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Apocalypse , chapitre 11 : Mort

"Ne vous étonnez pas de cela ; car l'heure vient où tous ceux qui sont dans les sépulcres entendront sa voix, et en sortiront.  
Ceux qui auront fait le bien ressusciteront pour la vie, mais ceux qui auront fait le mal ressusciteront pour le jugement.  "

Évangile selon Jean, 5:28-29 


Damian, du haut de son cheval pâle, contemplait l'homme qu'il attendait depuis trop longtemps. Cela faisait des lustres qu'il rêvait de ce moment, ce moment où il pourrait enfin accomplir le but ultime de sa vie : endiguer cette épidémie qu'était l'Humanité. Ce sourire qui s'étirait sur ses lèvres ne le quittait plus depuis qu'il avait enfin mis la main sur l'ultime pièce du puzzle, celle qui lui permettrait d'accomplir sa destinée. Destinée dont trouver Edgar marquait le début de l'acte final, mais qui avait commencé à se dessiner dès le Moyen-Âge.

*** 

Damian était né en 1317 à Brême, en Allemagne. Fils d'une famille noble, il avait entamé des études de médecine et, à l’âge de 20 ans, il était parti en France étudier à l'Université de Paris. Mais, sans réel de talent et surtout, sans aucun investissement de sa part, il n'avait jamais réussi à obtenir son doctorat. En effet, Damian était bien trop frivole. Il préférait largement la compagnie des femmes dans les bordels à celle des professeurs dans les salles de classes de l'université. Après cet échec cuisant, il avait tenté de revenir vivre chez ses parents, mais ces derniers, las de voir leur enfant vivre dans la débauche, l'avaient très vite déshérité et mis à la porte.

Sans argent ni profession, et maintenant sans famille pour l'entretenir, le jeune homme avait eu besoin de trouver un moyen de se nourrir et de se loger. C'est alors que lui était venue l'idée d'utiliser le peu de connaissances en médecine qu'il avait retenu de ses cours afin de se faire passer pour un médecin. Son idée en tête, il avait passé quelques mois à voler dans les bourses ou sur les étals afin de se constituer une somme de départ pour pouvoir mettre en place son projet.
Une fois un pécule suffisant réuni et son rôle de médecin endossé, il avait sillonné l'Europe, de Brême à Lisbonne, de Lisbonne à Londres, de Londres à Milan, profitant de la détresse des gens pour leur vendre des produits miracles qui ne fonctionnaient pas ou des soins factices, le tout au prix fort.
De toutes ses arnaques, sa préférée restait de loin celle où il donnait des sucreries empoisonnées aux enfants. Lorsqu'inéluctablement, ils finissaient par tomber malade, Damian se présentait aux parents en leur vendant les mérites d'une potion présentée comme un remède miraculeux, capable de guérir n'importe quelle maladie. En réalité, la mixture contenait un simple antidote au poison qu'il avait lui-même inoculé à leur progéniture, mais les gens, voyant que ce breuvage fonctionnait vraiment, finissaient souvent par le lui acheter au prix fort. Bien entendu, il y avait eu de nombreux cas où l'enfant avait succombé au poison avant que l'antidote lui soit administré, et il arrivait également que les parents n'aient tout simplement pas les moyens de payer la potion miracle.
Mais cela ne donnait aucun cas de conscience à Damian. Ce n'était pas son problème.

Cette vie de charlatan et de criminel lui avait permis de s'enrichir très vite, et de remettre sa vie sur les rails de la débauche qu'il avait été contraint de quitter depuis que ses parents l'avaient mis à la porte. Mais inexorablement, cette vie malhonnête, acquise au prix de multiples vies et par des moyens condamnables, ne pouvait pas durer. Comme l'affirme le dicton : le crime ne paie pas.
Alors qu'il sévissait dans les rues de Marseille lors de son passage en France, utilisant son astuce favorite pour arnaquer les habitants, le médecin factice avait été surpris en train de distribuer ses friandises empoisonnées aux enfants. Il avait aussitôt été jeté au cachot, avant d'être condamné à mort. Il n'avait alors que 30 ans.
À cette époque, le châtiment pour les simples roturiers étaient la pendaison, une mort lente et douloureuse. Damian avait longuement essayé de convaincre ses geôliers que du sang bleu coulait dans ses veines, afin de pouvoir bénéficier d'une mort rapide par décapitation. Mais évidemment, personne ne l'avait cru.
La corde au cou, attendant que son bourreau applique la sentence, il avait repensé à sa vie. Et elle était pleine de regrets.
Pas qu'il regrettât la mort de tous ces enfants empoisonnés par ses soins, ni même qu'il pleurât les dizaines de familles qui avaient été ruinées par sa faute. Non, ce qu'il regrettait, c'était de ne pas avoir commencé plus tôt cette vie de luxe malhonnête, afin de profiter au maximum des délices qu'elle lui avait offerts.
Alors, devant ce sort funeste et implacable, il avait souri. Un sourire résigné, résigné et démoniaque à la fois. Puis, il avait basculé dans le vide et avait fermé les yeux, pensant ne plus jamais les rouvrir.

