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Les brumes de sang : Le cas du 216 Portstreet, partie 2


Temps approximatif de lecture : 12 minutes. 

Londres, 20 octobre 1920, soirée.

« C’est bizarre, il y a un truc qui cloche », pense Jérémiah Borrow lorsqu’il voit sa collègue et amie revenir. Lili agit bizarrement depuis son retour prématuré. Déjà qu’elle a fait un abandon de poste mettant en danger sa couverture, mais en plus elle assure que l’enquête ne donne rien et que le couple Taylor est parfaitement ordinaire… Non, décidément il y a quelque chose qui ne va pas ! Le ton de voix, les souvenirs, l’apparence, cette personne lui ressemble, pourtant son cœur hurle que ce n’est pas elle. Une sorte de vallée de l’étrange imprègne la détective qui est en train de ranger ses affaires en vue de repartir au Sanctuaire. Il doit vérifier ses doutes, voir si l’agent n’est pas possédée ou pire. 

Il sort alors de la poche de son manteau un monocle, un monocle avec une monture de métal bleuté qu’un presque imperceptible courant électrique violet traverse. Le monocle de double vue. L’homme porte l’objet à son œil, sans le revêtir complètement, mais voit sa partenaire empreinte d’énergies multicolores palpitantes. C’est une véritable concentration humaine de flux spirituels contradictoires. C’est bien la première fois qu’il voit ça, mais les manuels de l’Agence en parlent : la magie inférieure, celle des strates chaotiques et démoniaques. La magie du Chaos. Il recule alors machinalement de quelques pas, effrayé par la découverte. 

Merde, que faire si elle se fait contrôler par une créature de là-bas ? Lili se fige puis se tourne avec un sourire gêné : 

« Que se passe-t-il ? Il y a un problème ? » Elle regarde l’objet dans la main gauche de son camarade puis remonte son regard pour le fixer droit dans les yeux. « Tu me soupçonnes de quoi, au juste ? »

Une goutte de sueur coule le long du visage de l’homme. Il répond en essayant de paraître le plus calme du monde.

« De… de rien du tout, tu sais c’est simplement la procédure. Au cas où, hein ? » Merde, foiré. L’excuse est foireuse, fait chier !

« Au cas où quoi ? elle avance dans sa direction, l’air contrit.

Au cas-où… au cas où tu aurais chopé une merde spirituelle là-bas. On ne sait jamais, tu sais ! »

Il recule d’autant, mais son dos heurte le mur de la chambre d’hôtel. Lili sourit et s’arrête à moins d’un mètre de lui.

« Et qu’est-ce que tu as vu ?

– Ri… rien ! »


Borrow passe discrètement sa main dans sa poche, saisissant son opinel. Modèle Trench Eclipse. C’est un couteau d’à peine dix centimètres une fois déployé, mais dont le design a toujours plu à l’enquêteur. Une lame fine aux gravures occultes, marquée de runes et montée sur un manche en bois où sont incrustés trois minuscules jades. Plus que pour blesser physiquement, une arme faite pour dissiper les énergies devenues tangibles. D’ordinaire, on ne s’en dote que lorsque l’on affronte des sorcières ou autres saloperies usant des arcanes, mais Jérémiah ne s’en sépare jamais et pour de bonnes raisons : « on ne peut pas prévoir quand ça va nous tomber dessus » et le destin venait de lui donner raison. Une fois encore.

« Qu’est-ce que tu prends dans ta poche, Jéré ? Son sourire devient de plus en plus inhumain, ses lèvres tirant désormais jusqu’à ses pommettes.

Fous-moi la paix ! Laisse-moi partir, bordel !

J’peux pas faire ça, Jéré, elle prend un ton sincèrement désolé.

Tu vas me faire quoi, me buter ? crie-t-il à présent.

