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NOR 3 - Promenons-nous dans les bois


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« Non, non, non, je ne viendrai pas avec vous, jamais de la vie ! »

Ces mots vrillaient encore les oreilles de Thomas. Elle avait fait un sacré boucan lorsque les deux garçons lui avaient parlé de leur idée. Un boucan totalement inutile, puisqu’au final, elle était quand même venue avec eux. Sacha n’aurait jamais osé rester toute seule une nuit de pleine lune, superstitieuse comme elle était. C’est bien une fille, pensait-il.

Thomas, Sacha (Alexandra de son vrai prénom) et Damien campaient ici chaque année depuis maintenant trois ans, parfois avec d’autres amis, pour fêter les vacances d’été. C’était devenu une sorte de rituel entre eux et ils ne manquaient jamais à l’appel. Cette année, ils n’étaient que tous les trois, au grand dam d’Alexandra qui préférait toujours que quelqu’un soit là afin d’éviter les plaisanteries douteuses des deux garçons. Ils avaient la fâcheuse habitude de mettre tout en œuvre pour l’effrayer un maximum, ce qu’ils trouvaient assez amusant. Ils savaient qu’elle croyait en beaucoup de <oses, alors qu’eux-mêmes prenaient ces superstitions pour des histoires de gamins, et profitaient pleinement de ces croyances. Malgré cela, elle les aimait bien. Dans d’autres circonstances, ils étaient plus ou moins raisonnables.

Cette nuit-là, Thomas et Damien avaient eu la bonne idée d’essayer de l’entrainer dans la forêt que l’on distinguait depuis leur tente, et qui était rarement empruntée par les voyageurs, étant donné qu’une route la contournait. L’idée venait du fait qu’une des grandes craintes d’Alexandra était de se retrouver seule en pleine nuit dans une forêt. Ce genre d’endroit l’angoissait simplement, sans aucune raison particulière. Alors quand en plus les arbres présents semblaient vieux et avaient un aspect particulièrement biscornu, avec des troncs bosselés et des branches semblables à de longs doigts effilés, l’effet était garanti.

Ils avaient emporté une lampe torche chacun, et Damien avait un petit sac à dos dans lequel il transportait la trousse de premiers secours, au cas où l’un d’eux se foule la cheville sur une racine. Maintenant, ils avançaient côte à côte sous le feuillage de la forêt, les deux garçons d’un pas assuré, Sacha, tremblotante, se collant à eux le plus possible. L’atmosphère était passablement lugubre. Le son de leurs pieds touchant le sol résonnait étrangement, comme s’ils étaient dans un tunnel, et les troncs tout autour d’eux grinçaient fréquemment. Un léger sifflement d’air ininterrompu parachevait cet environnement qui angoissait terriblement la jeune fille et amusait ses compagnons. Ces derniers ne semblaient même pas remarquer dans quel paysage ils évoluaient. Ils faisaient des plaisanteries vaseuses de temps en temps, et ne cessaient de parler et de rire à gorge déployée.

Les arbres gris défilaient lentement autour d’eux, semblant ne jamais laisser plus d’ouverture que le petit chemin qu’empruntaient les trois adolescents, quand ils débouchèrent soudain sur une petite clairière qu’ils n’avaient pas aperçue avant d’y arriver. Les arbres semblaient s’être simplement écartés du centre, si bien qu’elle était parfaitement ronde. Au centre se dressait un petit autel de pierre. Lorsqu’ils s’approchèrent pour regarder de plus près, ils virent qu’un symbole était gravé dessus : un œil rouge qui, dès qu’ils l’eurent distingué, leur donna l’impression de les fixer.

« Mais c’est moche ! » ricana Damien.

Sacha tremblait comme une feuille. Elle était maintenant terrorisée. Elle ne cessait de murmurer quelque chose d’inaudible, si bien que Thomas se tourna vers elle et lui lança d’un ton moqueur :

« Qu’est-ce qu’il y a, tu as vu un fantôme ? Ou c’est un esprit de la forêt qui est rentré par ton oreille et te fait murmurer des choses ? »

La jeune fille se tut, le regarda d’un air mi-surpris, mi-scandalisé, puis elle lui adressa distinctement la parole, quoique d’une voix un peu chevrotante :

« C’est pas drôle. L’œil sur l’autel doit être un symbole de magie noire. Quelqu’un a dû jeter un sort sur cet endroit. La forêt est maudite, on ne doit pas rester ici, retournons à la tente…
– N’importe quoi, l’interrompit Damien, goguenard, si ces trucs débiles existent, ben demain je gagnerai à la loterie ! En attendant, moi je vais continuer d’avancer, on se retrouve dans les bois ! »

