Barry pouvait sentir le pus s'échapper de ses orbites. Le liquide visqueux et verdâtre gouttait à une vitesse terriblement lente depuis le coin de sa paupière, glissant sur le côté de son nez, et finissait par rejoindre sa lèvre supérieure en un agglomérat immonde. L'odeur était horrible. Mais il avait l'habitude. C'était toujours le cas.
Il se serait bien essuyé, mais ses bras étaient sanglés au lit. A présent, cela faisait presque trois jours qu'il était dans celui-ci, pourrissant dans ce pyjama élimé qu'il portait depuis un laps de temps équivalent. Les rayures jadis bleues du tissu étaient maintenant effacées par les tâches de fluides corporels.
Barry avait été un homme très actif. Il aimait le VTT et la course à pied. Sa vie avait été faite de jours et de nuits bien remplis. L'approvisionnement financier illimité fourni par ses parents lui permettait de faire absolument tout ce qu'il voulait. Même épouser une strip-teaseuse dont il était tombé fou amoureux.
Mais à présent, il était réduit à cette position, limité aux quelques centimètres de lit sur lesquels il pouvait bouger. De toutes façons, ses muscles étaient désormais si atrophiés qu'il pouvait à peine soulever sa tête. Des escarres recouvraient sa peau flétrie. Chaque jour qu'il avait passé dans ce lit, il avait combattu son ennui du mieux qu'il avait pu. Il avait compté tous les carreaux du plafond plus d'une centaine de fois. Il connaissait par cœur la course du soleil et de la lune. Il dormait autant que possible, mais la douleur le gardait éveillé la plupart du temps.
Monica venait voir comment il allait autant qu'elle le pouvait. C'était une femme timide dans la quarantaine. Elle avait beaucoup de mal à regarder Barry dans les yeux. Elle nettoyait ses plaies avec de l'alcool à frictionner, chuchotant des excuses. Ce n'était pas une infirmière, mais elle s'était habituée au sang. Barry la suppliait souvent d'appeler la police. Il lui aurait offert de l'argent en échange, plus d'argent qu'elle n'en avait jamais rêvé.
Mais elle n'avait jamais accepté son offre. Au fond de lui, Barry comprenait qu'il n'y avait aucune chance qu'elle le fasse. Depuis ces trois jours, il avait à peine vu Jared, son mari. Mais parfois, il pouvait l'entendre dans l'autre pièce. Elle aimait s'asseoir sur les genoux de Jared, riant de façon indécente. Monica ne pleurait plus. Mais Jared si, parfois.
Il étaient tous les deux présents à son mariage, il y a si longtemps. Monica avait travaillé pour lui pendant des années. Mais elle était plus une amie qu'une simple femme de ménage. Barry s'était donc assuré de l'inviter elle, mais aussi son mari et ses enfants. Monica avait semblé beaucoup apprécier l'invitation, même si elle semblait émettre quelques réserves quant à la future femme de Barry.
Mais Monica n'était pas encore venue lui rendre visite aujourd'hui. A en juger par la position du soleil, Barry devina qu'il était à peu près onze heures du matin. Il devait attendre qu'Elle se lève avant que qui que ce soit ne vienne l'aider. Le pus continuait de goutter lentement, et il en tomba un peu sur sa lèvre inférieure. Il avait envie de vomir, mais n'avait plus rien dans le corps.
Soudain, Elle apparut dans l'encadrement de la porte. S'il avait pu bouger, il aurait fait un bond en arrière. Au cours des derniers mois, Elle s'était transformée en quelque chose de terrifiant. Sa voix était devenue étrangement aiguë. Sa poitrine autrefois si généreuse était maintenant complètement plate. Elle se promenait souvent dans la maison en chantonnant, ne portant rien d'autre que des sous-vêtements Disney.
Aujourd'hui, Elle était coiffée de deux tresses qui encadraient son visage. Elle portait un costume de Mickey Mouse qu'elle avait dû trouver dans un magasin de déguisements. La tenue était beaucoup trop petite pour elle, mais elle s'était débrouillée pour rentrer dedans. Elle se débrouillait toujours. Barry resta muet, de peur d'être obligé de sentir le goût de la bile qui recouvrait à présent ses lèvres.