Si j’avais pu l’éviter, je l’aurais fait, Jéré. Là tu nous mets dans une situation pas possible, Jéré. »

Elle le saisit alors par la gorge de ses deux mains et serre de toutes ses forces. Immédiatement, en réponse à son geste, l’agent sort son couteau et la poignarde en plein ventre. Une fois, deux fois, puis trois… il continue et continue encore jusqu’à que son assaillante faiblisse puis lâche sa prise. La créature ne tombe pas pour autant, c’est comme si… elle se décompose sous ses yeux. L’imposteur disparaît petit à petit, à la manière d’un vent tranquille qui emporte les restes d’un cendrier trop rempli.

Quelques secondes plus tard, il ne reste de l’agresseur que les marques sur le cou de sa victime. Borrow se laisse glisser le long du mur jusqu’au sol, tout en poussant un soupir de soulagement. Non pour sa vie, mais parce qu’il n’a pas tué sa plus proche amie. Bosser pour Van Helsing implique de surmonter bien des épreuves, avoir un mental plus solide qu’un putain de roc, mais tout le monde a ses limites. Et ça… ça… ça les aurait explosées au bulldozer.

Mais pas le temps de souffler. Elle s’est encore mise dans une merde noire, une merde noire gorgée de foutue magie chaotique ! La pire ! Jérémiah Borrow prend sa tête entre ses mains pour l’aider à réfléchir, l’aider à se concentrer sur cette seule question : comment allait-il la sortir de son fichu bourbier ?

Endroit inconnu, date indéterminée.

Lili Johnson regarde autour d’elle et ne voit qu’un paysage torturé. Une sorte de ville… mais différente. Les formes n’ont pas de sens, les routes sont tortueuses, contournent les lampadaires qui n’éclairent qu’aléatoirement les environs. Un soleil aussi brûlant qu’écarlate illumine ce monde d’une lumière sanguine. Les hauts et étouffants bâtiments ne sont pas droits, ils sont affligés de sortes de bubons de pierre et de fenêtres qui les déforment. Ce n’est pas tout, on pourrait dire qu’ils sont traversés par des sortes de veines apparentes, similaires à des racines sous la pierre mais qui restent visibles à l’œil nu. Les rues sont étroites et pavées de façon irrégulière. Bien qu’elles soient en ligne droite, il est impossible de porter son regard au-delà d’une trentaine de mètres. Au loin, on ne distingue qu’une brume rouge pâle qui recouvre une sorte de cité aux buildings anormalement courbés.

Elle peine à vraiment comprendre ce paysage défiant les lois euclidiennes et donc son premier réflexe est de ne surtout pas chercher à l’interpréter ou le saisir. C’est un autre de ces protocoles vitaux de Van Helsing. Lorsque l’on est perdu dans un environnement ésotérique, ne surtout pas tenter de rationaliser et avancer. Ce qui rend fou n’est pas la vision de l’incompréhensible mais d’intellectualiser ce qui n’a pas de sens terrestre.

Continuer, de toute façon, il n’y a que ça à faire ! « Où est-elle cette fichue sorcière, putain », se dit la chasseuse. À une vingtaine de pas, une boutique lui fait face. Enfin, ce qui semble être une boutique au vu de la devanture qui expose… des actes notariés en format A4 et écrits dans un mélange d’espagnol et de russe ? Peu importe, c’est mieux que les habitations atteintes de la peste noire. Elle s’y dirige donc prudemment, l’œil rivé sur son objectif, mais des murmures surgissent alors des brumes adjacentes. Instinctivement, elle regarde autour d’elle… rien. En face non plus. Une fois sa tête de nouveau tournée vers son but, l’agent voit une structure tout autre. Un immense stade aux formes incompréhensibles et sans portes.

Elle se retourne alors de nouveau pour faire demi-tour, mais le paysage a aussi changé. Elle regarde encore et encore de tous les côtés et chaque fois que sa vue quitte quelque chose, cette chose change. Rien n’est stable ici apparemment, pour atteindre un endroit, il faut le fixer en permanence ! Seuls les murmures persistent, des murmures qui chuchotent directement dans son esprit. Les ignorer n’est pas très compliqué, pas dans l’immédiat… Par contre, les entendre de façon ininterrompue pendant des jours risque d’affecter sa santé mentale dangereusement. Johnson commence à pleinement comprendre que sa vie risque de se terminer dans ces plaines absurdes et angoissantes. Non, non ! C’est bien trop tôt pour renoncer, pas encore, jamais. Elle marche donc, au hasard des ruelles construites dans des logiques inhumaines, à la recherche de quelque chose pouvant l’aider, d’un moyen de se repérer, en vain.