*** 

Quelque part au-dessus d'une fosse commune de Marseille, une main s'était péniblement extirpée de  terre. Puis avait suivi un corps sale et recouvert de crasse.
Quelques secondes plus tôt, Damian s'était réveillé dans le noir complet, comme s'il sortait d'un mauvais rêve. Paniquant aussitôt, il avait essayé de bouger les bras pour au moins tenter d’appréhender son environnement, sans succès. Il avait alors voulu crier, mais de la terre était entrée dans sa bouche, lui faisant comprendre toute l'horreur de la situation dans laquelle il se trouvait. On l'avait enterré vivant. Mais alors qu'il en prenait peu à peu conscience, une autre question avait surgi dans son esprit. Comment avait-il survécu à la pendaison ? Malheureusement, la réponse avait dû attendre, car le jeune homme commençait déjà à manquer d'air. Il aurait été très bête de survivre à une pendaison pour mourir d'asphyxie quelques temps après.
Damian avait rassemblé toutes ses forces et avait gratté la terre au-dessus de lui comme un beau diable. Finalement, il était parvenu à atteindre la surface, qui était moins lointaine que ce qu'il aurait cru. Dans son malheur, il avait eu la chance d'être l'un des derniers à avoir été jetés dans la fosse. Une fois à l'air libre, il s'était éloigné le plus possible de celle-ci, qui était située en périphérie de la ville, et avait plongé sa tête dans une rivière voisine, afin de nettoyer son visage et remettre de l'ordre dans son esprit. En regardant son reflet dans l'eau, il avait remarqué une grande marque autour de son cou, sans doute celle que lui avait laissée la corde. Retrouvant son calme, il s'était adossé contre un arbre et avait tenté de faire le point sur sa situation.

Par quel miracle pouvait-il être encore vivant ? Il se souvenait encore du bruit qu’avait fait son cou quand il s'était brisé lors de son exécution juste avant qu'il ne perde connaissance, ce bruit qu'il pensait être le dernier qu'il entendrait de sa vie. Il ne pouvait avoir rêvé, il avait encore la marque de ce qui lui était arrivé. Pourtant, là ou celle-ci était située, il ne ressentait aucune douleur. C'était à n'y rien comprendre.
Néanmoins, il était vivant, et c’était ce qui importait le plus. On lui avait donné une nouvelle chance, et cette fois, il ne comptait pas la gâcher. Il avait profité d'être à côté de la rivière pour se laver le corps et les vêtements, puis avait quitté les alentours de la ville, craignant d'être à nouveau arrêté et pendu. Il avait alors voyagé vers l'Italie, à Rome, où il était resté caché quelques temps, à l'abri des regards. Il avait fini par trouver une maison ou vivait une vieille dame, seule, et l'avait assassinée afin de prendre possession des lieux, après avoir mené plusieurs investigations à son sujet, s'assurant qu'elle n'avait plus aucune famille proche qui aurait pu venir la voir. C'était la première fois qu'il tuait ainsi et de manière aussi directe, mais face à tous les infanticides qu'il avait à son actif, la chose paraissait presque bénigne.

Il était resté cloîtré dans cette maison plusieurs semaines durant, ne sortant que la nuit pour voler de quoi manger dans les maisons voisines, comme il l'avait si souvent fait au cours des mois qui avaient suivi sa mise à la rue par ses parents. C'était pendant cette période qu'il avait eu vent d'une épidémie qui ravageait l'Europe depuis quelques mois, et à laquelle on avait donné un nom : la peste. Selon les dires, elle-ci s'était répandue depuis Marseille, peu de temps après qu'il avait quitté la ville. Devant ce dernier détail, Damian avait béni le ciel de lui avoir fait abandonner Marseille avant que l'infection ne l’atteignît.

