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Jadugora




Temps approximatif de lecture : 6 minutes

« Dev, dépêche-toi ! » me hurla mon frère, Vikram.

Je me précipitai à sa suite, peu enclin à rester une minute de plus dans ces souterrains sombres et tortueux. Il me colla une claque sur le crâne, comme pour me dire d’accélérer la cadence, et ensemble, nous émergeâmes de la mine, dégoulinants de sueur. Le soleil se couchait à peine et les derniers rayons éclairaient la mine d’uranium de Jadugora. Ça faisait trois ans que j’avais rejoint ma famille dans l’exploitation. Le boulot était difficile, mais nous avions besoin d’argent pour les études de l’aîné, Krishna. J’aurais aimé faire des études, je crois. Tout semblait mieux que de creuser jour après jour, de plus en plus profondément. Mais je n’étais pas aussi intelligent que Krishna. Et puis, une fois qu’il serait ingénieur, il pourrait nous aider et je n’aurais peut-être plus à travailler. Je me forçai à me tirer de mes pensées. Ça ne servait à rien de ressasser tout ça ; ce n’était pas ça qui changerait la situation. 

D’autres mineurs nous rejoignirent pendant que nous nous dirigions vers la ville avoisinante. Pas le moindre souffle de vent ne venait déranger l’atmosphère lourde et moite qui nous pesait sur les épaules. Quelqu’un alluma une petite radio et la voix monotone d’une journaliste se fit entendre.

« … à Agra. Le Premier ministre s’arrêtera ensuite à Kolkata pour discuter des relations avec l’Angleterre. International : en Namibie, plusieurs dizaines de personnes ont été attaquées dans les villes d’Aravis et de Swakopmund. On dénombre treize morts et trente-sept blessés graves. Les témoignages des victimes laissent penser qu’il s’agirait de plusieurs animaux particulièrement agressifs. L’investigation est en cours. Le gouvernement namibien incite ses citoyens à faire particulièrement attention à la tombée de la nuit et de rester chez eux autant que possible… »

Prakash, un homme trapu toujours à lire les journaux, s’exclama subitement d’une voix tremblante :

« Vous savez ce qu’il y a à côté hein ? La mine d’uranium ! C’est comme…
– Tais-toi, lui intima sèchement mon frère, arrête de raconter n’importe quoi. »

Une ambiance pesante s’abattit sur le groupe pendant que les nouvelles continuaient à découler du poste de radio. Je savais que tout le monde pensait à la même chose. Des cadavres de vaches sacrées avaient été retrouvés, plusieurs poules avaient été mangées, et nous avions même retrouvé des chiens errants éventrés aux alentours. Mais ce n’était sûrement qu’une coïncidence, n’est-ce pas ? Et Prakash était connu pour ses idées farfelues. La rumeur disait qu’il voulait absolument vivre une grande aventure, malgré sa couardise évidente.

Nous nous séparâmes à l’entrée du village, en silence. Nous fîmes les derniers mètres qui nous séparaient de notre maison. Notre mère avait préparé le dîner et nous envoya nous laver avant de passer à table. L’eau glacée me fit du bien après une énième journée à creuser dans une chaleur de plomb. Je m’installai dans la salle à manger avec un soupir de soulagement. L’unique néon éclairait la pièce d’une lumière blafarde légèrement tremblotante. Le ventilateur tournait paresseusement au plafond, créant un léger courant d’air chargé des effluves des épices qui flottaient dans la cuisine. Nous mangeâmes avidement les dosas accompagnés d’un dall et d’un curry de pois chiches.

« Krishna a téléphoné, aujourd’hui, il est très inquiet pour nous. » dit soudainement Amma.

Abba acquiesça en silence et finit tranquillement de saucer son assiette avant de se lever pour aller fumer une cigarette. Mon frère et moi nous levâmes de table tandis que ma petite sœur aidait ma mère à débarrasser et à laver la vaisselle. La phrase d’Amma m’avait troublé : pourquoi Khrishna s’inquièterait pour nous ? Après tout, rien n’avait changé récemment… n’est-ce pas ?