Elle remarque néanmoins une chose, les journaux perdus par-ci par-là dans les rues indiquent tous des dates plus ou moins éloignées. Certains relatent, à la manière d’une une du New York Times moderne, les événements d’Azincourt en 1415, d’autres la victoire électorale de César comme si c’était hier... Le temps ne semble pas avoir de sens ici, ce qui lui donne une idée. Si le temps passe différemment en ces lieux, alors peut-être que pour ses collègues il ne s’est passé que quelques heures ? Et qu’ils errent, comme elle, à la recherche du moindre signe de présence humaine ? L’hypothèse est bancale, mais Lili n’a pas grand-chose de mieux à tenter.

Elle marche ainsi jusqu’à trouver une place adéquate pour mettre en pratique son plan. Au bout de quelques minutes à se retourner dans tous les sens, une grande place circulaire avec une statue de bois en son centre apparaît. Exactement ce qu’il lui faut. S’il est impérieux d’établir un point fixe pour ne pas perdre son chemin, elle va en offrir un à tous les paumés du coin. Son espoir est que les disparus en fassent partie. Le risque est que si des créatures démoniaques traînent dans le coin, elles vont rappliquer aussi. Un danger nécessaire, de toute façon son temps lui est compté, sa maladie lui imposant un compte à rebours mortel.

Tout en ne détournant pas les yeux de la statue, elle s’approche d’un des lampadaires à huile et retire son manteau. D’un coup de revolver, elle tire sur la lampe perchée à une dizaine de mètres du sol qui s’écroule en provoquant une petite explosion de feu. Rapidement, la femme jette son atour qui s’enflamme petit à petit. Sans perdre un instant, elle récupère le vêtement et expose la statue aux flammes. Après quelques minutes et un peu de poudre pour aider au processus, la haute œuvre d’art boisée, représentant un quelconque empereur d’une civilisation qui n’a probablement jamais existé, s’embrase. Satisfaite, la pyromane s’assied un peu plus loin. Plus qu’à attendre, si un humain est dans le coin, il va peut-être se dire qu’un congénère est ici. Ça ou une abomination avide de lui croquer les fesses…

Il n’a pas fallu attendre longtemps pour qu’un truc pointe le bout de son nez… enfin, si ça avait un nez. Des sortes d’ombres humanoïdes difformes et aux proportions grotesques s’approchent lentement, attirées par l’incendie comme des guêpes avec un melon. Ils émergent des carrefours environnant, des ruelles, des portes de maisons qui s’ouvrent brusquement… de tous les recoins obscurs, il en sort ! Certains ont de multiples membres, d’autres ont des pattes d’insectes ou juste des membranes monstrueuses… Leur seul point commun est leur couleur, ce sont des êtres semblant faits d’obscurité, presque que des silhouettes, comme l’ombre nocturne d’un étranger inquiétant qui aurait pris vie.

Une odeur âcre de soufre et de fer rouillé imprègne les lieux, devenant de plus en plus forte à mesure que la masse ténébreuse s’accroît ! À l’instar du rythme cardiaque de Lili, esseulée, qui atteint une tonalité presque dangereuse. L’adrénaline emplit son corps, elle peut en sentir le goût sans problème. Cette hormone est la dernière mince corde qui la maintient saine d’esprit. Son organisme en porte néanmoins les stigmates, elle ne parvient pas à contrôler des tremblements soudains. Certes légers, mais compulsifs… irrémédiables.

La peur glace l’échine du détective, un goût étrange parcourt sa bouche, un goût de terreur brute à la vue de ces horreurs profanes. Elle doit fermer les yeux l’espace d’une seconde pour garder son calme et ne pas perdre ses moyens. La survivante tente à tout prix de conserver son sang-froid face aux déambulations ignobles de cette procession carnavalesque macabre.

