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Nous ne voulons pas mourir : 9 septembre 2026

Notre petite rencontre ne s’est pas du tout déroulée comme prévu. Lorsque j’ai discrètement quitté ma couchette pour rejoindre Frank sur le toit, j’ai jeté un œil autour pour m’assurer que personne n’avait remarqué mes mouvements, puis je suis allé prendre mon arme, je suis sorti. Mon compagnon était déjà en train de discuter avec les deux autres lorsque je suis arrivé à l’extérieur, et tous trois ont paru satisfaits de me voir. Nous avons commencé à faire le point sur ce que nous savions, c’est-à-dire trois fois rien. Le camp est relativement calme en ce moment, et même si le réveil de la femme aux cheveux noirs a causé un peu d’émoi, la tension semble empêcher tout le monde d’entreprendre quoi que ce soit. Chacun observe les autres et garde ses doutes pour lui.

Wei a cependant fait la même constatation que moi concernant les créatures rôdant au dehors. Leurs mouvements semblent coller de près à ceux de notre victime, comme si elles s’attendaient presque à ce qu’elle soit jetée dehors pour leur servir de repas. Nous avons commencé à réfléchir sur leur faculté à sentir la faiblesse des membres de notre communauté, mais nous nous sommes rapidement recentrés sur le sujet qui nous préoccupe vraiment actuellement. Chacun a fait part de ses observations concernant les autres, et nous en sommes arrivés à une conclusion insatisfaisante mais néanmoins sans appel : personne n’a changé son comportement depuis l’attaque, et personne ne se comporte de manière réellement suspecte. Seul l’homme avec qui Frank a eu une discussion est un peu étrange, mais il n’y a rien qui puisse l’incriminer de quoi que ce soit.
Alors que je m’apprêtais à leur proposer de faire une réunion collective pour essayer d’exercer un peu de pression sur le mystérieux agresseur, le militaire nous a tous fait signe de nous taire, puis nous a désigné une direction du regard. Mon sang s’est glacé lorsque j’ai reconnu les deux yeux que j’ai aperçus il y a un peu plus de deux semaines, sur le même toit. Je n’avais donc pas halluciné, puisque les autres pouvaient aussi les voir. Cette fois-ci, ils n’ont pas disparu, ils nous fixaient, et je pouvais ressentir la même chose que la dernière fois, cette faim insatiable et cette malice sans nom.

Puis, sans prévenir, ils se sont éteints, et tout autour de nous a commencé une symphonie de grognements et de bruissements. Il n’y avait rien à l’intérieur du cercle jusqu’où portait la lumière, mais nous savions que nous étions encerclés. Nous avons retiré la sécurité de nos armes et nous sommes tous mis dos à dos, pour couvrir chacun un côté. Nous ne pourrions pas tirer avant qu’une créature entre dans notre champ de vision, mais nous espérions tous saisir un mouvement dans l’obscurité que nous pourrions prendre pour cible.

Frank a alors sorti une fusée de détresse à main d’on ne sait trop où. Cet homme a vraiment tous types d’équipements sur lui. Quoi qu’il en soit, il l’a allumée et l’a jetée droit devant lui. Pendant les quelques secondes où le projectile a volé, la lumière rouge a révélé de nombreuses formes noires se mouvant frénétiquement tout autour du bunker. Il y en avait des dizaines rien que sur ce côté. Nous n’osions pas imaginer ce que les ténèbres dissimulaient sur les autres faces, mais nous étions parfaitement conscients de qui s’y trouvait. Soit les bêtes n’étaient jamais parties, soit elles étaient revenues en hâte dès la tombée de la nuit. Elles venaient finalement nous cueillir dans notre frêle forteresse improvisée.

Passées les premières secondes d’horreur, nous avons profité de la minute pendant laquelle la fusée devait encore brûler pour tirer sur les formes que nous voyions. Le vacarme a instantanément réveillé tous ceux qui se trouvaient en-dessous de nous, et nous avons rapidement été rejoints par une dizaine des membres restants de notre communauté. Certains s’étaient habillés en hâte et avaient encore leurs cheveux ébouriffés. Personne n’était prêt. Mon espoir, déjà bien maigre, s’est encore affaibli en faisant cette constatation. Je me demandais également pourquoi nos mortels ennemis ne lançaient une attaque aussi massive pendant la nuit que maintenant. Il ne faisait aucun doute que s’ils l’avaient fait plus tôt, malgré notre équipement et le nombre plus important de survivants, nous aurions été instantanément submergés.

