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Apocalypse, chapitre 8 : Paresse

Chapitres précédents :

Chapitre 1 : Prologue
Chapitre 2 : Gourmandise
Chapitre 3 : Envie
Chapitre 4 : Avarice
Chapitre 5 : Orgueil
Chapitre 6 : Colère
Chapitre 7 : Luxure

***

Ma dernière mission. Cela faisait déjà plusieurs mois que je m’étais retrouvé malgré moi dans cette aventure sur fond de fin du monde,  et dans quelques temps, tout allait prendre fin. Je me demandais si, après avoir vu ce dont j’avais été témoin, j’allais réussir à retourner à ma petite vie tranquille. Une vie terne, routinière et monotone, mais une vie tranquille. Une vie qui ne me ferait pas appréhender chaque coin de rue, craindre chaque silhouette aperçue du coin de l’œil.
Un mort revenu à la vie. Un homme arrachant les poumons d'un autre. J’avais même assisté à une orgie colossale, à l’intérieur même d'une église.
J’avais vécu en quelques mois ce que certains ne vivent pas un une vie entière. J'aurais dû être excité, comme après avoir fait toutes les attractions d’un parc. Pourtant, je ne ressentais rien. La seule chose qui me poussait vers l'avant, c'était la hâte que tout se termine.

En y pensant, je n’avais jamais rien voulu, dans ma vie. Je n’avais jamais été premier dans quoi que ce soit. Ni dernier, certes. J’étais une personne lambda, goutte d'eau perdue au milieu d'une rivière. Le gentil garçon qu’on ne remarque pas. Et pourtant, le professeur Blondeau m’avait choisi, moi. Parmi tant d’autres personnes tellement plus compétentes. Moi qui n’avais rien de particulier. Moi qui n'étais rien. Qui ne voulais rien. Qui n’avais aucun rêve.

Et maintenant, au bout du compte, j’apprenais que j'étais spécial. Néanmoins, je me méfiais de la parole du Père Jean. Après tout, il n'avait cherché qu'à m’attirer dans son piège. Mais le professeur me l’avait confirmé : il y avait bel et bien quelque chose de spécial, en moi. Et je saurai pourquoi après cette dernière mission, il me l'avait juré.

Le professeur, me voyant pensif, m’a interpellé :

« Tu as l’air perdu dans tes pensées, mon garçon. Quelque chose te tracasse ?
- Je pense avoir beaucoup de raisons pour lesquelles je devrais être «  tracassé », professeur.
- Ce n’est pas faux. Ça en fait beaucoup pour un garçon de ton âge. Mais tu dois être fort. On connaîtra bientôt le dénouement de cette histoire. »

Avant que nous ne prenions notre vol, le professeur m’a donné quelques détails, tout en se montrant le plus évasif possible. Notre destination était l'une des villes les plus actives du monde, New York. Là-bas nous attendait la dernière relique, celle de la Paresse. Mais le professeur m'a laissé entendre qu'il n’y avait pas que ça. Là-bas nous attendait quelqu’un de très important, quelqu'un qui allait nous aider à sauver le monde.

Pour cette dernière mission, nous étions accompagnés de deux gardes du Vatican. Deux grands gaillards, armés jusqu’aux dents. Ils ne pourraient néanmoins pas s'approcher de la relique, n'ayant pas d'anneau pour se prémunir de son influence. Leur mission principale était de protéger l’Arche, qui nous avait accompagnés dans notre avion privé.

En réalité, je n’avais plus d’anneau moi non plus. Les sbires du Père Jean me l’avaient arraché du doigt dans la basilique Saint Pierre. Je l’avais notifié au professeur, qui m’avait répondu que je n’avais de toute évidence pas subi l’influence de la relique de la Luxure, que je semblais donc être immunisé à leurs effets pervers. Dans tous les cas, si je montrais le moindre signe que la relique avait de l’effet sur moi, il m'avait assuré qu'il se chargerait lui-même de me ramener en sécurité près de l’Arche.

Notre avion s’est posé en périphérie de la ville, pour ne pas prendre de risques vis-à-vis des membres de l’équipage et des gardes du Vatican.
Nous ne savions pas encore quelle ampleur avait pris l’effet de la relique. Comme me l'avait expliqué le Pape, les effets des reliques agissaient comme un virus. Plus il y avait de monde affecté par la relique, plus les effets se propageaient loin et plus rapidement. Au vu de la taille de New York et de la quantité d’habitants peuplant la ville, il allait falloir redoubler de vigilance.

Une voiture nous attendait près de notre lieu d’atterrissage. Pour plus de sécurité, pas de chauffeur cette fois-ci. C'était le professeur qui se chargerait de nous conduire à bon port.

Une fois le volant entre les mains du professeur Blondeau, il ne nous pas fallu plus d'une demi-heure pour atteindre l'entrée de la ville. Alors que nous continuions de rouler en direction de celle-ci, j’ai demandé au professeur ce qui nous attendait là-bas. Encore une fois, il s’est montré évasif.

« Le pouvoir de la relique semble s’être manifesté peu de temps avant ta venue au Vatican. Les médias n’en parlent pas encore, mais… La ville est en quarantaine. Personne n’est censé en sortir ou y rentrer. Nous avons bien sûr une autorisation, donnée par le Président Trump en personne. Enfin, inutile de dire que le Pape lui a personnellement demandé, il n'aurait sinon aucune raison de laisser pénétrer deux étrangers dans une zone sous quarantaine.
-    Et pour la personne que nous devons rencontrer ? Qui est-ce ?
-    Comme je ne suis pas encore sûr qu'elle se trouve bien dans les environs, je préfère te le dire une fois la relique mise en sécurité. Sinon, tu risques de ne plus être concentré sur notre mission. Disons simplement que c’est une personne très importante pour la survie de ce monde. On nous a signalé que quelqu’un lui ressemblant arpenterait les rues de New York.
-    Encore et toujours des cachotteries, n’est-ce pas ? J’espère vraiment que vous tiendrez votre promesse et que vous me raconterez tout une fois notre mission terminée. Car sinon, apocalypse ou pas, je rentre chez moi fissa.
-    Je comprends, je ferais la même chose à ta place. Je te demande juste encore un peu de patience. Ah, nous arrivons en zone de quarantaine. »

J'ai levé les yeux. Un gigantesque embouteillage stagnait à l’entrée de la ville, empêchant quiconque l'aurait voulu d'entrer ou sortir. Les centaines de voitures agglutinées là se faisaient sommer de faire demi-tour et de rentrer chez eux par l’armée. De l’autre côté de la barrière de sécurité pourtant, il ne semblait pas y avoir grande-monde qui voulait sortir. C’était très bizarre, et cela ne présageait rien de bon quant au sort des habitants de la ville.

Une fois arrivés au niveau des militaires, le professeur est sorti de la voiture et est parti discuter avec l'un des gardes. Je l’ai vu sortir un papier de sa poche, et après quelques coups de fils passés par l'homme en uniforme, le professeur est revenu vers moi.

« Dis-moi, mon garçon, comment te sens-tu sur un deux-roues ?
-    Heu, et bien… J’ai un scooter dont je me sers pour me rendre à l’université. Mais pourquoi cette question ?
-    C’est parfait, descends de la voiture et suis-moi. »

Nous sommes passés de l’autre côté de la barrière de sécurité. Le professeur m’a alors montré notre nouveau moyen de locomotion, deux superbes destriers qui nous attendaient fièrement à côté de la barrière : des trottinettes électriques. Je n’espérais rien de particulier, mais j’étais quand même assez déçu. Allez savoir pourquoi.

« Quand vous m’avez demandé si j’étais à l’aise sur un deux-roues, je pensais plus à une moto ou à un scooter. Pas à ça…
-    C’est la seule chose que nous avons à disposition, malheureusement.
-    Et la voiture ? Pourquoi la laisser là ?
-    Car, selon les gardes, toutes les routes sont bouchées dans la ville. Et quelque chose me dit que l’on va vite découvrir pourquoi... »


Et force a été de constater qu'il avait raison. Dix minutes après avoir commencé à arpenter les rues au volant de notre superbe trottinette, une odeur fétide s'est immiscée nos narines. Une puanteur atroce, une odeur de putréfaction, de mort. C'est en s’enfonçant plus loin dans les rue de la « Grosse Pomme », que nous avons fini par découvrir d’où provenait ce relent.

Comme me l'avait annoncé le professeur, même au cœur de la ville, les routes étaient en effet impraticables. Il n'y avait pas d'accident visible, ni même de carambolage. Les voitures semblaient simplement s’être toutes arrêtées d’un coup, pour ne jamais repartir. Le moteur de certaines d'entre elles ronronnait même encore.

