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Ubloo (partie 4)

Partie 1
Partie 2
Partie 3
Partie 4.5
Partie 5
Partie 6


Je faisais les cent pas dans ma chambre d’hôtel en remuant un verre de gin, perdu dans mes pensées. Demain j’avais rendez-vous avec la Louisiana Bank pour visiter la vieille école à laquelle Robert Jennings s’était intéressé. Ils étaient un peu surpris que je souhaite acheter l’endroit, tout comme je l’ai été en entendant qu’il n’intéressait personne. La maison était magnifique, bien que délabrée et ayant grand besoin de travaux. La femme avec qui j’avais discuté au téléphone m’a informé que l’école était devenue auréolée d’histoires d’horreur chez les locaux. Elle avait fermé lorsqu’elle s’était retrouvée à court de fonds, et cela avait contrarié beaucoup de gens, élèves comme parents, que le gouvernement décide de les envoyer ailleurs plutôt que de relancer le financement. Du coup elle avait été mise sur le marché, mais je suppose que personne ne se sentait d’acheter un truc qui avait eu tant d’importance pour les enfants. Pour résumer, quelques tornades et un manque d’entretien ont transformé l’endroit en une attraction paranormale, bien qu’il ne s’y soit jamais rien passé de sérieux.


J’ai pris une longue gorgée de gin, cul sec. Je n’en revenais toujours pas à quel point j’étais devenu habitué à cette merde. Même si je ne buvais pas tant que ça avant, j’avais un petit faible pour le whisky. Désormais c’était du gin ou rien.
 
La chambre d’hôtel où je séjournais était sombre et renfermée. Mon compte en banque commençait à arriver dans le rouge, depuis deux mois que je vivais sans revenus, et je ne pouvais pas me permettre de dépenser sans compter. J’ai pensé à écrire des prescriptions et les vendre, mais je n’ai simplement pas pu m’y résoudre. Même s’il serait agréable d’avoir un peu d’argent, je refusais de tourner le dos à celui que j’étais autrefois. Qui sait ? Peut-être que cette école m’offrira de nouvelles informations que je pourrais utiliser pour tuer Ubloo. Le tuer ? J’ai secoué ma tête. C’était une putain de malédiction vaudou, comment tu tues un truc comme ça ?
 
Je me suis appuyé contre mon armoire, et me suis penché au-dessus de mon verre de gin, pour en observer les cubes de glace fondre, et écouter leur tintement.
 
« Docteur. »
 
Ça venait de derrière moi. J’ai pivoté si vite que j’ai manqué de tomber, et mes yeux ont dû s’adapter à la vitesse du geste. En face de moi, une personne a fait son apparition.  
 
C’était Andrew.
 
Nous sommes restés là, debout, à nous regarder dans le blanc des yeux. Il portait un simple t-shirt noir et un jean. Ses cheveux étaient en broussaille, et ses yeux, brillant autrefois du vert que je leur connaissais, étaient remplacés par des sphères totalement blanches.
 
Il a repris la parole : « Docteur, pourquoi êtes-vous là ? »  
 
Mes mots ont eu du mal à sortir de ma gorge.
 
« J’essaie de trouver une solution Andrew. J’essaie de le vaincre. J’essaie de vaincre Ubloo.»
 
Andrew a lentement secoué la tête.
 
« Vous ne pouvez pas vaincre Ubloo, Docteur. Vous ne pouvez pas, a-t-il répondu. Ubloo est toujours là, il attend, il observe. »  
 
Nous sommes restés silencieux, mon estomac se nouant de dépression et de nervosité.
 
J’ai finalement rompu le silence : « Eh bien je dois quand même essayer Andrew. Je le dois parce que je ne peux pas laisser ça arriver à quelqu’un d’autre, je ne le peux simplement pas. »
 
C’est alors que je l’ai vu. Il a surgi des ténèbres derrière Andrew, d’une démarche lente, et presque maladroite. Sa peau était lisse et grise, plaquée contre son corps, et je voyais chacun de ses os et de ses muscles bouger et se contracter tandis qu’il boitait sur ses six longues pattes. Il devait faire au moins deux mètres, sans doute plus, et encore en étant recroquevillé. Sa grosse tête ronde me fixait de ses grands yeux d’un noir profond. Bien qu’il n’ait pas de pupilles, je sentais qu’il m’examinait, scrutant chacun de mes mouvements. La longue trompe qui pendait de sa tête se balançait d’avant en arrière quand il marchait, comme si elle était toute molle. Il s’arrêta juste derrière Andrew alors que ce dernier se remit à parler.
 
