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La montre de poche


Temps de lecture : 6 minutes

Du temps où la guerre était sur le point d'arriver, alors que j'étais enfant, il n'y avait presque rien à manger à la maison. Dans ma fratrie, j'étais l'aîné, il était donc mon devoir de veiller à toujours laisser mes frères et sœurs manger avant moi. Cette guerre se rapprochait de la côte et, à mesure qu'elle approchait, notre nourriture se faisait de plus en plus rare. En effet, tous les animaux fuyaient la région, ou étaient abattus et consommés dans la précipitation par les autres familles du village.

Mon père était un homme sage et prudent. Il a attendu l'automne pour abattre nos deux poulets, période durant laquelle l'herbe et l'écorce des arbres étaient soit difficiles à trouver soit non comestibles. Les familles environnantes étaient au courant que nous en avions, mon père devait donc rester debout toutes les nuits pour les surveiller. Il a d'ailleurs dû tuer un garçon d'un village voisin qui était devenu fou à cause de la faim. Celui-ci avait voulu tenter de brûler notre petite maison à l'aide d'une branche en feu.

Lorsqu'il n'est plus resté des poulets que des os et que ces derniers étaient devenus trop cassants et poreux à cause des nombreuses soupes de ma mère, mes parents nous ont chargé, mon frère, ma sœur et moi, d'une mission : nous devions désormais chercher des insectes et des souris dans les champs pour le dîner. Avec cette méthode, nous avions faim, mais n'étions pas affamés, jusqu'à ce matin où nous nous sommes réveillés avec la première gelée. Il ne restait plus rien de vivant à manger, mes parents ont donc évoqué l'inévitable : mon père devait se rendre sur la côte, pour y vendre la montre de poche de notre grand-père à l'un de ces soldats ivres mais bien payés. Il s'agissait du seul objet de valeur que nous possédions, et du seul héritage familial que mon père était censé me transmettre.

Je ne voulais pas qu'il parte. A l'idée que la guerre parvienne jusqu'à nous en son absence, j'étais terrifié : j'étais trop jeune et trop faible pour protéger ma mère, mes frères et mes sœurs. Je l'ai supplié de rester, mais mon père a insisté sur le fait que tout irait bien et m'a promis de revenir dans deux semaines. J'étais tellement effrayé par son départ que j'ai profité d'un moment où lui et ma mère étaient dehors en train de préparer sa sacoche pour casser la montre sous mon pied. Je l'ai ensuite remise dans le bureau à moitié pourri de mon père.

Ma mère a sangloté durant des jours. Ce soir-là, mon père a fait de son mieux pour la réconforter alors que je les regardais peler le cuir de ses bottes et faire bouillir le tout pour le dîner. La nuit suivante, ma mère a trouvé un rat mort et l'a bouilli avec la nouvelle neige tombée à l'extérieur. Le lendemain soir, elle nous a rempli le ventre des os de l'animal et de neige fondue.

Le repas terminé, mon petit frère Albert a tenu tout le monde éveillé, à force de larmoyer parce qu'il avait encore faim. Il implorait le retour des plats que nous pouvions manger du temps où nous avions encore un jardin et des animaux : ragoût de bœuf, petits pains blancs, succulent maïs, agneau épicé... Il a fait gargouiller les estomacs de chacun, nous torturant psychologiquement. J'ai fini par lui crier de se taire tandis que ma mère continuait de pleurer dans sa chambre.

Mon père a fini par calmer Albert en lui caressant les cheveux pendant quelques heures, avant de retourner dans sa chambre en fermant bien la porte derrière lui. Mon petit frère a continué de se plaindre jusqu'à ce que la fine lumière de l'aube traverse les rideaux déchirés.

Chaque nuit, je pouvais entendre mon père depuis ma chambre, en pleine réparation de cette montre. Voilà longtemps que ma faim avait surpassé ma peur des soldats, et je priais en silence pour qu'il réussisse à la remettre sur pied. Il travaillait sur ce petit objet jour et nuit.

Un jour, Selia, l'une de mes sœurs, a trouvé des grillons morts dans les murs de la boulangerie abandonnée. Nous nous étions mis à les déguster, lorsque mon père est sorti de sa chambre, suivi par ma mère. Elle souriait. Je n'avais plus revu ce sourire depuis le jour de la naissance de ma plus jeune sœur. Il nous a expliqué qu'il avait enfin arrangé la montre de notre grand-père, et qu'il avait entendu parler d'un campement de soldats à proximité.

« Trois jours, nous a-t-il promis, trois jours, et je reviendrai avec des carottes, de l'agneau et des petits pains si gros qu'ils nous rempliront le ventre pendant un an ! »

A ces mots, nous avons tapé des mains et couru dans notre petite cour en terre battue, emplis d'une joie qui nous semblait étrangère. Mon père nous a ensuite chargés d'aider notre mère à trouver de belles décorations pour dresser la table. Le lendemain matin, il nous a donné à tous un morceau de la semelle des chaussures de maman à mâcher et nous a envoyés en mission après nous avoir embrassés et promis de revenir avant que nous nous souvenions qu'il était parti.

Nous nous sommes tellement amusés ce jour-là, à devoir ramasser des fers à cheval et des tessons de verre brisé. Nous avons passé des bouts de ficelle dans les fers pour les suspendre au-dessus de la table et avons attaché le verre aux extrémités, en espérant qu'il brillerait à la lumière de la lampe. La mission a été terminée au coucher du soleil. On est rentrés à la maison heureux de notre journée, et impatients de recommencer le jour d'après.

