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Nouveau départ, partie 1


Temps de lecture : 9 minutes

Jarod regarde sa montre pour la dixième fois en moins d’une minute. Il est neuf heures vingt-trois. Le soleil levant aurait dû l’éblouir depuis un petit moment, mais il est caché derrière les grandes tours-usines de la nouvelle zone industrielle. Bien qu’il ait conscience que ce sera la dernière fois qu’il verra les rayons du soleil, son étoile natale, il ne ressent aucune mélancolie. En réalité, il ne ressent rien. Il y a bien longtemps que tout ce qui le retenait sur Terre s’était envolé. Aujourd’hui, premier jour de l’hiver, Jarod s’en va. Il regarde à nouveau sa montre, puis l’écran d’affichage au-dessus de sa tête. Des pixels monochromes s’agitent pour former le mot « EN RETARD ». De temps en temps, l’écran grésille puis revient à la normale. Jarod s’amuse à imaginer des rats grignoter les câbles dans le faux plafond.

Devant lui, des centaines de gens vont et viennent. Une masse grise, un flot d’âmes insignifiantes au teint pâle. L’espace d’un instant, Jarod éprouve du mépris à leur égard. La vie pour eux, ne sera jamais qu’une succession de déconvenues, de choix par dépit, ponctués çà et là par de petites victoires, comme une augmentation ou l’achat d’une nouvelle voiture. Et aucun d’eux ne laissera de trace dans l’Histoire. Jarod n’est pas de ceux-là.

Une voix robotique grésille dans le haut-parleur du hall. Elle annonce l’atterrissage prochain d’un vaisseau de réfugiés en provenance des colonies. La guerre qui se prépare menace beaucoup de monde, mais personne ne la redoute autant que les mondes-frontières. Si la situation dégénère, ils seront en première ligne contre les extra-terrestres. Jarod ne s’en soucie guère. Il ne part pas dans ce coin-là. Le monde qui l’attend est une colonie récente, où tout reste à faire. Colonia Augusta. Là-bas, il trouvera sa place. À travers la vitre colossale qui perce le mur de béton du terminal, Jarod observe des vaisseaux venant de toutes les colonies se poser sur le tarmac : des transporteurs de minerais venant de Siitov-1, avec leur apparence froide et anguleuse, aux cargos usés et poussiéreux de Delta, véritables reliques volantes. Un homme au sol, minuscule au milieu des géants qui volent au-dessus de lui, dirige ce ballet d’atterrissages et de départs. Son expression dépitée trahit une forte envie d’être ailleurs. Jarod sourit. Il lui rappelle quelqu’un.

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« Vous êtes bien sûr de votre choix ? »

L’employé administratif ouvrait sur Jarod des yeux surpris qui, d’une certaine façon, brisaient l’air dépité qu’il arborait depuis le début du rendez-vous. Jarod l’avait détesté au premier regard. Avant même lui avoir dit bonjour, il avait ressenti cette nonchalance qui émanait de l’homme. Il était grand et fin, il aurait presque pu passer pour élégant si sa peau et sa coiffure n’avaient pas tant été négligées. Son visage, aussi fin que sa silhouette, brillait légèrement et son nez était constellé de minuscules peaux mortes. Des rougeurs colonisaient peu à peu l’extérieur de ses narines.

« Monsieur ? »

Jarod fut tiré de sa contemplation et croisa le regard de l’employé, toujours aussi surpris.

« Excusez-moi, répondit Jarod, je suis un peu fatigué. Mais j’ai bien réfléchi et oui, j’ai opté pour Colonia Augusta.

– Bon, souffla l’employé de bureau, si c’est votre choix alors… »

L’homme saisit le dossier qu’il avait disposé devant lui et ouvrit une boîte où se trouvaient des tampons. Hormis le dossier et la boîte, il n’y avait rien d’autre sur le bureau. Jarod remarqua que l’entièreté de la pièce avait été réduite au strict nécessaire. Un bureau, deux chaises et un classeur à tiroirs. L’employé laissa échapper un juron en faisant tomber une feuille volante.

