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Martin au cirque


Temps de lecture : 6 minutes

Il tourne et tourne encore. Le cou, la tête et même le dos. Étrange vision, étrange endroit. J’sais plus trop si c’est lui qui déconne ou moi qui suis bourré. J’vois des choses ici. Le chapiteau qui ondule, presque aussi léger qu’une plume… La pluie qui entre à travers la toile. L’orage qui effraie les enfants. Les lions sur la piste. Ils dansent, remuent doucement, trop doucement. Leurs yeux me fixent depuis tout à l’heure, depuis que le clown m’a désigné de son doigt ganté, blanc, immaculé. Son sourire était rouge, et ce qui sortait de sa bouche : de la boue noire. Son rire éclatant a fait hurler mon petit voisin et la musique, alors, a hurlé à son tour. Trompettes tout court ou trompettes de la mort, j’saurais pas dire… Cymbales à tout casser, accordéons essoufflés… Sinistre.

J’aime pas cet endroit. J’aime pas la gueule du clown. Il me fait penser à quelqu’un, mais je sais plus qui. J’sais pas s’il l’a senti lui aussi, s’il me connaissait, mais il m’a fixé et son corps, lui, tournait. Disloqué. Les lions se sont arrêtés. Le silence s’est imposé, lourd. Plus un bruit. Plus un mouvement. Même l’orage et la pluie ont cessé. Un cauchemar. Ouais, ça pouvait être que ça.

J’ai fermé les yeux. Senti l’odeur de la terre battue mouillée. De l’herbe au-dehors. De la merde aussi, celle de la ménagerie je suppose… ou la mienne. J’étais tellement pété de trouille… J’ai inspiré. Un. Deux. Trois. Puis, j’ai rouvert les yeux.

Plus personne dans l’chapiteau. Plus personne sauf moi, le clown blanc à la bouche noire, et les lions. Silence total. Ok Martin… secoue-toi, réveille-toi, sauve-toi, mais reste pas là, j’ai pensé. Rien à faire, j’étais cloué sur mon p’tit banc. Ne regarde pas le clown. Ce doit être encore un de tes rêves, tu le sais Martinou. Un putain de sale rêve. J’en menais pas large. Un rêve... Un cauchemar… ouais.

— Ho non ! Tu ne rêves pas Martin !

Monsieur Marrant a hurlé de rire après ça. Il a prononcé cette phrase avec sa boue noire sur le menton, comme si des serpents sortaient de sa gorge. J’voyais pas ce qu’il y avait de drôle. J’avais un truc en moi, une sensation hyper désagréable. Comme un pressentiment. Ma dernière heure ? Non… j’crois pas. Hors de question. Qu’est-ce que c’était alors ?

— Tu t’en poses des questions Martin !

Il lisait dans mes pensées. Pas possible autrement. Comme pour que j’sois encore plus disjoncté, il a recommencé son truc de toupie. Tête toujours vers moi, son corps tournait. J’entendais crac à chaque rotation totale. Devait plus avoir de vertèbres. C’est pour ça que j’croyais pas être dans la réalité. D’ailleurs, je me souvenais même pas être venu ici.

— Personne ne vient ici Martin ! C’est moi qui viens à eux, Martin !

Okay… okay. J’pouvais plus bouger. J’pouvais plus penser. Il me restait quoi bordel de merde ?

— Ben alors ? T’es pas bien ici Martin ?

Toujours son rire noir et ses serpents gluants. J’ai cru apercevoir du sang sur ses dents. Les lions ne bougeaient toujours pas, figés dans l’temps, là sur la piste. On aurait dit qu’ils étaient empaillés.

— Tu as tout bon, petit ! Ils sont morts, Martin.

Il les a tués ? Ils sont morts pour de vrai ? Peut-on mourir dans un rêve ?

— Tu peux mourir partout Martin, en tout temps ! Mais surtout, Martin, dans les rêves.

J’voulais juste qu’il arrête de tourner. J’voulais plus entendre ses os craquer. Ni voir ses yeux blancs. J’ai regardé autour de moi. Porte de sortie, issue de secours. Rien, le chapiteau semblait fermé hermétiquement. Je n’arrivais toujours pas à bouger de mon petit banc. Collé ? Paralysé ? Si c’était vraiment un rêve, je n’avais qu’à me réveiller !

— C’est pas aussi simple. Tu es dans le mien, Martin.

Comment ça ? Je l’ai regardé. J’étais en colère et… paniqué. Mon cœur semblait vouloir s’arrêter. Je sentais de moins en moins le tam-tam dans ma poitrine, celui qui animait et nourrissait ma peur quelques minutes avant. Ma vision devenait floue. Et le clown avait l’air d’apprécier. Les lions avaient disparu. Le chapiteau devenait lumineux. C’était toujours mieux que l’obscurité sordide de laquelle je sortais. Mais… était-ce une bonne nouvelle au final ?

