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Mon pire ami


Temps approximatif de lecture : 15 minutes.

Connaissez-vous cette sensation étrange que je m'apprête à vous décrire ? Je ne doute pas que cela en fera tiquer plus d'un. C'est un ressenti assez courant, surtout de nos jours. Quand on se sent mal sans vraiment savoir pourquoi, quand on ressent l’envie de voir des gens autant que celle de les fuir, quand écouter nos morceaux de musique préférés ne produit plus le même effet euphorisant, quand tenir une conversation nous paraît aussi éreintant que de se lever d'une chaise avec quarante de fièvre, quand on appréhende toujours les choses, se focalisant systématiquement sur la pire issue possible aux moindres événements et interactions avec ce qui nous entoure.

Quand on est pris d'un pessimisme insurmontable.
Ce que l'on nomme communément « dépression » est un comportement humain complexe, pouvant varier d'une personne à l'autre, mais dans lequel on retrouve toutefois un bon nombre de symptômes récurrents.

Comme je l’ai sous-entendu plus tôt, nombreux sont ceux qui peuvent prétendre l'avoir déjà expérimenté et ce pour maintes raisons. Il est néanmoins difficile de savoir distinguer les deux catégories de personnes se disant atteintes par ce mal. Au-delà des cas dans lesquels elles vivent un réel calvaire, il faut également se rappeler que beaucoup « feignent » cet état d'esprit par défaut d'attention. On dirait presque que c'est une mode aujourd'hui : des personnes mentant ou exagérant grossièrement à propos de supposées tares mentales, parfois pour justifier un comportement que l'on désapprouverait, d'autres fois par pur souci d'originalité. Cela leur permet de trouver une échappatoire à la normalité sociale que l'on prisait tant autrefois, celle qui prévalait au point de nous faire discriminer toute marque de différence. « Mental disorder is the new black » pourrait-on dire. C'est une mode inavouée, inconsciente, comme un accent, comme une discrimination positive.

Mais la mode est quelque chose d'artificiel, factice. Elle imite, reproduit, redéfinit, embellit, tout en laissant les copeaux de la réalité s'envoler derrière elle.
Qu'en est-il de ceux qui se cachent ? Qui ne « posent » pas ? Qui survivent à travers leur psyché torturée par on ne sait quels bourreaux ?

J'ai vécu leur calvaire.

J'ai rencontré ces bourreaux.

Je n'ai pas cherché à comprendre, au début. C'est le genre de comportement qui vous vient, sans crier gare, parfois progressivement, parfois du jour au lendemain. On subit sans vraiment se poser de questions. Maintenant, je ne sais plus si la satisfaction de connaître la vérité derrière tout ça valait le coup de renoncer au doux confort de l'ignorance.

J'ai rencontré Marc un soir chez l’ami d’un ami, en m'y faisant entraîner bon gré mal gré. Vous connaissez probablement ce genre de programme : on commence une soirée avec deux ou trois amis qui s'annonce plutôt calme et tranquille, puis arrive l'opportunité de la poursuivre chez un autre type, avec l'opportunité de faire de nouvelles connaissances. On y va en imaginant notre meilleure vie, et on finit par bien se faire chier comme il faut une fois sur place.
Ce soir-là donc, alors que j'allumais ma onzième cigarette pour avoir l'impression de faire quelque chose de mes dix doigts au lieu de rester tout raide à ne rien faire et à ne parler à personne, Marc est venu à ma rencontre en me demandant du feu. Il est resté à côté de moi tandis qu'il fumait et m’a demandé si je connaissais notre hôte. Je lui ai répondu que non. « Ça tombe bien, moi non plus », m’a-t-il dit. On a commencé à rigoler en imaginant que le type chez qui on était ne connaissait en fait absolument personne parmi les gens qui étaient chez lui, qu'il était juste en train de subir un gros squattage mais qu'il avait finalement décidé de s'adapter, le genre de scène qu'on verrait dans un « feel good movie ».

On a sympathisé.

