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J'ai laissé mon fils sur le bord de la route et personne ne s'en est soucié

Ma femme n'en pouvait plus, elle redoutait le matin. Devoir se lever, se préparer pour le travail puis essayer d'habiller deux enfants réticents et hurlants pour la garderie. Je détestais ça aussi. Les hurlements nauséeux, les pleurs pénibles et notre enfant de 4 ans qui nous demandait avec énervement de l'écouter alors que lui ne le faisait pas. La moindre petite erreur pouvait provoquer une crise de colère qui durait une éternité. Les voisins des appartements environnants commençaient à nous regarder de travers alors que nous devions littéralement traîner nos enfants jusqu'à la voiture à chaque début de journée.

Ne vous méprenez pas, nous aimons nos enfants, ils sont la meilleure chose qui nous soit arrivée. Mais être parent n'est pas chose aisée, et on se retrouve souvent à apprécier les siens de plus en plus avec le temps.
"Est-ce que j'étais vraiment aussi odieux ?"
"Comment maman supportait tous mes cris ?"
"Je me demande comment mon père a fait pour ne jamais me frapper !"

Notre fils aîné avait toujours été un peu différent. Il n'y avait rien qui n'allait pas chez lui mentalement, il était juste particulier. Toujours à vouloir être le chef. Quand il était bébé nous avons passé des nuits blanches entières à essayer de calmer les pleurs de cet enfant. Il a de l'amour en lui, cependant il n'aime ni les câlins ni les bisous. Mais quand il va au lit il veut me tenir la main jusqu'à ce qu'il s'endorme. Lorsqu'on regarde la télé il veut s'asseoir sur mes genoux, ou le plus près de moi possible. On peut avoir de grand moments d'affection, jouer ensemble à faire semblant ou juste avoir des moments agréables de calme en lisant un livre ensemble.

Puis quelque chose se déclenche en lui, on ne sait jamais quoi, et il y a des cris, des coups, et des objets qui partent dans tous les sens. Ma femme a déjà eu un œil au beurre noir plus d'une fois, notre plus jeune fils est terrifié d'être frappé par son grand frère. Il se déchaîne.
Mais le pire, ce sont ces satanés cris...

Il me faut admettre que je ne suis pas un parent parfait, peu importe à quel point j'essaie de garder mon calme, il est difficile de ne pas élever la voix sur un enfant qui hurle. Pour ma défense, je n'ai jamais levé la main sur un de mes fils. Je suis convaincu que la violence n'est pas une solution. Toutefois, dernièrement, j'ai commencé à avoir ces horribles migraines, une douleur déchirante comme un flash rouge dans mon crâne qui me laisse complètement épuisé.

Ma femme est presque à bout, des mèches grises apparaissant prématurément dans ses cheveux, des cernes sombres autour de ses yeux. Lorsqu'on met les enfants au lit le soir elle les rejoint presque à chaque fois, me laissant seul jusqu'à l'heure du coucher. J'essaie de prendre le plus sur moi possible, pour que l'on partage ce fardeau ensemble.

Aujourd'hui, je ramenais les enfants à la maison après la garderie. Tout se passait bien, ils s'étaient même habillés sans faire d'histoires et étaient venus calmement jusqu'à la voiture. Sur le chemin de la maison, nous avons commencé à chanter des chansons ensemble. Et puis quelque chose s'est passé, je crois que cette fois son petit frère avait chanté trop fort ou s'était trompé sur un mot. Je ne suis pas sûr. Alors que les cris s'intensifiaient sur la banquette arrière, un flash rouge m'a coupé la vue et j'ai dû arrêter la voiture sur le bord de la route. La migraine était horrible, elle tapait derrière mes yeux et menaçait de me faire vomir. Maintenant le petit bâtard hurlait, se plaignant que j'avais arrêté la voiture. Ses petits pieds tapaient l'arrière de mon siège.

Ce qu'il s'est passé ensuite, je n'en suis pas fier, toutefois j'en suis aussi étrangement détaché. Comme dans une transe ou un brouillard, j'ai détaché ma ceinture de sécurité et suis sorti de la voiture. J'ai ouvert la portière de mon fils et l'ai sorti de son siège. Il avait arrêté de crier et des larmes coulaient en silence sur ses joues alors qu'il me regardait, inquiet. C'était quelque chose de nouveau, quelque chose d'étrange.

"Qu'est-ce que tu fais papa ? Je veux rentrer à la maison..."

"C'est trop tard pour ça maintenant, fils." ai-je répondu d'une voix qui était la mienne sans l'être, bizarrement. Je me sentais différent, mais je savais que c'étaient mes lèvres qui formaient ces mots.

Alors que je me rasseyais dans la voiture, mon fils a commencé à frissonner, mais n'osait pas bouger. La panique dans ses yeux pleins de larmes m'a brisé le cœur, il était terrifié. Pendant un instant, j'ai ressenti cet amour inconditionnel que j'avais autrefois ressenti pour lui, ce petit être humain qui était tout pour moi. Puis une pointe de migraine m'a rappelé tout le mauvais en lui.

"Je t'aime papa. S'il te plaît, laisse-moi monter dans la voiture... Je ferai plus de bêtises, je serai sage. Papa ? Papa, s'il te plaît ? Je t'aime..." Il suppliait d'une voix faible et effrayée, la gorge serrée par les larmes. Mais quand il a commencé à s'approcher de la voiture, j'ai claqué la portière. Il s'est arrêté tout de suite, le visage crispé par le désespoir.