Nous n'étions pas encore en vue de la maison quand j'ai commencé à sentir cette odeur... Oignons, bouillon de poulet, agneau épicé, et même sucreries ! J'ai couru aussi vite que j'ai pu, laissant tomber en cours de route les décorations que nous portions avec insouciance, porté par ma quête effrénée de nourriture. J'ai fait irruption par la porte pour trouver ma mère aux fourneaux, préparant notre repas dans un calme révérencieux. Je l'ai prise dans mes bras, et lui ai demandé si mon père était déjà à la maison.

- Oui, mon amour. Il a eu la chance de rencontrer sur la route un riche mercenaire qui n'était que trop heureux d'acheter la montre de ton grand-père.

Je l'ai serrée encore plus fort dans mes bras et me suis assis à table tandis que mon frère et ma sœur débarquaient par la porte. Ils ont rapidement trouvé leur place. Des regards affamés et impatients sont apparus sur leurs visages. Mon père est sorti de la chambre et s'est assis au bout de la table pendant que ma mère apportait un plat d'agneau bouilli aux épices. Elle nous a fait un signe de tête, et nous avons rempli nos mains de cette riche viande, ne nous embêtant pas à nous servir de nos assiettes.

Après le dîner, nous avons été envoyés au lit l’estomac rempli, personne n'ayant dit un mot depuis que notre nourriture avait été mise sur la table. Nous avons aussi mangé à notre faim le soir suivant, et ceux qui lui ont succédé. Mais alors que nos réserves de nourriture commençaient à diminuer, la santé de Mère s'est détériorée. Chaque jour elle saignait et s'affaiblissait davantage, jusqu'à ce que nous soyons obligés de nous battre pour des morceaux de viande crue alors qu'elle gisait à proximité, faible et en train de dépérir, incapable de cuisiner.

La première nuit où je suis reparti sans nourriture a été la nuit où cet éther brumeux et heureux a commencé à se lever, et où mes souvenirs des derniers jours sont devenus confus.

Alors que les images défilaient, je me suis rappelé que l'agneau épicé que j'avais consommé avec tant de férocité le premier soir semblait en fait avoir été maladivement sucré, et que les accompagnements que j'avais sentis depuis les champs n'avaient jamais été apportés à la table.

A la réflexion, je ne me souvenais pas que ma mère avait mangé quoi que ce soit depuis le retour de mon père, au lieu de cela, elle s'était tranquillement installée à côté de nous à la table lors de ce fameux soir, fixant le tas de viande grise que nous avions consommé avec tant de ferveur.

Je ne me souvenais pas non plus avoir entendu la voix de mon père depuis le matin où il était parti pour le campement des soldats. Sa chaise était restée vide nuit après nuit, et alors que la douce brume qui recouvrait ma mémoire se dissipait, je me suis même mis à douter du fait qu'il ait jamais été là depuis le matin où il avait découpé des morceaux de semelles dans les chaussures de ma mère.

Effrayé et affamé, je n'ai pas trouvé le sommeil jusqu'aux heures les plus sombres de la nuit. Le lendemain matin, quand notre mère est sortie de sa chambre, j'ai aussitôt demandé où était notre père. Elle m'a répondu qu'il était parti pour devenir soldat, et nous a envoyés chercher de l'écorce dans la forêt, ne me laissant pas ajouter quoi que ce soit. Mon père n'est jamais revenu.

Si je n'ai pas réalisé ce qu’il s'était passé à l'époque, c'est peut-être parce que c'était trop horrible à envisager, et que la faim me tiraillait trop pour que j'aie les idées claires. Mais ma mère est morte il y a quelques jours maintenant, et dans son dernier soupir, elle m'a offert la vérité. De ses maigres biens, je n’ai reçu en héritage qu'une petite boîte ne contenant qu'une montre de poche brillante et cassée.

Peut-être voulait-elle que je me souvienne : notre seul espoir de survie, que j'avais eu la bêtise d'écraser sous mon pied. La dernière étreinte chaleureuse de mon père avant qu'il ne nous envoie chercher des babioles pour célébrer son retour. La viande grise trop assaisonnée et l'odeur rance qui avait commencé à s'échapper de sous la porte, devenant de plus en plus âcre chaque jour.

Notre père a sacrifié pour sa famille plus que quiconque le ne ferait jamais. Et dire que je me plaignais de n'avoir aucun souvenir de lui et aucun héritage familial à transmettre à mes propres enfants.

Mais à présent, je possède sa montre de poche, un objet précieux que je ne peux songer à donner à mes enfants. Pas parce que le verre est brisé. Pas parce que les engrenages sont fissurés.

Non, je ne peux pas m’en séparer parce que c'est une malédiction que je dois porter, seul... Le métal brillant et tordu n'a jamais perdu l'odeur écœurante de cette viande douce et grisâtre que nous avons mangée.

Ce texte a initialement été réalisé par  Rebecca Klingel a.k.a. C.K. Walker sur Creepypasta.com, et constitue sa propriété. Toute réutilisation, à des fins commerciales ou non, est proscrite sans son accord. Vous pouvez tenter de le contacter via le lien de sa création. L'équipe du Nécronomorial remercie également Miss_cobra qui a assuré sa traduction de l'anglais vers le français à partir de l'originale, Jared Gauss et Orizy qui ont participé au processus d'analyse et de sélection conformément à la ligne éditoriale, et Jervaled, Pénombre et Gordjack qui se sont chargés de la correction et la mise en forme.

1 commentaire:

  1. Vous avez inversés deux mots à la fin je crois "Notre père a sacrifié pour sa famille plus que quiconque le ne ferait jamais" (le et ne)
    Encore une nouvelle plus triste qu'horrifique, il y en a pas mal depuis l'année dernière, ça change !

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