« Ça va arriver à quelqu’un d’autre Docteur. » Il me fixait de ses yeux blancs. « Il n’y a plus qu’une seule issue à présent. »
 
La trompe d’Ubloo s’est redressée et est venue se coller contre l’oreille d’Andrew. Puis j’ai vu sa longue et fine langue noire sortir du nez d’Andrew, et ce dernier a émi un hurlement strident.  
 
J’ai couvert mes oreilles de mes mains, et je me suis effondré contre l’armoire.  
 
« NON ! ARRÊTE ÇA ! » Ai-je crié, mais en vain.
 
La peau d’Andrew s’est mise à fondre de ses os en bouts informes, s’écoulant comme de la cire de bougie, exposant son squelette et ses tissus musculaires. Il continuait de crier alors que son corps s’amassait comme une soupe épaisse à ses pieds. J’ai regardé son visage fondre pour révéler l’os de sa mâchoire. Puis j’ai entendu un bruit de déboitement, et j’ai vu sa mâchoire brisée pendre, tordue, toujours pendant qu’il hurlait à la mort.
 
« S’IL-VOUS-PLAÎT ! JE NE PEUX PAS ! JE N’EN PEUX PLUS ! METTEZ-Y UN TERME JE VOUS EN PRIE ! »
 
C’est alors qu’Andrew s’est arrêté, sa mâchoire toujours pendante. Il n’était plus qu’une moitié de squelette à présent, avec ses morceaux de chair et ses entrailles, coincés entre ses os, qui n’étaient pas tombés jusqu’au sol. Il était figé, et alors sa tête s’est brusquement tournée vers moi, avec les globes oculaires qui ont roulés dans leurs orbites pour révéler ces horribles yeux verts brillants. Derrière lui, Ubloo observait toute la scène.
 
« La fin est le commencement Docteur. »
 
Et puis son squelette s’est brisé, et ses restes sont tombés au sol rejoindre l’amas de chair et de bile qu’il avait laissé derrière lui. La trompe d’Ubloo est retombée pour se balancer à nouveau sous sa tête, et je l’ai entendu le dire.
 
« Ubloo. »
 
Mes jambes étaient emmêlées dans mes draps comme du bois noueux. Je gisais dans une flaque de sueur froide, essoufflé, fixant le sombre plafond dont les contours, d’abord flous, m’apparaissaient plus nettement.
 
Je suis resté là, haletant. Une fois mon souffle repris, je me suis levé et je me suis dirigé vers mon armoire pour en ouvrir un tiroir. À l’intérieur il y avait une flasque, à côté de laquelle reposait un revolver.  
 
Même si je m’accrochais toujours à l’espoir de trouver un moyen de me débarrasser de cette malédiction, une petite partie de moi, rationnelle, savait qu’il pouvait n’y avoir en réalité qu’une seule solution à toute cette histoire.
 
J’ai sorti une pleine bouteille d’Adderall et je me suis enfilé trois pilules. J’ai attrapé ma bouteille de gin presque vide, et je l’ai finie. Je me suis retourné et j’ai balayé la chambre du regard. Il  n’y avait rien. J’ai éteint la lumière et jeté un coup d’œil à ma montre : il était 4 :37 du matin.  
 
C’était l’heure de partir.
 
Je suis arrivé à la banque juste un peu après 7 heures. Elle n’allait pas ouvrir avant une bonne heure, donc j’ai sorti une de mes nombreuses flasques de gin que je conservais désormais dans ma voiture, et l’ai vidée dans mon café. La première gorgée m’a brûlé la langue, mais j’en avais vraiment plus rien à foutre. Il y a pire que de se brûler la langue.
 
Je n’arrêtais pas de penser à ce qu’avait dit Andrew, si c’était bien Andrew. Aurait-ce pu être Ubloo s’adressant à moi ? Ça n’avait pas de sens. S’il pouvait me dire de me réveiller à chaque putain de fois, pourquoi aurait-il créé une vision d’Andrew pour me parler ? Ceci dit, je pense qu’entendre cette chose parler serait bien plus flippant.
 