"Je t'aimais aussi" ai-je soupiré alors que je redémarrais la voiture et m'éloignais. Je n'ai pas regardé en arrière. Si je l'avais fait, je n'aurais jamais été capable de rentrer jusqu'à la maison. Mon plus jeune fils était assis en silence à l'arrière de la voiture, trop perturbé et effrayé pour bouger. En arrivant à la maison, il m'a fait un câlin sans rien dire et je l'ai porté dans l'appartement. Ma femme m'a vu dans le couloir. Au début, elle semblait confuse, sur le point de demander où était notre fils aîné, mais rien qu'en me regardant dans les yeux, elle a su tout ce qu'elle avait besoin de savoir. Elle n'en a jamais parlé, et moi non plus.

Il n'y a jamais eu de rapport à propos d'un enfant qu'on aurait trouvé sur le bord de la route. Au début, certaines personnes comme le personnel de la garderie, les voisins, les amis et la famille, ont dû se demander où était notre aîné. Mais nous n'avons jamais rien dit et personne n'a jamais demandé. La police n'est jamais venue, et nous n'avons reçu aucun appel des autorités. Et nous l'avons accepté.

Nous n'empruntons plus cette route pour aller à la garderie, ou en revenir. On ne veut pas risquer de le retrouver , se tenant toujours là, ou pire, trouver des indices sur ce qui lui est arrivé. J'essaie de ne pas y penser, je ne veux pas savoir si quelqu'un l'a effectivement récupéré ou s'il a erré sans savoir où aller. Je ne peux pas y penser, sinon la migraine reviendra. Nos vies sont bien plus calmes maintenant, et notre benjamin va bientôt devenir grand frère à son tour !

Cependant, il a commencé à changer de comportement récemment. Avec son quatrième anniversaire qui arrive, il est compréhensible qu'il veuille jouer à plus grand qu'il n'est. Mais vouloir être le chef ? Nous crier dessus pour rien ?

Ce n'est probablement rien, juste une passade. Je dois m'allonger maintenant, j'ai eu la migraine toute la journée. Le pire, ce sont les week-ends. Je vais juste me coucher et essayer de faire la sieste après sa dernière crise en date.
Ou peut-être qu'on va juste aller faire un tour en voiture...


Traduction : DydyMcFly

"A toi, à jamais !"

13 novembre 1977

Je ne sais pas à qui je m'adresse en écrivant ceci, ni même si je m'adresse à quelqu'un. Ce que je sais en tout cas, c’est que j’ai besoin d’écrire, de mettre sur papier ce que je ressens et ce que je pense. Car aujourd’hui, c'est peut-être la dernière fois que ma main pourra tenir une plume, et la dernière fois que cette plume pourra inscrire quelque chose dans mon histoire.

Je m’appelle Michel Rougeais, je suis né le 2 août 1961 à Nantes.

Je n’ai pas grand-chose à raconter sur ma personnalité, je n’ai jamais été un être très intéressant. Je suis un grand mélomane, je connais tout un ensemble de chansons (enfin, surtout les chansons françaises), et j’ai une passion pour le jardinage : très tôt on m’a dit que j’avais la main verte. J’aime beaucoup la viande, surtout le porc, je pourrais manger du jambon pendant des heures. Et il y a un tas d’autres choses que j’aime, mais la liste est trop longue et je sens que le temps, lui, ne l’est pas assez.

Je ne peux pas dire que j’ai eu une enfance exceptionnelle. J’étais plutôt bon élève -même si je ne travaillais pas beaucoup-, assez joueur et j'avais quelques amis. La bonne époque, l’époque insouciante, celle des agréables souvenirs. On jouait encore au cerceau, à la marelle et à Chat. Je pense que le plus intéressant vient dans mon enfance tardive.

Ce devait être au mois d’avril 1971. Du haut de mes (presque) 10 ans, mes parents m’avaient laissé seul le temps de faire des courses au nouveau supermarché du coin. On avait construit un Mammouth près de la ville. Je me souviens de l’enseigne rouge et noire, et du slogan qui passait tout le temps à la télé.

Cette télé, je restais fixé dessus pendant des heures, si bien que mes parents se demandaient si je n’allais pas "m’abrutir", comme ils disaient. Je jouais avec les boutons sur le côté, et je regardais l’écran, assis, comme ébloui par ce miracle technologique. Ce jour-là passait l’Eurovision. Être seul à ce moment-là d’ailleurs, c’était bizarre, car mes parents n'avaient jusque-là pas raté le concours une seule fois.
Les premières chansons passèrent. L’une d’entre elles, je m’en souviens très bien, représentait Monaco. La chanteuse était blonde, petite, et portait des habits noirs. Le décor de la scène donnait une ambiance chaleureuse, avec en fond un motif étrange en cercles; sur la gauche, d’autres chanteurs, et en face, l’orchestre. Je trouvais l’air entraînant, je fredonnais et oscillais légèrement la tête tout en ne prêtant qu’une oreille aux paroles. J’aimais beaucoup le refrain, je me rappelle même du claquement que je faisais avec mes doigts. Les instruments me berçaient, la voix faisait de même, et le tout captait mon attention plus que n’importe lequel de mes cours à l’école primaire. Il me semble que les paroles ressemblaient à ceci :


« Un jour ou l'autre il faut partir
Pour se construire un avenir, un avenir
Et c'est l'inoubliable instant
Où l'on rend ses habits d'enfant, d'enfant » 
  