« C’est certain, pesta-t-il, ce serait plus simple si j’avais encore mon ordinateur. Les bureaux déménagent, on part s’installer en centre-ville. C’est pas plus mal, au moins là-bas je pourrai me faire livrer à manger au bureau. Les ouvriers ont déjà embarqué la quasi-totalité des ordinateurs et des meubles de l’étage. Et je ne vous cache pas que j’aimerais déguerpir avant dix-huit heures. Si la patronne me voit dans les parages passée cette heure-là, elle va me réquisitionner pour aider, ce serait pas la première fois. Et il est hors de question que je me casse le dos pour elle, ça non. »

Il tassa les feuilles à l’intérieur du dossier et se rassit lourdement sur son fauteuil. Il souffla fort, comme si ce petit effort l’avait épuisé. Il semblait porter tout le poids du monde sur ses épaules et Jarod le haït encore plus. L’homme sortit un stylo de la poche de sa chemise d’où pendait un badge indiquant : « J. Ross – Volontariat Colonies », et s’adressa de nouveau à Jarod.

« Du coup, reprit-il, si vous le voulez bien on va tâcher de faire vite. Alors, nom et prénom s’il vous plaît.

– Goreb Bolçak, annonça Jarod sans sourciller.

– Euh… Goreb c’est…

– Mon prénom. » termina Jarod.

Ross haussa les sourcils et prit note sur sa fiche. Instinctivement, Jarod cacha ses mains sous la table et les frotta énergiquement. Il les enfonça finalement profondément dans ses poches.

« Bien, reprit Ross, pourquoi vous voulez aller là-haut, sur Augusta ? Pas besoin de rentrer dans les détails. Si vous me dites que c’est pour l’aventure, la liberté ou une connerie comme ça, ça passera tout comme.

– Eh bien…, réfléchit Jarod. L’aventure ?

– Parfait, un aventurier donc. Des qualifications quelconques ? Bucheron, ingénieur, architecte ?

– Je suis maçon de formation. J’ai notamment travaillé sur le chantier du pont Gigas, entre la Floride et Cuba. Je sais aussi abattre murs et planchers. J’ai également une formation de couvreur. Les toits sont pl…

– C’est suffisant, le coupa subitement Ross. Je n’y connais rien en bâtiment alors pour moi, vous êtes un expert. Maçon donc. Je note. »

Jarod sortit ses mains de ses poches et se les frotta à nouveau sans y prêter attention. Il était pourtant soulagé d’avoir été ainsi coupé par l’employé de bureau. Il était allé chercher au fond de son cerveau, dans des tiroirs poussiéreux, le peu de vocabulaire ayant trait au bâtiment qu’il avait glané au cours de nuits blanches devant les chaînes de découverte. Il se serait retrouvé embêté si on l’avait questionné plus avant sur sa connaissance de la construction.

« Taille ? demanda l’employé sans même lever les yeux de son dossier.

– Un mètre soixante-dix-huit, répondit Jarod.

– Poids ?

– Quatre-vingt-deux. »

Ross jeta un coup d’œil furtif à Jarod, étonné. Le jeune homme, plutôt trapu, donnait toujours cette impression d’être plus lourd qu’il ne l’était. Ross regarda sa montre et soupira.

« Bon, souffla-t-il, c’est le moment où je dois vous faire le topo concernant la colonie, votre statut une fois là-bas, etc. Mais vous avez déjà dû lire tout ça dans la brochure alors je vais vous l’épargner.

– Je ne m’en souviens pas bien, mentit Jarod, affichant un sourire en coin. Certaines choses m’ont… échappé.