J’ai rencontré la femme qui devait me montrer l’école devant la porte de la banque. Elle s’appelait Linda. Elle avait la cinquantaine, avec des cheveux bruns et des taches de rousseur, et avait un sourire d’une blancheur éclatante. J’ai pris le temps d’arranger mon aspect pour cette rencontre. Si je voulais ressembler à quelqu’un qui comptait acheter cette maison, et par la même occasion glaner des informations, je devais jouer le jeu. Mes cheveux étaient soigneusement peignés, j’ai même un peu brossé et nettoyé ma barbe hirsute. J’ai mis de vieux vêtements professionnels, que j’avais repassés la nuit précédente, et je me suis même mis une petite touche d’eau de Cologne. Honnêtement, ça m’a fait du bien de m’habiller un peu.
 
Nous avons pris sa voiture pour aller jusqu’à l’école, qui n’était pas très loin de la banque. Alors qu’on se garait devant, j’ai senti une étrange sensation à l’estomac, comme quand on rencontre quelqu’un dont on n’avait vu que des photos. J’avais l’impression de déjà connaître l’endroit tellement je m’étais renseigné dessus.  
 
« Bon ça paye pas de mine, mais je vous le garantis dans le temps c’était une vraie beauté, » dit-elle alors que nous nous avancions vers la grande porte en fer.
 
Elle a sorti de son sac à main un trousseau de clés, qui n’en contenait que trois, et a cherché la bonne. Je l’ai observée attentivement. Il y avait deux clés en or et une en argent. Elle s’est arrêtée sur cette dernière, et l’a insérée dans le cadenas de la porte. J’ai levé la tête vers la grille : il y avait des pointes au sommet. Il ne serait pas évident de passer au-dessus, mais en étant prudent ça doit bien être possible.  
 
« L’herbe est un peu haute en ce moment, en général on envoie quelqu’un la tondre plusieurs fois dans l’année, pour vérifier aussi que personne n’ait dégradé l’endroit. »
 
Je lui ai emboité le pas tandis qu’elle montait les marches de l’entrée. Ces dernières ont grincé sous nos pieds. Elle a pris une des clés en or et l’a enfoncée dans la serrure. La porte s’est ouverte vers l’intérieur, et elle s’y est engouffrée.  
 
« Alors ici nous avons le hall d’entrée, avec comme vous pouvez le constater beaucoup d’espace, et une grande hauteur de plafond, qui fait fureur de nos jours, » dit-elle en refermant la porte derrière moi.  
 
La maison était vraiment magnifique, et je comprenais mieux pourquoi c’était facile pour Robert de prétendre vouloir l’acquérir en tant que bon investissement. Linda m’a montré le reste, qui était plutôt morne et poussiéreux. Les planches du parquet craquaient sous nos pas, et des tâches aux murs et au plafond attestaient de l’infiltration de l’eau. La majeure partie du rez-de-chaussée était constituée de salles de classe, avec juste une petite cuisine, que les profs devaient utiliser entre les cours. Le bureau du doyen se trouvait en haut, avec d’autres salles de classe.  
 
J’ai continué la visite en écoutant d’une oreille distraite ce que me disait Linda, attendant de l’autre que quelque chose survienne. Mais en vain. J’arrivais dans une impasse. Tous les indices m’avaient mené jusqu’ici, et je ne pouvais m’empêcher de me sentir seul et perdu.
 
Une fois la visite terminée, je suis retourné à la banque avec Linda pour les formalités. J’ai pris place en face de son bureau, pendant qu’elle posait son sac et allait faire un peu de café. À son retour, elle s’est assise et a sorti la paperasse.
 
« Nous demandons un minimum de 685 000$, avec tous les coûts supplémentaires à votre charge. Il y a également des frais d’agence de 10 000$, mais pour être honnête je vois bien la banque vous en faire grâce si vous achetez, ils ont vraiment envie de se débarrasser de cette propriété. » Quand elle a eu fini de parler, elle m’a tendu la paperasse pour que je l’examine.  
 
J’ai fait mine de lire les documents.
 
« 685 000$ me semble raisonnable, ai-je commencé, bien qu’une maison de cet acabit se vende pour le double en ce moment, surtout avec autant de surface et une telle architecture. »
 
Linda savait à quoi je faisais allusion avant même que je n’en parle.
 
« C’est juste que, continuais-je, j’ai entendu certaines rumeurs à propos de la propriété en étant dans le coin, et bien que je sois sceptique, vous comprenez ma curiosité. »
 
Linda a soupiré en dépit de la diplomatie de ma question.
 