Sa terreur se mue en une abondante sueur qui perle le long de ses tempes alors que la foule monstrueuse s’approche inéluctablement. Sa respiration saccadée résonne presque harmonieusement avec les milliers de tapotements balourds que fait la horde en se déplaçant. Lili parvient à repousser temporairement la panique qui la gagne grâce à un suprême effort de volonté. Si elle craque c’est terminé. Voici la seule chose certaine.

Merde, merde, merde ! La détective recule prudemment et lentement, essayant de gagner un maximum de temps. Néanmoins, ces créatures continuent d’apparaître et l’endroit ne change pas ! Elle a beau détourner les yeux, tout reste en place. « Ils doivent compter aussi, se dit-elle, pourquoi ne compteraient-ils pas ? Tirer ne servirait à rien, trop de ces monstres et pas assez de balles pour tous les buter… que faire, bordel, que faire ? » Elle s’approche alors du feu, le calcul est simple : si ce sont des créatures d’obscurité alors une vive lumière devrait les faire fuir ! Elle est si proche de la statue que ses cheveux pourraient s’enflammer, mais ça ne paraît pas ralentir ces choses qui l’encerclent. Ils sont combien ? Des dizaines, non des centaines ? Impossible de tous les dénombrer…

L’agent donne alors un coup de pied dans un morceau de bois ardent tombé de la gigantesque bûche. Tout droit sur l’un d’entre eux ! Mais, si le choc l’arrête l’espace d’un instant, il reprend immédiatement sa route en faisant complètement fi de la lumière. Les ombres ne sont qu’à un cheveu de leur future victime, quand un sifflement se fait entendre.

Un sifflement, puis un chant guttural émanant d’une voix féminine, grave et profonde, douce et harmonieuse. C’est alors que les flammes de la statue prennent une teinte vif azur ! De suite les ombres s’immobilisent, puis reculent. Les plus proches se décomposent en quelques secondes, les plus éloignées parviennent à fuir dans les rues adjacentes. Lili se retrouve seule, avec un magnifique brasier bleu derrière elle.

Enfin, pas tout à fait seule, car une jeune femme aux cheveux noirs courts et portant une couronne de lierre s’approche en sifflotant. L’investigatrice remarque les yeux rouge brillant et sa peau blanche aussi lisse que celle d’une poupée de porcelaine. Mais surtout, quatre familiers l’accompagnent. Quatre espèces de serpents volants ayant une paire d’ailes sur les côtés et une aile sur le crâne, trois yeux rouges et une bouche avec des dents pointues !

Elle s’approche en levant les mains en l’air, signe de paix.

« Baisse ton arme, guerrière ! hurle l’étrange arrivante. Si je te voulais morte, je t’aurais laissée avec les infestations ! elle sourit alors, montrant sa dentition aussi étrangement parfaite que son épiderme. Reposons-nous donc quelques instants auprès de mon feu plutôt que de nous entretuer ! »

Lili baisse son arme, elle l’avait pointée par réflexe, mais sans intention réelle de s’en servir.

« Votre… feu ? interroge-t-elle.

Celui que j’ai refaçonné, l’inquiétante sauveuse pointe alors l’œuvre brûlant de ces superbes flammes.

Ah… oui, je vois, oui, elle s’installe à côté de Johnson qui reste un peu éberluée.

Détends-toi donc un peu, tu es en sécurité. Et qui ai-je eu l’honneur de sauver ? »

Après quelques secondes, une réponse hésitante fuse.

« Lili, je suis Lili Johnson.

Moi, je suis la Pythonisse et suis enchantée-ravie de faire ta connaissance, guerrière. »

De longues secondes passent dans un silence gênant, enfin surtout pour la nouvelle arrivante de ce royaume. Sa comparse semble joyeuse et nourrit ses compagnons avec une étrange mixture noire et poisseuse dont ils se régalent en se chamaillant pour en avoir plus. Elle décide alors, après avoir repris son souffle et rassemblé ce qui lui reste de raison, de briser ce blanc.