Et il s’enfuit, ne laissant pas à Sacha le temps de réagir. Thomas réprima un sourire. Avant de partir, ils avaient convenu que l’un d’eux s’enfuirait pour inquiéter davantage leur amie, qu’ils lui feraient une grosse frayeur et qu’ils rentreraient à la tente. Le moment était venu. Il attrapa Sacha par le bras et l’entraina à sa suite sur les traces de Damien. La jeune fille se débattit un peu mais le suivit néanmoins, ne voulant pas se retrouver toute seule dans cet endroit effrayant. Quand ils passèrent sous les arbres, elle les regarda d’un air craintif. Les bosses sur leurs troncs dessinaient presque des formes connues, on aurait dit des…

« Eh, t’as vu, celui-là il te sourit, il doit te trouver mignonne ! » plaisanta Thomas.

L’arbre qu’il désignait semblait avoir un visage qui, effectivement, lançait un grand sourire. Mais ce n’était pas un sourire rassurant, c’était plutôt un sourire de psychopathe qui s’apprête à découper sa victime. Ce qui semblait être des yeux confortait Sacha dans cette idée. Les branches pendaient vers eux et avaient l’air d’être sur le point de les saisir avec leurs longs doigts crochus. Elle se mit à pleurer et à souhaiter ne jamais avoir accompagné les deux garçons dans leur aventure stupide. Thomas, s’en apercevant, se dit qu’après ça ils feraient mieux de la laisser un peu tranquille.

À ce moment, un cri glaçant d’effroi retentit en avant d’eux. Sacha gémit et se serra contre Thomas, ne parvenant plus à garder son calme. Ce dernier, pas impressionné, se contenta de penser que Damien surjouait un peu son rôle. S’il n’avait pas été au courant du plan qu’ils avaient élaborés, il y aurait sans doute cru et aurait commencé à reconsidérer la demande de son amie. Mais il ne se laissa pas démonter et continua d’avancer, entrainant derrière lui une jeune fille n’offrant plus aucune résistance. Elle était vraiment dans tous ses états.

Ils marchèrent pendant environ deux minutes, qui parurent à l’adolescente horriblement longues, quand ils aperçurent un faisceau de lumière. La lampe torche de Damien ! Ils accélérèrent le pas et la trouvèrent par terre, entre deux racines. Décidément, il jouait trop bien son rôle, un tel détail n’était pas nécessaire. Même Thomas commençait à être lassé de la plaisanterie.

« Mec ? Sors de ta cachette, elle en a eu assez pour ce soir je pense. Eh oh ? Tu m’écoutes ? T’es où ? »

Une branche craqua à coté d’eux et les fit sursauter. Le jeune homme fit le tour des deux arbres auxquels appartenaient les racines qui encadraient la lampe torche, mais revint seul. Il commençait à angoisser, lui aussi, et ne savait pas trop quoi faire. Sacha était toute pâle et ne bougeait plus. Thomas se rapprocha d’elle, l’air mal assuré, puis ses yeux se posèrent sur ce qu’éclairait la lampe torche de Damien et il fit brusquement un bond en arrière.

« Pu !... tain de… Qu’est… »

Sacha regarda à son tour et sentit son cœur s’arrêter. L’arbre en face d’eux avait aussi un visage, encore plus effrayant que celui de l’autre. Il souriait, la bouche ouverte, et des filets de sang dégoulinaient de ses lèvres de bois. En regardant plus haut, on pouvait apercevoir la veste de Damien accrochée sur une branche, transpercée en plusieurs endroits, suintant de la sève mêlée à du sang. Les yeux des deux adolescents se reportèrent, horrifiés, sur le visage arbrifié de Damien, qui continuait d’afficher son effrayant sourire ensanglanté. Le tronc semblait se pencher lentement vers eux et les branches descendaient doucement…

« VIENS !!! »

La main de Thomas agrippa celle de Sacha et elle se sentit entrainée par le garçon qui prenait ses jambes à son cou, tandis qu’un déluge de feuilles et de bois s’abattait là où ils se trouvaient quelques secondes plus tôt. La forêt entière semblait s’animer. Des racines surgissaient de nulle part, des branches leur griffaient le visage et leur déchiraient leurs vêtements. Ils arrivèrent bientôt à la clairière de l’autel, mais ne s’y arrêtèrent pas, trop terrifiés pour prêter attention au fait que dès qu’ils y eurent mis un pied, les arbres se mirent à grincer comme de colère mais cessèrent leurs mouvements. Sacha eu juste le temps de percevoir comme un sifflement qui provenait de l’autel. L’œil suivit leur course folle, puis, lorsqu’ils sortirent de son champ de vision, cligna, et les arbres se remirent en mouvement.