A l’intérieur de tous les habitacles au travers desquels j'ai risqué un coup d'oeil, conducteurs et passagers étaient toujours là. Cependant, aucun d'entre eux ne semblait en état de répondre à nos multiples questions, et pour cause : ils étaient amorphes. Lorsque nous leur adressions la parole, ils se contentaient de continuer à fixer l’horizon d'un regard vide, sans rien dire. Nous avions beau les bousculer, leur hurler dans le tympan, rien n'y faisait. Ils semblaient simplement vidés de leur énergie,  comme s'il n'étaient plus que des enveloppes charnelles, des sacs de viande dénués d’âme.
Quant à l’odeur, elle pouvait s’expliquer par le fait qu’ils avaient tous fini par faire leurs besoins sur place.

N'échappant pas à la léthargie qui frappait tous les conducteurs et passagers des véhicules obstruant la rue, les trottoirs étaient jonchés de personnes dans le même état. Que des coquilles vides au regard vague.
En apercevant une poussette, j’ai tout de suite pensé au pire. Je me suis précipité vers celle-ci, en espérant de tout coeur qu’elle soit vide. Malheureusement, ce n'était pas le cas.
A l’intérieur se trouvait un bébé. Enfin, ce qu’il en restait. Il était sûrement mort de déshydratation. Sa mère devait être la femme allongée à même le trottoir, à côté de la poussette, un biberon d’eau à la main.

Le spectacle était horrible. Les rues de New York, autrefois si vivantes, étaient maintenant complètement silencieuses. Des centaines et des centaines de personnes restaient là, allongées au sol ou prostrées dans leur véhicule, complètement amorphes.

La ville était complètement morte. Et elle le resterait si nous ne trouvions pas la relique dans les temps.

« Professeur, il n’y a pas de temps à perdre. Tous ces gens vont mourir de déshydratation si nous ne mettons pas au plus vite la relique dans l’Arche.
-    Tu as raison. Je ne pensais pas trouver la ville dans un état si critique. La relique de la paresse est redoutable… mais comment la trouver ? Il n’y a plus personne pour nous guider. »

Il n’avait pas tort sur ce coup-là. C’était comme rechercher une aiguille dans une botte de foin. Mais en toisant les centaines de corps immobiles couchés sur le sol grisâtre, quelque chose m'a frappé.

« Professeur, ne remarquez-vous pas quelque chose de bizarre avec tous ces gens allongés dans la rue ?
-    A part leur odeur, non, pas grand-chose.
-    Si, regardez. Ils sont tous allongés dans la même direction.
-    Maintenant que tu le dis… Oui, on dirait bien que tu as raison.
-    Si nous suivons la direction indiquée par les corps, peut-être que nous tomberons sur la relique. Ça vaut le coup d’essayer, non ?
-    C’est une bonne piste, et la seule que nous ayons. Allons-y sans tarder »

Nous avons donc suivi la direction indiqué par les victimes de la relique, et avons fini par arriver devant une petite maison, dont l'apparence relativement simple tranchait violemment avec le reste de la ville. Je me demandais même comment une maisonnette à l’aspect si sobre pouvait exister en plein milieu de New York. Mais nous n’avions pas le temps de nous interroger sur ces détails,  il fallait récupérer la relique le plus vite possible. Nous espérions vraiment la trouver ici, car les batteries de nos trottinettes électriques s’étaient épuisées depuis longtemps, et bientôt, ce seraient nos jambes qui s'épuiseraient.
La porte de la maison étant ouverte, nous avons pénétré à l’intérieur.
En quinconce avec sa façade, l’intérieur de la maison était vétuste, et elle semblait vide. Les mains en porte-voix, nous avons hélé tout éventuel occupant de la bâtisse, mais aucune réponse ne nous est parvenue.
Nous sommes donc montés à l'étage, et j'ai ouvert la première porte qui se présentait à moi, révélant une chambre baignant dans cette même simplicité qui caractérisait la maison. Au fond de la pièce, sur un lit à l'aspect rustique, un homme était allongé.
Je n'ai pas pu l’expliquer, mais lorsque j'ai vu cet homme allongé là, une larme a coulé sur ma joue.
Je n’éprouvais aucune tristesse, et pourtant, la vue de cet inconnu couché devant moi a  arraché à mes yeux un torrent de larmes silencieuses.

Il était grand, avait les cheveux longs, portait une barbe et était noir de peau. Il était allongé sur le lit en croix, les bras ouverts à l'horizontale, un pied posé sur l’autre. La partie inférieure de son corps était recouverte d’un drap blanc très fin. Je me suis approché de lui, et ai vérifié son pouls.
Il était déjà mort.
Le professeur est entré dans la pièce peu après moi, et dès qu'il a aperçu l’homme sur le lit, j'ai pu voir ses traits se décomposer. Il m’a attrapé par l’épaule, et m’a violemment tiré vers l’arrière.

« Ne l’approche pas !"

Un peu abasourdi par sa réaction, je me suis dégagé, et lui ai annoncé que cet homme était mort, visiblement bien avant notre arrivée.. A ces mots, l'expression du professeur a viré au désespoir pur.

« Non… Ce n’est pas possible… Mon Dieu, non… »

Il m’a alors regardé, les yeux embués de larmes. Comme ça avait été mon cas quelques secondes auparavant, elles ruisselaient sur ses joues. Mais contrairement à moi, le professeur pleurait réellement.

« C’est fini. Il n’y a plus d’espoir. Il était censé revenir pour nous sauver. Il était censé nous aider à combattre le Mal… A éviter notre fin à tous.
-    Comment ça ? Attendez… C’était lui la personne que nous devions rencontrer ici ? Qui est-il ? »

Le professeur a essuyé ses larmes, et a tendrement posé ses mains sur les joues de l’homme.

« Cet homme est celui qui devait sauver l’humanité. Notre Sauveur. Notre Messie…
-    Attendez, vous voulez dire que…
-    Oui… Il s’agit de Jésus Christ… Et il est mort. Comment nous sauvera-t-il, maintenant ? »

En le regardant de plus près, j'ai remarqué qu'il ressemblait en effet aux représentations qu’on faisait de Jésus dans la culture populaire. Hormis sa couleur de peau, cela dit. De plus, j’aurais dû le voir plus tôt, mais la position dans laquelle il était mort évoquait sans nul doute la posture qu’il avait lors de sa crucifixion.
Le professeur était inconsolable. J'aurais dû l’être aussi, puisqu’il m’avait annoncé plus ou moins clairement que la fin du monde était inévitable… Mais, rien. Avec un reniflement sonore, le professeur Blondeau a recouvert le visage du christ avec le drap qui était posé sur son corps.

J’ai fait le tour de la pièce, espérant trouver un indice sur la relique de la Paresse. Mais tout ce que j’ai pu trouver, c’est une boite de pilules et une lettre, que je me suis empressé de lire. Elle était rédigée dans un parfait anglais.

« Professeur… Je pense que la relique de la Paresse est encore ici… Et qu’elle a été « activée » par nul autre que Jésus lui-même…
-    Comment peux-tu dire ça ?
-    Ce n’est pas moi qui le dis. Je l’ai simplement déduit après lecture de cette lettre.
-    Quelle lettre ? Qu’est-ce que c’est ?
-    Professeur… C’est une lettre d’adieu. Elle date de trois jours »

***

« A ceux qui liront cette lettre… Je suis désolé.
Je suis censé tous vous sauver. Mais la vérité est que vous ne le méritez pas.
Cela fait plusieurs mois que j’ai été renvoyé sur terre pour accomplir mon devoir de sauveur. J’ai parcouru le monde, de villes en villes, de pays en pays, de continents en continents. J’ai arpenté énormément de rues de ce monde, pour finir dans cette maison, au beau milieu de cette riche ville américaine.
Durant tous ces mois, j’ai pu côtoyer toutes sortes de personnes. Des pauvres, des riches. Des hommes, des femmes, des personnes qui n’étaient ni l’un ni l’autre. Et tout ce que j’ai pu retenir de mes pérégrinations, c’est que l’homme est mauvais.
Je vous l’avais pourtant demandé : aimez-vous les uns les autres. Aime ton prochain comme toi-même. Et pourtant, je n’ai vu que trop peu de bonté, noyée au milieu de tout cet individualisme.
Chacun ne pense qu’à soi, et ne veut que son propre bonheur, au détriment des autres. Je n’ai vu que haine, vanité et cruauté.
Je suis mort pour vos péchés sur la croix. Mais maintenant, mille morts ne suffiraient pas à racheter le quart de vos péchés.
L’humanité ne mérite pas de survivre. Elle ne mérite pas d’être sauvée.
Je refuse de vous aider. Je suis désolé.
Je vais juste m’allonger sur ce lit, et faire en sorte de ne plus bouger. Je ne lèverai pas le petit doigt pour empêcher l’Apocalypse.
Je vais mourir, comme la dernière fois, mais je ne mourrai pas pour vous. Cette fois, cette mort est la mienne. Et elle sera sans souffrance.
Je vais rejoindre mon Père dans les Cieux. Puissent les rares personnes ayant encore un cœur pur me rejoindre là-haut.
Ne les pardonnez plus, Père. Car ils savent très bien ce qu'ils font.

