Il y a une semaine, en me promenant dans la forêt, j’ai entendu un chœur d’enfants chanter. C’était une très jolie mélodie, un peu mélancolique, qui m’a beaucoup ému. Je n’arrivais pas à en distinguer les paroles, on aurait dit des sons inarticulés. C’était tout de même très beau. J’ai cherché d’où pouvait provenir ce chant, mais je n’ai rien trouvé. Il faut dire qu’il y avait de la brume, et je ne voyais pas à plus de trois mètres. Je ne voulais pas me risquer en-dehors du sentier. J’ai appelé en direction de la mélodie, mais dès que ma voix a résonné entre les arbres, le chœur s’est tu. J’ai alors eu l’étrange impression que je n’aurais pas dû être là. Je me suis alors empressé de continuer mon chemin. Depuis, je ne suis pas retourné dans la forêt, faute de temps. Mais maintenant que c’est le week-end, je pense y retourner. En plus, il fait beau, je pourrai pousser mes investigations plus avant dans les bois.
J’ai pris des allumettes, du papier journal ainsi que des saucisses à cuire dans un sac à dos. Je vais en profiter pour pique-niquer. Je vérifie que j’ai bien les clés de la maison, je me suis déjà fait avoir un jour. Je suis prêt, j’y vais.
Je viens d’entrer dans la forêt, je longe le sentier. Comme il y avait du brouillard la dernière fois, je suis incapable de me rappeler à quel endroit j’ai entendu la mélodie. Tout en explorant, je me demande pourquoi un chœur d’enfant chanterait en pleine forêt. C’était peut-être une sortie scolaire. Ou un culte sectaire. Je ricane intérieurement. Je me fais rire, des fois. Non, ce qui me chiffonne, c’est plutôt le fait que le chœur se soit subitement tu à mon appel. Il y a quelque chose d’anormal, là dedans.
Après une vingtaine de minutes, environ le temps durant lequel j’avais marché avant d’entendre le chant la semaine passée, je m’arrête. Je scrute les bois autour de moi. C’est le matin, les feuilles mortes qui forment un tapis auburn sur le sol de la forêt luisent encore de rosée. Il fait un peu frais, mais ce n’est pas désagréable. Les seuls bruits qui m’entourent sont les piaillements joviaux des oiseaux. Par-delà la cime des arbres, le moutonnement de nuages blancs dérive paresseusement dans le ciel. J’aime bien la nature.
Je m’avance en-dehors du sentier. Le froissement des feuilles mortes sous mes pieds, l’odeur d’écorce et de sève, l’humidité ambiante, tout cela me met de bonne humeur. Je devrais partir plus souvent en promenade.
Finalement, j’ai presque oublié pourquoi j’étais là. J’ai arrêté de chercher le mystérieux chœur d’enfants, d’autant qu'il n’est sûrement plus là. Je ne fais que me promener sereinement. Je mets un moment à réaliser qu’un autre chant que celui des oiseaux parvient à mes oreilles. Une mélodie lointaine, tenue par un seul soprano. Je me rends compte que je la connais, c’est « Lettre à Élise ». Je n’avais jamais entendu cette mélodie chantée, mais il faut dire que le résultat est plutôt appréciable. L’envie me prend d’appeler le ou la soliste, qui fait sans doute partie du chœur de la semaine passée, mais je me retiens. Je change de direction et m’oriente vers la musique. Alors que j’approche, je l’entends plus distinctement. Je m’efforce de rester discret, mais le bruissement de mes pas risque forcément de me trahir.
Guidé par la mélodie, je gravis un petit tertre. Arrivé au sommet de celui-ci, je m’arrête. En bas, au fond d’une combe déboisée, se trouve ce que je prends d’abord pour un autel de prière. En fait, il s’agit d’un orgue de bois massif et ciré aux tuyaux rutilants. La mélodie provient non pas d’un soliste, mais de l’instrument. Étonné par la présence de cet objet incongru, je m’avance encore un peu. Un grand homme mince est assis devant le clavier, et ses doigts fins glissent habilement sur les touches. Il porte un élégant costume noir à queue-de-pie, et des cheveux gris soigneusement coiffés garnissent son chef. D’un coup, la mélodie s’arrête. Seul le silence de la forêt à présent muette reste. L’homme se redresse un peu sur son siège. Je m’immobilise. À nouveau, j’ai l’affreuse impression de ne pas être à ma place ici.
Lentement, l’étrange organiste se lève, et me fait face. Il a un vieux visage ridé et tourmenté, mais néanmoins amical, et une barde du même gris que ses cheveux orne son menton. Il me scrute de ses yeux bleus, puis, à ma grande surprise, me sourit, s’approche de moi et me serre chaleureusement la main.
« Vous aimez ? dit-il.
– Je vous demande pardon ? »
J’ai pris des allumettes, du papier journal ainsi que des saucisses à cuire dans un sac à dos. Je vais en profiter pour pique-niquer. Je vérifie que j’ai bien les clés de la maison, je me suis déjà fait avoir un jour. Je suis prêt, j’y vais.
Je viens d’entrer dans la forêt, je longe le sentier. Comme il y avait du brouillard la dernière fois, je suis incapable de me rappeler à quel endroit j’ai entendu la mélodie. Tout en explorant, je me demande pourquoi un chœur d’enfant chanterait en pleine forêt. C’était peut-être une sortie scolaire. Ou un culte sectaire. Je ricane intérieurement. Je me fais rire, des fois. Non, ce qui me chiffonne, c’est plutôt le fait que le chœur se soit subitement tu à mon appel. Il y a quelque chose d’anormal, là dedans.
