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Ubloo (partie 2)

Partie 1
Partie 3
Partie 4
Partie 4.5
Partie 5
Partie 6


"C'est mon bébé ! Non, pitié, non !"

"J'ai dit RESTE EN ARRIÈRE, pétasse !" L'agent venait d'asséner à Mrs. Jennings un violent coup de matraque dans la mâchoire.

J'ai entendu son cri quand elle a reçu le coup, et j'ai vu ses dents brisées tomber sur le pavé dans un cliquetis sinistre. Ils étaient tous sur elle à présent, à la rouer de coups. Ils l'ont mise à terre, puis ont commencé à se relayer, martelant son dos l'un après l'autre. Elle n'avait pas cessé de les supplier de ne pas emmener son fils, mais ils ne l'entendaient pas, ils étaient trop occupés à rire. D'un rire maniaque, dément, qui me rendait malade.

Les infirmiers des urgences sont sortis de l'immeuble, portant Andrew sur un brancard. Ils le dirigeaient maladroitement, et à la première marche du perron, son bras a émergé du drap blanc dont on l'avait recouvert. Le brancard a tangué, et le corps d'Andrew a fini par en tomber, le vent emportant le drap.

"Putain de junkie, essaie au moins de te tenir tranquille pendant qu'on fait notre boulot bordel !" Sur ces mots, le brancardier a donné au cadavre d'Andrew un coup de pied dans le ventre.

J'ai regardé son corps se crisper et se plier sous l'impact. Le deuxième brancardier n'a pas tardé à le rejoindre, et ils ont continué à battre et à piétiner le corps sans vie d'Andrew. J'ai tenté de crier, j'ai tenté de leur hurler d'arrêter ça, mais quand bien même j'avais senti mes cordes vocales vibrer, aucun son n'était sorti de ma bouche. J'ai continué de regarder le spectacle alors qu'un des infirmiers s'emparait d'une grosse pierre dans une plate-bande fleurie. L'autre a alors fait rouler le corps sur son dos, et j'ai hurlé comme jamais je n'avais hurlé quand j'ai vu le rocher s'abattre sur le visage d'Andrew. Le craquement m'a fait comprendre que son crâne s'était brisé. Sa tête s'est alors tournée sur le côté, droit vers moi, le visage détruit, à peine reconnaissable.

"La fin est le commencement, docteur." Il me répétait ces mots, la mâchoire à moitié décrochée. "La fin est le commencement."

Et là, je l'ai entendu. Doux mais fort, petit mais impérieux, aigu comme un couteau mais aussi fluide que l'eau.

"Ubloo !"



Je me suis réveillé, essoufflé et en sueur. J'ai cherché frénétiquement des mains la table de nuit où j'avais laissé ma lampe torche. Je l'ai allumée et l'ai pointée d'un coin à l'autre de la pièce, cherchant quelque chose, n'importe quoi. Mais il n'y avait rien, si ce n'est les piles de boîtes qui parsemaient ma chambre d'hôtel.

J'ai allumé ma lampe de chevet pour regarder mon réveil. 4 heures 12 du matin. Je devrais me contenter de trois heures de sommeil.

J'ai ouvert le tiroir de la table de nuit pour y trouver mon flacon de pilules. Il était déjà à moitié vide. Je devrais bientôt me refaire une ordonnance, ce qui n'aurait pas pu mieux tomber - de toute évidence, il était temps pour moi de me remettre à nouveau en route. J'ai ouvert le pilulier et j'ai jeté deux comprimés d'Adderall dans ma bouche. Puis j'ai avalé la moitié du verre d'eau que j'avais laissé de côté.

J'allais devoir commencer à préparer mes bagages dès maintenant si je voulais partir en temps et en heure pour trouver un nouvel hôtel. Je me suis mis debout et ai étiré mes jambes et mon dos. À présent que je tournais aux drogues et aux nuits courtes, je pouvais sentir mon corps se détruire peu à peu. Je suis allé prendre sur la commode la bouteille de gin entamée la veille et en ai avalé une longue lampée. J'ai grimacé quand la saveur a envahi ma bouche. Je n'ai jamais été un grand fan de gin, mais c'est un des moyens les plus simples pour rafraichir l'haleine. En me tournant pour commencer à me préparer, je me suis brièvement aperçu dans le miroir.