Les jours suivants s’écoulèrent comme à l’accoutumée. J’aidais à la creuse de nouveaux tunnels pendant qu’Abba et Vikram s’attelaient à l’extraction du minerai. Des compteurs Geiger parsemaient les tunnels et des ventilateurs fonctionnaient 24 heures sur 24, soi-disant pour nous éviter d’inhaler du gaz et des poussières radioactives. Mais tout le monde savait que ce n’était que de la poudre aux yeux. Plein d’anciens travailleurs avaient attrapé des cancers et des gros problèmes aux poumons. Certains avaient même des trucs à la vessie à cause de ce travail. À tel point que les plus âgés, ceux qui étaient là depuis vingt à trente ans, prenaient de plus en plus de risques : c’était toujours moins douloureux de mourir d’un accident dans la mine que d’un cancer.

Un soir, alors que la mine vomissait comme d’habitude des dizaines de mineurs, Prakash me fit signe de m’approcher. J’allai prudemment vers lui, en jetant des regards tout autour, mais personne ne semblait faire attention à moi.

« Tu me crois, toi, hein, Dev ? murmura-t-il quand je fus suffisamment près. Il se passe des trucs bizarres ici, et dans toutes les mines d’uranium du monde. Regarde ce que j’ai trouvé. »

Il sortit une page de journal complètement froissée et s’appliqua à lire un article, syllabe par syllabe. Ce qu’il épela me glaça d’effroi. Des attaques similaires à celle en Namibie avaient été rapportées au Canada et en Russie.

« Et écoute, l’Ouzbékistan est en train de fermer une de ses mines parce qu’elle serait à sec, mais moi je sais, je sais que c’est à cause des monstres ! Tu me crois, hein, toi, petit, tu n’es pas idiot, pas comme les autres. Tu sais qu’ils sont là, ici aussi, tu les as entendus dans la nuit, pas vrai, hein, tu sais… »

La mine exaltée de Prakash, les postillons pendant qu’il s’emballait, la lueur de folie dans ses yeux… il m’effrayait, si bien que je m’enfuis en courant. Ce n’était qu’un mensonge, des divagations d’un fou, rien de plus. Ça ne pouvait pas arriver. Pas ici. Et les compteurs Geiger qui s’emballaient ponctuellement et qui revenaient à leur état de base, c’était juste parce qu’il y avait parfois plus de radioactivité, voilà, ça pouvait arriver.

J’avais beau essayer d’oublier tout ça, les paroles de Prakash me restaient en tête. Je me décidai finalement à appeler Krishna. Il en saurait sûrement plus. Il fut ravi de recevoir mon coup de fil. Après avoir longuement discuté, je lui parlai de mes inquiétudes. Il resta silencieux un long moment avant de répondre.

« Écoute, Dev, je ne sais pas vraiment ce qu’il se passe. Mais il arrive des choses bizarres autour des mines. L’État essaie d’étouffer l’affaire. Sois prudent surtout. Garde une arme sur toi. Je dois y aller. »

Et il raccrocha. Cet appel m’avait terrorisé. Alors, ce n’était pas juste les élucubrations d’un vieux complotiste. C’était réel. Il y avait bien quelque chose qui se passait. Je ne savais pas quoi faire. Mon cœur se serra d’angoisse : ces créatures étaient peut-être déjà là, en train de rôder autour du village, de la maison.

Je décidai d’en parler avec mes parents au dîner. J’aurais mieux fait de me taire. Abba me noya sous les invectives avant de me ficher une claque monumentale suivie par les cris d’Amma et une autre baffe de la part de mon frère. La seule personne qui ne m’injuria pas était ma petite sœur. Avant d’aller me coucher, je fis un détour par son lit pour lui dire de faire très attention à elle et de ne pas sortir la nuit tombée.

La vie suivait son cours. Je ne m’approchais plus de Prakash, ma famille surveillant mes moindres faits et gestes. Je ne tenais pas vraiment à me reprendre une autre rouste. Mais j’entendais des bribes de conversations, à droite, à gauche, des éclats de voix provenant de la radio, et toujours les mêmes nouvelles. Une mort suspecte par-là, du bétail décimé par là-bas, des témoignages inquiétants… Je pris l’habitude de toujours garder un couteau sur moi, mais je ne me leurrais pas : que pourrait un petit gringalet comme moi contre ces créatures des ténèbres ? Mon esprit les imaginait comme de grosses ombres pleines de griffes qui surgiraient dans la nuit. J’en faisais des cauchemars.