Pourtant, toute cette agitation ne débouchait sur aucun assaut. Nous entendions toujours les déplacements des créatures dans l’obscurité, mais elles ne s’approchaient pas de la ceinture de mines qui nous entourait. Nous sommes restés sur nos positions de longues minutes, qui nous ont paru des heures, jusqu’à ce que l’horreur qui allait s’abattre sur nous se révèle en pleine lumière. Au-dessus du vacarme environnant, nous avons clairement entendus des grognements provenir de derrière nous. De très près de nous. Comme souvent depuis le début du siège, j’ai senti mon sang se glacer dans mes veines. Mais cette fois, la raison en était différente.

Deux molosses se trouvaient à l’intérieur de la cour, de notre côté de la ceinture de mines. Ils s’approchaient de la porte du bâtiment sur lequel nous nous trouvions, menaçant tous ceux qui se trouvaient à l’intérieur. Menaçant Lili. Sans réfléchir davantage, je me suis précipité vers la porte, tandis que les chiens, comprenant que nous les avions vus, se mettaient à courir à toute vitesse, prenant de court ceux qui se sont mis à tirer sur l’endroit où ils se trouvaient une seconde avant que les balles ne touchent le sol. J’avais à peine franchi quelques marches à l’intérieur que j’ai entendu la porte d’entrée voler en éclat, tandis que Frank distribuait des ordres à la volée à un groupe complètement sous le choc et incrédule.

Des hurlements me provinrent tandis que j’entrais dans la pièce de vie. Une personne gisait déjà éventrée sur le sol. Je la connaissais, elle s’appelait Anna. Avant l’invasion, elle était hôtesse de l’air. On avait rangé les provisions ensemble une fois. Je ne sais pas si elle était bavarde d’origine, mais en tout cas, j’avais bien remarqué qu’elle faisait la conversation autant que possible pour échapper à l’angoisse qui menaçait de la prendre à chaque instant. Mais désormais, sa bouche muette ne lançait plus qu’un cri silencieux de désespoir face à la source de sa terreur qui avait déjà eu raison d’elle.

Sur le moment, toutefois, je n’ai pas eu le loisir d’y penser. Tout ce que je voyais, c’était que Lili était en danger. Réveillée par le bruit des armes, elle s’était réfugiée près de la porte qui menait au toit et avait rapidement été rejointe par quelques autres, jusqu’à ce que les monstres fassent irruption dans la pièce. Quand je suis descendu, certains ont eu la présence d’esprit de monter, mais Lili, elle, était en état de choc et n’arrivait plus à bouger. Elle tremblait comme une feuille à la vue des deux créatures qui, pourtant, ne s’approchaient pas encore d’elle. Comme nous le pensions, elles avaient jeté leur dévolu sur la plus faible d’entre nous : la femme aux cheveux noirs.

Voyant qu’elles s’approchaient dangereusement d’elle, j’ai levé mon arme et tiré une longe salve sur l’un des deux monstres, lui réduisant la tête en bouillie. L’autre, prenant conscience de mon existence, s’est alors tournée vers moi et a pris de l’élan sur ses six pattes musculeuses avant de bondir sur moi, tous crocs dehors. J’ai vu ma vie défiler devant mes yeux tandis que je perdais le contrôle de mes bras, n’arrivant plus à actionner mon arme. C’est à ce moment que j’ai été sauvé par Wei qui m’a violemment poussé sur le côté en arrosant mon assaillant d’une salve bien placées de jacks. Malheureusement pour lui, la bête, désormais morte, a continué sa trajectoire et s’est écrasée contre lui.

Il nous a fallu une bonne demi-heure pour le sortir de sous le cadavre. Par le plus grand des miracles, il était encore en vie, mais avait des blessures sévères sur le haut du corps et il doit absolument éviter de bouger pour l’instant. Jonas s’est immédiatement occupé de son cas, prenant le plus de précautions possibles pour éviter d’empirer la situation à cause de lésions qu’il serait incapable de repérer sans instrument. Quand il s’est réveillé, je suis allé le remercier, et il m’a répondu que c’était normal de se sacrifier pour ceux qui avaient encore quelque chose à perdre. J’ai été très touché par ces mots, comprenant par la même occasion le peu de valeur qu’il accordait à sa propre existence.