J'avais les yeux rouges de fatigue, surmontant des cernes noirs. Mes cheveux partaient dans tous les sens en de petites touffes ébouriffées. J'avais un poil dru jusque sur les pommettes et sur le cou, qui donnait à ma barbe autrefois bien entretenue un air négligé.

"Bon dieu... comment j'en suis arrivé là ?"



Il y a seulement six semaines, les obsèques d'Andrew avaient eu lieu et je n'y avais pas assisté. Une part de moi accuse le fait que je n'aurais pas pu supporter de faire face à sa mère, l'autre pense que le seul fait de revoir Andrew mort me terrifiait. La semaine précédent l'enterrement, je peinais à rester concentré sur mon travail. Je ne pouvais pas cesser de penser à ce que j'avais entendu cette nuit-là avant de m'endormir.

Après une semaine, j'avais fini par le mettre sur le compte de la fatigue et de la boisson. Cela dit, je n'étais pas endormi quand c'est arrivé, je ne l'avais donc pas rêvé.

J'avais décidé de rendre visite à Mrs. Jennings pour donner une conclusion aux événements. Son bureau n'était pas très loin du mien pour une personne qui possédait la moitié des immeubles du comté, et je me suis dit que je méritais un jour de repos après ce que j'avais traversé.

Nous nous sommes rencontrés lors d'une fraîche journée de printemps. J'étais horriblement nerveux. À l'université, avant un oral, j'avais l'habitude d'apaiser ma tension avec un verre ou deux, pour me détendre. J'avais réutilisé cette technique ce matin-là, mais j'aurais probablement dû prendre un petit déjeuner plus copieux avant ça : au moment de descendre de voiture, alors que j'entrais dans l'immeuble, j'étais légèrement pompette.

J'ai été accueilli dans le hall par une charmante réceptionniste. Elle m'a poliment redirigé vers le troisième étage. Je suis entré dans l'ascenseur avec un autre homme, et nous sommes montés ensemble. Pendant la montée, je l'ai entendu renifler deux fois, avant de me jeter un regard en coin. Il devait sentir mon haleine...

Arrivé sur le palier, j'ai trouvé une fontaine à laquelle j'ai bu quelques gorgées. J'ai également mâché un autre chewing-gum avant de me lancer et de toquer à la porte de Mrs. Jennings.

"Oh, docteur A." Elle ne semblait pas surprise de me voir. "Entrez, je vous en prie."

Elle s'est écartée de la porte et m'a laissé pénétrer dans son bureau. J'ai rapidement remarqué qu'elle était en train d'empaqueter ses affaires. Le bureau était pratiquement vide, à l'exception de son ordinateur et quelques papiers.

"Vous déménagez ?" J'ai fait la remarque avec un petit sourire, dans l'espoir de détendre l'atmosphère.

"Oui". Elle a détourné le regard de mes yeux, regardant autour d'elle pendant qu'elle m'expliquait la situation. "J'ai trouvé quelqu'un pour racheter toutes mes possessions. Il y en aurait eu pour une fortune, mais je lui ai fait un bon prix. Je vais partir en voyage, voir l'Europe. Robert et moi en rêvions quand il était encore de ce monde."

"Eh bien, beau programme !" Ayant dit ça, je me suis rapidement rendu compte que mon enthousiasme était assez inapproprié. Mrs. Jennings avait à présent du mal à cacher son chagrin. J'ai donc changé de sujet.
"Mrs. Jennings, je suis terriblement désolé pour ce qui est arrivé à votre fils. C'était un jeune homme remarquable."

Ses yeux étaient humides à présent.

"Il l'était." Elle sanglotait. "Et je tiens à vous remercier, docteur. Le jour où vous l'avez reçu dans votre cabinet, il m'a appelé pour me dire qu'il ne s'était pas senti aussi bien depuis des années. Merci de m'avoir rendu mon fils pour un soir... avant que je le perde à jamais."