Malgré tout, la pandémie avait très vite gagné Rome, et avec elle, ses habitants. Dès lors, le jeune homme avait pu voir de plus de plus de personnes recouvertes de taches noires déambuler dans les rues chaque jour, la plupart se sachant sans doute déjà condamnée. Mais peu après, de curieux individus vêtus de noir avaient fait leur apparition en ville, dispensant des soins dans chaque maison portant une croix rouge peinte sur la porte, laquelle indiquait que la bâtisse recelait des personnes atteintes de la maladie. Damian avait alors appris qu'il s'agissait de médecins de peste, payés par le Pape en personne, et dépêchés pour venir en aide aux citoyens.

N'en démordant pas, le jeune homme avait tout de suite vu en ces médecins une nouvelle façon de se faire de l'argent facilement. Se faire passer pour l’un d’entre eux afin d'escroquer les malades en leur promettant une guérison plus rapide s'ils payaient une belle somme serait un jeu d'enfant pour lui. Toute une partie du continent avait déjà commencé à se faire décimer par cette nouvelle maladie, aussi savait-il pertinemment que le peuple était prêt à se raccrocher au moindre lambeau d'espoir sans se poser de questions.
Néanmoins, il restait un problème de taille : la maladie était contagieuse, et Damian n'avait bien entendu aucune envie d'attraper la peste. Mais pour pallier ce problème, il avait deux avantages. Le premier ; il avait fait des études de médecine, et bien que restreintes, ses connaissances en la matière ne se limitaient pas à savoir empoisonner des bonbons. Quant au second ; il avait des idées. Beaucoup d'idées.

Dans la maison qu'il s'était accaparée, l'ancienne occupante avait « laissé » une petite collection de masques, qui ornaient l'étagère centrale de la pièce principale. Damian en avait choisi un possédant un long bec creux, qu'il avait rempli avec un mélange d'herbes aromatiques dont il espérait qu'elles bloqueraient l'air putride expiré par les malades, lui évitant ainsi d'être infecté par ce biais. Il n'avait certes pas été très attentif lors de ses cours de médecine, mais la théorie des miasmes était quelque chose qu'il avait retenu.
Muni de son masque blanc et de son habit noir, il avait alors commencé son affaire, et avait à son tour été frapper à la porte de ces maisons marquées d'une croix rouge. Bien entendu, les soins prodigués par le charlatan étaient purement inutiles, mais très démonstratifs, donnant ainsi l'illusion qu'il s'agissait de vrais soins, dispensés par un authentique médecin.
Avec cette méthode, Damian avait très vite amassé une petite fortune. Contrairement à la plupart des autres médecins de peste, et en dépit du fait que l'usage du masque contenant les herbes aromatiques s'était rapidement démocratisé et n'avait pas sauvé ces derniers de la maladie, le jeune homme n'avait jamais manifesté le moindre symptôme de cette dernière.
Malgré tout, afin de ne pas refaire la même erreur qu'à Marseille, il avait arrêté ses activités avant de se faire prendre. Avec sa nouvelle fortune, il s'était acheté un manoir, vendu pour une bouchée de pain par une famille de nobles décimée par la peste. Il avait alors regardé l'épidémie ravager l'Europe du haut de sa tour d'ivoire, baignant dans l'opulence que lui avait procurée celle-ci.

Finalement, la pandémie s'était arrêtée deux ans plus tard, en 1353. Elle avait emporté la moitié de la population européenne, laissant énormément d'orphelins derrière elle. Pour Damian, ces derniers avaient été du pain béni, qu'il avait aussitôt vu comme une nouvelle façon de s'enrichir. Il en avait ainsi employés beaucoup à travailler sur ses terres, les payant une misère et vendant au prix fort le fruit de leur labeur. Les populations paysannes ayant été les plus touchées par la peste, le prix des matières premières issues des champs s'était en effet envolé dès la fin de l'épidémie..
Pour les jeunes orphelines, il avait inauguré plusieurs bordels, faisant travailler les pauvrettes jour et nuit. Lui-même était très vite devenu un client régulier de ces établissements.
Il avait alors vécu ses plus belles années, dans le luxe et la débauche, comme il l'avait toujours voulu. Mais quelque chose ne tournait pas rond.
Il avait pu voir ses employés grandir pour devenir des adolescents, des adultes, puis des vieillards. Mais lui n'avait jamais changé.
Au bout du compte, il avait été contraint de se rendre à l'évidence.
Il ne vieillissait tout simplement pas.