« Eh bien je peux vous assurer qu’il n’y a absolument rien à craindre avec cette propriété. Lorsque l’école a été fermée, ils ont envoyé les élèves dans des écoles publiques, ce qui n’a pas plu à un certain nombre de parents parce qu’il y avait toujours beaucoup de tensions raciales. Ils nous ont suppliés de financer l’école, mais ça aurait tout simplement été trop cher à entretenir. Ils ont chassé les premiers acheteurs potentiels, la maison est restée inoccupée pendant longtemps, et puis les histoires ont commencé à germer. À partir de là, c’est assez difficile de vendre une propriété, en particulier quand elle a subi autant de dégâts. »
 
J’ai acquiescé. C’était logique. Une partie de moi espérait  qu’il y aurait une histoire d’où je pourrais partir, mais je n’ai rien trouvé d’autre que les rumeurs habituelles : des silhouettes aperçues aux fenêtres, des personnes qui y sont allées sans jamais en revenir, etc.
 
« Bon, il faut que j’en parle avec ma femme, et voir ce qu’elle en pense. » Ça m’a fait bizarre de dire ça. J’ai pris une gorgée de mon café. Il avait suffisamment refroidi pour le boire, ce qui m’a aidé à déculpabiliser pour ce que j’allais faire.  
 
« Bien sûr, je comprends, » a répondu Linda dans un sourire.  
 
« En attendant, ça ne vous dérange pas si je prends une copie de… » J’ai allongé le bras pour attraper les papiers, et j’ai renversé ma tasse de café de manière à tacher les vêtements de Linda. « Oh mon Dieu, je suis tellement désolé. »
 
« Oh ! » Elle s’est levée et a balayé la pièce du regard à la recherche de quelque chose avec quoi s’essuyer. « Je vais juste, hummm… un instant s’il-vous-plaît. »
 
Elle est sortie de la pièce et j’ai entendu le bruit de ses talons dans le couloir.  
 
« Je suis vraiment désolé ! me suis-je encore excusé, tout en fouillant son sac pour prendre le trousseau de clés. Je suis tellement maladroit, j’aurais dû vous prévenir ! » J’ai glissé les clés dans ma poche, puis j’ai ressorti la boîte de mouchoirs que j’avais cachée sous ma chaise et l’ai remise sur son bureau.  
 
« Oh ça ne fait rien ! a-t-elle dit en revenant avec un rouleau d’essuie-tout. Ça arrive tout le temps mon cher. Laissez-moi juste le temps de demander à un stagiaire de vous imprimer une autre copie de ces contrats. »
 
Linda m’a raccompagné à la sortie, et je me suis à nouveau excusé pour avoir renversé du café. Elle a dit qu’elle espérait avoir de mes nouvelles rapidement. Je lui ai fait signe de la voiture, mais je n’ai pas pu m’empêcher de sourire en la voyant avec une grosse tâche de café sur sa veste.
 
Une fois de retour à ma chambre d’hôtel, je me suis servi un verre de gin, me suis assis sur le lit, et j’ai pris deux pilules d’Adderall supplémentaires.  
 
J’irais à la maison vers deux heures du matin. Il ne faudrait pas oublier d’apporter la lampe torche ainsi que quelques outils, juste au cas où j’aurais pris les mauvaises clés. Bien que peu probable, je n’aimais pas laisser les choses au hasard. J’ai commencé à tout mettre dans un sac de sport. Lampe torche, marteau, clé à molette, tournevis, pied de biche. Puis j’ai sorti un masque de ski de mon armoire. Il y avait quelque chose de lourd en dessous : c’était mon revolver. Je suis resté là à le regarder, jusqu’à ce que la sonnerie de mon téléphone me ramène à la réalité. Je l’ai sorti de ma poche pour voir qui m’appelait.
 
C’était Eli. J’ai hésité un moment avant de décrocher.
 
« Eli, comment allez-vous ?
 
– Ça va bien Docteur, m’vous ? a-t-il dit avec ce charmant accent du Sud.
 
– J’ai connu des jours meilleurs, vous savez, ai-je continué. Comment puis-je vous aider ?
 
– Eh bien Docteur, j’ai fait des recherches sur… m’voyez.
 
– Et ? » ai-je répliqué. Ubloo n’avait rien de nouveau pour moi, donc j’étais moins enclin à tourner autour du pot que lui.  
 