Elle a commencé à pleurer. J'ai regardé nerveusement autour de moi, et j'ai aperçu une photo : Mrs. Jennings, plus jeune, aux côté d'un grand homme aux épaules larges, affichant un grand sourire, et un Andrew enfant, habillé avec élégance. À ses côtés était assis un golden retriever, qui devait être Buster. Je me suis souvenu des rêves qu'Andrew m'avait racontés et j'ai frémi à l'idée. Je me suis approché de la boîte et j'y ai pris la photo.

"Ce doit être Robert, sur votre droite ?" Elle a relevé la tête entre deux sanglots et a vu la photo dans mes mains.

"Oh, oui. Mon Robert, seigneur, qu'il était beau. Et bien sûr il y a Andrew et son chien Buster."

Un frisson m'a parcouru l'échine tandis qu'elle disait son nom. Quelque chose me disait que Mrs. Jennings en savait très peu, sinon rien, au sujet des rêves que son fils subissait chaque nuit. J'ai regardé dans la boîte où j'avais pris la photo et ai vu sur le dessus de la pile, une offre pour une propriété. J'allais me tourner vers mon hôte, quand quelque chose a retenu mon attention.

"Mrs. Jennings ?" Je l'ai appelée, sans lever les yeux du papier.

"Je vous en prie, appelez-moi Gloria. Je ne me sens plus d'être appelée "madame"."

"Gloria, je pensais que toutes vos possessions se trouvaient dans le Massachusetts ?" Elle a marqué un moment de surprise après une question si hors de propos.

"Oui, c'est le cas." Elle examinait mon visage avec circonspection.

"Je vous prie de m'excuser, je n'ai pas pu m'empêcher de remarquer cette offre, pour une propriété en Louisiane ?" Elle a semblé perdue pendant un court moment, puis le souvenir lui est revenu.

"Oh, oui, c'était une propriété sur laquelle Robert lorgnait. Il adorait cette maison de planteurs. Honnêtement, je ne suis plus sûre de comment il a trouvé cette bâtisse. En fait, quand il a commencé à se rendre là bas régulièrement les week-ends, j'étais tout sauf sûre qu'il y allait pour les affaires, mais quand je lui ai demandé de m'y rendre avec lui, il n'y a vu aucune objection." Elle a pris l'offre de vente et en a feuilleté les pages, jusqu'à y trouver une photo qu'elle m'a tendue.

C'était une immense demeure ancienne, encadrée par une colonnade, la propriété délimitée par une clôture noire. Les fenêtres étaient trop sombres pour voir à travers, mais il semblait y avoir un étage, et la maison était presque trop haute pour entrer dans le cadre. Elle paraissait un peu défraîchie, mais je pouvais comprendre qu'elle ait suscité l'intérêt de Robert, elle avait le potentiel pour être un fabuleux lieu de résidence.

Après avoir regardé la photo un moment, j'ai pris la parole.

"Et cette maison... vous la vendez aussi ?"

"Pourquoi ça, docteur... Elle n'est pas à nous." Elle paraissait blessée par mes mots. "Robert nous a quittés avant que nous ayons pu signer la paperasse. Quel dommage, l'endroit était merveilleux."

Sans savoir pourquoi, mon coeur a un peu ralenti en entendant ça.

"Mais Robert se rendait souvent là-bas, peu avant son décès ?"

"Oui. Oui, en effet. Ce qui est étrange à ce sujet, c'est qu'il avait la réputation de se décider rapidement lorsqu'il s'agissait d'acquérir une nouvelle propriété. Souvent trop rapidement." Elle a gloussé. "Avec celle-ci, c'était comme s'il avait eu peur de se lancer."

Elle a remarqué avec quelle insistance je regardais la photo. "Vous semblez intéressé, docteur. Vous souhaitez déménager vous aussi ? Ou vous lancer dans l'immobilier ?"

"Peut-être..."

"Vous savez, ce carton est plein d'informations que Robert a rassemblées au sujet de cette maison, entre autres choses. J'avais l'intention de détruire tous ces documents, donc si vous souhaitez en garder certains, n'hésitez pas à vous servir."

J'ai mis un moment avant de bien saisir sa proposition.