Après avoir définitivement réalisé de quoi il retournait vraiment, Damian avait évidemment été très heureux, du moins dans un premier temps. Il s'était en effet très vite rendu compte que cela impliquait beaucoup de choses. Il avait commencé à se forger une grande réputation à Rome, et son visage était connu de tous. Combien de temps lui restait-il avant que les citoyens ne se rendent compte qu'il n'avait jamais pris une ride en 30 ans ? Il risquait très fortement d'être brûlé vif, accusé d'avoir conclu pacte avec le diable pour obtenir la jeunesse éternelle.
Dépité, il avait fui le pays comme il l'avait fait pour l'Allemagne et la France il y avait des décennies maintenant, emportant avec lui la majorité de sa fortune.
Il avait ainsi vagabondé à travers l'Europe, vivant de ses arnaques habituelles dans chaque recoin du continent, ne s'éternisant jamais trop longtemps au même endroit, de façon à ce que sa jeunesse éternelle ne soit pas constatée. Du moins, pour ce que vaut l'expression « jamais trop longtemps » au regard d'une vie sur laquelle le temps n'a pas d'emprise

Inéluctablement, comme à Marseille, il avait fini par se faire arrêter. Alors qu'il s'était établi à Amsterdam, aux Pays-Bas, il avait feint de soigner un noble de passage et avait involontairement entraîné sa mort. L'histoire aurait pu s'arrêter là, mais ce que Damian ignorait, c'est qu'il s'agissait du cousin de Johan de Witt, l'actuel Grand-pensionnaire de Hollande. Le faux médecin avait très vite été démasqué par les gardes, et entraîné dans une ruelle sombre où il avait été abattu sans aucune autre forme de procès d'une balle dans la tête, avant d'être jeté dans le canal.
On était en 1663, et Damian avait alors 346 ans.

*** 

Damian avait rouvert les yeux, et constaté que la mort n'avait toujours pas voulu de lui. Cependant, quelque chose différait de la fois précédente : son temps de résurrection. En effet, s'il s'était réveillé sous terre après sa première mort, force avait été de constater qu'il était ici encore transporté vers son lieu d'inhumation. Jubilant intérieurement d'avoir cette fois encore échappé à son jugement, il avait fait semblant d'être mort de façon de ne pas éveiller les soupçons, et s'était éclipsé pendant que le croque-mort empilait les nombreux autres cadavres dans la fosse commune. Après tout, un corps de plus ou de moins n'allait pas faire une grosse différence. Suite à cette seconde résurrection, il n'avait  eu d'autre choix que de fuir la ville, comme lors de son premier retour à la vie.
Il lui fallait cette fois trouver un endroit tranquille et qu'il n'avait jamais visité, pour éviter d'être reconnu. Après avoir pesé le pour et le contre pendant de longues minutes, il avait finalement pris sa décision, et avait embarqué à bord d'un bateau à destination de l'Angleterre. Quelques temps après être arrivé là-bas, il avait appris la nouvelle : peu après son départ, une nouvelle épidémie de peste s'était déclarée à Amsterdam, plongeant la ville dans le chaos.
Cette situation lui avait aussitôt rappelé ce qu'il s'était passé à Marseille, juste après sa première exécution. Un doute l'avait alors assailli. Et si c'était sa mort qui déclenchait ces épidémies ? En toute logique, cela ne pouvait être que de grosses coïncidences, mais il était tout de même en vie alors qu'il aurait dû mourir par deux fois déjà. S'il voulait réellement se fier à sa logique, il allait devoir également expliquer ces résurrections. Enfin, il n'allait sûrement pas mourir une troisième fois simplement pour vérifier si c'était bien sa mort qui provoquait des pandémies.

Suite à son départ du continent, Damian avait passé deux ans en retrait, vivant dans un petit appartement de Winchester. Bien évidemment, le logis avait été volé à une personne âgée, sur le même mode opératoire que celui utilisé à Rome. Renfilant son costume de faux médecin, il avait tenté de reprendre ses arnaques habituelles, mais avait très vite déchanté en constatant que si la médecine moderne avait fait des progrès fulgurants, lui n'avait jamais évolué. Les affaires ne marchaient plus aussi bien qu'autrefois, les gens ne se laissant plus arnaquer aussi facilement qu’à l'époque. Autrement dit, même si cette activité lui permettait de gagner assez d'argent pour vivre décemment, elle ne lui permettait plus de s'enrichir.
Mais heureusement pour lui, sa plus grande alliée avait vite atteint l'Angleterre : La peste. Damian avait renfilé son masque muni d'un grand bec, et s'était à  nouveau fait passer pour un médecin de peste. La pandémie avait été éradiquée un an plus tard, mais cette durée avait suffi au charlatan pour se constituer une petite somme, laquelle lui avait permis de voyager et de s'établir dans les contrées avoisinantes. Il avait ainsi visité l’Écosse, l'Irlande, le Pays de Galles...
Il ne restait jamais trop longtemps au même endroit, comme il avait l'habitude de faire. Mais comme l'argent était inexorablement venu à manquer, il avait fallu trouver un nouveau moyen de remplir ses bourses. Damian s'était donc tourné vers des délits plus violents que de simples arnaques : Le vol, avec, parfois, le recours au meurtre.