J’ai remarqué qu'on se retrouvait dans pas mal de choses. Nous utilisions les mêmes expressions, appréciions tous deux les mêmes types de jeux vidéo, regardions les mêmes films, avions un humour assez similaire et détestions les gens qui participent à un débat en commençant leurs phrases par « à mon humble avis ».

Le lendemain au réveil, ça n’a pas raté : j'étais tout cassé et j'avais du taf en retard. Je suis monteur audiovisuel et graphiste, et possède donc le luxe de pouvoir travailler régulièrement depuis chez moi. La gueule de bois tenace, je me suis néanmoins forcé à reprendre les travaux que j'avais débutés la veille sur mon ordi.

Au bout d'une heure de vains efforts à tenter de tirer quelque chose de mon cerveau, j’ai décidé d'abandonner et de remettre ça au lendemain. C'est presque immédiatement après cette prise de décision que j'ai entendu la sonnerie de notification de mon téléphone.
C'était Marc, proposant que l'on se voie en ville. J'étais surpris, mais assez content. Nous n'avions même pas songé à échanger nos numéros à la fin de la soirée, je ne savais donc pas trop comment Marc avait eu le mien. Mais sur le moment, je m'en fichais. C'est toujours agréable de se dire qu'on a réellement sympathisé avec quelqu'un et ce de manière assez spontanée.

Alors que l'on se posait dans un parc, on a échangé sur nos gueules de bois respectives tout en tentant idiotement de se donner le crédit de celui qui avait la pire. L'après-midi a passé, on a rigolé, reprenant nos conversations de la veille là où on les avait laissées.
On sait qu'on a des atomes crochus avec quelqu'un quand tout ce que l’on exprime dans sa direction semble sortir tout seul, et dans le plus grand naturel qui soit. C'est toujours agréable.

À la fin de l'après-midi, on s’est quittés, aucun de nous deux n'ayant vu le temps passer. Alors que je rentrais, j'ai reçu un message de la part d'un ami que j'avais vu la veille me proposant de sortir de nouveau le soir-même, mais j’ai décliné, ayant décidé que je voulais juste rester tranquillement à me terrer dans mon chez-moi. Une fois arrivé, j'ai essayé de trouver Marc sur les réseaux sociaux, ayant considéré qu'on était passés du stade de « vague connaissance » à celui de « bon ami potentiel ». Toutefois, je ne suis pas parvenu à le trouver, même en passant par des gens qu'il semblait connaître. J’ai été légèrement frustré mais je n’ai pas vraiment trouvé ça bizarre. Après tout, bien que quasiment tout le monde à ce jour eut possédé un compte sur au moins un réseau social connu, il a toujours existé des irréductibles, et Marc devait tout simplement être l'un d’eux. Ce n'était pas bien important de toute façon, et j'imagine que j'étais juste curieux.

Le lendemain, j'ai eu l'impression d'être malade, mais je n'avais visiblement pas de fièvre, alors j’ai mis ça sur le compte de la fatigue. Néanmoins, je suis arrivé à reprendre mon travail avec un peu plus d’efficacité que la veille, même si arrivé à un certain stade de ma progression, je me suis arrêté net comme étant pris d'un vif sentiment de vague à l'âme. J’ai pris du recul pour observer le travail toujours inachevé sur lequel je planchais depuis plus d'une semaine et me suis mis à lui trouver un terrible manque de subtilité et de pertinence, comme quand on passe un examen écrit et qu'une fois arrivé en plein milieu, on a la soudaine impression d'être complètement hors-sujet.

J’ai balisé un petit temps avant d'essayer de me rationaliser, me disant que j’étais définitivement trop fatigué pour travailler aujourd'hui, et que rien de bon ne pourrait sortir si je commençais à analyser ma production à ce stade et dans cet état. Je me suis donc posé pour regarder une série Netflix et ne sachant trop que choisir, j'ai décidé de regarder à nouveau la première saison de « Stranger Things ». Cependant, je me suis surpris à me lasser assez vite durant le visionnage. Rien de bien étonnant, il arrive parfois d'être moins à fond lorsqu'on regarde pour la seconde fois un film ou une série qu'on a déjà apprécié.