Après une vingtaine de minutes, environ le temps durant lequel j’avais marché avant d’entendre le chant la semaine passée, je m’arrête. Je scrute les bois autour de moi. C’est le matin, les feuilles mortes qui forment un tapis auburn sur le sol de la forêt luisent encore de rosée. Il fait un peu frais, mais ce n’est pas désagréable. Les seuls bruits qui m’entourent sont les piaillements joviaux des oiseaux. Par-delà la cime des arbres, le moutonnement de nuages blancs dérive paresseusement dans le ciel. J’aime bien la nature.
Je m’avance en-dehors du sentier. Le froissement des feuilles mortes sous mes pieds, l’odeur d’écorce et de sève, l’humidité ambiante, tout cela me met de bonne humeur. Je devrais partir plus souvent en promenade.
Finalement, j’ai presque oublié pourquoi j’étais là. J’ai arrêté de chercher le mystérieux chœur d’enfants, d’autant qu'il n’est sûrement plus là. Je ne fais que me promener sereinement. Je mets un moment à réaliser qu’un autre chant que celui des oiseaux parvient à mes oreilles. Une mélodie lointaine, tenue par un seul soprano. Je me rends compte que je la connais, c’est « Lettre à Élise ». Je n’avais jamais entendu cette mélodie chantée, mais il faut dire que le résultat est plutôt appréciable. L’envie me prend d’appeler le ou la soliste, qui fait sans doute partie du chœur de la semaine passée, mais je me retiens. Je change de direction et m’oriente vers la musique. Alors que j’approche, je l’entends plus distinctement. Je m’efforce de rester discret, mais le bruissement de mes pas risque forcément de me trahir.
Guidé par la mélodie, je gravis un petit tertre. Arrivé au sommet de celui-ci, je m’arrête. En bas, au fond d’une combe déboisée, se trouve ce que je prends d’abord pour un autel de prière. En fait, il s’agit d’un orgue de bois massif et ciré aux tuyaux rutilants. La mélodie provient non pas d’un soliste, mais de l’instrument. Étonné par la présence de cet objet incongru, je m’avance encore un peu. Un grand homme mince est assis devant le clavier, et ses doigts fins glissent habilement sur les touches. Il porte un élégant costume noir à queue-de-pie, et des cheveux gris soigneusement coiffés garnissent son chef. D’un coup, la mélodie s’arrête. Seul le silence de la forêt à présent muette reste. L’homme se redresse un peu sur son siège. Je m’immobilise. À nouveau, j’ai l’affreuse impression de ne pas être à ma place ici.
Lentement, l’étrange organiste se lève, et me fait face. Il a un vieux visage ridé et tourmenté, mais néanmoins amical, et une barde du même gris que ses cheveux orne son menton. Il me scrute de ses yeux bleus, puis, à ma grande surprise, me sourit, s’approche de moi et me serre chaleureusement la main.
« Vous aimez ? dit-il.
– Je vous demande pardon ? »
Il désigne l’orgue.
« Vous aimez la musique ?
– Euh, oui mais enfin… Que fait un orgue dans la forêt ?
– J’ai pensé que ce serait plus calme ici », répond le vieil homme avec un haussement d’épaules.
Puis il tapote le bois de l’instrument et ajoute :
« C’est moi qui l’ai construit. Malheureusement, il n’est pas complet. Il me manque quelques notes.
– Comment ça ? »
J’ai un peu le vertige, j’ai du mal à comprendre ce que me dit le musicien.
« Vous savez, poursuit-il, j’aime bien votre voix. Je pense qu’elle pourrait convenir pour les gammes du bas. »
Malgré mon esprit de plus en plus embrumé, je commence à comprendre. Je regarde ma main droite. Une petite goutte de sang perle dans ma paume. Est-ce que j’aurais été… ? Non, c’est impossible. Je n’arrive plus à réfléchir, je suis si fatigué… En levant les yeux, je vois l’homme sortir un petit scalpel de la poche intérieure de son costume.
« Oui, murmure-t-il. Votre voix fera très bien l’affaire. »
« Vous savez, poursuit-il, j’aime bien votre voix. Je pense qu’elle pourrait convenir pour les gammes du bas. »
Malgré mon esprit de plus en plus embrumé, je commence à comprendre. Je regarde ma main droite. Une petite goutte de sang perle dans ma paume. Est-ce que j’aurais été… ? Non, c’est impossible. Je n’arrive plus à réfléchir, je suis si fatigué… En levant les yeux, je vois l’homme sortir un petit scalpel de la poche intérieure de son costume.
« Oui, murmure-t-il. Votre voix fera très bien l’affaire. »
j'aime la touche de poésie dans cette creepy, ça fait plaisir de la relire.
RépondreSupprimerTout à fait d'accord avec Rabadu sur ce coup, c'est vraiment sympa. Et l'idée de gens fabriquant leurs propres instruments, leurs propres sons avec des cordes vocales me plaît beaucoup. Y'a une scène du même genre dans la série Hannibal, mais... Avec un violoncelle. En tant qu'instrumentiste, j'vous jure qu'on finit par se poser la question de si ça marche ou non.
RépondreSupprimerOui mais les cordes vocales ne ressemblent pas à des cordes d'instruents.
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