Sa carrière de criminel avait alors commencé à évoluer dans le mauvais sens. Lui qui ne tuait qu'occasionnellement, pratiquait désormais le meurtre de façon très régulière. Cette vie de bandit des grands chemins lui avait appris beaucoup de choses, notamment sur l'étendue de sa mystérieuse jeunesse éternelle. Durant ses vols, il avait à de nombreuses reprises récolté des blessures plus ou moins graves, et s'était aperçu que certaines, non contentes de guérir à une vitesse impressionnante, ne lui causaient aucune douleur. Mieux encore, certaines plaies, qui auraient été mortelles à  n'importe quel autre être humain normalement constitué, ne l'étaient plus. En effet, Damian avait un jour reçu une balle en plein cœur alors qu'il avait mal choisi sa victime du jour. Il ne s'en était cependant rendu compte qu'une fois rentré chez lui, devant le miroir, voyant le sang qui tachait sa chemise et le trou écarlate qui perçait sa poitrine. Fort de cette découverte, un sentiment de toute-puissance avait émergé en lui. Une chose en amenant un autre, ce sentiment l'avait poussé à franchir un cap, lui qui n'avait jamais été à l'aise sur l'eau. Ivre de cette sensation, il avait pris un bateau et avait embarqué vers le nouveau monde : L'Amérique.

*** 

La période Far West avait été, de loin, la préférée de Damian. Cigare à la bouche, il parcourait le pays, tuant, violant et pillant selon son bon vouloir. Il n'avait certes pas la réputation d'être la plus fine gâchette de l'Ouest, mais comme il ne craignait plus les balles, cela importait peu.
Il passait son temps à piller des diligences, amassant butin sur butin, mais il y avait quelque chose qu'il appréciait encore plus que ces larcins. Quelque chose qui était devenu une véritable passion chez lui : la chasse aux Indiens. C'était vraiment son activité préférée. Non seulement il pouvait en tuer autant qu'il voulait sans craindre de représailles de qui que ce soit sinon de ses victimes elles-mêmes, mais il était en plus payé et acclamé pour ça !
Habillé de son fidèle chapeau de cow-boy qu'il avait enfilé dès qu'il avait gagné l'Amérique et d'un bandana pour cacher son visage éternellement jeune, il avait parcouru les terres indiennes, causant carnage sur carnage, peu importe le coin de l'Ouest dans lequel il se trouvait. Toutes les tribus le connaissaient, et le craignaient. Qu'ils fussent Sioux, Apaches ou Comanches, Damian ne faisait nulle distinction, et semait la mort partout où il passait. Les Indiens le voyaient comme une sorte de dieu punisseur, mais étant un peuple de combattants, ils n'avaient jamais baissé les bras.

Par une journée ensoleillée, alors qu'il avait pénétré au cœur d'une forêt pour traquer un groupe d'Iroquois, Damian était tombé dans une embuscade et s'était retrouvé face à une véritable coalition, l'attendant de pied ferme au fond du bois. Ce jour-là, quelque chose d'étrange s'était produit. Alors qu'il combattait ces nombreux ennemis, faisant tomber comme des mouches ceux qui l'approchaient de trop près et prenant énormément de coups mortels pour la plupart des humains, il s'était retrouvé à court de munitions. Il avait bien sorti son couteau pour continuer le combat au corps à corps, mais avait vite été désarmé. Les Indiens, qui avaient perdu une bonne partie de leur effectif mais avaient saisi qu'ils ne l'auraient pas en fonçant tête baissée dans le combat, lui tournaient autour et l'attaquaient au moment où il s'y attendait le moins, avant de s'éloigner rapidement, ne lui laissant aucun moyen de répliquer.
Cette situation avait énervé Damian à tel point qu'il ne s'amusait même plus. Il ne souhaitait plus qu'une chose : tous les tuer. Voir leurs cadavres couvrir le sol herbu, et le teindre d'un écarlate funeste. Fou de rage, il avait regardé l'un des Indiens s'éloigner de lui, le narguant après lui avoir tailladé la jambe droite d'un coup de hache. L'homme l'avait dévisagé avec toute la haine du monde, lui souhaitant une mort lente et douloureuse. A peine une demi-seconde après l'apparition de cette pensée, l'Indien en question s'était écroulé, comme frappé par la foudre. Cette situation avait été inédite pour Damian, qui s'était figé un instant, pétri d'incompréhension. Cela avait suffi à l'un de ses ennemis pour l'approcher par derrière et lui porter un violent coup de hache au niveau du cou, lui tranchant net la carotide. Les dernières images qu'il avait vues étaient celles du monde qui tournoyait autour de lui pendant que sa tête tombait au sol, accompagnée par le cri de guerre des Indiens. Il avait alors fermé les yeux, prêt à affronter une nouvelle fois la mort.