Un matin, une foule de mineurs énervés était réunie à l’entrée de la mine. Pourquoi personne n’entrait ? En nous rapprochant, nous fîmes une découverte macabre : de nombreux cadavres d’animaux jonchaient l’entrée du tunnel principal. Est-ce que quelqu’un nous faisait une mauvaise blague ? Je croisai le regard de Prakash, il était livide. Je me mis à trembler. Ils étaient là. Nous allions bientôt mourir.

J’eus énormément de mal à me concentrer sur mon travail ce jour-là. Je m’attendais à ce qu’ils surgissent à tout moment. Le moindre bruit, le moindre souffle me faisait sursauter. Les gouttes de sueur coulaient sur mon front : chaleur ou stress ? Qui sait ? Je n’avais recommencé à respirer qu’en sortant de la mine, le poing serré sur le manche de mon couteau. Je guettais les ombres sur le chemin du retour, il me semblait que nous étions suivis, j’entendais quelque chose respirer juste derrière mon épaule. Mais j’avais beau regarder aux alentours, je ne voyais rien.

Enfin de retour chez moi, je m’autorisai à me détendre. Rien ne m’atteindrait ici.

« Dev, où est ta gamelle ? s’écria Amma.

– Je… je l’ai oubliée à la mine, je suis dés… murmurai-je alors qu’une gifle me coupa le souffle.

– Espèce de petit idiot ! Tu t’es cru riche ? Va la chercher tout de suite !

– Amma, ce n’est pas grave, on peut lui donner à manger dans un tupperware pour demain… dit ma sœur.

– Tais-toi Anjali ! Tu veux aller la chercher à sa place ? »

Je sortis de la maison, frottant ma joue endolorie, tremblant de peur. C’était la pleine lune, le chemin était éclairé. Je me mis rapidement en marche, mon couteau à la main. J’arrivai devant l’entrée de la mine, l’ouverture sombre semblait me fixer. Par habitude, j’accrochai un compteur Geiger à mes vêtements et j’empoignai ma pioche. L’obscurité m’avala. J’avançais à tâtons, le temps que mes yeux s’habituent. Tous mes sens étaient aux aguets. Je m’attendais au pire à chaque pas. Le bip régulier du compteur ne faisait qu’en rajouter à ma terreur. Les ombres semblaient se mouvoir autour de moi.

Quelque chose n’allait pas. Il me fallut quelques secondes pour réaliser : il y avait un tunnel qui n’existait pas ce matin. Je savais de quoi je parlais, une de mes missions était de garder la carte des tunnels à jour. J’avais cartographié cette zone ce matin même. Qu’est-ce qui se passait encore ? Je m’aventurai dedans, en tâtonnant les murs. Le travail était brouillon, grossier. Tout cela n'avait aucun sens.

Je ressortis de ce nouveau tunnel et finis par arriver à l’endroit où j’avais pris ma pause déjeuner. Je ramassai ma gamelle et la mis dans mon sac. Il ne restait plus qu’à rentrer. Le chemin du retour était plus simple.

Bip… Bip… Bip. Bip. Bip. Bipbipbipbip.

Je m’arrêtai aussitôt. Les bips se faisaient de plus en plus rapides. Je n’osais plus respirer. J’entendis soudain un grognement inhumain derrière moi. J’étais tétanisé. Je n’arrivais ni à avancer ni à tourner la tête pour voir ce qu’il y avait derrière moi. Des gouttes de sueur froide coulaient dans mon dos.

Un autre grognement.

Bipbipbipbip. Biiiiiip.

Le bip continu me tira brusquement de ma paralysie et je me mis à courir vers la sortie. Je crois que je n’ai jamais couru aussi vite de ma vie. Je ne jetai pas le moindre regard derrière moi. Je n’avais qu’une idée fixe en tête : quitter les lieux. Je slalomais entre les entrées des tunnels et les monts de roche et de terre sans ralentir. J’entendis de lourds sons de course derrière moi, avec des grondements humides. Je puisai dans mes dernières forces pour accélérer.