« Eh bien je n’ai rien pu trouver d’autre au sujet de « Daiala Bu Umba » en particulier, mais j’ai trouvé quelque chose de similaire. C’était dans les traditions d’une autre tribu. »
 
Mes oreilles se sont redressées et j’ai senti comme des papillons dans le ventre.  
 
« Continuez.  
 
– Eh bien il y est dit qu’un membre de cette tribu souffrait de terribles cauchemars. Ils l’ont trouvé mort un matin dans sa hutte, et la personne qui l’a trouvé a commencé à avoir des cauchemars également.
 
– Ça a l’air encourageant, ai-je répondu, en essayant de cacher mon excitation dans ma voix.
 
– En fait ça a continué pendant quelques semaines avant que la tribu ne comprenne, mais contrairement aux autres tribus, ils n’ont pas banni celui qui avait les cauchemars, au lieu de cela ils lui ont assigné un ‘Ubuala’.
 
– Ubuala ?
 
– Oui Docteur, c’est du Khoe ancien pour ‘Celui qui réveille’. L’Ubuala devait demeurer près de la personne concernée, et la réveiller si cette dernière commençait à avoir des cauchemars en la secouant et criant ‘Ubloo !’. »
 
Mon estomac se noua. Ça devenait inquiétant, et un peu trop familier.
 
« Ça a marché ?
 
– Eh bien apparemment oui, pendant un petit moment, mais ensuite le membre de la tribu affirmait qu’il pouvait voir le monstre en étant éveillé. Personne ne l’a cru, et un jour, alors qu’il devait récolter de l’eau, ils l’ont trouvé avec les veines ouvertes. »
 
Bizarrement ça ne m’a pas surpris.
 
« Bon, et du coup ?


– L‘ancien de la tribu a décidé qu’il serait l’Ubuala de l’homme qui avait trouvé le précédent membre maudit, et qu’il resterait constamment à ses côtés. Jusqu’à une nuit, où l’homme s’est éveillé de son cauchemar, et a pris un poignard à l’ancien pour se tuer sous ses yeux.
 
– Merde…
 
– Vous êtes bien assis Docteur ?
 
– Ouais, pourquoi ?
 
– Parce que vous n’allez pas aimer la suite. Apparemment, l’ancien voulait débarrasser sa tribu de la malédiction, et comme quiconque le trouverait mort en hériterait de lui… »
 
Mon cœur battait la chamade.
 
« Alors ?
 
– Alors il a demandé que sa tribu l’emmène quelque part où personne ne trouverait jamais son corps. »
 
Il y a eu un instant de silence.
 
« Où ça ?
 
– Ils l’ont enterré, Docteur… vivant. »
 
J’ai eu immédiatement envie de vomir.
 
« Bon sang Eli…
 
– Je sais Docteur. La piste s’arrête là. J’ai trouvé d’autres mentions de cauchemars ailleurs dans des textes historiques, mais rien après ça. Du coup je me suis renseigné sur le vaudou. J’ai appris qu’une fois qu’une malédiction était lancée, l’esprit continuerait de chasser jusqu’à qu’il ait obtenu tout ce qui lui avait été promis. C’est le seul moyen de se débarrasser d’une malédiction, donc je n’ai pas encore compris comment enterrer l’ancien a pu l’arrêter. »
 
Je retenais mes larmes et ma nausée.
 
« Y a-t-il un moyen de l’invoquer à nouveau une fois qu’il se retrouve dans une impasse comme ça ? Je veux dire, il y a forcément une raison pour qu’il soit de retour.
 
– Oui, une malédiction peut en effet être revitalisée si elle est invoquée de nouveau, mais même dans ce cas, elle ne se nourrira que de ce qu’on lui avait promis, et celui qui l’a invoquée aurait eu besoin de connaître le rituel exact. Voyez-vous, certains ingrédients sont nécessaires pour le vaudou. Le sorcier qui avait invoqué Daiala Bu Umba rapportait avoir utilisé des défenses d’éléphant, des serpents, et beaucoup d’autres choses, avec en plus les restes de sa tribu, et le livre que vous m’avez donné est tout ce que j’ai jamais trouvé sur la tribu de Binuma. Avant, tout le monde pensait qu’ils n’avaient jamais existé. »
 
Toutes ces nouvelles informations me faisaient tourner la tête.
 
« Très bien, je n’ai pas l’intention d’abandonner maintenant Eli. Et si m’enterrer vivant ne suffirait même pas à tuer ce truc pour de bon, j’espère épuiser toutes mes options avant d‘y songer.
 