J’ai éteint la télé, un peu blasé. J’aurais pu jouer un peu sur l'ordi, mais ça ne m'a pas vraiment dit. L'ennui m'a gagné, et j'ai un peu tourné en rond dans mon appartement. C'est chiant, mais ça arrive. Vers la fin de la journée, j’étais presque ravi d'aller me coucher, comme si celle-ci avait été assez pénible comme ça.
Le lendemain, j’ai retrouvé le même état de fatigue, sans fièvre ou symptômes particuliers, et j’ai commencé à trouver ça réellement bizarre. Je savais bien que les effets des lendemains de soirée ou de fête pouvaient parfois perdurer quelques jours, surtout avec l'âge, mais je n'avais même pas 30 ans et n'avais pas l'impression d'avoir tant bu que ça lors de la dernière soirée à laquelle j'avais pris part.

Après avoir fait un passage rapide à la douche et m'être préparé du café, j’ai regardé mon écran d'ordi comme s'il me suppliait de l'allumer, mais le simple fait d'avoir anticipé ma journée de travail me l’a fait apparaître comme une montagne impossible à gravir. J'étais surpris d’être aussi effrayé par la tâche à accomplir. J'aimais mon job et même si tous les travaux qui m'étaient donnés à faire n’étaient pas passionnants, je parvenais quand même à m'appliquer pour maintenir un rythme de travail correct. Mais c’étaient deux jours de suite que j'avais été bon à rien, et je n’étais pas certain que ça s’arrangerait lors des suivants.

J'ai envoyé des messages à des amis pour leur proposer de sortir, mais étrangement, j’en suis venu à espérer qu'ils ne répondraient pas ou ne pourraient pas. Pourquoi leur avais-je demandé alors ? J'imagine que je cherchais juste quelqu'un pour me plaindre. C'est là que j’ai pensé à Marc. J'avais bien apprécié de le voir la dernière fois, et bien qu'on ne se soit rencontrés que l'avant-veille, j'ai eu l'incompréhensible sentiment de vouloir passer plus de temps avec lui.
Mais alors que je me préparais à retrouver son numéro dans mon historique d'appels, chose aussi surprenante que lorsqu'il m'avait contacté pile au moment où je songeais à sortir, il a devancé ma proposition en m’appelant.

On n’a pas perdu de temps et on s’est rapidement retrouvés à une terrasse de café. On a discuté de tout et de rien, comme si on se connaissait depuis toujours. A ma grande surprise étant donné que c'était lui qui m'avait proposé ce lieu comme point de rendez-vous, Marc n’a rien commandé.

Il m'a demandé quel boulot je faisais. Quand je lui ai répondu, il a paru particulièrement intéressé. Il m’a demandé tout un tas de précisions. Les lui donner ne me dérangeait pas, j'étais même plutôt flatté qu'il se montre si concerné. Après tout, on était des cinéphiles tous les deux. Mais le ton de la conversation a quelque peu changé lorsqu'il m’a interrogé sur la façon dont je voyais ma carrière évoluer dans quelques années.

Au début, j'étais juste un peu déconcerté. La projection dans le futur, ce n’est pas vraiment un exercice mental que j'aime essayer. J’ai tenté de répondre le plus pertinemment possible. J'ai suggéré que je pouvais éventuellement me voir dans une situation confortable, vivant simplement dans une maison à la campagne, loin du stress ambiant de la ville. Cette réponse me convenait, elle restait plutôt vague et ne m'engageait pas à énormément d'ambition non plus.

Marc m'a alors regardé comme s'il me prenait en photo des yeux. Il a eu un léger rire ponctué avant de me répondre que c'était déjà pas mal ambitieux comme plan, et que j'avais intérêt à mettre les bouchées doubles si je voulais y parvenir. C'était raide comme réponse, mais honnête, me suis-je dit.
Il ne s'est pas arrêté là. Il a pris un ton très sérieux pour me laisser entendre que du temps libre, ce n'était pas franchement ce qui avait l'air de me manquer en ce moment.