— Oh que non mon p’tit Martin !

Respire… Respire… pensais-je, inutilement, je sais. Mais vous savez… on se raccroche à ce qu’on peut. J’étais dans le rêve d’un psychopathe. Je n’avais aucune putain d’idée pour en sortir. J’ai jamais aimé le cirque. J’ai jamais aimé les clowns. J’serais jamais venu ici. J’aurais jamais pensé à ça avant de dormir. Qu’est-ce que je foutais là, putain de Dieu ? Pourquoi je me réveillais pas ?

— Le cirque de l’école. Année 1998, Martin.

Oh merde… Oui je m’en souvenais ! Sortie scolaire, ça annonçait quelque chose de sympa avec les copains. Nous étions en CM2, cons comme des balais, pas méchants pour un sou… Enfin, j’croyais. Le spectacle était merdique. Éléphants, chevaux, trapèzes… Tout dans la mécanique, rien de marrant. Même le clown était à chier. Avec Stéphane, on lui a balancé nos bonbons. Il a fait semblant que ça l’faisait marrer. Du coup, nous, on était déçus. On a trouvé un super tour Stéphane et moi. On a pissé dans notre bouteille, tranquillou sous notre veste. La prof a rien capté. Puis, comme on était au deuxième rang, sur nos petits bancs, on a balancé la bouteille avec le plus d’élan possible. Il a tout reçu dans la gueule. A arrêté de sourire. S’est approché de nous. Nous a regardés dans les yeux. Et nous a dit “Riez. Rigole Martin. Rigole Stéphane. J’vous aurai. Vous vous souviendrez plus de moi lorsque je vous retrouverai.” Le pire, c’est qu’il a souri tout du long. J’avais même pas capté qu’il connaissait nos prénoms. Et ça fait bien vingt ans cette histoire. C’était juste pas possible… pas possible, non… Comme pour confirmer que j’avais bien pigé la situation, la musique a de nouveau retenti. La bonne vieille musique criarde des cirques de bas étage.

— Tu devrais aimer, Martin… Tu vas aimer, Martin.

Non, jamais j’aimerai cette merde ! J’en avais marre. J’voulais partir et là, à cet instant, mes nerfs me chauffaient. Le sang bouillonnait dans ma tête, ça crépitait dans mes oreilles. Je voulais en finir. Sortir d’ici. Me réveiller.

— Tu crois toujours que c’est ton rêve, Martin ?

Il fermait jamais sa gueule, cet enculé ! La musique me vrillait les tympans, j’en pouvais plus.

— Alors attends, j’vais t’aider, Martin.

Il l’a fait. Il m’a regardé avec plus d’intensité. J’ai eu putain d’mal à la tête et quelque chose s’est écoulé de mes oreilles. J’ai tâté. Du sang. J’entendais plus rien. Rien du tout. J’ai cru que j’allais pisser sur moi, mais rien n’est venu. Depuis combien de temps j’étais là bordel ?

— Oh… Quelques jours déjà, Martin.

Hein ? Des… jours ?

— Oui Martin. Et Stéphane est là depuis des années, lui.

Comment ça ?! J’ai regardé autour de moi. Pourquoi je l’avais pas vu avant ? Il était là-haut, à se balancer sur les trapèzes, à poil. Pire qu’à poil même. Écorché. Sanglant et souffrant. Muscles et ligaments, sang et pus… Vivant et pleurant en dansant dans les airs... Impossible.

— Bien sûr que si. Dans mes rêves, tout est possible, Martin.

C’est ce qui m’attendait ? Pour un peu d’pisse ?! J’en revenais pas.

— Ne jamais sous-estimer ceux qui vous amusent, qui y passent leur vie pour que la vôtre soit plus douce, Martin.

J’avais compris. Et il me saoulait à m'appeler par mon prénom à chaque fois qu’il me parlait, bordel. La douleur dans ma tête avait cessé. Mais lui, il a recommencé à tourner sur lui-même. Pourquoi je l’entendais me répondre, au fait ?!

— Je suis là, ici et là-bas. Dans ta tête et dehors, Martin.

Mourir. Je veux mourir. J’veux pas rester là pour l’éternité. Tout, mais pas ça. Qu’il me torture si ça lui chante, mais j’veux m’réveiller. J’veux qu’il se réveille. Qu’on en finisse une bonne fois pour toutes.

— Mais… tu es déjà mort, c’est ton Purgatoire, Martin !

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2 commentaires:

  1. Petite erreur dans le titre.
    On dirait un épisode de Saw avec des clowns...

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  2. Vachement susceptible le clown, pour vouloir faire souffrir de mec pour l'éternité, juste parce qu'ils lui ont balancé de la pisse à la gueule en primaire.

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