Jésus de Nazareth. »

***

Après la lecture de ce texte, le professeur s’est affalé sur une chaise. Il s’est pris la tête à deux mains pendant quelques secondes, puis s’est levé. Il a alors fixé le mur en face de lui, avant de donner un coup de poing dans celui-ci. J’assistais à la scène, sans oser prendre la parole.
Après quelques minutes de tension, il s'est calmé, puis s’est de nouveau affalé sur la chaise. Il semblait vraiment désespéré, plus que jamais.


« Professeur… Est-ce vraiment Jésus Christ, mort sur ce lit ? Je veux dire, il s’est visiblement suicidé… Dans la religion chrétienne, le suicide est quelque chose d’interdit, qui conduit directement en Enfer… Il n’aurait jamais pu faire ça…

- C’est bien lui, Edgar… C’est bien lui. C’est le fils de Dieu, pas un simple mortel. Il est déjà allé en Enfer, avant sa résurrection. Crois bien qu’il n’ira pas griller dans les flammes de la damnation éternelle. »

Il s’est de nouveau pris la tête entre les mains, au bout du gouffre. Pendant ce temps, j’ai une nouvelle fois inspecté la pièce, espérant trouver ce pourquoi nous étions venus en premier lieu : la relique de la Paresse.
J'avais à peine commencé mes recherches que j'ai entendu un grognement inaudible dans mon dos. Je me suis retourné vers le professeur, qui m'a rendu mon regard surpris. Pourtant, à part lui et moi, il n'y avait personne dans la maison. A moins que...
Un deuxième grognement s'est fait entendre. Derrière nous, une silhouette se levait du lit. Le drap recouvrait encore son corps, comme s'il s'était agi un fantôme. Puis il est tombé, dévoilant ainsi le visage du Messie.
Jésus avait une nouvelle fois ressuscité, le troisième jour. Mais cette fois, ce n’était pas pour monter au Ciel rejoindre son Père, mais bien pour nous enterrer, le professeur et moi.

"Professeur, je crois bien que vous aviez tort. Je pense que Dieu n'a que peu apprécié son suicide !"

Le regard de jésus était vitreux, et il se déplaçait lentement, en grognant. Si un jour on m'avait dit que je verrais Jésus de mes propres yeux, je ne l'aurais jamais cru. Mais Jésus en zombie... C’était vraiment inenvisageable.
Zombie Jésus a saisi le bras du professeur, qui a poussé un cri d'effroi. J'ai essayé de l'aider, mais la force de Jésus était énorme, et il m'était impossible de lui faire lâcher prise. Avisant la chaise sur laquelle était auparavant assis le professeur, je l'ai saisie, et l'ai fracassée sur la tête du zombie, qui, déconcerté, a lâché le bras du professeur Blondeau.

Visiblement, cela n'a pas du tout plu a Jésus, qui s'est tourné vers moi avec un grognement vindicatif. Il m'a alors saisi par l’épaule, et a ouvert grand les mâchoires, comme s'il voulait me grignoter un bout de visage. Malgré toute la force que j'avais pu me découvrir au Vatican, sa poigne était beaucoup trop puissante, et bientôt, je ne parviendrais plus à le tenir suffisamment à distance.

Le professeur, lui, semblait désemparé. Pour lui, c'était beaucoup trop d'émotions d'un coup. Trouver Jésus. Découvrir qu'il s’était suicidé. Assister à sa résurrection. Découvrir qu'il était devenu un zombie avec pour seule envie de nous manger le cerveau.

Je suppose qu'à force que les chrétiens mangent ce qu'ils appellent le "corps du Christ", ce dernier voulait désormais prendre sa revanche en inversant les rôles. Cette pensée m'aurait presque fait sourire, si je n’étais pas dans une telle situation.
En scannant la pièce des yeux, j'ai remarqué que la chaise avec laquelle j'avais frappé la tête de Jésus s'était brisée sur le coup, et que l'un de ses pieds s'était transformé en pieu de fortune.

"Professeur ! Le pied de la chaise... Prenez-le et aidez-moi !"
- Mais... que dois je faire ?"

Mes bras lâchaient petit à petit, et la mâchoire béante de Zombie Jésus s'approchait dangereusement de mon visage.

"Mais... Vous n'avez jamais vu The Walking Dead ? Ou n'importe quel film de zombies ? Enfoncez-lui ce pieu dans le crâne, bon sang ! Il va me tuer !"

Le professeur a saisi le pieu, et s'est approché de Jésus, hésitant. Il a brandi son arme, mais s'est figé.

"Mais que faites-vous ! Je ne vais pas tenir longtemps !
- Mais... C'est Jésus... Notre sauveur. Le fils de Dieu...
- Ce n'est plus Jésus ! Tuez-le, pour l'amour de Dieu !"

Alors que je me rendais compte que ce n’étaient peut-être pas les mots adaptés à la situation actuelle, j'ai senti mes forces m'abandonner définitivement. Je ne pouvais plus lutter. J'ai fermé les yeux, peu désireux de voir la version zombie de Jésus Christ planter ses dents dans mes jolies joues rondes. Mais au lieu de ça, j'ai entendu un bruit sourd. J'ai aussitôt ouvert les yeux, surpris.
Le professeur avait finalement pris son courage à deux mains et avait enfoncé le pieu dans le crâne du Messie, qui gisait maintenant au sol, inanimé. J'ai pris le drap qui le recouvrait initialement, et je l'ai posé sur son cadavre.

"Merci... vous m'avez sauvé la vie."

En retour, le professeur m'a regardé. On pouvait lire le désespoir dans ses yeux.

"Maintenant, trouvons la relique et quittons cet endroit. J'ai vu assez de trucs improbables pour aujourd'hui.
- A quoi bon… Tout est perdu.
- Il faut ramener la relique à l'Arche. Il se peut que les gens dehors puissent encore être sauvés s'ils sont libérés de son emprise"

A mon plus grand agacement, il a répondu avec un soupir. J'ai alors compris que je ne pouvais plus compter sur l'aide du professeur.
A première vue, il n’y avait rien qui puisse correspondre avec une relique des péchés, dans la pièce. En désespoir de cause, je me suis avancé vers le corps du Christ pour l'inspecter. J'ai alors retiré le drap qui le recouvrait, et l'ai gardé en main tout en examinant Jésus. En y réfléchissant, ce qu'il portait n'avait rien à voir avec ce à quoi on s'attendrait. Je m’attendais à voir des habits que l’on pouvait voir sur des peintures ou des sculptures, mais il n’en était rien. Jésus était habillé comme les gens modernes. Enfin, je pouvais déduire cela par les vêtements d'apparence contemporaine impeccablement pliés sur  la chaise à coté du lit, et surtout par le caleçon Calvin Klein que portait le Christ.

Après plusieurs minutes de recherches sur le corps de celui-ci, je n’ai rien trouvé de concluant. J’ai donc pris soin de recouvrir une nouvelle fois le corps de Jésus avec le drap que j'avais dans la main. Mais c'est alors qu'un détail m'a frappé. A bien y regarder, ce morceau de tissu blanc n’était pas aussi moderne que les habits de jésus, et se distinguait des draps du lit par son apparence ancienne. Et si j’avais la relique dans la main depuis tout ce temps ?
J’ai à nouveau pris le fameux drap en main, et l’ai minutieusement inspecté. En le retournant et en l'exposant à la lumière du jour, j’ai pu discerner un motif sur sa surface qui représentait une sorte de visage. J’avais déjà vu ça quelque part. Le Saint Suaire ! C'était donc bien cela, la relique de la Paresse. Le drap qui avait recouvert le corps du Christ après sa crucifixion. Je me suis empressé de faire part de ma découverte au professeur, qui n’a même pas daigné me répondre, ou même lever la tête.
A la place, il s’est dirigé vers la porte.