"Barry", railla t-elle de sa voix haut perchée. "Tu veux jouer avec moi ?"
Barry ferma les yeux. Il essaya de se La remémorer le jour de leur mariage. Elle était si belle dans sa robe. Certes, il avait trouvé un peu étrange que ce soit une réplique exacte de la robe de Cendrillon. Mais il l'aimait tellement qu'il était prêt à lui donner tout ce qu'elle voulait. Ils avaient mangé des hot-dogs et des cupcakes pendant la réception. Le DJ passait du Kidz Bop. Les invités n'avaient rien dit de négatif. Ils arboraient juste des sourires forcés. Même ses parents étaient trop nerveux pour critiquer quoi que ce soit.
"Barry! Est-ce que tu m'ignores ?" Sa voix était si forte. C'était douloureux à entendre. Mais Barry refusa d'ouvrir les yeux.
Il essaya de se souvenir d'Elle le jour de leur rencontre, au club de strip-tease. Elle se faisait appeler "Dolly". Elle jouait le rôle d'une petite fille, et ça lui rapportait pas mal d'argent. Les hommes aimaient bien ses joues roses, ses couettes et son énorme poitrine. Mais Barry avait vu au-delà de ça. Il avait vu son regard, beau et innocent. Il avait payé 900$ pour une danse privée. Ils avaient passé tout ce temps à discuter. Elle lui avait expliqué comment ses parents étaient morts dans un horrible accident de voiture et qu'elle avait dû se déshabiller pour vivre depuis lors. Elle avait commencé à danser quand elle avait onze ans. Barry lui avait dit qu'il se sentait seul et qu'il voulait vraiment se poser. Elle s'était assise sur ses genoux comme une enfant. Il pouvait se rappeler précisément de ce qu'elle lui avait dit. "Tu n'es pas comme les autres."
"Barry !"
Il fut arraché à ses souvenirs par une vive douleur qui lui déchira le cou. Il poussa un cri, réalisant qu'Elle venait de lui tailler une profonde entaille dans la gorge. Aussitôt, le pus entra dans sa bouche, et il se mit à crachoter. Elle se tenait au dessus de lui, tenant une paire de ciseaux de sécurité. Du sang avait éclaboussé son visage.
"C'est l'heure de s'amuser, petit frère." Elle brandit à nouveau les ciseaux, et entreprit de dessiner un quadrillage aux lignes écarlates dans son cou. "Morpion."
Barry essaya de crier, mais le sang se répandait dans sa gorge, et il ne put émettre qu'un gargouillement. L'hémoglobine se répandit sur son torse, teintant sa peau d'un rouge crémeux.
Elle se mit à rire, jusqu'à ce qu'une expression différente traverse son visage. Elle émit un petit "Merde."
Barry sentit qu'il perdait conscience. Il crut l'entendre appeler "Maman et Papa", et entendit Monica et Jared arriver en courant. Il perçut du mouvement. Puis Barry s'évanouit.
...
"Il ne doit pas mourir."
Barry reprit conscience. Il entendit la voix de Rebecca, qui semblait s'exprimer sévèrement. Il y avait des gens près de lui. Il ouvrit son œil valide, mais sa vision était floue. Il ne distingua qu'une vague foule de visages flottant au-dessus de lui.
Puis il réalisa qu'il n'était plus attaché. Une vague de soulagement l'envahit alors. Il essaya de lever le bras droit et, au prix de beaucoup d'efforts, réussit à toucher son visage. Son œil ne lui faisait plus mal. Il aurait même pu rire. Mais les gens autour de lui avaient remarqué qu'il bougeait.
"Est-ce qu'on devrait l'attacher ?" Rebecca n'avait pas l'air inquiète.
"Non. Il n'a quasiment plus de muscles. Il n'atteindrait même pas la porte." La voix était celle d'un homme. Son était calme, comme celui d'un docteur.