"Oui, certainement. C'est une très bonne idée Gloria, merci à vous."

J'ai soulevé la boîte et me suis dirigé lentement vers la porte.

"Dites-moi, juste par curiosité..." Je me suis tourné à nouveau vers elle. "À qui appartenait cette maison avant ?"

"Oh, elle n'avait pas de propriétaire à proprement parler. Elle était inoccupée quand nous l'avons repérée. Techniquement, elle appartient à la banque de Louisiane. Avant ça, elle servait de locaux à une école."

"Une école ?"

"Oui. Si ce qu'a dit la dame qui nous a fait visiter est vrai, il s'agissait de la première école dans tout l'État dont tout le personnel était noir."

Je suis resté immobile, intrigué. La situation était vraiment étrange. Pourquoi Robert voulait acheter une ancienne école en Louisiane ? Pourquoi celle-là en particulier ? Et pourquoi avoir tant hésité à sauter le pas ?

Alors que je m'apprêtais à prendre congé, j'ai entendu Mrs. Jennings m'interpeller de derrière.

"Oh, une dernière chose, docteur."

"Oui ?"

"Je ne vais pas vous demander vos raisons - bien que j'aie mon idée là dessus - mais si vous avez l'intention de boire avant de sortir, buvez du gin."

J'étais surpris.

"Je vous demande pardon ?"

"Du gin, docteur. L'odeur est moins repérable. C'est ce que faisait Robert."

Je suis sorti du bâtiment un peu dans le vague, comme si tout ce que je venais de vivre n'était qu'un rêve. Je suis retourné chez moi sans détour et me suis mis à consulter la paperasse de Robert. C'était assez compliqué de prime abord. Je n'étais pas familier avec les documents immobiliers, et je ne comprenais pas vraiment ce que je regardais, mais au bout d'une heure à patauger, j'ai fini par prendre le coup.

J'ai trié les papiers sur la table de la salle à manger. Les documents en rapport avec la maison formaient une grosse pile. Apparemment, la maison appartenait à l'origine - dans les années 1800 -à une famille extrêmement fortunée, une des premières à avoir pris possession des terres quand nous avons acheté la Louisiane aux français. Je n'ai pas pu trouver quand la demeure est devenue une école, mais il semblait que la banque de Louisiane n'ait pas mis la main dessus avant les années 60.

J'ai jeté un oeil aux deux autres piles que j'avais constituées. L'une d'entre elles contenait des notes de Robert sans rapport avec la maison, l'autre, tout le reste. J'ai entrepris de remettre les papiers de la troisième pile, un à un, dans la boîte. Arrivé à la moitié, je suis tombé sur une pochette de kraft d'aspect usé. Je l'ai ouverte, et j'ai sorti les documents qu'elle contenait.

J'ai parcouru les premières pages, c'était encore des contrats de location pour des propriétés dans le Massachusetts. J'allais tout remettre dans la boîte, quand j'ai remarqué une série de nombres inscrite sur le coin d'un contrat.

"12-4-21"

J'ai séparé le document des autres. C'était un bail pour un studio à Cambridge. En regardant le document avec plus d'attention, j'ai aperçu un talon de chèque agrafé au dos. La somme à régler s'élevait à 180 000 $, adressée au cartel immobilier de Cambridge. Il avait loué cet appartement en son propre nom pendant dix ans. J'ai trouvé ça étrange. Pourquoi un des plus gros propriétaires de l'État irait louer une possession à un concurrent ?

En lâchant l'enveloppe sur la table, j'ai entendu un tintement métallique. Je l'ai donc reprise, et l'ai inclinée pour faire descendre ce qu'elle contenait. C'est une clé qui est tombée dans ma main, "Appartement E335" gravé dessus. Je suis revenu au contrat de location, et bien évidemment, l'adresse de l'appartement correspondait. 375, Broadway Street, appartement E335, Cambridge, Massachusetts.

Je suis resté figé un moment, puis j'ai résolument empoigné mon manteau. Je ne pourrais pas dire pourquoi j'ai ressenti ce violent besoin de m'y rendre de suite, mais tout ça paraissait bien trop anormal pour que je l'ignore. Mon instinct m'a dit d'y aller de ce pas, et je lui ai fait confiance.