Je dois dire que je le trouvais un peu vache de me pointer ainsi du doigt, mais avant que je n'aie pu rétorquer, il s’est levé, me signalant qu'il devait partir. Sa spontanéité m’a surpris. Il m’a fait un léger signe de la main en s'éloignant, me laissant seul. Avais-je dit quelque chose qui aurait pu lui déplaire pour qu'il se montre soudainement aussi sec ?

Je suis rentré chez moi, désemparé, avec le sentiment tenace d'avoir déçu Marc sans savoir comment. Je me sentais mal. Arrivé à la maison, j’ai reçu un texto de part. Son contenu m’a déconcerté plus que tout ce à quoi j'aurais pu m'attendre de la part d'une personne rencontrée deux jours auparavant.

« Quand est-ce que tu vas te décider à dire à Max que tu l'aimes ? »

J'étais complètement décontenancé. Max est une amie que je connais depuis quelque temps et envers qui je ressens effectivement certains sentiments. Mais cela n'a même pas été évoqué avec Marc. Max était présente à la soirée où lui et moi nous sommes rencontrés, mais je ne pense pas qu'il ait pu en déduire quoi que ce soit, à moins que quelques regards en coin inconscients ne m'aient trahi. Après tout, peu importaient les indices qui auraient pu le faire tiquer.
A vrai dire, je n'étais pas vraiment ravi qu'il se montre aussi cru envers moi, surtout après m'avoir laissé en plan sans aucune raison apparente. Je m'apprêtais à lui exprimer le fond de ma pensée quand, avant même que je n'aie pu finir d'écrire mon message, Marc m'en a envoyé un second.

« Je me doute que j'ai l'air indiscret avec ça, mais au moins, ça équilibre avec ton genre à t’écraser beaucoup trop face aux choses et aux gens ».

Qu'est-ce qui était en train de se passer exactement ? Cette personne, dont je commençais tout juste à apprécier l'amitié spéciale, se mettait à me parler comme un psychiatre avant-gardiste aux méthodes radicales directement inspirées de Machiavel. J'avais l'impression de passer un interrogatoire.

Cette fois, Marc m’a néanmoins laissé le temps de répondre. J’ai décidé de conserver un langage soutenu pour lui faire remarquer que je n'appréciais pas trop qu'il aborde aussi sèchement des sujets si personnels. Sa réponse ne s’est pas fait attendre.

« Oh pardon. Je m'en voudrais de bousculer tes habitudes. Après tout, le silence est d'or et j'imagine que tu es plutôt du genre avare de paroles. »

« Mais c'est quoi son problème ? » me suis-je dit. Non content de me reprocher quelque chose qui ne le regardait en aucune façon, il semblait prendre un malin plaisir à parler en énigmes, à tourner autour du pot. C'en était trop. Je n'avais pas besoin de ça. J’ai décidé d'éteindre mon téléphone pour la soirée.

Je n’ai cependant pas pu m'empêcher de me focaliser sur ses derniers messages. Il est vrai que j'avais confié à Marc mes quelques insécurités au niveau social. Durant mon enfance, comme beaucoup d'autres, il m'est arrivé de subir la violence d’une mauvaise position dans la hiérarchie sociale de la jungle des milieux scolaires. Bizuté, racketté, moqué, parfois même frappé, ce qui aurait dû être mes années d'insouciance s’est révélé être la source de bien pénibles souvenirs qui montrent encore leurs marques aujourd'hui. Beaucoup de psys vous le diront, les traumas de l'enfance sont souvent ceux qui restent gravés le plus longtemps.

Je suis donc une personne plutôt effacée socialement, j'en suis bien conscient, mais surtout, j'en suis satisfait. J'ai développé une méfiance naturelle à l'égard d'autrui. Ça a d'ailleurs particulièrement influencé mon choix de carrière.
La solitude ne me pèse pas vraiment, mais il m'arrive d'essayer d'imaginer ma vie si certains aspects de mon passé étaient différents.
J’ai eu une seule relation amoureuse. C'était assez bateau. Le cas classique d'une personne réservée qui rencontre une autre personne réservée et où, du coup, ça colle entre les deux. Ou du moins, on croit que ça colle. Et puis, il ne faut pas longtemps avant de s'apercevoir que ce seul point commun ne peut pas suffire. Alors on arrête l'affaire et on met les bouts.
Oui, j'ai un certain nombres d'insécurités, et Marc le savait, donc j'imagine qu'il y faisait allusion dans ses derniers messages. Mais c'était bien trop abrupt. Je me sentais mal. J'avais l'impression que quelque chose n'allait pas, que JE n'allais pas. Dans quoi ? Je n'en savais rien, ce qui renforçait ma détresse. J’aurais pu me remettre à travailler pour mettre ça de côté et penser à autre chose, mais je n’y arrivais pas. C'était impossible. 