Puis le son grésilla, et l’image disparut. Un mélange confus de noir et de blanc l’avait remplacé. Je me demandais si la télévision n’avait pas encore un problème. Après tout, bien qu'elle n'était vieille que d’un an, on avait déjà dû la réparer plusieurs fois. Soudain, une voix me fit sursauter. Grave, tordue, peu audible, et pourtant si forte: elle provenait d’un homme, dont j’avais du mal à distinguer le visage tant l’image était floue. Un homme adulte, à l'âge incertain, posté devant un fond gris. En le voyant, je fus surpris et surtout, j'eus peur. Car à travers l’écran, il ne parlait pas à tous les téléspectateurs, il me parlait, à moi. Comme s’il voyait ce petit garçon dans le salon, et qu’il s’adressait à lui. Et ce qu’il dit alors me marqua pour le reste des années qui suivirent.. Jusqu’à aujourd’hui. En fait, il a même été un tournant.
Malgré sa voix bien adulte, il prenait un ton enfantin, comme font les clowns. Ses mots, encore maintenant, je peux les retranscrire à la lettre.

« Bonjour toi ! Tu t’amuses bien avec l’Eurovision, hein ? Elle est bien la chanson ? En fait, je me suis perdu à travers mon voyage inter-télévisuel, je suis actuellement coincé dans une faille ! Si je reste là, je risque de mourir ! (Il ouvrit grand la bouche en collant les mains sur ses joues) Bon, il faut faire vite, alors je te laisse un petit secret, un pouvoir magique ! (Il avança sa tête, me fixant droit dans les yeux) Si tu dis « A toi, à jamais ! » devant quelque chose, tu l’aimeras, tu l’aimeras très fort, et tu pourras jouer et t’amuser avec ! Et ça, tu le perdras jamais ! Il faut le dire bien fort, sinon ça marche pas ! Compris ? Allez, je dois partir, au revoir ! » (ce dernier "au revoir" fut très long, et accompagné d'un grand geste de la main). 

Et dès qu’il fut parti, le programme reprit et la chanson revint. C’était le grand final, me plongeant dans de formidables ~la la la~ alors que je ne comprenais pas ce qu’il se passait. Je restais là, abasourdi, à écouter les dernières notes de la chanson. Je ne sais plus si j’étais retenu par l’appréhension et la surprise, si c’était mon esprit d’enfant qui faisait effet, ou les deux. Il faut dire que mon imagination à l’époque était débordante. Je m’imaginais sur le bord du chemin de l’école, vivre des aventures avec les personnages de bandes dessinées, être moi-même dans des scénarios de films ou partir vers des mondes irréels et loufoques. Je flânais dans la cour de récré en pensant avoir des pouvoirs, faire tomber la pluie, invoquer des créatures, ou retrouver t par magie mes objets perdus.

Alors, dans une sorte d’état de choc mélangé à l’innocence et à l’incompréhension, je me mis à crier moi-même : « à toi, à jamais ! », en face de mon téléviseur, tandis que les applaudissements allaient laisser place à la prestation suivante.

Et depuis ce jour, j’éprouvais une fascination pour cette chanson, et la musique en général. Dès que j’étais seul je chantais, et le cas échéant, je fredonnais l’air de la mélodie. Je n’avais plus de voix que pour la variété, et l’on m’entendait plus fredonner les Poppys que réviser mes tables de multiplications. Les Rois mages sortaient et ressortaient de ma bouche comme si je n’avais plus que ça en tête, le "Mamy Blue" de Nicoletta me donnait mes moments de mélancolie, que Michel Sardou se tâchait de faire disparaître avec le rire de son sergent. C’était drôle parfois, quand je chantais "Pour un flirt" à mes parents sans savoir même ce que ça pouvait vouloir dire, et que ceux-ci me câlinaient en riant. Ou durant mes vacances en Bretagne, quand j’allais me dresser en haut des falaises et crier au vent :


« On a tous un banc, un arbre, une rue
Où l'on a bercé nos rêves
On a tous un banc, un arbre, une rue
Une enfance trop brève » 
  

Les choses s’accélérèrent. Les grands hommes ont fait les grandes découvertes, moi enfant je faisais les miennes et mon petit esprit s’en croyait grand. Ainsi je criais ce fameux « à toi, à jamais ! » devant la cabane à outil, et alors je prenais ces derniers, je jouais avec.J'avais adoré faire mes premiers pas dans le jardinage. Mes parents devaient me trouver tellement mignon quand je plantais mes premières carottes, tomates et poireaux dans le jardin derrière le pavillon.Ainsi je répétais cette même phrase sur une tranche de jambon. Quelle ne fut pas la surprise de mes parents, quand ils découvrirent que je dévorais toutes les variantes possibles du porc, moi qui auparavant ne pouvais même pas avaler un lardon.

Et puis vint cette soirée, où je rentrai tard avec mon vélo, car la professeure m’avait retenu plus longtemps que d’habitude, me questionnant sur la baisse de mes résultats. Je passai par des coins sombres, mal éclairés, et peu sûrs pour un garçon de mon âge. Effectivement, il était si dangereux pour moi de m’aventurer là que je finis par tomber sur ce que je n’aurais jamais dû voir (enfin, c’est ce que disent les autres). Un pauvre homme, qui lâcha un cri que je n’avais jamais entendu, et par la suite se tint le ventre. En face, un autre homme venait d’y enfoncer quelque chose, et ça faisait couler du sang. Mon esprit encore jeune ne sut comment réagir, et la seule chose qu’il trouva à faire, à dire, ce fut de crier cette phrase qu’il avait tant de fois répétée et s’était installé comme un automatisme. L’homme prit la fuite, l’autre homme tomba au sol, et moi, j’allais faire la même chose qu’eux.