J'ai atteint l'immeuble assez rapidement et j'ai bondi sur les marches du perron. La porte d'entrée était fermée. J'ai tenté avec la clé : elle s'insérait parfaitement, je l'ai tournée sans difficulté. J'ai senti mes nerfs se tendre. J'ai pénétré dans le hall, et j'ai repéré l'étage sur la boîte aux lettres. J'ai monté les marches quatre à quatre, jusqu'à atteindre le troisième étage. Et comme prévu, la porte de l'appartement E335 était juste devant moi. C'était comme si le temps s'était arrêté, je suis resté immobile, fixant la porte du regard sans rien faire. Ce matin encore, je cherchais juste à conclure cette histoire, et à présent je fouillais dans les archives d'un mort et je partais sur ses traces. Pour qui je faisais ça ? Moi ? Robert ? Andrew ? J'ai chassé ces pensées de mon esprit. C'était mon jour de congé, je ne faisais que passer le temps en jouant au détective.

J'ai inséré la clé dans la serrure, et j'ai tourné la poignée.

La porte s'est ouverte et je me suis trouvé en face d'une pièce unique. C'était un studio typique : kitchenette et salle de bains rassemblées dans un grand espace. Mais il n'y avait aucun meuble. La chambre était complètement vide, les murs à nu. Seul se tenait sur le sol au centre de la pièce, un coffre-fort.

Je me suis lentement approché du coffre, et j'ai posé ma main dessus. Le métal était froid. J'ai essayé de le déplacer, mais il était incroyablement lourd - les parois devaient être épaisses. Je me suis arrêté un moment, considérant l'étrangeté de la situation. Puis je me suis mis à genoux, et sans grande conviction, j'ai entré la combinaison.

"12-4-21"

J'ai entendu le mécanisme s'enclencher. Mon coeur s'est emballé.

Lentement, j'ai ouvert la porte du coffre. Au fond se trouvaient deux volumes. J'ai pris le premier et ai lu la couverture :

"Journal personnel de Robert A. Jennings"

Mes mains tremblaient. J'ai pris le second volume et l'ai feuilleté. C'était écrit dans un langage étrange que je n'avais jamais rencontré auparavant. À la première page, juste derrière la couverture, avait été glissé un morceau de papier plié. Je l'ai ouvert, et ce qu'il contenait m'a noué l'estomac.

C'était presque une copie conforme du dessin qu'Andrew avait exécuté à mon cabinet. En noir et blanc, ses yeux sombres scrutant mon existence même, se tenait ce terrible monstre, Ubloo.

Je ne sais plus ce que j'ai fait en premier, refermer sèchement le livre, ou me relever pour m'empresser de partir. C'est le moment où, sans vraiment savoir pourquoi, je me suis subitement dit que je n'avais rien à faire ici. Je n'étais pas supposé trouver toutes ces choses. Les deux livres dans les bras, j'ai couru hors de la pièce sans même fermer la porte derrière moi. Je suis allé directement à ma voiture, j'ai jeté les volumes sur le siège arrière et je suis rentré chez moi sans détour. Sans jamais arrêter de jeter des coups d'oeil derrière mon épaule, j'ai sprinté de ma voiture à la porte d'entrée, je suis allé à la cuisine, et j'ai lâché les indices sur la table.

Je me suis immédiatement mis à feuilleter celui écrit dans cette langue inconnue. Il paraissait incroyablement ancien, et il était richement illustré. J'étais arrivé vers la moitié, quand je suis tombé sur une illustration pleine page, représentant ce qui semblait être un Ubloo grossièrement dessiné. J'ai consulté frénétiquement les pages restantes, mais les comprendre paraissait totalement inenvisageable. J'ai mis ce premier volume de côté, pour m'emparer du journal de Robert.

"Mon nom est Robert A. Jennings, et durant les 12 derniers mois, j'ai été affecté par des rencontres répétées dans mes rêves avec une entité que j'appellerai l'Ubloo. Je suis conscient des réactions que peut susciter une telle affirmation, mais tout ce qui est rapporté dans ces pages doit être considéré avec un sérieux absolu ; je crains en effet de ne plus être très longtemps de ce monde."