*** 

Cette fois-ci, quand Damian avait rouvert les paupières, sa tête était de retour sur ses épaules. Hagard, son premier réflexe avait été de constater que son temps de résurrection semblait à nouveau avoir diminué par rapport à sa dernière mort. Après quelques secondes pendant lesquelles il avait retrouvé ses esprits comme se pouvait, il avait levé la tête, et s'était aperçu que tous les Indiens qui pullulaient dans le bois encore quelques minutes auparavant avaient tous été tués, gisant au pied d'un mystérieux personnage. Levant les yeux vers celui-ci, Damian, avant de jeter au feu cette hypothèse absurde, avait d'abord cru à un croque-mort qui se serait perdu, et pour cause : l'homme était entièrement vêtu de noir. Voyant le ressuscité se relever, le croque-mort qui n'en était sûrement pas un s'était avancé vers lui :

"Eh bien, tu n'es pas très bon dans ton rôle d'immortel. Cela fait la troisième fois que tu meurs. N'est-ce pas ironique ?
- Mais bon sang, qui êtes-vous ? Qu'est-il arrivé à ces satanés Peaux-rouges ?
- Je me suis permis de les tuer, comme tu semblais avoir du mal à le faire. De toute façon, ils seraient morts tôt ou tard, victimes de cette peste que tu sembles maladroitement répandre à ta mort...
- J'étais en train de m'échauffer, c'est tout... Attendez, comment savez-vous que je suis mort trois fois ? Et comment vous savez pour les épidémies de peste ?
- Car je sais tout, voilà tout."

À ces mots, l'étrange personnage avait eu un petit rire et s'était redressé, avant d'ouvrir les bras avec un sourire démoniaque. Deux larges paires d'ailes noires s'étaient alors déployées dans son dos, et ses yeux avaient été traversés d'un rouge flamboyant, un rouge infernal. Cela avait suffi à Damian pour qu'un déclic se fasse dans son esprit. Lorsqu'il avait compris que l'homme vêtu de noir qui lui faisait face n'était autre que Lucifer en personne, il avait basculé en arrière, tombant sur les fesses. Visiblement satisfait de son petit effet, le diable avait replié ses ailes, reprenant sa précédente apparence.

"Voyons, n'aie pas peur de moi. Je ne suis pas ici pour t'emporter avec moi en Enfer. Du moins, pas tant que tu m'es utile. Vois-tu, j'ai de grands projets pour toi.
- De grands projets ? Minute... Cette immortalité, cette jeunesse inaltérable, ce pouvoir de tuer à distance dont j'ai pu voir les prémices tout à l'heure... Ça vient de vous ?"

Lucifer avait eu un rictus et avait soupiré, avant de pointer son doigt vers le ciel.

"Pas vraiment, cela vient de plus haut. Mon père à toujours aimé le mystère...
- C'est donc un don de Dieu... Mais, pourquoi ?
- Cela n'a aucune importance. Ce qui compte, c'est ce que tu vas faire, maintenant. J'ai une mission de la plus haute importance à te confier. Et je compte sur toi pour ne pas me décevoir. Sais-tu ce qui arrive aux gens qui me déçoivent ?"

A ces mots, Lucifer avait claqué des doigts, et une brèche s'était ouverte dans la terre aux pieds de Damian, dévoilant un océan insondable de flammes. Une horde de diablotins hideux en était sortie, et s'était ruée sur les corps des Indiens gisant au sol, s'attelant à récupérer leurs âmes. Ces âmes, arrachées à leur corps, criaient et pleuraient, implorant leur tourmenteur de les laisser partir. Lucifer, indifférent, se contentait de regarder le spectacle en croisant les bras, un petit sourire en coin. Aucune pitié ne leur serait accordée, et Damian le savait : la miséricorde ne franchit pas le seuil de la Géhenne. Les diablotins avaient jeté les âmes hurlantes dans les flammes de l'Enfer comme s'il s'était agi de vulgaires déchets. Le trou s'était alors refermé, disparaissant comme s’il n'avait jamais existé.
Damian s'était retourné vers le Diable, et l'avait considéré avec un étrange mélange de  fascination et de crainte primitive, de celle qui vous ordonne de prendre vos jambes à votre cou quand vous êtes face une chose qui vous dépasse totalement.
Puis, l'homme s'était mis à genoux devant lui.