Le lendemain, fidèle à la règle, je me collais à mon meilleur ami, en jouant, en rigolant. Et, dans cette ambiance amicale et enfantine, je lui montrai une nouvelle chose que j’aimais faire, à laquelle je prenais beaucoup de plaisir. Mais cette fois-là, il ne me regardait pas comme à son habitude : son visage était fixe, ses yeux dans le vague, son regard comme perdu. Et il tomba au sol, alors que normalement il avait beaucoup d’équilibre. Je ne comprenais pas, je lui demandai ce qui ne lui plaisait pas. Au lieu de me répondre, il faisait des petits bruits à peine audibles, tandis que je le secouais, mécontent, lui disant qu’il n’était pas très drôle et que je voulais continuer à jouer.

Et les autres camarades me regardaient tous, les yeux grands ouverts, l’air ébahi, comme s’ils avaient peur. Je les regardais aussi, ne les comprenant pas. Je leur demandai ce qui n'allait pas : mais aucune réponse, juste les mêmes regards, les mêmes expressions. Fier de ce que j’avais fait, je leur faisais un grand sourire, et, avec mon couteau en main, je mimais le mouvement, en disant : « regardez, on fait comme ça ! ». Puis je touchais la plaie, et avec ma main recouverte de sang, je m’exclamais : « et après, ça fait ça ! ».

Je comprenais tout de même que quelque chose n’allait pas. Je pensais qu’il allait se relever, et qu’on allait continuer à jouer. Je voulais qu’il me fasse aussi le coup, et qu’ainsi de suite, on passe un bon moment. Mais il restait au sol, du rouge près de la bouche, les yeux vides.
Mes goûts ne plurent pas à tout le monde. Aujourd’hui encore, je ne comprends pas : durant toute ma vie, j’ai juste fait ce que j’aimais le plus. On m’a dit que j’étais fou, mais je ne suis pas d’accord, je pense au contraire que je suis un être sain. On nous l’apprend même à l’école, que plus on est heureux, mieux on est. Que c’est très bon d’exceller dans nos intérêts, qu’il faut faire ce qu’on aime. Or moi, je ne faisais que ça : je croquais la vie à pleines dents, comme on dit.

J’aime autant le timbre de la voix de Séverine que l’odeur de l’herbe fraîchement coupée, autant que la tendresse du jambon blanc et que la lame s’enfonçant parfaitement dans la peau.

J’aime la musique de mon enfance, sa mélodie, sa tonalité, la puissance de la voix et du rythme qui créent des frissons et émeuvent, qui font danser jambes et bras.

J’aime la culture des plantes, la pousse des légumes, des fruits et des fleurs, les milles et unes odeurs qui parcourent çà et là les gazons remplis de coccinelles et de vers de terre.

J’aime le goût de la viande, le croquant du rôti, la saveur intense du cru, séché et salé, la magnifique couleur et l'odeur de l’animal sorti du four, arrosé du jus de cuisson.

J’aime le bruit sec de la lame dans la chair, l’odeur métallique du sang, la voix rauque et étouffée qui suit, les tremblements du corps et l’enfoncement parfait et net de l’acier.

Durant toutes ces années, on a essayé de me convaincre que je suis malade dans ma tête ou je ne sais quoi. Vu que je n’ai jamais reconnu ce fait, et que mon intérêt à planter un couteau dans un corps se faisait tojours ressentir, on m’a gardé dans des murs pâles, fades, qui n’ont rien de la chaleur vive de ce que je connaissais avant.

Maintenant qu’en ce 13 novembre 1977, j’ai passé les 18 ans il y a juste quelques mois, il est probable que j’y passe. La « récidive », les « faits aggravés », le « reniement », apparemment n’ont pas arrangé mon cas. On a condamné à mort un type il y a deux mois environ, alors je ne vois pas ce qui me ferait échapper à la règle. Je crois que demain, ma tête passera sous la guillotine. C’est dommage de mourir aussi jeune. Mes parents semblent me renier en quelque sorte, et je suis seul avec deux ou trois connaissances dans un endroit détestable. Je ne sais pas quoi penser de ma vie, mais avoir posé tout cela sur le papier m’a permis de faire un constat.

Le constat que tout était mieux avant, que mon enfance était la plus belle période de ma vie, que maintenant, tout n’est que frustration, envie, colère et haine.

Comme je l’ai toujours dit, à toi enfance, à jamais je t’aimerai.


Texte de Coliop-Kolchovo.

J'aimais traumatiser ma soeur

Freddy n'était pas un gamin de 13 ans typique. C'était un petit con. Quand il n'était pas dans sa chambre en train de hurler sur ses jeux vidéos, il aimait faire peur à sa petite sœur de 7 ans.

Chaque farce traumatisante qu'il infligeait à la pauvre petite Amy était pire que la précédente. Une fois, il lui avait même dit que leur mère avait été assassinée et avait répandu du ketchup dans la cuisine pour maximiser l'effet.
Il était la raison pour laquelle elle était si instable.

Amy disait souvent à sa mère qu'elle entendait des murmures, et même qu'elle avait vu des fantômes errer dans la maison durant la nuit. Freddy ricanait à ces mots, presque fier des dégâts qu'il avait causés. Mais malheureusement pour Amy, ce n'était jamais assez pour lui. Il se sentait obligé de la briser... jusqu'au bout.