– Bien, cracha sèchement l’employé de bureau, visiblement irrité. Je dois m’assurer que vous sachiez bien où vous mettez les pieds. Tout d’abord, vous devez savoir qu’une colonie récente offre certes l’aventure et la liberté, mais elle apporte aussi une certaine précarité qui est à prendre en compte dans votre choix. En général, les volontaires à la colonisation de votre âge choisissent des planètes aux colonies déjà bien implantées, avec un réseau de communication solide et des infrastructures déjà présentes sur place. Augusta, c’est autre chose. C’est une planète dont la colonisation n’a réellement commencé qu’il y a cinquante ans. C’est-à-dire : pas de grandes villes, un relais de communication longue distance encore à construire, et très peu de distractions. »

Ross marqua une pause et observa Jarod. Le jeune homme sourit.

« Vous ne serez cependant pas complètement coupé de la Terre, continua machinalement l’employé de bureau. Des vaisseaux de provisions passent tous les deux ou trois ans selon leur provenance. La colonie n’est pas encore assez développée pour subvenir d’elle-même à ses besoins sur le long terme, mais c’est l’objectif des dix prochaines années. Des inspecteurs coloniaux passent tous les cinq ans pour s’assurer que la colonie est en bonne voie, si elle est viable. C’est-à-dire qu’on ne voudrait pas se retrouver avec une nouvelle Sertoria sur les bras où un gouverneur mégalomane a fait sécession avec la Terre. Ça ferait mauvais genre. »

Jarod se souvint des flashs d’information qui avaient suivi l’affaire à la télévision. Les Forces de la Sécurité Coloniale avaient résolu le problème dans un bain de sang. Jarod se frotta énergiquement les mains.

« Augusta est gérée par Blazmir Colonials, reprit Ross d’une voix presque robotique. En vous engageant là-bas en tant que colon, vous devenez également employé de cette société et elle devient responsable de vous. Des inspecteurs privés rattachés à Blazmir Colonials passent parfois à l’improviste et ceux-là sont de véritables fouines. Le reste du temps, vous serez une poignée de colons, livrés à eux-mêmes à des milliards de kilomètres de leur planète natale. »

Ross avait volontairement donné à sa voix un ton grave, presque théâtral. Attendant visiblement une réaction de la part de Jarod, il fut déçu lorsque ce dernier se contenta de hocher la tête en enfournant ses mains dans ses poches.

« Bien que je ne comprenne pas ce qui pousse les gens à quitter leur planète pour s’isoler dans un coin aussi perdu, dit Ross à voix basse, j’ai beaucoup de respect pour vous, monsieur Bolçak. »

C’était faux. Tout dans son comportement trahissait le contraire. Son rictus moqueur, son air subitement hautain. Il éprouvait visiblement du mépris pour ces hommes et femmes qui se jetaient, selon lui, eux-mêmes dans la gueule du loup. Il empoigna son tampon et l’approcha du bas de la fiche préalablement remplie par ses soins. Son geste s’arrêta soudain. Ross leva les yeux et jeta un regard plein de malice à Jarod, pensant sûrement lui donner une dernière chance, celle de faire machine arrière. Il se sentait puissant, tel un dieu qui dans sa main posséderait le pouvoir d’autoriser ou non une âme à accéder au paradis. Jarod hocha la tête et sourit. Le bruit sec du tampon le fit presque sursauter. C’était fait.

Jarod et Ross s’apprêtaient à se saluer lorsqu’une femme fit irruption dans le bureau, défonçant presque la porte.

« Ross ! s’exclama-t-elle à bout de souffle. Vous êtes encore là, par miracle. J’ai besoin que les bureaux de l’aile ouest dégagent avant demain matin. Il manque un ouvrier, vous le remplacerez quand vous aurez fini avec ce monsieur. »

Ne laissant pas à son employé la possibilité de répondre, elle tourna les talons et disparut dans un couloir. Jarod tendit la main à Ross, tout sourire. L’homme se contenta d’un salut de la tête et laissa la main du jeune homme suspendue dans le vide.

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