"Rentrons à l’avion. Je t’avais promis de tout te dire. Le temps est venu. Tu sauras tout là-bas. »

Nous sommes sortis de la maison, et j’ai tendu la relique au professeur. De nous deux, il était encore le seul à posséder un anneau capable d'en neutraliser les effets, ce qui devait être fait au plus vite. Il a attrapé le drap avec indifférence, et alors que nous empruntions deux vélos laissés à l'abandon sur le trottoir afin de sortir de la ville en vitesse, nous avons aperçu la plupart des victimes de la relique qui se relevaient péniblement, l'air hagard. Une fois parvenus à l'entrée de New York, nous avons laissé nos vélos aux militaires, et sommes montés dans la voiture. Le professeur s'est installé derrière le volant, et nous nous sommes mis en route.
Pendant le trajet du retour, il n’a pas dit un mot. Il se contentait de me jeter un petit regard coupable de temps à autre, puis fixait de nouveau la route, dans le silence le plus complet. Une fois arrivés à l’avion, nous avons entreposé la dernière relique dans l’Arche, suite à quoi le professeur a insisté pour que nous mangions avant de repartir. Nous nous nous sommes donc posés sur une table, en terrasse d’un restaurant situé à quelques kilomètres de l'avion. Les deux gorilles du Vatican nous ont suivis, et se sont postés à l’entrée de celui-ci, non loin de nous.

« Bon… Je sais que tu attends ce moment depuis longtemps. Ce que j’ai à te dire n’est pas facile à entendre, alors écoute bien. Et, je t’en prie, pardonne-moi. Pardonne-moi de t’avoir caché cela si longtemps… Il y a une partie du Testament dont je ne t’ai jamais parlé. Elle parle du rôle qu’aura la descendance de Judas dans l’apparition des reliques.

- Judas ? Vous voulez parler de l’apôtre qui a trahi Jésus ?

-          C’est bien lui, oui. Dans les parchemins que j’ai pu traduire, il est question d’un descendant de Judas. D'un homme, dans la fleur de l’âge. Un homme qui aura un rôle majeur dans l'Apocalypse. Mais malheureusement, les parchemins indiquant la nature de ce rôle sont incomplets. Alors, le Vatican, en attendant de pouvoir déterminer celle-ci, a décidé de lancer de vastes recherches sur la famille de Judas, afin de trouver tout potentiel descendant de sexe masculin qui aurait entre vingt et quarante ans. Et ils n’ont trouvé qu’une seule personne correspondant à ces critères… toi.

- Attendez, vous essayez de me dire que je suis un descendant de Judas ? »

Le professeur a posé sa main sur mon épaule, et a acquiescé.
J’avais du mal à le croire. Moi, un descendant de l’apôtre le plus haï de l’histoire ? Cela ne se pouvait. Mais c'est alors que j'ai repensé à cette larme qui avait coulé sur ma joue à la vue de Jésus allongé sur son lit de mort. Était-ce un remord, une douloureuse réminiscence de la trahison de celui que le professeur annonçait être mon aïeul ?
Je me suis levé, et ai contemplé le ciel durant quelques secondes. Puis, mon regard s'est tourné vers le professeur Blondeau.

« Il n’y a vraiment personne d’autre ?

- Le Vatican a bien trouvé d’autres descendants, mais ce sont soit des femmes, soit des personnes ayant plus de 40 ans. Ils ont même trouvé une personne dont on a perdu la trace il y a plus de 500 ans.

- C’est donc pour ça que cet évêque me traitait d’engeance. Il avait raison.

- Ne... Ne dis pas cela, tu n’as rien d’une engeance. Tu n’es pas responsable des actes de tes ancêtres.

-  Peut-être, mais reste que j'ai le sang de l'un des plus grands traîtres de l’Histoire qui coule dans mes veines. J’aurais aimé ne jamais le savoir. Comment me regarder dans une glace, à présent ? »

Le professeur m'a toisé avec un air gêné. Il ne savait visiblement plus quoi me dire.

« Reste là quelques instants, tu veux bien ? J’ai une dernière affaire à régler. »

Il s’est levé, puis s’est brièvement entretenu avec les deux gardes du Vatican. Il s'est ensuite isolé pour passer quelques coups de fil. Pendant qu'il était au téléphone, je le voyais me lancer de petits regard coupables par intermittence, les mêmes que durant le trajet du retour.  Au bout de quelques minutes, il est revenu s’asseoir en face de moi.
Étrangement, les deux gardes se sont avancés à sa suite, et se sont placés derrière moi.

« Écoute, Edgar, je suis vraiment désolé. J’ai beaucoup réfléchi durant le trajet retour en voiture. Comme je te l’ai dit, on ne savait pas quel était ton rôle dans cette histoire… Et pour être honnête, on ne le sait toujours pas. Tu nous as beaucoup aidés, et je t’en remercie. Mais, même si l’Apocalypse semble inévitable avec le suicide du Messie,  s’il y a encore une opportunité de l’éviter, il faut saisir notre chance. Tu es le descendant du traître, tu peux être celui qui arrêtera l’Apocalypse… ou celui qui la déclenchera.  Nous ne pouvons pas courir ce risque… Je suis vraiment désolé. »

Il s’est alors adressé aux gardes.

« Saisissez-le. »

Les deux gorilles m’ont attrapé, et m'ont passé les menottes avant même que je réalise pleinement ce qui se passait. Autour de moi, le temps semblait avoir été ralenti en un instant, comme si cette scène était trop irréelle pour appartenir à notre dimension.

« Mais… qu’est-ce que ça veut dire ? Professeur, que faites-vous ?
- Je suis vraiment, vraiment désolé. Je n’ai pas le choix. Le sort du monde est en péril. Nous ne pouvons prendre aucun risque. J’ai eu le Vatican, et le président Trump au téléphone. En attendant qu’on en sache plus, tu seras détenu dans une prison américaine ultra sécurisée. Je sais de quoi tu es capable, et j’ai vu l’étendue de ta force. Tu seras en sécurité là-bas… et nous aussi.
- Mais vous ne pouvez pas faire ça ! Je n’ai rien fait de mal… Après tout ce que j’ai fait pour vous, pour le monde… comment osez-vous me faire ça ?
 - Je… Je n’ai vraiment pas le choix. Comprends-moi. Tu aurais fait de même à ma place. »

Il s'est tourné vers les gardes, et leur a fait signe de m’emmener avec eux dans la voiture qui venait de se garer à quelques mètres de nous. J’allais donc finir cette aventure au fond d’une cellule. Après tout ce qui s’était passé, jamais je n’aurais imaginé une telle fin. Avant de monter dans le véhicule, je me suis tourné vers le professeur.

« Je pensais qu’on était amis. Je le pensais vraiment. »

Le professeur fuyait mon regard.

« Je… je faisais semblant. Mon devoir était de garder un œil sur toi. Je ne suis pas ton ami.
- Vous mentez, j’en suis sûr. Allez, repensez à tout ce qu’on a vécu ces derniers mois… Vous allez vraiment me faire moisir en prison ? C’est injuste !
- Je n’y peux rien. Je fais ce qu’il y a de mieux pour le monde. Tu n’es pas mon ami. Tu étais un travail de plus. »

A ces mots, je me suis arrêté. Les gardes me tiraient pour me mettre dans la voiture, mais dans un élan de rage, j’ai brisé les menottes qui me liaient les mains, et j’ai fait valser mes geôliers au loin. Je me suis approché du professeur, qui avait l’air terrifié.

« Regardez-moi dans les yeux, jurez-moi que vous n’êtes pas mon ami, et que me mettre en cage a une chance de sauver le monde. Jurez-le moi. J’ai peut-être le sang d’un traître dans mes veines, mais aujourd’hui, c’est vous qui me trahissez. »

Le professeur a approché son visage du mien, et j'ai pu remarquer que des larmes silencieuses ruisselaient sur ses joues. Il les a annihilées d’un revers de la main, et a empli ses yeux de dédain.

« Nous ne sommes pas amis. Tu es une menace pour le monde. Ta place est dans une prison. Une engeance telle que toi ne devrait même pas avoir le droit de fouler cette terre. »

A ces mots, le chant du coq a retenti.
Il avait renié notre amitié par trois fois. Fort de cette constatation, je me suis dirigé vers la voiture, et me suis docilement assis à l’arrière. Les gardes, bien que sonnés, sont parvenus à se relever, et sont montés dans le véhicule à ma suite, sans un mot.
Alors que la voiture démarrait, emmenant l'engeance que j'étais vers le point final de son voyage, je me suis retourné sur mon siège, et ai écarquillé les yeux. Derrière nous, rétrécissant à vue d’œil alors que nous commencions à prendre de la distance, le professeur pleurait à chaudes larmes.

***
 
Cela faisait maintenant plusieurs heures que nous roulions, si bien qu'au-dehors, la nuit avait fini par tomber. J'avais beau ne pas savoir dans quelle prison j’allais finir, une chose était sûre : elle n’était pas toute proche.