La tempête avait gardé Freddy éveillé cette nuit-là. Sans pouvoir trouver le repos, il se tournait et se retournait dans l'ennui. Pendant un moment, il avait essayé de compter les moutons, mais ça n'avait servi à rien. S'avouant vaincu, il restait allongé, l'esprit vide, en regardant les gouttes glisser sur sa fenêtre.

Un éclair apparut alors, illuminant toute sa chambre, rapidement suivi par un grondement assourdissant. Freddy sourit. Il savait ce qui allait suivre. 

Freddy entendit sa sœur crier à travers le mur, cri précédé par le bruit de ses petits pas se dirigeant en courant vers la chambre de leur mère. C'était le moment... Le moment où il allait enfin pouvoir s'amuser.

Il se faufila dans le couloir, puis dans la chambre d'Amy. Il y rôda un instant, étudiant le moindre de ses recoins. Un nombre infini d'idées traversait son esprit... puis il aperçut le placard.

Le jeune garçon attendit pendant un moment qui parut une éternité, observant à travers la petite ouverture entre les portes du placard. Il avait décidé que quand sa sœur reviendrait et se remettrait au lit, il commencerait à murmurer. Puis, lorsqu'elle serait complètement terrifiée, il ouvrirait violemment les portes et se jetterait sur elle en hurlant à pleins poumons.

Il avait presque perdu espoir et s'apprêtait à s'en aller lorsqu'il entendit les bruits de pas qui approchaient. Leur mère ouvrit la porte et Amy se faufila lentement dans la chambre. Elle suçait son pouce et traînait sa couverture favorite derrière elle. Alors qu'elle se glissait dans son lit, Freddy ne put retenir un petit ricanement d'excitation.

Freddy regarda en silence sa mère border Amy, lui déposer un gros baiser sur le front, et finalement lui dire bonne nuit. Il attendit avec anxiété d'entendre la porte de la chambre se fermer avant de commencer.

Ça y est, pensa-t-il, tremblant d'une excitation délirante. C'est le moment où je vais la briser.

« Amy... » murmura Freddy d'une voix d'outre-tombe.

Elle ne répondit pas.

« Amy... » continua-t-il.

Toujours aucune réponse.

« Je suis dans le placard, Amy... Viens jouer avec moi... » dit-il d'une voix qu'il se forçait à rendre la plus rauque possible.

« Pas ce soir, Lucy. » répondit calmement Amy.

Freddy fronça les sourcils, confus. Elle doit parler dans son sommeil...

« Réveille-toi, Amy... Ce n'est pas... »

Une main provenant de derrière lui le saisit alors. Elle le tira dans les ténèbres et lui couvrit la bouche avec une poigne aussi ferme que glacée.

« Elle a dit pas ce soir... »


Traduction de Magnosa

Nocturne

Nous nous sommes installés dans cette maison depuis quelques semaines, tout au plus. Mon compagnon et moi sommes tombés sous le charme de cette bâtisse à l’apparence, de prime abord, plutôt rustique. Nous préférons cela à l’ultramoderne, triste et froid, d’aujourd’hui. Cette maison dégage quelque chose de rassurant, inspire le réconfort. Et surtout, elle possède un grand jardin. C’est l’idéal pour notre très chère chatte. Elle nous a toujours suivis dans nos déménagements et nous sommes incapables de vivre sans elle. Myrtille, surnommée affectueusement « Mimi », est notre rayon de soleil. Constamment de bonne humeur, elle ronronne quasiment en permanence et déborde d’énergie. Elle s’est habituée à sa nouvelle maison sans aucun problème, et nous sommes ravis de ce changement. Pourtant, ce tableau si parfait comporte une face cachée que je n’ai pas tardé à découvrir contre mon gré. Mon compagnon travaille de nuit dans une petite entreprise familiale de métallurgie et il faut bien quelqu’un pour assurer la sécurité du lieu, même si, honnêtement, il ne s’y passe jamais rien. Mais il est plutôt bien payé, alors... pourquoi pas ? Quant à moi, l'idée de dormir seule ne m’avait jamais inquiété. Et puis, Mimi est là. Avec une telle présence, je n’ai jamais ressenti le moindre sentiment de solitude. Elle dort toujours avec moi, dans le lit, occupant la place de mon partenaire. Mais cette nuit, ma vision des choses a profondément changé.
Après avoir pris un bon bain et passé plus de temps qu’il ne fallait devant une série, je dois dire au revoir et à demain à mon compagnon, qui doit s’accommoder de cet horaire contraignant. Mais encore une fois, nous nous y sommes habitués. Moi-même épuisée par ma journée de travail - ce n’est pas évident la vie d’artiste -, je me suis affalée dans mon lit et me suis rapidement endormie, sans oublier bien sûr de laisser la porte entrouverte afin que Mimi puisse me rejoindre quand l’envie lui prendrait. Mademoiselle est toujours très agitée la nuit, encore plus que durant la journée en tout cas. Je ne compte plus le nombre de fois où elle m’escalade, s’assoit sur ma tête ou me mordille les orteils lorsqu’ils ont le malheur de dépasser de la couverture
Ainsi, me voilà qui dors profondément et paisiblement, du moins jusqu’à ce que ce que je sente un poids se poser sur mes pieds. Comme si quelqu’un avait bondi dessus. Et ce quelqu’un, c’est bien sûr cette fichue boule de poils ! Je grogne et me retourne, sans même ouvrir les yeux. Je suis bien trop fatiguée pour jouer ! Heureusement, Mimi a pitié de moi et me laisse retourner dans les bras de Morphée.