Je ne pouvais pas croire ce que j'avais sous les yeux. Ça devait être un rêve... un rêve vraiment tordu. Dans les pages qui suivaient, Robert décrivait par le menu les rêves que l'Ubloo lui faisait subir. Bloqué au sol, tandis que son fils sautait d'un immeuble pour finir par s'écraser sur le trottoir juste devant lui, encore et encore. Forcé à regarder sa femme le tromper avec ses voisins, son fils filmant leurs ébats avant de le battre à mort sous les rires de son épouse. Voir ses parents brûler vifs dans un incendie, les pompiers trop occupés à battre sa femme pour leur porter secours. Des choses horribles. Comment un homme avait pu survivre si longtemps en subissant chaque nuit cette torture, je l'ignore.

J'ai passé rapidement les pages suivantes, jusqu'à arriver dans la zone qu'il n'avait pas encore noircie de ses récits. J'ai marqué un arrêt au moment d'arriver aux premières pages blanches, considérant avec gravité que Robert n'avait pas survécu assez longtemps pour en remplir davantage. Lentement, j'ai reculé de quelques pages pour trouver l'ultime entrée de son journal. À l'instant où j'ai lu ces mots, j'ai lâché le livre comme s'il était en flammes et j'ai reculé de quelques pas, le fixant avec horreur.

"La fin est le commencement."

J'ai marché de long en large dans la pièce, réfléchissant intensément à tout ce qui s'était passé. C'est alors que j'ai entendu un bruit dans la cuisine. J'y suis entré pour voir ce que c'était, et juste à ce moment, j'ai senti une douleur violente à l'arrière de la tête. Je suis tombé face la première sur le sol, avec la sensation qu'on venait de me briser le crâne.

"Regarde chérie, IL EST RENTRÉ !" C'était une voix que je ne connaissais pas. Une paire de bottes noires est arrivée juste à côté de mon visage, et m'a tapé doucement sur le front. "Allez, on se réveille, doc !"

Du sol, j'avais du mal à bien évaluer la situation. Il y avait les pieds de cet homme chaussé de bottes noires, et à l'autre bout de la cuisine se tenait un autre homme, entièrement vêtu de noir, avec des lunettes de ski.

"Pitié docteur, aidez-moi !"

"La ferme salope, il peut rien pour toi !" C'est la réponse qu'il lui a donnée tout en lui donnant un coup de crosse sur la tempe. Elle s'est mise à pleurer.

Ma vision s'est éclaircie, et finalement j'ai reconnu la femme. C'était Andrea, ma réceptionniste. J'ai crié son nom, mais immédiatement, mon agresseur m'a calmé d'un coup de pied dans le ventre.

"T'as pas dû bien entendre mon pote. Tu peux rien faire pour elle." Il me regardait de haut pendant que j'étais plié de douleur.

Il a reculé d'un pas et a abattu son pied droit sur ma rotule. La douleur m'a inondé instantanément. J'ai crié, tentant d'empoigner ma jambe, mais il a fait suivre son coup immédiatement par un autre, encore plus violent.

"Pitié docteur ! Pitié, à l'aide ! Ils vont me tuer !" Andrea continuait de supplier à l'autre bout de la pièce.

"Je t'ai dit de la fermer, salope !" La crosse de l'arme a claqué encore et encore contre son crâne, je l'ai entendue sangloter.

"Exactement, poupée." Le premier agresseur avait pris la parole. "On va te tuer. Mais d'abord, on va te faire bien mal, et ensuite, on va s'amuser un peu."

"Non, pitié, arrêtez !" J'ai levé les yeux juste à temps pour entrevoir un coup de feu, j'ai entendu le hurlement d'Andrea, et à ce moment, comme naissant de tout ce vacarme, j'ai entendu le cri retentir juste derrière moi.

"Ubloo !"