Je dus le distancer d’une manière ou d’une autre, car je ne l’entendais plus à mesure que je me rapprochais de chez moi. Je déboulai dans l’entrée en sueur, à bout de souffle, tenant encore la pioche à la main, devant le regard surpris de mes parents.

« Qu’est-ce qui se passe ? Pourquoi tu as couru comme ça ? me demanda Abba.

– … monstre… parvins-je à peine à éructer.

– Quoi ? Qu’est-ce que tu baragouines encore ? T’as plus l’âge d’avoir peur du noir ! s’exclama Amma. Heureusement que ta sœur est moins craintive que toi.

– … Comment… ça… ?

– Elle est allée chercher de l’eau au puits du village, pour que tu puisses te laver à ton retour. »

Mon sang se glaça dans mes veines. Pas ma petite sœur. Pas elle. Je me précipitai hors de la maison et me mis à courir vers la source commune d’eau en hurlant le nom de ma sœur. Un cri d’effroi me répondit. J’accélérai autant que je le pouvais, ma pioche en main. Faites qu’il ne soit pas trop tard, faites qu’il ne soit pas trop tard, faites qu’elle n’ait vu qu’une souris, faites qu’elle aille bien…

Trop tard.

Elle s’était effondrée sur le sol. Les rayons de lune éclairaient son expression terrifiée et son regard vide. Un coup de griffe avait crevé un de ses yeux et lui avait arraché la moitié de la joue. Son bras était lié dans un angle anormal. Du sang imbibait son sari clair.

Et une immense créature mâchonnait ses intestins, le museau fourré dans son ventre. Sa fourrure semblait étrangement phosphorescente.

Je ne me rendis compte que j’hurlais que quand elle tourna son regard rougeoyant vers moi. Du sang coulait de sa gueule aux dents pointues et tranchantes. Je poussai un nouveau cri de rage, de colère, envers la créature, envers tous ceux qui ne m’avaient cru, envers l’injustice, avant de foncer sur la bête.

Le monstre rugit, son haleine fétide m’enveloppant à mon approche. Je frappai à l’aveugle avec ma pioche. J’entendis soudain un coup de feu. Dans un gémissement de douleur, la créature prit la fuite, non sans me donner un dernier coup de griffe qui m’ouvrit le torse. Je perdis connaissance alors que les voisins approchaient avec des torches et des fusils.

Ma sœur fut incinérée le lendemain.

Les ouvriers refusèrent de retourner travailler. L’État fut obligé d’envoyer l’armée. Le bataillon de soldats qui s’était aventuré dans le tunnel que j’avais découvert ne revint jamais à la surface. Elle finit par être fermée, l’ensemble de la mine fut dynamité de sorte qu’il n’en restât plus rien. Pas la moindre entrée. Ou sortie.

Mon frère m’appela quelques jours plus tard. Il s’agirait d’animaux – d’ours plus précisément – qui auraient muté du fait de la radioactivité. Enfin, officiellement. Je les avais vus. Je savais que ça n’était pas ça. Ça ne pouvait pas être ça. Des ours ne venaient pas à bout de soldats armés jusqu’aux dents. Des ours ne forçaient pas à combler toutes les mines d’uranium du monde. Des ours ne pouvaient pas murmurer dans la nuit : « Nous reviendrons. »

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3 commentaires:

  1. Les ours de frères des ours ils peuvent le murmurer, eux

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  2. J'ai bien aimé, c'est exotique

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  3. La dernière phrase est inutile, seul bémol du texte. Bon le fait d'envoyer une petite fille dehors, le soir, en Inde déjà de base c'est une assez mauvaise idée mais en plus quand des animaux mutants se baladent dans le coin, c'est carrément un meurtre avec préméditation. Sinon à part ça l'histoire en elle même n'est pas mauvaise mais pas terrible, la seule chose qui change est le coté "exotique" comme le dit si bien l'Anonyme du 1er novembre

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