Les jours ont passé. Un matin, j'ai entendu toquer à ma porte. N'attendant aucun visite, j'ai supposé qu'il s'agissait d'un voisin, du gardien de l'immeuble, ou de mon propriétaire.

C'était Marc.

Après avoir ouvert, je suis resté figé un petit temps, résolument surpris de recevoir une telle visite improvisée, à plus forte raison quand on sait que je ne lui avais absolument pas communiqué mon adresse.

«  Je voulais passer te voir, prendre des nouvelles. C'est Louis qui m'a donné ton adresse. C'est aussi lui qui m'a filé ton num', d'ailleurs. »

Louis était l'ami qui m'avait emmené à la soirée où j'avais rencontré Marc. J'étais assez décontenancé par la situation, mais au bout d'un moment, j'ai fini par lui proposer de rentrer, un peu gêné et ne sachant pas trop comment réagir autrement. Marc s'est exécuté, et s'est installé sur l'un des fauteuils du salon. Je l'y ai rejoint.

« Je vois que ça a pas vraiment évolué de ton coté. »

J'avais à peine eu le temps de m'asseoir à mon tour qu'il commençait déjà à m'évaluer de la même façon étrange que la dernière fois, à la terrasse du café.

«  Qu'est-ce que tu veux dire ? lui ai-je demandé.
- Tu t'enfonces, on dirait. Je sais que t'as déjà l'habitude de te laisser dériver en général, mais là, tu t'enfonces. »

Je commençais à perdre patience, et je lui ai fait comprendre.

«  Mais pourquoi tu focalises là-dessus ? C'est si important que ça pour toi, de me dire soudainement comment gérer mes angoisses ?
- On verra, ça dépend. »

J'admets ne pas m'être attendu à cette réponse. J'étais tellement surpris que j'en ai oublié mon énervement.

« Comment ça « on verra » ?
- Je voulais juste voir si c'était juste une phase. J'ai bien senti que tu n'étais pas au top les quelques fois où l'on s'est vu. »

C'était juste ça alors ? Une manière un peu maladroite de se rapprocher de moi en jouant les oreilles attentives ? Je me susi un peu adouci en supposant que Marc n'était peut-être finalement qu'une personne comme moi, n'ayant pas beaucoup d'amis, et ne sachant pas trop comment s'y prendre avec les gens. Mais même en me disant ça, je ne me sentais pas encore à l'aise à l'idée de me rapprocher autant de lui. Je lui ai assuré qu'il n'y avait pas de quoi s'en faire. Et puis honnêtement, j'étais encore assez remonté de la fois où il avait mentionné Max, et ça ne m'intéressait plus vraiment d'entamer de nouvelles conversations avec lui.

Trois jours plus tard, je prenais le métro pour me rendre dans le centre-ville. Au moment où la rame se relançait après un énième arrêt, j'ai entendu un « Coucou » derrière moi, prononcé par une voix relativement familière.

Bien sûr, c'était Marc.

Il s'est empressé de me demander où je me rendais. Pour tout dire, je sortais surtout pour éviter de rester chez moi. Bien sûr, et paradoxalement, en me rendant dans la foule urbaine, j'espérais ne croiser personne qui me serait familier, de près ou de loin. Par conséquent, je lui ai simplement dit que j'allais à la recherche d'une bonne boulangerie.

« Ça tombe bien, j'en connais une extra ! » m'a-t-il répondu.

Evidemment, il m'a proposé de m'y emmener. J'ai accepté à contrecœur, arraché à mon désir originel de marcher aléatoirement dans les rues du centre.