« Comment… la magicienne lui coupe la parole aussitôt avec un ton enjoué.

Je t’ai sauvée ? Le feu azur bien sûr. Une méthode très efficace pour repousser les âmes défuntes indésirables, mais j’ai remarqué que ça fonctionne tout aussi bien sur les locaux. Enfin, pas sur tous, mais la plupart.

Vous êtes ici depuis combie…

De temps ? Une éternité, ou pas ? Difficile à savoir, les règles de cet endroit sont complexes à saisir. Tout ce que je sais est que lorsque j’ai quitté le monde matériel, il y avait des rois en Judée ! »

« Cela fait plus de 2 000 ans alors… » pense la chasseuse, avant que l’étrangère ne reprenne son monologue

« J’étais une magicienne à l’époque, un véritable prodige ! Les puissants venaient tous quémander mes services et se battaient pour eux ! elle paraît à la fois très fière et empreinte d’une nostalgie amère.

Pour divers… sortilèges ? » Lili espère faire parler son interlocutrice au maximum pour connaître l’étendue de ses capacités et ainsi estimer l’aide qu’elle peut lui apporter dans sa mission.

« Non, ma belle, pas du tout. Ils venaient pour parler aux morts, leurs proches disparus, ou consulter les sages d’antan. Je suis une nécromancienne, une des rares humaines à l’être d’ailleurs. »

Humaine, hein ? La rescapée est sceptique quant à cette affirmation, cependant elle n’en pipe pas mot.

« Et pourquoi vous êtes dans…

L’Hypogée, le nom de cette terre est l’Hypogée. Je ne sais pas qui l’a nommée ainsi, mais tous les pratiquants de l’Art ont perpétué cette appellation. Même les vampires, c’est dire… »

L’opératrice ne parvient pas à cacher son rictus en entendant ce mot, ce que la Pythonisse remarque ostensiblement.

« Un jour, un souverain, dont je ne me souviens plus du royaume ou du visage, est venu à moi. Il voulait consulter l’esprit d’un de ses prédécesseurs lointains. Je l’ai averti : “Attention, sire, plus le mort est ancien, plus le risque d’attirer autre chose que ce dernier est grand !”. Il n’a rien voulu savoir, le pauvre homme était désespéré de résoudre son problème. Une guerre, la peste, une bite en panne ? Ne me demande pas, c’était si trivial que l’information a quitté ma mémoire depuis bien des éons. Bref ! Je m’exécute donc, pas très sereine, car je sentais la catastrophe arriver, mais on ne peut pas dire non à un roi tout en gardant sa tête. Surtout en tant que sorcière ! »

Elle chasse alors un chat de sa gorge avant de continuer.

« Et devine quoi ? J’avais tout à fait raison, on a attiré un spectre fou qui s’est entiché de sa majesté ! Bon, je l’ai banni évidemment… sauf que… ça n’a pas tout à fait fonctionné. Ce filou m’a fait croire être expulsé du monde des vivants ! Sauf qu’une fois le chefaillon dans son palais, il est revenu subtilement pour empirer encore plus les problèmes, jusqu’à causer la fin de la dynastie. Tous y sont passés : enfants, femmes, oncles, tantes et même le chien, je suis sûre ! Enfin, les braves gens m’ont tout mis sur le dos, comme d’habitude, et se sont mis en tête de me couper en deux. J’ai dû fuir, néanmoins… Je cours moins vite qu’un cheval à vive allure alors j’ai employé un sort interdit…

Interdit en raison d’une grande dangerosité ?

Pour soi, très dangereux pour soi ! Il te transporte ici sans possibilité de retour ! Et depuis, je me balade et j’explore cet univers. Je suis toujours contente de tomber sur des touristes de la Terre, on se sent parfois un peu seule par ici.

Et en avez-vous croisé d’autres, des touristes, comme vous dites ? Récemment j’entends ? la Pythonisse sourit.

Tututut, à ton tour !

Mon… tour ?

Je t’ai raconté mon histoire, raconte la tienne ! Et n’invente rien, je le saurai. Les gens de Helsing ne sont jamais honnêtes d’eux-mêmes.