– Je comprends Docteur. Je suis désolé d’avoir dû vous dire ça.
 
– Ce n’est rien Eli, toute information est bonne à prendre. » J’ai hésité avant de poser la question qui nous brûlait les lèvres. « M’enterreriez-vous si vous le deviez, Eli ?
 
– Si on doit en arriver là Docteur, je le ferai. »
 

 
Il était presque deux heures du matin lorsque j’ai atteint l’école.  J’ai tiré le sac de sport du siège arrière pour le poser sur mes genoux. J’ai pris une profonde inspiration, et j’ai ouvert la portière. La nuit était calme, un peu humide. Je m’étais garé très loin de l’école, alors j’ai mis le sac sur mon épaule, et j’ai entamé la longue marche jusqu’au portail.  
 
En marchant, je ne pouvais m’empêcher de penser à ce que m’avait dit Eli. À propos de l’Ancien, de l’Ubuala, tout ça. Comment se faisait-il que Daiala Bu Umba dise Ubloo ? Pourquoi voudrait-il me réveiller lui-même ? J’ai marché encore un peu, puis ça m’a frappé. Je me suis figé immédiatement.
 
Et si ce n’était pas lui qui disait Ubloo ? Si c’était quelque chose d’autre ? Un autre esprit qui essaie de m’aider ? Qui essaie de me protéger du pire ? C’était plausible. Tout à fait plausible. C’est pourquoi je me réveille du rêve, pourquoi je l’entends toujours juste avant.  
 
J’ai senti des papillons dans l’estomac, et je me suis remis en marche. Si la bête se nourrissait de désespoir, alors il serait logique qu’un esprit bienveillant me réveille juste avant qu’il ne puisse satisfaire son appétit. Mes pensées fusaient avec cette nouvelle information, et pour la première fois depuis longtemps, j’ai enfin senti une petite étincelle d’espoir.
 
Le sac de sport commençait à me peser sur l’épaule quand j’ai atteint le portail. En cherchant les clés dans ma poche, j’ai senti la bouteille d’Adderall. J’en ai pris un, juste au cas où. Puis j’ai sorti les clés, et, en retenant ma respiration, j’ai inséré celle en argent dans le cadenas.
 
Elle a tourné.
 
Enfin la chance me souriait à nouveau. J’ai ouvert le portail doucement, et je  me suis glissé à l’intérieur. Je me suis accroupi pour m’approcher de la porte d’entrée en silence. Je l’ai ouverte avec la clé en or, et j’ai pénétré à l’intérieur sans un bruit.
 
J’ai refermé la porte derrière moi, et me suis retrouvé dans l’obscurité totale. J’ai fouillé dans le sac de sport jusqu’à y trouver la lampe torche. Je m'en suis servi pour éclairer la pièce, m’attendant à moitié à y trouver quelque chose. Sans doute à cause de tous les films d’horreur que j’avais vus dans ma jeunesse. J’ai souri, avant de m’aventurer dans le reste de la maison.
 
Rappelons-le, je ne savais pas ce que je cherchais en fouillant la maison, mais quelque chose me disait que je le saurais quand je le verrais. J’ai commencé par le premier étage, avec tous les bureaux et les salles de classe. Je toquais aux murs, pour voir s’il pouvait y avoir des passages ou quoique ce soit derrière. J’ai examiné les salles, puis je suis redescendu. J’ai fouillé les salles de classe et la cuisine de fond en comble. Après une heure ou deux, je me suis accroupi pour souffler un peu.
 
J’allais avoir besoin de revenir une autre nuit pour recommencer. Merde.
 
L’ironie c’est que ce bâtiment n’était pas très différent de celui dans lequel je vivais à Stoneham, dans le Massachusetts. Je me suis relevé pour aller gratter la saleté des murs. La peinture en dessous avait la même couleur, ou du moins ça en avait l’air. C’était la même architecture. Le même parquet de bois massif. Il n’y avait que les tapis qui me dérangeaient, sans doute parce que je détestais passer l’aspi-
 
Soudain, je l’ai remarqué.
 
Une latte du parquet, légèrement plus claire que les autres.
 
Je m’en suis approché pour l’éclairer avec ma lampe. C’était bien le même bois, mais plus clair, avec de meilleures finitions. Ça avait l’air… plus récent.
 