On est arrivés assez vite à destination. Mais une fois sur place, j'ai réalisé que j'aurais préféré être n'importe où, tant que c'était ailleurs : Max était là. A attendre son tour dans la file d'attente.

Non pas que je voulais éviter de croiser la personne que j'aimais en secret, mais ce n'était pas franchement le moment, considérant mon humeur. Si elle me voyait, on allait devoir se parler, et je ne savais si j'en aurais été capable. Max est l'archétype de la personne extravertie et populaire. Drôle. Bavarde. Dynamique. Jolie. De quoi j'avais l'air, moi ? Je sur-réfléchis probablement trop les choses en me comparant autant à elle, mais en même temps, elle a tout pour plaire. Je n'étais probablement pas le seul à l'avoir en vue. Je savais que je devais trouver une personne qui me correspondait plus. Max est l'exact contraire de ce que je suis. On dit que les opposés s'attirent, mais dans une hypothétique relation entre elle et moi, ils ne pouvaient que se repousser, c'était sûr.

« C'est éreintant, pas vrai ? »

La voix avait surgi de derrière mon épaule. C'était Marc, toujours là. J'avais complètement oublié sa présence à cause de mon monologue intérieur.

« Qu'est-ce qui est éreintant ? ai-je répondu.
- Cette manie d'avoir mille et une pensées qui t'inondent et t'enfoncent à sa simple vue.
- De quoi tu parles ?
- Te fous pas de moi, y a ton crush devant nous. J'ai bien vu que tu balisais. »

Marc remettait ça avec son implication un peu forcée dans ma vie intime. Je n'étais pas franchement d'humeur et cette fois, je n'hésiterais pas à lui dire de fermer sa gueule.

« Je suis content que tu te décoinces, mais ça n'apportera rien de constructif avec moi. »

Qu'est-ce qu'il racontait ? Et pourquoi s'évertuait-il à ce point à me parler comme si on était super proches ? J'étais prêt à mettre les attitudes bizarres de Marc sur le compte d'une personnalité plutôt unique et de quelques tares et maladresses sociales, au même titre que les miennes. Mais là, tout de suite, il me donnait plutôt l'impression de quelqu'un qui voulait me pousser dans mes derniers retranchements.

J'ai décidé de le prendre à part des gens, hors de la boulangerie.

« Écoute, au bout d'un moment, qu'est-ce que tu me veux ? Tu te comportes avec moi comme si ma manière de gérer ma vie, mon travail ou mes émotions ne te convenait pas. Pourquoi tu veux à ce point t'en mêler ? Je sais qu'on a bien accroché les premiers jours suivant notre rencontre, mais on n'est pas non plus les meilleurs amis ou je-ne-sais-quoi, ok ?
- Bien sûr que non, on ne l'est pas. Je suis même surpris que tu aies pu croire ça. »

Encore une fois, j'admets ne pas m'être attendu à ce genre de réponse.

« J'ai pas vraiment besoin d'amis, tu sais. Ce dont j'ai besoin, c'est de gens comme toi.
- Comme moi ? Comment ça ?
- Tu trouveras tout seul. Vu où t'en es, j'ai plus vraiment besoin de faire semblant. On se voit plus tard. »

Et juste comme ça, sur cette dernière phrase incompréhensible, le voilà qui repartait. Je me retrouvais de nouveau planté là, hébété, à ne pas comprendre ce qu'il venait de se passer.

Qui était-il vraiment ? Pourquoi me parlait-t-il comme s'il me connaissait depuis toujours, et comme s'il s'attendait à ce que ce soit la même chose pour moi ?
C'est alors que je me suis souvenu de ce qu'il m'avait dit la fois où il était venu me voir chez moi. Il m'avait laissé entendre que Louis, mon autre ami, lui avait donné mon numéro et mon adresse. Si Marc était passé par lui, tous deux devaient se connaître au moins un peu. J'ai donc décidé d'appeler Louis.

Celui-ci n'a pas mis trop de temps à répondre.