Jusqu’à ce que, une nouvelle fois, je sois victime d’une attaque. Je sursaute violemment. J’ai pu sentir ses griffes et peut-être même ses dents ! Je me redresse, mécontente. Dans l’obscurité, difficile de chercher des yeux la petite féline. Évidemment, elle s’est sûrement enfuie, sachant pertinemment qu’elle vient de faire une bêtise. Je souffle bruyamment, excédée, et enfouis mon visage dans l’oreiller. Maudit chat !

Je pense bien avoir été réveillée encore deux fois après ça. La bête s’acharne de plus en plus. Qu’arrive-t-il à Mimi ? Elle est très joueuse, c’est vrai, mais elle ne m’avait jamais encore jamais fait aussi mal ! Elle joue avec mes nerfs, à chaque fois que je veux la sermonner elle disparaît déjà dans les ténèbres. Si c’est comme ça, privée de croquettes ! Non, c’est impossible de résister à sa petite bouille adorable. Avec son pelage tigré, on dirait que ses yeux sont maquillés de noir et son petit menton blanc est juste à croquer ! J’aime beaucoup trop ce chat !

Je me calme, ça ne sert à rien de m’énerver en pleine nuit sur le petit animal qui partage ma vie. J’ai pris un certain temps avant de me rendormir. Tout est étrangement calme, beaucoup trop calme. Je n’ai jamais apprécié le silence. Généralement, je fais tout en musique. Mais contre toute attente, la fatigue me rattrape.

Dans mes rêves, Myrtille m’apparaît. La pauvre petite pleure, pleure et pleure encore, miaulant avec désespoir. Je veux la prendre dans mes bras, mais je ne parviens pas à l’attraper. C’est alors qu’une atroce douleur me fait hurler. C’en est trop ! J’allume la lumière et crie : « Ça suffit ! Tu m’as vraiment fait mal cette fois, Mimi ! ». Mais Mimi n’est pas là. J’inspecte rapidement mes pieds : ils sont en sang. Je ne comprends pas. Comment un si joli petit chat peut-il être capable d’un tel carnage ?! Je me sens très mal et me mets à pleurer sans pouvoir m’arrêter. J’aperçois alors des yeux luisants dans le coin de ma chambre, tout près de la porte, brillant dans le noir. Ils me fixent. Je frissonne, parcourue d’un indescriptible sentiment de menace. Je l’appelle : « Mimi ? Mimi ? ». Pas de réponse. Bien sûr. Mais d’ordinaire elle miaule à chaque fois qu’on l’appelle. Les yeux disparaissent alors et j’entends des bruits de pas, rapides, presque inaudibles.

Je n’ai pas pu fermer l’œil après tout ça.

Je me suis levée aux aurores, attendant mon compagnon avec impatience. Je veux lui raconter ce qui m’est arrivée, ce qui est arrivé à Mimi. Elle doit être honteuse, car impossible à dénicher. elle s’est sûrement encore cachée dans un endroit improbable. J’ai nettoyé et désinfecté mes pieds, sans grand succès. Les plaies sont purulentes et n’arrêtent pas de saigner. J’hallucine. Je ne vais tout de même pas devoir aller aux urgences, si ? Être contrainte d'avouer que c’est mon chat qui a fait ça, personne n’y croira ! Moi-même je n’y crois pas ! Alors que je prépare le petit-déjeuner, j’entends la porte d’entrée s’ouvrir : enfin il est rentré ! Les larmes aux yeux, je me jette dans ses bras. Il n’en revient pas : « Hé bien, qu’est-ce qu’il t’arrive ? C’est parce que Mimi n’a pas passé la nuit avec toi que tu es dans cet état ? ». Ma vision se trouble sous la stupeur, et je vois Mimi se précipiter vers son bol de croquettes, comme affamée. « Elle en a profité pour sortir hier soir, quand je suis parti. J’étais inquiet, mais elle m’attendait devant la porte quand je suis revenu ce matin. ». Je deviens livide.

Si Mimi avait passé la nuit dehors, alors… qu'est-ce qui m’avait attaqué les pieds ? Qui était rentré dans ma chambre ? Qui m’avait rejoint dans le lit ? Je perds l’équilibre. La douleur se fait lancinante. Mon compagnon me rattrape de justesse, et je prétexte la fatigue. Je ne veux finalement pas lui dire. Je ne veux pas qu’il s’aperçoive de l’état de mes pieds.

Plus ou moins rassuré, il reprend son rituel, à savoir prendre une douche et ensuite aller dormir à son tour. Je déjeune en compagnie de Mimi, comme chaque jour ou presque. Elle semble plus nerveuse que d’ordinaire et me fixe avec des grands yeux angoissés. Elle se demande probablement pourquoi je ne l’avais pas cherché alors qu’elle était restée dehors toute la nuit. Je lui murmure « Pardon. », faisant partie de ces personnes qui parlent à leur animal. Mimi plisse les yeux et se met à ronronner, peu rancunière. Elle s’approche, réclamant une caresse. Mais elle se fige en chemin, ses yeux rivés sur mes pieds. Elle fait marche arrière, tout doucement, comme si elle a vu un fantôme ou quelque chose de terrifiant. La peur s’empare de moi face à cette réaction inattendue et perturbante, les battements de mon cœur retentissent dans tout mon être. Je croise le regard de Myrtille : je peux y lire de la peur et de l’incompréhension, et elle peut probablement déceler la même chose dans le mien.