Toutefois, lorsque l’agitation est passée, il a fallu s’expliquer. Les créatures à l’extérieur ne montraient plus d’hostilité et ne semblaient avoir envoyé aucun autre intrus entre nos murs. De plus, n’envoyer que deux monstres était étrange, car il était évident qu’ils n’avaient aucune chance de tous nous tuer, aussi féroces soient-ils. Leur objectif était-il donc de semer la discorde entre nous ? Que ce soit le cas ou non, ça n’a pas manqué. Sitôt l’état de Wei bien assuré, Harry, l’homme qui avait voulu s’entretenir avec Franck en seul à seul, nous a dit à tous de rester car il avait d’importantes choses à nous dire.

Selon lui, les récents évènements avaient tous un lien, à savoir les recherches que nous avons effectuées pour soi-disant retrouver la femme aux cheveux noirs. Ses doutes grandissant, il serait allé inspecter lui-même les bâtiments pendant que tout le monde était occupé et aurait découvert la trappe mal refermée dans le bâtiment sud. Vu que nous étions allés inspecter, pourquoi n’avions-nous rien dit au reste du groupe ? Toujours selon lui, c’était probablement parce que nous avions nos propres intérêts à ouvrir nous-mêmes cette trappe, bien qu’il ne saisisse pas lesquels, et la femme nous aurait surpris pendant que nous nous affairions. Il s’est longtemps demandé qui avait pu faire ça, mais après avoir cru pendant un moment pouvoir faire confiance à Franck, il s’est au contraire dit qu’il était le coupable le plus probable, étant donné qu’il était militaire d’une part et qu’on l’avait déjà vu péter les plombs d’autre part, avec les conséquences que ça avait eu.

Ce flot d’accusations insensées nous a frappés tous les quatre en pleine poitrine. Wei a voulu s’énerver, mais sa douleur l’a bien vite rappelé à l’ordre. Je me suis en revanche insurgé, disant que c’était de la folie pure, que si c’était le cas, nous n’aurions eu aucun intérêt à essayer de la sauver pendant l’attaque, que nous avions découvert la trappe telle quelle pendant nos recherches et que nous avions simplement voulu éviter d’avantage d’inquiétudes au sein du groupe. Mais le mal était fait, et certains commençaient à nous regarder d’un œil méfiant. Jonas s’est éloigné de moi en disant que même si c’était délirant, l’histoire d’Harry tenait mieux debout que la mienne, d’autant que mes acolytes n’avaient pas répondu. Je me suis alors tourné vers Franck en attendant un secours, mais en vain.

C’est Wanjiru qui est venue à ma rescousse, en disant qu’aucun d’entre nous n’avait le pouvoir de démontrer fermement sa version des faits, et qu’Harry pouvait tout aussi bien nous accuser pour se couvrir lui-même. Avant qu’il ne réponde, visiblement outré, elle a ajouté qu’il fallait attendre que la femme aux cheveux noirs retrouve la mémoire et si possible l’usage de la parole. Elle seule pourrait nous départager. Nous avons tous porté notre regard sur elle, mais elle fixait le mur d’un air absent. On aurait dit qu’elle n’avait même pas prêté attention à l’attaque qui venait de se produire.

Toute cette mascarade me mettait dans une colère noire, d’autant que j’étais impuissant pour le moment. J’ai voulu interroger Lili du regard, espérant trouver du soutien, mais elle regardait ailleurs, blême. Évidemment. Avec cette dispute, nous avions totalement oublié les deux chiens morts et le corps d’Anna. Nous nous sommes dépêchés de transporter sa dépouille à l’extérieur, non sans que des regards accusateurs soient lancés à ceux qui croyaient l’un ou l’autre, mais dans le silence le plus total. Ça a donc été la deuxième tombe au centre de notre bunker. Les bêtes nous ont regardés nous affairer puis rendre nos derniers hommages. Nous avons ensuite décidé de sortir les cadavres de leurs congénères pour les brûler dans un coin, loin du lieu de vie pour éviter que l’odeur nous parvienne.

Voilà où nous en sommes ce soir. Les deux camps se sont très vite constitués, et un espace vide nous sépare dans la salle de vie. Ceux qui nous font confiance sont malheureusement très peu nombreux, mais je suis soulagé qu’Illyria en fasse partie. J’aurais aimé que Franck s’exprime d’avantage, mais il reste silencieux depuis l’attaque, la mine assombrie. Je me demande ce qui le taraude. Maintenant, en plus de devoir continuer à chercher l’auteur de l’agression, nous allons devoir prouver notre propre innocence, sans pouvoir compter sur la confiance des autres. L’Apocalypse a balayé la surface de la terre, et nous voilà en train de nous déchirer entre nous. Comme si nous avions besoin de ça.

Texte de Magnosa

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