Vous connaissez Va…

Je me tiens au courant autant que je peux ! la nécromancienne s’agace de façon théâtrale, allez, dis-moi tout, Lili soupire longuement.

Mes deux frères sont morts à la guerre, la Grande.

Parce qu’il en existe des petites ? ricane-t-elle en réponse.

En comparaison, oui, je vous assure, sa réponse fait taire la moquerie, je vivais avec ma mère dans la ferme familiale, il y avait aussi Alice qui était la femme de mon frère et… Elle marque une pause et détourne le regard.

Eeeeet ? s’impatiente la sorcière.

Mon ex-mari ainsi que mon fils…

À ta tête, ça ne s’est pas bien fini ton histoire, la femme affiche une mine sincèrement désolée malgré la maladresse de ses propos.

On a un dicton dans la Confrérie : “Personne ne vient chez Van Helsing par hasard”… Moi c’est le fait d’un vampire, un monstre qui s’appelle Grisha, elle serre alors les poings machinalement, sans même s’en rendre compte.

Les enfants de Báthory sont de belles ordures, vaut mieux les éviter ces bêtes-là… Mais je ne te coupe plus, vas-y continue !

Rien de plus à dire, Grisha a causé la mort de ma famille, sauf d’Alice. Depuis je bosse pour la confrérie afin de lui mettre le grappin dessus.

Tu ne me dis pas tout, je le sais ! Lili ne répond que par une grimace douloureuse, mais ça suffira, je te remercie. Ça faisait je ne sais combien de lunes que je n’avais pas eu droit à une conversation à cœur ouvert ! J’ai l’impression de retrouver un peu d’humanité en ce bas monde, elle rit à gorge déployée, oui, les autres. J’ai senti leur présence et c’est pourquoi je suis venue dans cette partie de l’Hypogée. Je voulais discuter un peu. Malheureusement, le duc des Rêves brisés les a eus avant moi.

Qui est le duc des…

Rêves brisés, c’est moi qui lui ai donné ce surnom. Il s’agit d’un démon et, pour faire simple, un démon est un amalgame d’émotions cohérentes qui s’est incarné. Lui, c’est tout ce qui concerne le rayon de la déception, de l’amertume et des regrets. Un démon peut parfois construire une sorte de “nid” dans un bout de cette dimension et attraper tout ce qui peut émettre son repas favori, soit les émotions qui le constituent. Tu suis ?

- Oui, mais il y a une sorcière aussi qui m’a envoy… elle se fait de nouveau couper.

Une sorcière du Chaos, elle tire ses pouvoirs d’un partenariat avec un démon. En échange d’un apport régulier d'émotions, il lui offre son énergie et la magie directement issue de ces lieux ! Bon, je ne recommande pas avec le Chaos tu finis invariablement cinglé. Et ça, sans compter les mutations horribles qui finissent par te défigurer. Donc, ta sorcière doit vouloir vous donner en pâture à son démon, conformément à leur arrangement. Sauf que je t’ai trouvée avant ! Lili réfléchit une dizaine de secondes.

J’ai deux questions, la première est…

Oui, ils sont probablement morts, mais ce n’est pas non plus une certitude et secondement, oui je peux te guider non loin de son antre. Après tu devras te débrouiller, je n’ai aucune envie de m’attirer les foudres d’un résident. Ah et pour ta troisième question : non je ne sais pas comment partir, sinon je serais déjà loin, ses familiers la regardent avec un brin de tristesse, je vous aurais pris avec moi, vous êtes tartes voyons.

Mer… la nécromante se lève d’un bond.

Ne perdons pas de temps guerrière, veux-tu ?

- Pourquoi “guerrière” ? Lili sourit avec amusement.

Pour attirer toutes les horreurs du coin dans le seul but de retrouver quelqu’un, il faut soit être une guerrière, soit être suicidaire. Et vu tes réflexes avec ton arme et vu comment tu as voulu échapper aux infestations, tu n’es pas suicidaire. Pythonisse sort une lanterne de son sac et allume la mèche au centre avec un peu de feu azur.