Encore aujourd’hui, je me demande ce qui m’est arrivée cette nuit. Quelle était cette chose dans ma chambre ? Je dis bien « chose » car j’ai finalement dû m’y rendre, à l’hôpital, et le verdict est tout sauf rassurant. Le personnel n’avait jamais rien vu de pareil, et la guérison fut très difficile. Le médecin m’a dit qu’il s’agissait probablement d’un animal sauvage : « D’une espèce inconnue ! » avait-il ajouté en riant. Mais moi, ça ne m’amusait pas. Pas du tout. Ça m’effrayait. Désormais, je ressens de l’appréhension et de l’anxiété dès que je suis seule, craignant sans cesse que « ça » revienne. Vu ce que « ça » a fait à mes pieds, « ça » serait capable de tout… Oh oui, la créature est capable de bien pire… Depuis lors, Mimi n’a plus jamais passé une nuit en ma compagnie. En fait, elle semble même éviter d’entrer dans la chambre, un peu comme s’il y avait quelque chose de maléfique à l’intérieur… Il paraît que les chats sont capables de voir des choses… Je préfère ne pas y penser. En fait, je n’aime plus cette maison, je veux partir. Je veux partir d’ici… Vite, je veux partir. Je n’ai plus beaucoup de temps, je le sens. Quand je suis seule à la maison, il m’arrive d’entendre du bruit, ou même des miaulements dans la chambre, mais je sais que ce n’est pas Mimi… Car elle est là, avec moi, à me regarder avec de grands yeux terrorisés. Cette chose dans la chambre, ce n’est pas Mimi...

Texte de IvyFenrir

Daniel

Malgré son jeune âge, j’avais toujours laissé à ma fille, Lisa, une grande liberté. Du haut de ses neuf ans elle avait déjà adopté un certain nombre d’automatismes ; elle regardait à droite et à gauche avant de traverser une route, ne faisait pas confiance aux inconnus et arrivait même à prévoir bon nombre de dangers. 

De ce fait, je lui laissais une large autonomie lorsqu’elle était à la maison ; elle pouvait aller jouer dans la petite cabane du jardin comme dans la cave. D’ailleurs, ce dernier lieu semblait être son endroit favori, puisqu’elle m’en parlait beaucoup. Elle y menait ses activités d’enfant, je suppose. 

Un jour, Lisa m’a parlé de ce nouvel ami avec qui elle s’amusait, il s’appelait Daniel. Lorsque j’ai appris la nouvelle, je n’ai pas pu retenir mon sourire. Un ami imaginaire, encore un. L’innocence de ma fille m’attendrira toujours, elle avait décidément une imagination débordante. Rosa, Ryan, et maintenant Daniel. Je l’ai embrassée sur le front puis lui ai conseillé de retourner jouer avec Daniel, et elle m’a rendu ma tendresse avant de se précipiter dans la cave. 

 Je n’y voyais aucun mal bien sûr, j’allais régulièrement dans la cave et rien d’anormal ne s’y déroulait. 

Quelques jours sont alors passés et un constat s’est imposé : Lisa passait le plus clair de son temps libre dans la cave, à jouer avec Daniel. La curiosité m’a envahi, j’ai décidé de m’intéresser de plus près à cette pièce. 

Un soir, après l’avoir mise au lit, j’ai fini par explorer plus sérieusement la fameuse cave. Je craignais avant tout que Daniel ne soit rien d’autre qu’un rat qu’elle avait adopté. 

Je pense que je déteste tout autant ma cave que mon grenier, les deux sont des lieux sombres habités par une faune effrayante, dont une tonne d'araignées. J’ai beau faire 1m80, ces minuscules bêtes à huit pattes m’horrifient plus que tout. Malgré ma phobie, je me suis engouffré dans la cave, où l'on stockait tous les outils de jardinage, de vieux jouets et tous types de choses qui n’avaient pas d’utilité dans l’immédiat. 

La cave est spacieuse, il y a de quoi s’occuper lorsque l’on est un enfant. J’ai commencé à farfouiller un peu partout, j’ai notamment vérifié si les murs étaient troués, mais rien de bien concluant. J’ai aussi cherché tout signe de rongeur, en vain ; aucune trace de souris ou de rats. Je comptais m’éclipser lorsque j’ai remarqué du mouvement derrière une pile de cartons. J’étais certain de ce que j’avais entendu, la bête était vive et faisait beaucoup de bruit lorsqu’elle bougeait. Elle s’était déplacée. J’ai aperçu ses yeux luisants m’observer dans un coin peu éclairé. Comment cette chose s’était retrouvée dans la cave ? La curiosité était forte, mais la peur l’a emporté. J’ai détalé dans les escaliers pour sortir le plus vite possible, avant de refermer en trombe la porte derrière moi. Je tremblais de tout mon être. Je suis très peureux de nature, mais là, j’étais certain qu’il y avait un monstre dans ma cave, avec lequel jouait ma fille. 

Je n’ai pas fermé l’œil de la nuit. Enfin jusqu'à ce que la porte de ma chambre s'ouvre, et que ma fille se jette sur mon lit en sanglotant. Elle pleurait toutes les larmes de son corps : Toby, notre chat, n’avait pas dormi avec elle cette nuit comme à son habitude, elle pensait qu’il avait disparu et qu’elle ne le reverrait jamais. Mon sang n’a fait qu’un tour lorsque j'ai compris. C’était cet attardé de chat qui était dans la cave hier soir et que j’avais pris pour le monstre. 