Soudain, m'arrachant à mes pensées, la voiture a pilé, projetant ma tête contre le dossier du siège conducteur. J'ai levé les yeux, et à la lueur des phares de la voiture, j'ai pu distinguer quelque chose, quelque chose qui s'était arrêté en plein milieu de la route.
En me rapprochant du pare-brise pour mieux distinguer cet obstacle inattendu, j'ai étouffé une exclamation. C'était une silhouette, montée sur un cheval.
Le conducteur a mis les pleins phares, nous permettant de voir plus distinctement le cavalier.
C’était un homme, tout de noir vêtu, coiffé d'un chapeau de cowboy. L'imposant cheval sur lequel il était monté était d'un blanc presque fluorescent, tirant vers le pâle. Le cavalier fumait le cigare d'un air provocateur et nous regardait, le sourire aux lèvres.

Face à cet imprévu, les gardes se sont empressés de descendre du véhicule. J’en ai fait de même, plus intrigué qu'autre chose par ce mystérieux cavalier au sourire provocateur sorti tout droit d'un western.
Sans sommation, l'un des gardes a sorti son pistolet, et a mis le cowboy en joue. Celui-ci l’a regardé avec dédain du haut de son cheval, et a porté le cigare à sa bouche. Il en a pris une grande bouffée.
A ce moment précis, le garde qui le tenait en joue s'est écroulé sans un cri, comme un pantin désarticulé. De là où je me tenais, j'ai pu voir son visage retomber au sol, figé dans une expression que je n'aurais su qualifier. Il était blanc comme un linge. Le deuxième garde a accouru vers lui pour lui porter secours, mais s'est très vite rendu à l'évidence : son collègue était mort.
Le cavalier souriait de toutes ses dents, cigare à la bouche.
De la même façon que feu son camarade quelques secondes plus tôt, le second garde a sorti son arme, mais lui n’a pas hésité : il a vidé son chargeur dans le torse du cavalier.

Mais étrangement, malgré le tonnerre de détonations qui venait de lui percer le tronc, le cowboy n'a bronché. Avec stupéfaction, j'ai vu les douilles tomber au sol dans un cliquetis sonore, tandis que les trous laissé par les impacts des balles se refermaient d'eux-mêmes. Le cavalier a retiré le barreau de chaise de sa bouche, et s'est mis à rire aux éclats, laissant le garde du Vatican complètement désemparé.
Il l’a regardé avec un grand sourire, puis a lentement porté le cigare à ses lèvres, à nouveau. Le garde, sentant sa fin approcher, s’est enfui en criant. Lorsque le cavalier a tiré la bouffée fatidique, le pauvre homme avait déjà eu le temps de courir une bonne vingtaine de mètres. Mais rien n'y a fait. Il s'est écroulé de la même façon que son collègue avant lui, foudroyé par une force invisible.
Le cavalier s'est tourné vers moi, puis a intimé à son cheval l'ordre de s’approcher.
Une fois à ma hauteur, il est descendu de son destrier et a retiré son chapeau de cowboy, laissant apparaître des cheveux blonds et bouclés.
Le sourire au lèvres, il s'est avancé, et m'a gratifié d'une accolade amicale.

«  Ça fait un bail que je t’attends, p’tit gars. Les choses sérieuses vont enfin pouvoir commencer. Ça va être… d’Enfer.. »

Texte de Kamus

Peut-on vendre son âme ?

« Le corps ne sera pas identique à l'âme. L'âme est la forme d'un corps naturel ayant la vie en puissance : l'âme est donc inséparable du corps » - Aristote.

L'âme, du latin anima, signifiant « respiration » est un concept on ne peut plus reconnu de nos jours. Selon les définitions les plus simplistes, il s'agirait d'un principe spirituel, inhérent à chaque être vivant et qui le transcende. En somme, ce serait de l'âme dont découlerait la panoplie d'émotions et de sentiments que nous sommes capables d'éprouver.

Ce principe, à priori religieux, ne l'est pas pour autant. Du moins, pas exclusivement, car les grands philosophes reconnaissent à tour de rôle ce principe. Toutefois, ils ne s’accordent pas sur la nature indissociable de celui-ci, car si pour Nietzsche l'âme est une partie même du corps, pour Descartes, l'âme est totalement séparable de ce dernier. Alors, peut-on se séparer de son âme ? Allons plus loin, peut-on la vendre ?

Selon les grandes religions monothéistes, c'est tout à fait possible. L'exemple le plus connu étant bien évidemment le « pacte avec le diable ». Cette pratique implique qu'en l'échange d'une âme humaine, Satan octroie amour, gloire et richesse à l'intéressé. Celui-ci, privé de son âme, est de ce fait lié au Malin par le pacte en question, malédiction ne pouvant être levée. Et si en théorie, les effets pervers de ce pacte ne sont censés prendre forme qu'après le décès du contractant, la pratique nous apprend que ces conséquences interviennent même de son vivant. En effet, sur Terre, seule l'enveloppe corporelle subsiste, puisque l'absence de l'âme condamne à la damnation. Mais avant de développer davantage sur les effets de ce genre de pacte, il convient de définir les modalités du contrat.

Attention. Il apparaît tout de même nécessaire de rappeler que pour réaliser ce genre de pacte, posséder une âme est un prérequis plus que nécessaire. Ne pourront transférer leur âme que ceux qui ne l'ont pas déjà vendue.

En premier lieu, il semble important d'opérer un distinguo car dans les faits, le pacte avec le diable n'est que très peu pratiqué. Aujourd'hui, nous préférons user d'un contrat bien différent que celui décrit dans les textes sacrés, il s'agit plus communément de la cession d'âme contre une compensation monétaire.

Le terme de « pacte avec le diable » pouvait en effet en dérouter plus d'un, car si l'existence de l'âme est, de nos jours, plus qu'admise, l'existence du diable laisse encore place à un certain doute. La notion de diable est ici à apprécier de manière large, ainsi est considéré comme diable celui qui est prêt à payer pour obtenir l'âme. Par ailleurs, l'élément consensuel est également primordial ici, parce que c'est bien par la volonté profonde du détenteur de l'âme que le transfert peut avoir lieu. Il ne peut y avoir de transfert sans consentement du gardien.

La procédure est simpliste, voire minimaliste, elle se résume à une conclusion de contrat tout à fait banale.

Après avoir négocié le prix, il faut simplement attester sur une feuille vierge que vous cédez bien votre âme au nom du co-contractant (le diable donc), lui donner un objet quelconque, puis signer. Néanmoins, le cédant doit avoir la volonté profonde et certaine de vendre son âme, auquel cas la conclusion du contrat échouera.

Récemment, un néo-zélandais a vendu son âme à une chaîne de restaurants dans le but de leur faire de la publicité. Dans ce cas précis, on peut aisément remettre en question la volonté réelle et profonde du cédant quant au transfert.

Acte élémentaire, mais lourd de conséquences.

Les répercussions relatives au pacte avec le diable ou d'un contrat de cession entre humains sont parfaitement identiques, du moins du vivant de l'individu. Et outre le gain octroyé par cette vente, les effets dans la vie de tous les jours se font ressentir progressivement. En effet, ils se caractérisent par une perte manifeste de sentiments, d'émotions et, plus globalement, de sensations. Ainsi, le rire, la tristesse, l'affection ou l'empathie disparaîtront pour ne laisser final qu'une coquille vide.

Il ne faut tout de même pas penser que ces effets arrivent de manière directe et brutale. Ces pertes se font progressivement, à mesure que l'âme se dissocie du corps. Il est important de noter que l'ordre de disparition des sentiments reste assez hasardeux, et varie en fonction de l'individu. Cela a notamment été le cas dans le rapport d'une décision rendue par la Cour de cassation, dépeignant une femme ayant vendu son âme et ne ressentant plus que désespoir.

Toutefois, considérer ces pertes comme un préjudice serait se méprendre puisque ces ressentis ne sont finalement que momentanés, la disparition des émotions négatives y mettant fin.

C'est au niveau de l'après-vie que la distinction des deux contrats prend tout son sens : dans le cas d'un pacte avec le Malin, l'âme appartient à celui-ci dans sa totalité, condamnant son ancien propriétaire à l'enfer. Concernant les contrats entre humains, l'âme, n'étant plus fusionnée au corps, demeure sur terre indéfiniment.

Il serait donc plus judicieux de contracter avec l'humain, même si cela implique que le contrat en lui-même, compte tenu de son faible apport monétaire, puisse paraître dérisoire à côté du pacte avec le diable, lequel possède un apport beaucoup plus conséquent, mais un prix bien plus lourd.

Édit : J’ai noté un certain intérêt pour la décision judiciaire précédemment citée. Cette dernière n’étant plus disponible sur Légifrance, je me permets de la poster ici.

Cass., Civ. 1ère, 19 Mai 2019.