C’est… ce n’est pas faux, bafouille la guerrière. »

À peine ont-elles le temps de se mettre en route que les familiers fixent alors les points cardinaux en voletant juste à côté de leur maîtresse, un seul vole un peu plus haut et entame une sorte de communication à l’aide de cliquetis gutturaux que la mystérieuse mage comprend manifestement. « Astucieux, c’est donc comme ça qu’elle parvient à s’orienter dans ce foutoir », constate la chercheuse. Le chemin suivi par la troupe n’a aucun sens, il fait des demi-tours, des zigzags entre les ruelles, passe parfois au-dessus de murets pour se retrouver au point de départ.

Pourtant, la Pythonisse ne semble pas du tout perturbée et explique que les routes de l’Hypogée sont déstructurées. Les lois de la causalité ne s’y appliquent pas réellement. La route la plus rapide pour se rendre dans un endroit est parfois de reculer, foncer dans un mur et changer quatre fois de directions… parfois non. Même les raccourcis sont changeants et instables, précise-t-elle !

Lili n’ose pas la remettre en cause, pour la simple raison que sa compagne lui permet d’esquiver de nombreuses abominations et que depuis qu’elle marche dans les lueurs de la lanterne azurée les murmures ont cessé. « Leur but est de t’attirer dans les ténèbres pour bouffer ton esprit. Pour y parvenir, ils rendent folles et malléables leurs proies », lui explique l’experte avant même que la détective n’ait eu à poser la question.

Le périple est étrangement doux et calme, les voyageuses en profitent pour cultiver une singulière proximité de circonstance. Les cauchemars ambulants qui rôdent à chaque détour de rues gardent une distance respectable de l’éclat océan. Bien que leur curiosité et leur agressivité pour les deux comparses sont palpables, cela n’inquiète pas le moins du monde l’arcaniste qui sifflote tranquillement en continuant d’un pas assuré sa route :

« Ces bêtes-là ne s’approcheront pas, pas d’inquiétude. Enfin pas tant que tu restes dans la lumière, bien sûr, peu de temps après, elle se retourne et signale :

Nous sommes presque arrivées ! Prépare-toi bien ! la guide s’arrête devant un building.

Prête ?

Prête, répond l’autre dans un hochement de tête. »


Elle traverse alors la pierre en tenant la main de sa suivante, chose obligatoire pour ne pas se perdre ! Il se découvre, au-delà de la roche, un spectacle aussi formidable que déroutant, aussi étrange que terrifiant. Un manoir moderne paraissant en ruines se dresse dans une clairière urbaine. D’immenses buildings tordus aux architectures impromptues forment un cercle tout autour, plus qu’un cercle, il s’agit de montagnes ! Sans la traversée du mur, il aurait été impossible de rejoindre cet endroit !

Le plus choquant n’est pas ça, non, c’est que la demeure n’est pas statique. Elle a des pattes d’araignées, huit, et elle se déplace sur une immense toile tissée entre les gratte-ciels. Une toile de béton et de mortier aussi souple et solide que de la soie arachnide, car de grands cocons sont disposés çà et là. Ils accueillent des monstres abominables et gigantesques, captifs et partiellement dévorés. La bâtisse partage d’autres traits avec l’animal tisseur, ses nombreuses fenêtres sont telles des yeux et tout autant globuleuses. Un portail de fer noir fait office de crocs, la peinture écaillée de la structure, quant à elle, de poils.

Du premier coup d'œil, le rapprochement ne se fait pas immédiatement avec l’arachnide, mais plus les femmes observent cette invraisemblable chose, plus elles voient les similitudes qui leur paraissent évidentes à présent. La grande habitation victorienne est particulièrement mobile, elle s’agite dans tous les sens. Souvent pour réparer sa toile plus fragile que prévu ou bien pour se servir dans son ignoble garde-manger. « Alors c’est quoi ton plan ? » lui demande son amie de voyage, ce à quoi Lili répond avec un sourire nerveux :

« Laisse-moi cinq minutes, faut que je réfléchisse. »

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