Je me suis réveillé dans la pénombre, hurlant de terreur. Ma gorge me faisait mal et ma chemise était trempée de sueur. J'ai commencé à paniquer. Je me suis rendu compte que j'étais assis à la table de la salle à manger, et je me suis précipité sur l'interrupteur. La lumière a inondé la pièce : il n'y avait rien, personne. Pas de bruit, personne dans la cuisine. D'un coup, ça m'est revenu. Comment j'avais pu m'endormir sans m'en rendre compte ? Après avoir lu ces mots dans le journal de Robert, je m'étais rassis et je consultais de nouveau les contrats de location, qui étaient présentement tous étalés devant moi. J'avais dû m'endormir pendant la tâche, mais pourquoi je ne me rappelais pas m'être assis ?

Et puis je me suis rappelé de ma conversation avec Andrew. Comment l'Ubloo avait découvert qu'il pouvait le faire souffrir bien plus pendant un micro-sommeil. L'efficacité avec laquelle il s'emparait de ses rêves quand il baissait la garde. J'étais tellement pris dans mes pensées que je réalisais mal ce qui m'arrivait, mais quand l'évidence s'est imposée, j'en ai eu des nausées. Ça ne pouvait pas m'arriver, pas à moi. Ça ne pouvait pas être réel. J'ai tout fait pour chasser cette pensée de mon esprit, mais je me pouvais pas. Je ne pouvais tout simplement pas. Ubloo contrôlait mes rêves maintenant.

J'ai rendu mon déjeuner sur la table. Tout ça arrivait trop vite.

J'ai regardé frénétiquement autour de moi. Je devais faire mes valises. Je devais sortir d'ici. Peut-être que si je fuyais, il serait forcé de me poursuivre. Ça méritait d'être tenté.

Je suis entré dans ma chambre et ai commencé à rassembler mes affaires. J'ai récupéré mon bloc d'ordonnance dans ma mallette. J'allais certainement en avoir besoin. J'ai jeté en vrac tout ce que j'avais dans ma valise, avant de réaliser que je n'avais même pas idée d'où aller.

Puis ça m'a frappé. La Louisiane.

J'allais prendre un avion pour la Louisiane. C'est l'idée qui m'a guidé pendant que je rassemblais mes affaires, mais à mesure, j'ai fini par y mettre un bémol. Je n'arrivais pas à me persuader que j'allais me rendre à cette maison pour poursuivre les travaux de Robert. Je ne pouvais pas encore, j'en savais trop peu.

J'allais y aller en voiture.

J'allais faire mes étapes dans des hôtels, et avancer dans mes recherches pendant ces arrêts. Relire le journal de Robert, découvrir la clé pour comprendre le vieil ouvrage, trouver cette maison que Robert voulait acquérir. J'avais trop à faire pour me contenter d'un vol vers la Louisiane. Je devais apprendre, étudier tout ce que mon prédécesseur avait écrit et essayer d'y trouver l'espoir d'en finir avec Ubloo.



Et j'en suis là six semaines après, prêt à faire une nouvelle étape. Je traînais mon sac derrière moi alors que je m'approchais de la réception de l'hôtel que je m'apprêtais à quitter.

"Vous nous quittez déjà, monsieur Abian ?" m'a interrogé la fille derrière le comptoir.

J'ai souri. "Oui, je regrette mais il faut que je me remette en route maintenant."

"Eh bien, c'était un plaisir de vous avoir avec nous. Je me sens toujours plus en sécurité quand un médecin séjourne avec nous." Elle m'a rendu mon sourire.

J'ai fait mes adieux avant de franchir la porte. 7h01. Parfait. Je serais dans le Mississippi dans la soirée. Je trouverais un endroit où dormir, puis, avec un peu de chance, je pourrais parler un peu à Eli s'il accepte de rester debout aussi tard.



Tout semblait aller bien. J'ai relevé les yeux de ma montre... et je me suis figé.

Il a disparu dans l'instant, mais je sais que je l'ai vu. Je jure que je l'ai vu. Juste avant qu'il disparaisse au coin de la rue. Posté derrière le mur, sa tête grise à la peau luisante, et ses yeux noirs, vides. Son long groin s'est balancé légèrement alors qu'il reculait.

Je suis resté là, immobile, mon sac à la main, attendant de me réveiller.

Mais je n'étais pas endormi.






Traduction : Tripoda

Texte original

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