J’ai posé le sac de sport et j’en ai sorti le marteau et le pied-de-biche. J’ai d’abord arraché les clous d’un côté de la latte, puis je l’ai tirée en arrière jusqu’à ce qu’elle se casse en deux. Je n’avais que quelques centimètres pour voir au travers. J’ai essayé d’éclairer le trou avec la lampe, mais je ne pouvais rien voir. L’excitation me rendait dingue, alors j’ai arraché les planches en utilisait le trou pour faire levier. J’en ai retiré deux autres, puis j’ai à nouveau éclairé l’endroit de ma lampe. Ce que j’y ai vu me donna presque envie de vomir.
 
Il y avait des os par terre, en dessous du parquet. Ce n’était pas inhabituel pour les maisons en Louisiane d’être construites un peu au-dessus du sol, pour éviter les inondations, bien que celle-ci était assez loin du moindre point d’eau. Il y avait entre 30 et 60 centimètres de distance avec le sol, qui était entièrement recouvert d’ossements carbonisés et de cendres, avec des symboles que j’ai reconnus presque instantanément.
 
C’était du Khoe ancien.
 
Je suis resté figé là à fixer les terrifiantes inscriptions, quand j’ai remarqué un morceau de papier sur le côté. En tendant le bras à travers le plancher, j’ai réussi à l’attraper du bout des doigts.  
 
J’ai ouvert la note pour la lire :
 
« Je vous ai demandé comment vous dormiez la nuit, à présent j’ai ma réponse. »
 
Signé :
 
« Monaya Guthrie »
 
Je me suis accroupi, déconcerté.
 
« Monaya Guthrie. » Répétais-je pour moi-même, bouillonnant de rage. Elle avait dû invoquer Ubloo de nouveau avec ce rituel et l’avait envoyé après le responsable de la fermeture de l’école. Mes yeux s’emplirent de larmes de colère et de frustration. Mais pourquoi ? Pourquoi le monstre continue-t-il de chercher ? S’il avait tué la tribu, alors pourquoi était-il toujours là ?
 
C’est alors que ça m’a frappé.
 
Le sorcier avait écrit que sa femme était enceinte quand elle avait été assassinée, et qu’il avait brûlé la tribu entière pour invoquer le monstre. Mais et si ce n’était pas tout à fait sa tribu entière, et si ce que le monstre voulait après avoir tué celui après qui le sorcier l’avait envoyé, c’était cet enfant ? Et si le sorcier était parvenu à sauver son enfant ?!
 
Mes pensées fusaient à une vitesse folle. Bien que primitives, il n’était pas rare que les médecines antiques soient capables de réaliser ce genre d’opérations. Je veux dire, ce n’est qu’une césarienne après tout.
 
J’ai rangé les outils et la note dans mon sac, et je me suis relevé.
 
Je dois trouver Monaya Guthrie. Ou du moins quelqu’un qui la connait. Elle doit savoir ce qu’il faut faire ensuite. Bordel de merde, elle pourrait même être la descendante du-
 
Le plancher a craqué derrière moi, et je me suis figé de terreur en l’entendant.
 
Je me suis retourné, pointant ma lampe vers l’endroit, et j’ai poussé un cri.
 
Là, dans les ténèbres, juste éclairé par un rayon de lumière, se tenait Ubloo.  Il me regardait de ses froids yeux noirs tandis que je tremblais de peur.
 
Je dois me réveiller. Putain putain putain il faut que je me réveille.
 
Il a lentement commencé à ramper vers moi, les os de son corps visibles dans chacun de ses mouvements sous sa peau grise et lisse.
 
Et puis j’ai réalisé quelque chose. Jamais dans un rêve n’ai-je su que je rêvais.
 
La panique m’a submergé. Les membres de la tribu qui voyaient Ubloo éveillés, la manière dont Andrew était mort, effondré contre le mur face à la porte. Mon cœur me martelait la poitrine.  
 
Ce n’était pas un esprit bienveillant qui essayait e me réveiller. Bordel comment avais-je pu être aussi bête ?
 
C’était Ubloo. Ça avait toujours été Ubloo. Il me disait de me réveiller à chaque fois. Il créait ce sentiment de sécurité au dernier moment pour que cette fois, cette fois je comprenne que je ne me réveillerais pas. Il n’y avait plus d’issue.
 