Barry cligna des yeux et tenta d'y voir plus clair. La scène devint un peu plus nette. Il était dans une chambre humide, couché sur un dur lit de métal. Rebecca et un homme qu'il ne connaissait pas se tenaient près de lui. Il pouvait vaguement distinguer Monica et Jared un peu plus loin, blottis l'un contre l'autre. Une ampoule nue pendait au-dessus d'eux. Elle se balançait d'un côté à l'autre d'une manière presque menaçante.
Monica tenta d'intervenir, "Peut-être que si on-"
"Maman, la ferme." Rebecca ne la regarda même pas. A la place, un sourire éclaira son visage malsain. "Tu as de la chance qu'il ne soit pas mort. S'il meurt, les patates qui te servent de progéniture meurent aussi." Elle rit cruellement.
"Vous retenez leurs enfants ?" demanda l'homme. Il n'était pas choqué. Pas inquiet. Sa voix était complètement dénuée d'émotions.
"Ils sont dans une usine en Russie. Je les ai envoyés là-bas pour fabriquer des vêtements ou quelque chose comme ça. Je n'ai qu'un mot à dire pour qu'il aient un petit accident." Rebecca ne lâchait pas Barry du regard.
Barry essaya de parler, mais s'en trouva incapable. Il se rendit compte qu'il avait mal au cou. Il descendit sa main et sentit un gros pansement sur sa gorge.
"N'y touchez pas," dit l'homme. "Ça a déjà été assez laborieux à recoudre."
Rebecca eut un rictus. "Le Dr Allshipp est le meilleur. C'est celui qui m'a rendue belle. J'ai décidé de te confier à lui." Elle rit. "Il fait des miracles, tu sais."
Le Dr Allship s'autorisa un sourire. "Vous êtes trop aimable, Becky." ¨Il posa alors une main gantée sur l’œil valide de Barry. "Je vais avoir beaucoup de travail avec vous, jeune homme. Mais on va faire en sorte que vous soyez à nouveau au meilleur de vous-même." Il se tourna vers une silhouette que Barry ne distinguait pas entièrement. "#995, assure-toi que #1477 soit à son aise. Demain, nous lui enlèveront l’œil qui lui reste."
Barry, paniqué, essaya de se relever. Il tenta de bouger, ou de faire n'importe quoi d'autre qui aurait pu le sortir de cette situation. Mais il ne réussit qu'à tomber de la table. Rebecca, qui le regardait avec dédain, eut un petit rire. "Tu n'es qu'un idiot, Barry." Elle se pencha vers lui, moqueuse.
Barry entendit ensuite un grand bruit sourd. Il ouvrit son œil valide, et vit que Rebecca était tombée à côté de lui, visiblement inconsciente. Il essaya de regarder vers le haut, mais ne vit que le reflet du gros objet tenu par le Dr Allship.
"#995," dit-il stoïquement. "Nous allons aussi avoir besoin d'une chambre pour #1478." le Dr Allship se retourna alors pour faire face à Monica et Jared.
"S'il vous plaît..." La voix de Jared tremblait. "Nous ne dirons rien à personne. Nous n'avons jamais rien dit."
Le docteur ne releva même pas les paroles de Jared. "Quant à vous deux, nous n'avons plus besoin de vos services." Barry entendit crier Monica. Deux grandes détonations résonnèrent dans l'air. Puis il y eut deux nouveaux bruits sourds, ceux de corps qui tombent sur un sol en terre.
Traduction d'Undetermined.B
J'aime beaucoup hate de la suite !
RépondreSupprimerJ'aime vraiment de plus en plus cette série, l'écriture est tellement agréable à lire, et l'histoire nimbée de mystère donne très envie de la suite. Bravo à l'auteur (et merci d'avoir assommé Becky, ça fait autant de bien que de voir Percy se prendre une claque dans la ligne verte ^^)
RépondreSupprimerPour avoir lu la version originale, je dois avouer avoir été un peu déçu...
RépondreSupprimerTant de potentiel, mais au final il n'y a pas vraiment de "fin", c'est déroutant...