"Je suis à vos ordres..."

Lucifer avait claqué des mains, satisfait.

"Bien. C'est ce que j'aime entendre. Alors, voici ta mission. Dans quelques années, décennies, peut-être même siècles, un homme important apparaîtra. Il sera l'élément décisif qui scellera la destinée du monde. Je veux que tu trouves cet homme, et que tu lui fasses accomplir son destin.
- Et comment pourrai-je le reconnaître ?
- Vous êtes liés, toi, lui, et deux autres personnes. Quand il sera prêt, tu le trouveras.
- Très bien. Mais...
- Mais quoi ?
- Pourquoi ne pouvez-vous pas le trouver vous-même, comme vous l'avez fait pour moi ?"

A l'entente de cette question, les yeux de Lucifer avaient brillé une seconde, comme si la question l'agaçait. Il s'était assis sur un rocher, avait de nouveau poussé un soupir, et après un silence de quelques secondes, avait fini par répondre.

"Mon père, est, disons... très attaché à la notion de libre arbitre de sa création. Il a formellement interdit à tous les anges et tous les démons d'influencer cet homme. Il sera sûrement étroitement surveillé, je ne pourrai pas l'approcher. C'est pour ça que je fais appel à toi."

Sur ces mots, il s'était levé, et s'était approché de Damian.

"Tu as désormais une mission, et je ne tolérerai aucun échec. Je ne sais pas quand cet homme apparaîtra, mais d'ici là, il faut que tu apprennes à maîtriser tes pouvoirs. De cette manière, tu ne pourras tout bonnement plus mourir, et ce même si tu as la tête coupée comme aujourd'hui. Profites-en aussi pour contrôler ces épidémies que tu déclenches malgré toi à chacune de tes morts...
- Je ferai selon vos ordres. Mais avant que vous ne partiez, j'aimerais vous poser une dernière question.
- Soit."

Damian s'était relevé, avait ramassé son chapeau qui traînait au sol pour le renfiler, et s'était tourné vers Lucifer, une curieuse étincelle dans les yeux.

"Que suis-je ?"

À cette question, Lucifer avait longuement regardé Damian. Un large sourire s'était alors dessiné sur son visage. Le Diable s'était retourné, et avait levé la main, la paume vers le ciel. Les cadavres des Indiens gisant au sol avaient aussitôt commencé à trembler, pris de convulsions, et à se décomposer. Comme aspirés par un vortex, la chair et les os des corps semblaient attirés en un point précis, un noyau pâle, luisant et tournoyant qui avait commencé à se former juste devant Damian. Au bout d'une minute, lorsque des corps des Indiens ne restait plus ni chair ni ossements, le noyau avait achevé sa rotation, et la lumière pâle qu'il pulsait s'était intensifiée. Alors, il s'était progressivement mué en une imposante forme quadrupède, née de toute cette chair et de tous ces os. En quelques secondes s'était formé devant Damian un cheval pâle comme un mort, le scrutant de ses yeux écarlates et pénétrants.
De la fumée s'était alors échappée de l'avant-bras du nouveau Cavalier, révélant un tatouage représentant un crâne humain. Il s'était approché du cheval, et Lucifer avait levé les bras au ciel, criant d'une voix puissante :

"Lève-toi, ô cavalier de l'apocalypse apportant la mort et la peste. Chevauche ton destrier, pâle comme un cadavre, et apporte la pourriture sur cette Terre."

Guidée par ce nouveau credo, la représentation terrestre de la mort était montée sur son funeste destrier, et s'était mise en route vers son destin, galopant en recherche de la clef qui scellerait le futur du monde.

*** 

Après cette rencontre qui avait apporté un début de sens à son existence, Damian n'avait pas perdu de temps et avait mis en pratique les conseils de Lucifer. Il avait perfectionné son pouvoir et appris à le maîtriser aux quatre coins du continent, massacrant tribu indienne sur tribu indienne. Mais très vite, il avait été en manque d'Indiens pour s’entraîner. A lui tout seul, il avait dû exterminer plusieurs tribus, et un partie de celles qui restaient avait été forcée de commencer à vivre parmi les colons, qui avaient fini par flairer le bénéfice et avaient mis en place des exploitations où ils « employaient » ces Peaux-rouges, privant Damian de son gibier favori.