Sur le moyen unique pris en sa première branche :

Vu l’article 1137 du Code civil ;

Attendu, selon l’arrêt confirmatif attaqué, que, le 23 Septembre 2018, par acte sous seing privé intitulé « contrat de cession d’âme », suivi d’un acte authentique de vente, Mme X a vendu à M. Y son « âme » ; à la suite de la vente, Mme X a fait une sévère dépression la menant à faire, le 30 Septembre 2018, une tentative de suicide ; Mme. X sollicite l’annulation de la convention de vente du 23 Septembre 2018 pour dol ;

Attendu que, pour retenir la nullité de la convention de vente, l’arrêt se borne à constater que conformément à l’avis de professionnels de santé, l’intéressée s’est vue ôter « toute volonté de vivre », que le « mal-être permanent et incommensurable » ressenti par celle-ci, compte tenu de sa santé psychologique antérieure à la convention, ne saurait s’expliquer autrement que par la conclusion du contrat susvisé, que M. Y, en n’ayant pas informé Mme. X des risques d’un tel contrat, information sans laquelle elle n’aurait pas contracté, a vicié son consentement par une manœuvre dolosive ;

Mais attendu que, la cession d’une « âme » n’implique que des conséquences hypothétiques et non fondées sur des éléments concrets, que ces conséquences étaient prévisibles par l’intéressée, dont M. X n’avait aucune obligation de rappeler, qu’en ayant déterminé une réticence dolosive, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;

CASSE et ANNULE (…)

Texte de Sawsad

Les 1% - Partie 5


Allen était un très bon garçon.

Il mangeait tous ses légumes. Se brossait bien les dents. Ne répondait jamais. Allen ne se plaignait pas que Mère l'habille toujours avec les même vêtements, même si les autres enfants se moquaient de lui. Il ne se salissait jamais, ne réclamait jamais de dessert en plus, et ne veillait jamais tard. Il faisait ses devoirs. Allen aimait les devoirs, tout particulièrement la biologie.

Allen n'aimait pas grand-chose. Il n'aimait pas son père. Il n'aimait pas son frère. Il n'aimait pas les autres enfants. Il n'aimait pas les petites chaussures noires qu'il devait porter tous les jours. Mais il ne se plaignait jamais. Il parlait à peine de toute façon, à part si on s'adressait à lui. Et même dans ces cas-là, il essayait de répondre le plus brièvement possible.

Les autres enfants se moquaient de lui. Il n'avait pas d'amis. Même quand les enfants le frappaient, Allen s'en allait, se débarbouillait et restait silencieux. Il ne servait à rien de crier. Il n'aimait pas le bruit de toute façon. Les autres enfants semblaient encore plus agacés par son manque d'émotions. Ce qu'ils lui faisaient subir était de pire en pire - comme le déshabiller et l'obliger à traverser toute l'école sans rien pour couvrir son petit corps. Ils riaient encore et toujours. Allen n'avait jamais supplié ou pleuré. Il allait juste voir le principal et lui demandait calmement des vêtements, étant donné qu'il avait perdu les siens.

Mère n'avait jamais rien su de ce que lui faisaient subir les enfants. Elle l'aimait vraiment beaucoup. Elle admirait sa façon de se contrôler. Même lorsqu'il était bébé, il pleurait rarement. Le mettre au monde avait été très facile, et elle s'était attendue à la même chose pour son deuxième enfant. Mais son plus jeune fils était l'exact opposé du premier. Il gémissait sans cesse. Il était bruyant et avait toujours besoin d'attention. Il faisait tout le temps des dégâts autour de lui.

Mais Allen - Allen était parfait.

A la remise des diplômes d'Allen, Mère n'avait pas pu s'empêcher de pleurer. Il avait l'intention de faire médecine. Son père l'avait poussé à devenir chirurgien, comme lui. Allen avait accepté sans montrer d'émotions. Mais Mère ne pouvait contrôler les siennes et des larmes avaient coulé silencieusement sur ses joues.

« Tu te ridiculises », lui avait rétorqué froidement son mari.

Allen était bien content d'en avoir fini avec le lycée. A cette époque, les autres élèves le laissaient tranquille la plupart du temps. Le fait qu'il ne réagisse pas à leur cruauté les avait lassés. Ils se concentraient sur des cibles plus faibles, comme son petit frère. Mais Allen n'aimait pas son frère, il se fichait donc de ce qu'ils pouvaient bien lui faire. Même quand celui-ci avait dû être hospitalisé pour hémorragie interne, il s'en fichait. Même quand il avait été découvert que ces brutes avaient enfoncé de force une batte de base-ball en métal dans le rectum de son petit frère, il n'avait pas réagi. Il avait plus important à penser.

L'école de médecine serait facile. Allen avait toujours été bon à l'école. Il avait eu des A dans toutes les matières, sauf en art. Il ne comprenait rien à l'art. Il n'en voyait pas l'intérêt. Pour ses devoirs, il dessinait des schémas compliqués de l'anatomie des animaux. Son professeur lui avait dit d'être un peu plus créatif. Donc Allen avait commencé à... « améliorer » les animaux. Il leur faisait des dents plus longues, des griffes plus acérées. Il essayait de les rendre parfaits. Mais son professeur ne trouvait pas ça assez créatif.

Il décida de laisser tomber le cours.

Mais à part ça, Allen était l'élève idéal. Il ne parlait jamais en classe et ne perturbait pas les autres étudiants. Il terminait toujours son travail dans les temps et ses devoirs étaient excellents. Il ne dérangeait jamais les professeurs. Il allait leur manquer.

Eux ne lui manqueraient pas. Il ne les aimait pas. Il n'aimait pas grand-chose.

Mais il aimait Mère. C'était une femme potelée avec des cheveux châtains ondulés. Elle avait une petite pointe d'accent allemand. Son père l'avait « rencontrée » en ligne, même si Allen suspectait qu'il ne l'ait achetée par correspondance pour l'épouser. Après tout, elle ne devait pas avoir plus de seize ans lorsqu'elle avait eu Allen. Son accent était alors très prononcé, mais son père l'avait forcée à le faire disparaître. Son père ne voulait pas qu'elle se fasse remarquer.

Mais Allen aimait bien la façon dont les mots sonnaient étrangement à cause du peu d'accent qu'il lui restait. Quand il était petit, elle lui chantait des chansons en allemand. Elle devait chanter doucement pour que son père ne l'entende pas. Il se souvenait des paroles de ces chansons. Allen détestait qu'on le touche, mais ça ne le dérangeait pas lorsque Mère l'habillait ou lui donnait son bain. Il s'était habitué à son bain quotidien,où elle le lavait avec une éponge. Ils ne parlaient pas pendant qu'il était dans la baignoire, mais quand sa main caressait accidentellement sa peau, il se sentait soulagé. Ça lui rappelait la sensation d'être nourri au sein. Il avait eu la chance de l'être bien après l'âge de neuf ans.

C'était le jour de la remise des diplômes d'Allen. Il était premier de sa classe. Son école lui avait demandé d'écrire un discours. Il l'avait fait, puisqu'on lui avait demandé, sachant pertinemment qu'il serait hué par les autres élèves. Le discours était court. Dans celui-ci, Allen remerciait sa famille et son école. Il parlait du futur. Allen apprenait à simuler des émotions.

Comme toujours, c'était Mère qui l'avait habillé. Elle lui avait enfilé son boxer, attaché son pantalon. Elle avait boutonné sa chemise blanche.
Elle lui sourit gentiment. « Tu es si beau », souffla-t-elle.

Il y eut un fracas, le petit frère de Allen avait dû jeter quelque chose contre le mur. Il leur fit face, la mine renfrognée. « J'y vais pas », dit-il sévèrement.

Mère ne détourna son regard d'Allen. « Très bien. Tout le monde se fiche que tu viennes ».

Son frère attrapa une lampe et la jeta au sol. « Je vais tout casser dans cette maison si vous m'obligez à y aller ».

Mère lui lança un regard agacé. « Comme je t'ai dit, tout le monde s'en fiche ».

Allen se racla la gorge, mais ne dit rien. Les crises comme celle-ci étaient courantes. Son petit frère avait été diagnostiqué comme ayant des « troubles du comportement ». Pour Allen, ça voulait juste dire qu'il était faible et stupide. Il réclamait tout le temps de l'attention, plus spécialement de la part de Mère. Mais Mère n'avait jamais aimé son deuxième fils. Il était trop compliqué et bruyant. Elle n'avait jamais eu besoin de l'aimer, puisqu'elle avait Allen.

Son jeune frère respirait bruyamment. Il inclina la tête. « Pourquoi tu ne m'aimes pas, Maman ? »

Mère se contracta. « Je t'ai déjà dit de ne pas m'appeler comme ça. Tu dois m'appeler Olga ».

« Mais Allen t'appelle Maman ! »

« Il m'appelle Mère. Et c'est comme ça que je veux qu'il m'appelle. Toi, tu dois m'appeler Olga ». Elle secoua la tête. « Tu n'es pas Allen ».

Le plus jeune fils fit un pas en avant. « Tu me le rappelles tout le temps ».