« Salut ! Comment tu vas ? m'a-t-il lancé avec son habituel ton décontracté.
- Salut Louis. J'espère ne pas te déranger. Je t'appelle car je me posais quelques questions à propos de quelqu'un que tu pourrais connaître.
- Ho ho ! J'espère que tu prévois pas de stalker qui que ce soit, mon gars.
- Quoi ?! Mais non, t'es con. C'est même pas d'une fille qu'il s'agit en plus.
- Ça veut rien dire, ça. »

Louis est un authentique bon ami, pour le coup. Rien d'étonnant, dans son cas, à ce qu'il se comporte de manière aussi familière avec moi.

« Bon, de qui il s'agit du coup ? a-t-il repris.
- Marc, un type que j'ai rencontré durant la dernière soirée improvisée qu'on a faite chez un de tes potes.
- Marc ? Là, comme ça, ça me dit rien.
- T'es sûr ? Il m'a laissé entendre que tu lui avais donné mon num', et même mon adresse. »

Louis est resté silencieux un instant au téléphone, puis a repris la parole.

« Euh, non.
- Comment ça, « euh, non » ?
- Ben, non, je n'ai jamais donné ton num' à qui que ce soit, encore moins ton adresse, et je connais pas de Marc.
- T'es sûr ? J'étais avec lui pendant quasiment toute la soirée.
- Je visualise pas du tout pour le coup. De ce que je m'en rappelle, à cette dernière soirée, tu étais dans ton coin à ne parler à personne. Je suis même allé te voir à un moment pour voir si tu te faisais pas trop chier, mais tu m'as même pas calculé. T'avais comme le regard dans le vide, l'air perdu dans tes pensées. Du coup, j'ai pas trop insisté. »

J'ai frémi, à l'entente de la dernière réponse de Louis. Mais rapidement, je me dis que c'était juste une blague nulle qu'il me faisait. Après tout, il est le genre de personne à aimer troller les autres.

«  Ha ha, très drôle Louis, me suis-je empressé de lui rétorquer.
- Wesh, je te jure gros. Je sais que j'ai tendance à blaguer, mais là, sur le moment, c'était un peu bizarre. Et puis, tu me vois imaginer un truc pareil juste pour rire ?
- Je vois surtout que c'est pas drôle, Louis. »

J'ai continué sur ma lancée, déterminé à ne pas me laisser prendre au jeu d'une mauvaise blague un peu trop élaborée. Mais ça me perturbait quand même qu'elle puisse l'être à ce point, et Louis n'avait pas tort. Je le voyais effectivement mal avoir ce genre d'humour, il est plutôt du genre à faire du comique de situation.
Ça ne servait pas à grand-chose de poursuivre la conversation maintenant. Si Louis me faisait réellement une blague avec Marc comme complice, il n'allait pas l'avouer maintenant, et si, au contraire, il s'avérait qu'il était sérieux, il n'allait pas non plus changer sa version des faits. J'ai donc décidé de faire court, et de raccrocher.

Tout de même, ça me perturbait vraiment. Si c'était une blague, elle était particulièrement alambiquée. Rangeant mon téléphone dans ma poche, je me suis dirigé vers chez moi. Une fois devant la porte, j'ai machinalement inséré la clé dans la serrure, l'ai tournée et suis entré.

C'est alors que j'ai compris que tout ceci allait bien au-delà d'une simple blague.

Marc était là, assis dans mon salon, me regardant calmement. Il avait l'air de m'attendre. A ce stade, il avait résolument dépassé mon seuil de tolérance en matière d'intrusion : j'aurais dû le voir venir.

« Ça y est ? Tu as compris ? m'a-t-il lancé.
- Je crois, je ne suis pas sûr.
- Ça n'a plus d'importance maintenant. Je t'ai dit que je n'avais plus vraiment besoin de faire semblant.
- Semblant de quoi ?
- D'être normal, d'agir comme si j'étais simplement quelqu'un.
- Alors, c'est le genre de scénario où il s'avère que tu n'es qu'une personne dans ma tête, et qu'en réalité, je suis juste fou, c'est ça ?
- Ha ha, tu as lu, ou vu, trop de thrillers psychologiques, mon pauvre. J'existe bel et bien, mais je ne me montre pas comme ça à n'importe qui.
- Comment ça ? J'ai quelque chose de spécial par rapport aux autres ?
- Disons que tu es parfait pour ce que j'ai besoin de faire.
- Qu'est-ce que tu as besoin de faire ?
- Me nourrir. »

La situation était plus qu'étrange. Ça paraissait irréel, mais encore une fois, c'était beaucoup trop complexe pour que ça ait juste été une blague. Pensif, je lui ai enfin posé la question qui m'était tant de fois venue à l'esprit depuis que je le connaissais.