Néanmoins, la Providence lui avait très vite apporté de nouvelles proies, venues par dizaines de milliers depuis l'Afrique. Fort de ce nouvel apport de jouets à casser, Damian avait poursuivi ses massacres et continué son entraînement, mettant un point d'honneur à perfectionner cette capacité dont il avait entrevu la puissance lorsqu'il avait terrassé cet Indien sans le toucher, juste avant sa rencontre avec le Diable. Grâce aux ressources quasiment illimitées que lui avait apportées le Commerce triangulaire, il avait rapidement réussi à maîtriser ce pouvoir, et pouvait maintenant tuer n'importe qui par la simple force de sa volonté.
Malgré tout, cette capacité ne lui permettait de tuer qu'une seule personne à la fois. Aussi, pour pallier cela, il avait travaillé le défaut qu'avait pointé du doigt Lucifer : ces épidémies qui se répandaient inexorablement et maladroitement lorsqu'il mourait, à l'endroit ou il avait été tué. Sa dernière mort en date n'avait d'ailleurs pas dérogé à la règle, le choléra ayant peu après sa résurrection dévasté les tribus indiennes ainsi qu'une bonne partie du nouveau monde.
Désireux de ne plus avoir à décéder pour pouvoir user de cette capacité, Damian avait au fil des années fait évoluer son pouvoir jusqu'à totalement parvenir à en canaliser cet aspect. Il avait ainsi acquis la capacité de lancer localement des épidémies selon son bon vouloir, voire même d'en créer de nouvelles. Il avait d'ailleurs créé un virus dont il était particulièrement fier, car celui-ci, même des centaines d'années plus tard, continuait de faire des ravages partout ou il passait : le VIH.

A mesure que le temps passait et que la maîtrise de ses capacités approchait la perfection, Damian avait découvert d'autres facettes à ce pouvoir. Étant le maître de la mort, il s'était rendu compte que s'il pouvait ôter la vie, il pouvait également la redonner. Enfin, « redonner », était un bien grand mot au regard de l'état dans lequel se relevaient les personnes touchées par ses bénédictions. Des pantins désarticulés et sans âme, agissant selon le bon vouloir de leur maître, à l'image de zombies qui auraient juré allégeance à une puissance supérieure. Le Cavalier pouvait en animer des centaines à la fois, créant une armée de serviteurs cadavériques qui lui servaient d'épée et de bouclier jusqu'à ce que leurs corps pourrissants ne soient plus en état de se mouvoir.
Damian était ainsi devenu la Mort incarnée, en manipulant à loisirs tout ce que cela impliquait.
Cependant, il n'avait pas oublié sa mission. Cela lui avait pris plusieurs siècles d'attente et de recherches, mais il avait enfin fini par trouver l'homme dont il s'était si longtemps langui de la venue.
Et il était enfin temps d'aller à sa rencontre.

Texte de Kamus


6 commentaires:

  1. J'aime de plus en plus ces récits Sur Les quatre cavaliers de l'Appocalypse et Les reliques des pêchés capitaux. Je suis en haleine pour la suite.

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  2. C'est de sa faute si le Coronavirus existe...

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  3. -Je suis La Mort
    -Non,ont as besoin de rien !
    *ferme la porte*

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  4. Le "sauveur" de notre héros tragique est donc Damian de Brême, troisième cavalier de cette Apocalypse lugubre, qui en plus d'apporter la Mort dans des conditions épouvantables a mené une vie de débauche et de cruautés sans nom envers les plus fragiles :/
    J'ai réellement peur de ce que peut devenir Edgar à son contact; car malgré son ascendance peu glorieuse, celui-ci semble avoir gardé une part "d'âme pure" et je souhaite de tout cœur qu'il ne devienne pas le cavalier Conquête :'( Quel va être son choix définitif quand à notre monde ?
    Sachant aussi que le descendant de Judas connaît déjà "Guerre" cela aura t-il une influence ? Que d'interrogations quand à la résolution de cette saga... Le style reste parfois classique mais l'histoire est captivante et les références historiques bien trouvées :) La Terre va t-elle devenir Pandémonium sous le contrôle du prince des ténèbres ?
    Courage à toi pour la rédaction du dénouement final que j'espère diablement renversant ^^

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  5. Un doute m'assaille suite à ce chapitre: est-ce Lucifer qui octroye ce "don de Dieu" à ses cavaliers ou le développe t-il un peu par eux-mêmes suite à leur perversité malsaine ?

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