Mère et Allen étaient toujours proches, regardant de haut le garçon pathétique. Il avait seize ans maintenant. C'était presque un adulte. Il aurait dû savoir comment se comporter, et pourtant il agissait toujours comme un enfant. Allen fit claquer sa langue, montrant sa désapprobation.

« La ferme », commença à crier son jeune frère. « La ferme ! La ferme ! La ferme ! » Il attrapa l'objet le plus proche de lui, qui était le chapeau a casquette de cérémonie d'Allen. Il la jeta avec force.

Il y eut un moment de silence avant que Mère ne se mette à hurler. Allen réalisa alors que le coin pointu de son chapeau s'était logé en plein dans l'oeil de Mère. Allen ne savait pas quoi faire. Mère tomba au sol et arracha le chapeau de son oeil. Son globe occulaire vint avec, toujours rattaché à son crâne par un fin fil rouge. Elle hurlait. Allen n'aimait pas le bruit, mais il s'agenouilla près d'elle.

Son petit frère se mit à rire. « La prunelle des yeux de Maman », le provoqua-t-il. Il chercha dans la poche de son jean et en sortit un couteau suisse. Allen le regarda. « Non », implora-t-il.

Mais son frère était déjà sur sa mère, la poignardant encore et encore avec la petite lame. C'était comme s'il avait fini par craquer. Elle essaya de le repousser, mais elle perdait trop de sang. Allen réussit finalement à pousser son frère, serrant Mère contre lui.

« Qu'est-ce que tu as fait ? » dit-il. Il essaya de crier, mais sa voix ne voulait pas sortir.

Puis son père apparut dans l'encadrement de la porte. Allen Allship II regarda la scène sans rien dire. Il vit ses fils sur le sol et sa femme sombrant dans la douleur. Ses lèvres s'écartèrent en un léger sourire, le premier que ses fils virent de sa part. « Qui a fait ça ? » demanda-t-il.

« C'est James, répondit rapidement Allen, il faut appeler les secours. Elle est en train de mourir ».

James, le plus jeune fils, regarda son père. Il s'attendait à voir de la rage ou de la colère sur son visage. Mais tout ce qu'il vit fut quelque chose qu'il recherchait depuis sa plus tendre enfance - de la fierté.

« Je vois que j'ai favorisé le mauvais fils ». Il se dirigea vers James et l'aida à se relever. Il était couvert de sang. « Je suis impressionné, Allen ».

« C'est moi Allen », dit celui-ci d'un air interrogateur. Il tenait toujours sa mère mourante dans ses bras.

« Non. C'est lui Allen. Depuis le début ». Son père essuya un peu de sang sur le visage de James... sur le visage d'Allen.

« Alors je suis qui ? » Le fils aîné ne comprenait pas les émotions qui le submergeaient. Tout ce qu'il savait, c'était que sa mère était morte et qu'il tenait un cadavre dans ses bras.

« Toi, mon garçon, tu es #995 ». Son père tapota le dos d'Allen. « Nous avons beaucoup de travail devant nous. Mais je sens que tu vas faire honneur à notre nom ».

Traduction d'Undetermined.B

Dernier contact

J'ai grandi sur GJ 581 c, la seule planète habitable du système planétaire Gliese 581. J'ai été l'un des scientifiques ayant théorisé "Le grand cri". Ceci sera sûrement mon dernier message.

C'était en l'an 4236 du calendrier Terrien Standard (HMST). Le système Gliese 581, situé en bordure de l'Empire Terrien dans la constellation qui est nommée "La Balance", a capté une communication extérieure à celle-ci. C'était le premier contact venu d'une zone non colonisée par l'espèce humaine, utilisant la fréquence 1420 mhz. C'était aussi le message le plus terrifiant jamais entendu, consistant en un long et fort cri monocorde, ou mono sonore, si vous préférez. Il inspirait le désespoir.

 De nombreux savants ont cherché à décrypter le message, en vain. Rien dans ce son n'évoquait un quelconque langage.

Cela a suscité pendant longtemps de nombreuses questions. Était-ce vraiment la tentative de communication d'une civilisation intelligente ? Était-ce amical, ou hostile ? L'Humanité devait-elle aller à la rencontre de ce peuple ? La majorité de ces questions se sont passées de réponses.

 En 4243, un nouveau message a été capté, provenant de la même direction que le premier, mais d'un cryptage différent. Puis en 4247. En 4250 aussi, puis en 4252. À partir de 4253, l'humanité s'est mise à capter plusieurs de ces messages par an, résultant toujours après décryptage en ce cri terrifiant.

En 4255, mon équipe et moi-même avons fini par théoriser une explication à cette série de messages. On a appelé cette chose "Le grand cri", une communication primaire facilement compréhensible pour tout être vivant la recevant. Il ne fallait pas chercher un message particulier en déchiffrant la fréquence. Il fallait interpréter ce hurlement comme la transmission d'une émotion.

 La peur.

 Au-delà même de ce constat, la réception de plus en plus de messages, tous cryptés d'une manière différente, nous faisait entrevoir une réalité très sombre : la chose causant ces dizaines de hurlements se rapprochait de nous.

L'Empire Terrien a pris notre hypothèse très au sérieux et a créé l'Armada, une flotte de vaisseaux stellaires à la puissance de feu inégalée. Les humains s'étaient toujours battus pour leurs droits au travers de milliers de générations, et c'est ce qui était prévu une fois de plus. Cette décision a dans un premier temps calmé la paranoïa naissante des colonies voisines tout en appuyant la légitimité des dirigeants dans les secteurs concernés, la politique étant ce qu'elle était.

 Il a fallu vingt années pour terminer la flotte, et seulement cinq pour qu'un contact soit établi. En l'an 4280, une dizaine de vaisseaux rapides d'origine inconnue sont entrés dans le système Gliese 581. Après de nombreuses tentatives de contact avec eux et la mise en place d'un barrage constitué de cuirassés galactiques, l'un des vaisseaux a activé ses propulseurs et s'est jeté contre l'un des plus petits navires de notre flotte, provoquant sa destruction.

 L'Armada a instantanément riposté en annihilant les autres vaisseaux extraterrestres, mais très vite d'autres se sont mis à arriver. Ils étaient plus grands, plus nombreux, et très vite il est devenu évident qu'ils étaient aussi en avance technologique sur nous. C'était comme se battre avec des bâtons face à des fusils lasers. Notre flotte a été annihilée en moins de 3 heures, et un afflux d'envahisseurs a ensuite eu lieu, pendant plusieurs semaines. Ils avaient un système d'armement, de protection et même de camouflage inconnu. Nous n'avions aucune chance.

J'ai été évacué par les forces de l'Empire tandis que ma planète natale, GJ 581 c, se faisait prendre d'assaut par la horde de vaisseaux d'origine inconnue. À chaque escale pratiquée par notre véhicule de fuite, il y avait toujours plus d'afflux de réfugiés venus de mondes connus ayant dû fuir suite à la colonisation de leur planète. Chaque fois, ce qui avait réduit à néant notre meilleur moyen de défense finissait par arriver jusqu'à la planète où j'avais été emmené, nous obligeant à repartir.

 À force de remonter les systèmes, j'ai fini par arriver dans le bastion de l'Empire Terrien, la Terre elle-même. Cela faisait des siècles que celle-ci était devenue désertique à cause des excès de la première guerre systémique. Cependant, elle avait été transformée en véritable forteresse de défense pour l'Empereur. C'était la dernière carte de l'humanité, et nous avons attendu l'arrivée des ennemis, surnommés "La Horde" de par son nombre.

 C'est arrivé plus vite encore que prévu. Leur nombre était tel que le Soleil lui-même n'arrivait plus à transmettre sa lumière jusqu'à nous. Alors que nous étions tous persuadés que l'extinction de notre espèce allait être imminente, la douzaine de milliards de survivants ont observé la nuée esquiver la Terre et la dépasser.

Pendant de longues semaines, l'amas de vaisseaux extraterrestres a englobé la planète, filant en direction de la sortie du système solaire. Durant les semaines suivantes, personne n'a tenté ne serait-ce que de quitter l'attraction de la planète pour vérifier que le danger était bien écarté. Beaucoup ont "fêté" la fin des hostilités et la non-extinction de notre race, d'autres on pleuré leurs morts et la fin de centaines de mondes. Alors que le gouvernement envisageait déjà d'envoyer des éclaireurs dans les anciennes colonies pour vérifier l'état des dégâts, dans l'optique de reconstruire, j'ai aperçu une ombre grandissante en provenance de la constellation de la Balance. Quelque chose qui se rapprochait de nous. Et c'est alors que j'ai compris.

Merde, les hurlements venaient de la Horde.