« Qui es-tu vraiment ?
- Décrire ce que je suis dépasserait ta compréhension. Contente-toi de comprendre ceci : j'ai besoin de m'accrocher à quelqu'un pour subvenir à mes besoins. Ce n'est pas évident, il me faut d'abord tromper ma proie pour qu'elle ne se méfie plus, et une fois qu'elle s'est suffisamment confiée à moi, il m'est aisé de me lier à elle et de m'en nourrir. Tu t'es déjà ouvert à moi, et maintenant, on ne se quittera plus jamais.
- Mais pourquoi ? Qu'est-ce qui t'attire chez moi ? Je ne suis rien, je ne suis qu'un pauvre type, sans charisme, sans intérêt. Ma vie est plate, je ne trouve même plus la foi d'effectuer les tâches simples qui constituent mon travail. Je ne suis même pas capable de me projeter, de voir loin et de m'organiser. Tout me fait peur.
- Aaah, parfait ! Vraiment parfait ! Je dois dire que tu es un mets de choix. Je ne m'étais pas trompé en te choisissant. Tu as un énorme potentiel. Je tâcherai de te maintenir aussi misérable que tu l'es actuellement. J'ai bon espoir que tu continues à ne pas me décevoir. »

Marc n'a pas eu besoin de m'en dire plus pour que je comprenne. Plus j'y réfléchissais, et plus il était évident que ce n'était pas une blague, qu'il n'avait jamais eu besoin d'apparaître à quiconque d'autre que moi, et qu'il trouverait toujours de quoi manger, tant qu'il continuerait à me coller.

En vérité, je n'ai plus nourri un seul espoir dans ma vie depuis qu'il y était entré, tout simplement car c'est lui qui les accaparait, systématiquement. Je comprenais pourquoi j'étais sa « proie parfaite ». Je suis fragile, faible, je n'ai que peu de volonté. Aujourd'hui encore, tout ce que je peux exprimer comme force qui me permettrait de m'améliorer est systématiquement dévoré par Marc. Je dérive, irrémédiablement, et ce depuis plusieurs années. Mon travail ne me dit plus rien, je ne m'intéresse même plus à Max, ni à aucune autre fille d'ailleurs. Je n'ai plus de répit, je n'ai plus rien pour moi qui me permettrait de me sortir de cette situation.

Marc ne me lâche plus, maintenant. Je ne peux pas lui faire du mal, et tout comportement positif de ma part qui pourrait améliorer ma situation n'est qu'un festin à ses yeux, un festin qu'il s'empresse d'engloutir.

Je ne sais pas si Marc est une entité, ou un être unique en son genre, doté de ces étranges capacités surréalistes. Ni même si d'autres personnes ont déjà été parasitées par des êtres semblables.
Mon témoignage peut avoir différents objectifs, celui de partager mon histoire pour tromper ma fatale solitude, mais aussi de rencontrer des gens qui pourraient avoir vécu la même chose, le même type de rencontre.

J'ai perdu le goût de tout, désormais. Cet écrit est mon ultime tentative d'y voir plus clair, je sais que partager tout ceci me fait du bien, car j'entends Marc renifler par-dessus mon épaule, esquissant un sourire des plus malsains.

Mais j'ai trouvé comment me débarrasser de lui.

Bientôt, j'espère trouver la paix.

Bientôt, Marc n'aura plus rien à manger.

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1 commentaire:

  1. Franchement super ! Je n'étais pas prêt à ça ! Je pensais au début que le type faisais un dédoublement comme dans le film Fight Club mais pas du tout! Non vraiment super fin ! <3

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