Les deux adolescents ne pouvaient pas être bien loin de leur tente, ils n’avaient pas mis plus de vingt minutes à arriver à la clairière en marchant, ils y seraient plus rapidement rendus en courant, les arbres s’arrêteraient sûrement à la lisière de la forêt. Ces pensées traversaient l’esprit de Thomas à toute allure, tandis qu’il faisait son possible pour leur éviter les racines qui se dressaient sur leur route ou les branches qui essayaient de les tirer en arrière. Et puis, tout à coup, il s’immobilisa, lâchant la main de Sacha.

« Cours, et ne te retourne pas ! » lui lança-t-il aussi fort qu’il pouvait encore.

Sacha lui obéit, pleurant, et disparut, abandonnant le corps de son ami mourant, traversé par une grosse branche. Thomas cracha du sang et se permit, maintenant que son amie était partie, d’hurler de douleur. La branche était sortie de nulle part, ne lui laissant pas la moindre chance, et maintenant, sûre de garder sa prise, elle le soulevait lentement du sol et l’amenait vers la bouche grande ouverte de l’arbre auquel elle appartenait. Le regard du garçon se brouillait, la branche avait détruit un de ses poumons et déchiré son estomac.

Il fut enfourné grossièrement dans la bouche de l’arbre, ne rentrant même pas entièrement, le bas de son bassin étant encore à l’extérieur. La branche se retira de son thorax, laissant un flot de sang se déverser, tandis que de la sève lui tombait déjà dessus en grosse quantité, dissolvant ses vêtements et rongeant petit à petit sa chaire, à la manière de sucs gastriques. Thomas ne pouvait plus bouger, il se sentait mourir à petit feu, il ne pouvait même plus hurler de douleur. Et puis la bouche de l’arbre se ferma, écrasant ses intestins et ses reins, éclatant son bassin, brisant la colonne vertébrale et sectionnant net la moelle épinière.

Sacha ne s’était pas retournée, même si elle avait perdu ses deux amis, elle n’avait cessé de courir, même si un point de coté la torturait et qu’elle était à bout de souffle. Les arbres la poursuivaient toujours, et elle avait peur de mourir, elle ne voulait pas disparaitre d’une manière si atroce, dévorée par les monstres qu’elle craignait depuis sa tendre enfance. Elle savait qu’ils n’auraient pas dû aller dans cette forêt, mais ils ne l’avaient pas écoutée. Sa crainte de ce genre d’endroits ne les avait pas dissuadés, et, pis encore, les avait poussés à se jeter dans la gueule du loup, juste pour une plaisanterie stupide.

Elle savait bien que ce en quoi elle croyait n’était pas uniquement de la superstition, qu’on aurait dû l’écouter, que ce n’était pas de sa faute et que ses craintes étaient souvent justifiées, même quand elle n’en connaissait pas l’origine. Et maintenant elle pleurait, parce que ce genre de détail avait mené à la mort de ses deux amis, parce qu’elle risquait aussi de disparaitre à tout instant, parce qu’elle était complètement terrorisée et qu’elle ne savait même plus si elle courait dans la bonne direction. Les branches battaient l’air derrière elle et la fouettaient parfois dans le dos, les racines lui égratignaient les jambes en essayant de se refermer sur elle. Son cœur battait la chamade, elle avait l’impression qu’il allait exploser, les cris ne parvenaient plus à sortir de sa gorge tellement elle était nouée. Ses jambes lui faisaient mal.

Enfin, elle devina au loin la lisière de la forêt. Sa gorge se dénoua et elle cria de soulagement, elle avait réussi, ils ne l’avaient pas attrapée, elle était encore vivante, il ne restait plus que quelques mètres avant de sortir de la forêt et de retrouver la tente, ou au moins l’air libre, elle n’aurait plus qu’à appeler les secours et ses parents pour qu’ils l’emmènent loin d’ici. Elle devrait raconter ce qui lui était arrivé, et personne ne la croirait, mais elle s’en fichait, elle voulait juste survivre et ne plus jamais avoir affaire à des choses aussi effrayantes. Elle continuait de courir, elle se précipitait vers les derniers arbres, vers la sortie, vers la vie, elle n’était plus qu’à une vingtaine de mètres de l’orée de la forêt – et puis elle se sentit soulevée dans les airs.
 

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4 commentaires:

  1. Oh non on veut la suite! Ça peut pas finir comme ça!!

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  2. Je dois avouer que celle ci est l'une de mes préférés

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  3. Des rapports entre les 3 ??? Les deux premiers, il y avait le symbole de l'oeil.

    Dans NOR 2, il y avait trop de longueurs inutiles et trop d'imprécisions sur les personnages, c'était frustrant. Là, c'était bien mieux. Juste une question, quel intérêt de parler de "son vrai nom Alexandra" alors que ça n'apporte rien ? (dans NOR1, l'histoire du père n'apporte au final pas grand chose non plus, mais donne un background aux deux personnages).

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