Ubloo s’est arrêté, a très légèrement incliné sa tête, puis a galopé à toute allure vers moi. J’ai hurlé, et j’ai couru. Je me suis rué hors de la salle de classe, dans le hall. De là j’ai vu une porte, et j’ai entendu Ubloo percuter un mur en me poursuivant, derrière moi. Il gagnait rapidement du terrain. Je me suis précipité sur la porte, pour me retrouver dans une autre salle de classe. J’ai continué à courir frénétiquement, jusqu’à trouver une autre porte. Je me suis retourné un peu avant de l’atteindre, et j’ai sorti le revolver de ma ceinture. J’ai éclairé de ma lampe là d’où je venais, et j’ai vu la porte exploser sous la pression d’Ubloo qui forçait le passage. J’ai tiré trois coups, qui ont fait trembler son corps. Mais les impacts des balles n’ont laissé que des trous noirs. Il n’a pas saigné, et j’ai observé avec horreur les trous se refermer tout simplement.
 
Je me suis enfui par la porte derrière moi, jusqu’au milieu de la pièce voisine. Je l’ai balayée de ma lampe torche. Aucune issue. J’ai senti mon cœur battre plus fort alors que je comprenais ce que ça signifiait. J’ai continué d’agiter ma lampe, pour constater qu’il n’y avait pas de fenêtre non plus.  
 
« Non. Non non non non non. Putain putain PUTAIN ! »
 
J’ai entendu Ubloo s’approcher de la porte depuis l’autre pièce. J’ai couru dans le coin pour lui faire face.
 
Lentement, j’ai vu le tronc atteindre l’entrée, puis sa tête est apparue, me fixant de ses horribles grands yeux noirs. J’étais fait comme un rat.
 
J’ai serré la crosse du revolver, et je me suis effondré contre le mur dans le coin. C’est la fin. La fin de Thomas Abian. Le génial docteur Abian, à qui on avait confié la tâche de sauver Andrew Jennings il y a des jours de cela. Je me suis mis à pleurer.  
 
« La fin est le commencement, » me suis-je dis à moi-même en pleurant.
 
Ubloo est entré et s’est lentement frayé un chemin jusqu’à moi en rampant à travers la pièce.
 
La fin est le commencement. Quelle putain de manière débile de le dire. J’ai secoué la tête et des larmes sont tombées sur mes genoux. Je pouvais entendre Ubloo se rapprocher à présent.
 
Je vais juste devenir un autre putain d’indice ai-je pensé, pleurant comme un bébé. Et dire que j’espérais-
 
C’est alors que tout est devenu clair, toute la sombre vérité, horrible et tordue.  Le monstre ne se nourrit pas de notre désespoir, ou de notre tristesse, il se nourrit de notre espoir. Il nous garde en vie juste assez longtemps pour qu’on pense qu’on va s’en sortir, et puis il nous achève.
 
Le plancher craquait autour de moi sous le poids d’Ubloo qui se rapprochait.  
 
L’espoir de Robert lorsqu’il a trouvé le livre, l’espoir d’Andrew lorsque je lui ai donné la cyproheptadine, mon espoir lorsque j’ai trouvé le rituel et la note sous le plancher, et que je pensais qu’il y avait un esprit bienveillant. Mais par-dessus tout, l’espoir que lorsqu’il finirait par venir nous chercher, nous nous réveillerions.
 
Je me suis mis à pleurer plus fort, car tout était logique. C’est la malédiction parfaite. Qui n’en devient que plus forte au fur et à mesure qu’on pense pouvoir la vaincre. La fin est le commencement après tout. La fin de ma vie marque le commencement de sa faim pour une nouvelle personne à maudire.
 
J’ai ouvert les yeux pour fixer Ubloo. Sa tête était à peine quelques centimètres au-dessus de l’endroit où j’étais assis. Il savait, d’une manière ou d’une autre il savait qu’il était sur le point de prendre ce qu’il était venu chercher.
 
« J’aurais dû le laisser m’enterrer. » Je pleurais en levant le revolver.  
 
J’ai mis le métal froid et lourd dans ma bouche, tout en pleurnichant, et j’ai senti mes dents buter contre le barillet.
 
J’ai ouvert mes yeux, juste assez de temps pour voir son tronc s’avancer, pour voir mon misérable reflet dans ses sombres yeux vides, pour sentir la gâchette bouger sous mon doigt, et voir un éclat de lumière emplir la pièce sombre et solitaire. Le dernier écho de la pensée qu’une pauvre âme me trouverait ici.

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