Texte de Daemoniack

Comment effrayer papa

Mon père est l'homme le plus effrayant que j'ai jamais connu. Et lorsqu'il était armé d'une bouteille de bière, il me faisait atteindre des niveaux de terreur cauchemardesques. Juste le bruit de sa ceinture ou l'élévation de sa voix suffisait à me faire trembler comme une feuille.

Une nuit, alors que je luttais pour me mettre à l'aise au lit à cause des ecchymoses et du bruit des pleurs de ma mère, j'ai élaboré une idée ingénieuse pour arrêter toute cette douleur et cette souffrance : effrayer papa. De toute évidence, il ne savait tout simplement pas comment ses actes nous influençaient, mais si je lui faisais peur comme il nous faisait peur, alors peut-être qu'il changerait ses manières.
J'ai essayé tout ce à quoi je pouvais penser pour faire connaître la peur à papa. Je me suis caché dans un coin, attendant qu'il se montre pour lui sauter dessus, mais il n'a même pas bronché. J'ai placé un serpent en plastique dans les toilettes, mais cela n'a abouti qu'à une autre raclée pour moi.
Enfin, j'ai pensé à détruire son alcool. Je sais que les gens ont peur quand ils perdent quelque chose qu’ils aiment, alors j’ai versé le contenu de toutes les bouteilles de mon père dans l’égout, et j’ai attendu avec impatience sa réaction. Je savais que ce serait ça qui marcherait. Il allait enfin connaître la peur !

Cette nuit-là, je me souviens que mon père a découvert les bouteilles vides et est devenu plus en colère qu'il ne l'avait jamais été. Je me souviens qu'il a quasiment tout détruit dans la maison. Je me souviens de lui faisant irruption dans ma chambre. Je me souviens de ses mains autour de mon cou. Et après ça... trou noir.
Heureusement, mon plan et mon travail acharné cette nuit-là ont porté leurs fruits ! Aujourd'hui, mon père vit dans un état de peur constante. Quand je le regarde, je vois un homme perpétuellement nerveux. Chaque fois que je lui rends visite, son teint devient d'un blanc pâteux, son corps frissonne comme le mien à l'époque, jusqu'à avoir des sueurs froides.

J'ai tellement effrayé mon père cette nuit-là que désormais, lorsqu'il me voit arriver, on pourrait penser qu'il a vu un fantôme.


Traduction de Kamus

Enfin le grand amour ?

Le grand soir est arrivé. Ce n'est pas mon premier date Tinder, mais cette fois c'est différent, cette fille me plaît vraiment. Elle est magnifique (sur les photos tout du moins), marrante, et elle aussi est passionnée par les mangas. La dernière fois que j'ai accepté de rencontrer une personne de l'appli, c'était plus pour tromper l'ennui qu'autre chose, je savais que ce serait au mieux un coup d'un soir. Mais cette fois, je dois assurer, et c'est pour cette raison que même si je risque d'être un peu en retard, ça vaut le coup de prendre le temps de me préparer.

Pendant ce temps-là, elle est assise dans un coin du bar que nous avons choisi ensemble. Elle fait de son mieux pour avoir l'air détendue mais elle regarde un peu trop souvent son téléphone et bouge frénétiquement sa jambe gauche sous la table, un tic nerveux qui trahit son appréhension. Quoi de plus normal après tout, ce n'est jamais facile de passer au réel après avoir tant parlé à une personne par le biais d'internet. On se demande à quel point l'autre va nous apparaître comme un inconnu, et si son sourire nous procurera la même sensation agréable que les messages envoyés toute la journée, toute la nuit parfois. Elle m'envoie justement un message pour me dire qu'elle a hâte de me rencontrer. Ça me rassure.

Elle lâche enfin un peu son téléphone pour scruter les gens qui passent dans la rue et ceux qui entrent dans le bar, elle sait que ça fait déjà 10 minutes que je devrais être là, et que je ne devrais pas tarder. Un homme d'une trentaine d'années entre alors et se dirige vers sa table en souriant. Elle a un mouvement de surprise qui se transforme vite en déception. Plus que déçue, elle est même dégoûtée par la personne en face d'elle. Petit, difforme, le visage complètement asymétrique et au teint grisâtre, la barbe constellée de trous, nez et doigts tordus, ongles sales, voilà une petite compilation de ce qu'elle a en face. L'homme lui dit juste : « Salut ma belle » de sa voix fluette et s’assoit en souriant. Elle a bien envie de partir, mais elle sait que nous avons beaucoup en commun et que toutes ces choses qu'on s'est dites valent bien le coup de faire un effort pour essayer de surmonter le mensonge concernant mon apparence.

Je n'oserais pas affirmer être une belle personne, ce serait présomptueux, mais je ne pense pas être laid pour autant. Mes cheveux blonds et mes yeux bleus font que je ne peux pas vraiment être qualifiée de monstre hideux, ça je n'en doute pas. Certes, ma petite taille (1m50) peut parfois être rédhibitoire, mais je sais que ça a déjà plu à certaines, alors j'essaie de ne plus voir ça comme un défaut, mais plutôt comme une caractéristique neutre. En plus, mon parfum est une arme de séduction infaillible, et ce soir, je n'ai pas hésité à m'en asperger.

Elle commence à regretter de ne pas être partie directement, après tout, quand on ment à ce point sur son identité, au point d'avoir visiblement usurpé les photos de la personne qu'elle pensait rencontrer, c'est une bonne raison pour mettre fin au rendez-vous. Elle a beau discuter de nos mangas favoris, utiliser le même humour noir qui nous a rapprochés, il n'y a ni attirance ni intérêt pour l'homme répugnant en face, qui dégage une forte odeur de transpiration. Elle se résigne à l'idée que la personne qu'elle s'est imaginée à travers nos messages n'existe tout simplement pas.

Mais surtout, elle commence à être vraiment mal à l'aise. Au fil de la discussion, elle se rend compte que son interlocuteur sait plus d'informations sur elle qu'elle ne lui en a donné. Elle n'ose pas trop relever, elle a un peu peur en fait. Elle commence à se dire que je suis sans doute un stalker. Ce ne sont pas juste des choses qu'on peut trouver sur internet, sur son Insta ou son Facebook, qui en soi, ne sont pas si difficiles à trouver. Non, c'est bien plus intime. Elle se rend compte que le petit homme sait des choses sur sa famille : il sait qu'elle est brouillée avec son père depuis des années, pourtant elle n'a jamais mentionné ses parents. Ça lui paraît un peu fou, mais elle se dit que peut-être ce mail douteux qu'elle a reçu la semaine dernière et qu'elle a ouvert m'a donné l'accès à son téléphone. Toutes ces informations sont issues de messages envoyés récemment avec mon entourage.

L'homme finit même par lui dire qu'il va la ramener chez elle. Elle me répond qu'elle n'habite pas si loin et que ça va aller, mais ma réponse lui glace le sang. Non, elle n'habite pas près d'ici du tout, et elle n'a pas le choix. Il attrape sa main sous la table et lui fait sentir qu'il a avec lui un couteau. Elle est prise au piège.

Le serveur vient encaisser l'addition, et elle essaie par tous les moyens d'attirer son regard, de lui faire comprendre qu'elle est en danger, mais l'homme veille à ce qu'elle ne fasse pas un pas de travers. Il a même pris discrètement son téléphone au cours de la conversation pour le mettre dans sa propre poche. Elle aimerait aller se cacher aux toilettes, mais mon emprise sur son poignet est aussi discrète que puissante.

Elle est obligée de me suivre, et elle se retrouve dehors, dans le froid sur ce parking. Elle ne pensait pas que j'avais autant de force jusqu'à ce qu'elle se retrouve traînée de force jusqu'à une Mercedes grise, impossible de prendre la fuite vers sa propre voiture. Son téléphone sonne, mais l'homme l’éteint. Désespérée, elle me demande si je la laisserais tranquille si elle obéit. Non, il n'a jamais été question de la libérer. Elle éclate en sanglots et m'insulte de tous les noms, jusqu'à se faire trancher la gorge. Oui, comme ça, pas de préambule, et pour l'utilité qu'elle aura, morte ou vive ne change que peu de choses, alors mieux vaut qu'elle se taise.

J'arrive sur le parking, et cours de ma voiture jusqu'au bar pour ne pas finir trempée jusqu'aux os. Je rentre mais ne la vois nulle part. Est-ce qu'elle m'aurait posé un lapin ? Elle n'a pas répondu à mes messages depuis environ 40 minutes, peut-être qu'elle n'a pas apprécié mon retard, mais j'étais stressée, et incapable de décider comment m'habiller. Je l'appelle, mais tombe directement sur sa messagerie. Elle doit être vraiment en colère. Je m'approche timidement du serveur dès qu'il a l'air un peu disponible.

Au moment où je retourne sur le parking, la Mercedes n'est déjà plus là.

Texte de Antinotice