène avec le même regard qu'un enfant regardant un spectacle de magie.
« Presque ! » dit le complotiste, visiblement fier de lui-même. « C'est une radio qui change de fréquence en boucle mais qui ne reçoit pas d'ondes extérieures. »
Une spirit-box. Il avait amené une putain de spirit-box faite maison pour dialoguer avec Nyarlathotep. Il allait pas être déçu.
« HUMAIN ! » cria le démon au travers de la radio, faisant sursauter mon pote, le complotiste et le serveur qui passait par là avec un plateau rempli de boissons, lesquelles finirent au sol dans un fracas de verre et de plastique. « SOIS MON DISCIPLE, ET TU DÉCOUVRIRAS DES VÉRITÉS SUR CE MONDE QUE TU NE SOUPÇONNES MÊME PAS ! ».
Visiblement gêné par la situation, Simon répondit qu'il en savait déjà assez sur le monde et appuya sur la radio, qui ne s'éteignit pas. Cette réaction fît redoubler d'efforts Nyarlathotep, qui ne voulait pas laisser échapper sa chance d'obtenir un disciple « digne de ce nom ». Hurlant de plus belle au travers de la radio que notre ami complotiste essayait maintenant d'éteindre en la frappant, le démon se mettait à le menacer de faire de ses amis et de sa famille ses esclaves personnels s'il continuait à refuser son offre. Et comme si la situation ne se suffisait pas à elle-même, un homme arriva en direction de notre table en criant qu'il était le gérant du café et qu'il allait appeler la police si nous n'éteignions pas notre radio dans la minute qui suivait.
Dans la panique, Simon arracha le papier d'aluminium de l'objet, qui se mit instantanément à jouer de la musique puis à parler de la météo, du trafic routier sur la A1 et d'une émission sur NRJ. Et alors que le serveur et les clients des tables à côté rejoignaient le gérant pour se plaindre de la situation, le pauvre Platisto-Galiléo jeta sa radio au sol par désespoir, non pas sans entraîner dans son geste son verre de café qui déversa le restant de son contenu sur les précieuses photos servant de preuves à tout ce qu'il nous avait raconté jusqu'à maintenant. En touchant le sol, la radio éclata, tout comme la tasse et le respect que portait Kévin au complotiste.
Alors que tout était enfin fini et que le silence revenait, nous entendîmes tous les trois le gérant du café s'adresser au serveur.
« Putain cette fois, j'appelle la police. »
Texte de Daemoniack
Toujours aussi sympa.
RépondreSupprimerJ'adore ce démon !
RépondreSupprimerNyarlathotep n’est pas un démon bas de gamme c’est le Chaos rampant, Lucifer! Il mérite plus de considération
Supprimer