Je me suis senti très bête lorsque le chat s’est précipité en dehors de la cave dès que j'ai ouvert la porte, le lendemain. Ma peur me jouait des tours. Mais ma fille câlinant son chat m’a vite redonné le sourire. J’étais enfin rassuré, et suis donc allé faire une sieste pour rattraper ma nuit tourmentée. Lisa, elle, vaquait à ses occupations habituelles. Je me suis endormi sans problème. 

Mais mon repos a été de courte durée, car des bruits de pas venant du dessus de ma chambre, du grenier donc, m’ont sorti de mon sommeil. J’ai mis du temps avant de réagir. Je suis sorti de ma chambre, et suis tombé nez à nez avec Lisa. Elle tenait dans ses mains un seau, vide, enfin presque, car une minuscule araignée frétillait au fond de celui-ci. Je n’ai pas pu retenir un gloussement de peur, la colère a pris le dessus, et je l’ai giflée. 

Je lui avais pourtant bien dit que le grenier était dangereux, et qu’elle ne devait y aller sous aucun prétexte. Agir de la sorte était le meilleur moyen pour qu’elle ne recommence plus. Elle m'a répondu en sanglotant qu’elle ne voulait pas que Daniel meure de faim, et qu’elle lui apportait des araignées venant de la cave seulement pour le nourrir. 

Il ne m’en fallait pas plus. J’ai pris la batte de base-ball qui trônait fièrement sur ma commode, et j’ai monté avec détermination les longs escaliers menant au grenier. Lisa me suppliait de ne pas faire de mal à Daniel, mais je l’ignorais. 

Je suis entré dans le grenier, l’endroit était poussiéreux mais dénué de tout insecte ou d’autre animal. Enfin, je savais qu’il n’y avait que Daniel. J’ai remarqué une flaque d’eau sur le sol, le toit fuyait visiblement encore. J’ai soigneusement fermé la porte derrière moi, et ai observé attentivement, chaque meuble, chaque carton, chaque parcelle de la pièce pour localiser ses petits yeux luisants. Je n'ai pas vérifié en hauteur, conscient que grimper était en dehors de ses capacités. 

Je commençais à m’impatienter. J’enrageais, je ne le trouvais pas. Mais du coin de l’œil, j’ai remarqué une tégénaire qui s’enfuyait d’un coin de la pièce. En temps normal j’aurais hurlé de terreur, mais pour une fois l’araignée m’avait aidé. Je savais maintenant qu'elle fuyait le danger. Et le danger pour elle, c’était Daniel. Je me suis approché de l’armoire massive et assez surélevée pour cacher un monstre en dessous, et me suis baissé pour voir s’il y était bien. Enfin. 

« Je t’ai trouvé » lui ai-je murmuré. 

Ses yeux brillaient, il tremblait de peur et je crois même qu’il pleurait. Pour une fois que ce n’était pas moi qui avais peur. J’ai esquissé un large sourire, puis j’ai donné un coup de batte sous l’armoire afin de l'y déloger. 

Il a rampé avec assiduité jusqu'à mes pieds, je pouvais maintenant contempler sa laideur. Daniel était petit, anormalement maigre, on pouvait clairement distinguer toutes ses côtes. Sa pâleur était tout aussi dégoûtante. Il ne restait vraiment plus grand-chose du petit garçon que j’avais élevé. 
« Content de voir que tes bras et tes jambes n’ont pas repoussé. » ai-je plaisanté. 

Il continuait de me supplier du regard, toujours sans un mot, des larmes coulant le long de ses joues. Oui, cette fois je n’avais plus peur. Je lui ai donné de grands coups dans les côtes, il a hurlé de douleur. La vue de sa langue à moitié coupée et de ses dents manquantes m’ont fait remonter certains souvenirs. 

Les araignées me font très peur, mais si je les déteste tant, c’est parce que les monstres comme Daniel peuvent survivre grâce à elles. En y repensant, je ne lui avais pas donné de nom, mais c’est vrai que Daniel lui convient parfaitement. Malgré ma haine envers lui, je dois bien lui concéder ça. Il a survécu pendant autant de temps en se nourrissant exclusivement d'araignées. Il avait certaines ressources, pour un enfant. 

Je vous laisse imaginer le choc lorsque j’avais appris qu’il n’était pas de moi. Je n’avais donc pas cherché à l’élever, mais je ne suis pas inhumain non plus. Je n’allais pas le tuer, enfin pas directement. Juste faire en sorte qu’il ne pose aucun problème, disons. On aime que ses propres enfants pas vrai ? 

Depuis, de l’eau a coulé sous les ponts, ma fille est devenue adolescente, et m’a récemment demandé pourquoi le grenier était condamné. J’ai pris un air grave en lui répondant. 

« C’est pour que Daniel ne s’enfuie pas. » 

Elle m’a dévisagé pendant plusieurs secondes, puis s’est esclaffée de rire. 

« Arrête de te moquer, on a tous des amis imaginaires quand on est petits. » 

J’ai acquiescé et l’ai rejointe dans son rire. Elle avait vraiment une imagination débordante.


Texte de Sawsad

Torture auditive

Buck avait la bouche en sang.

Il en sentait le goût sur son palais. Il s'était mordu la langue. Les liens à ses mains semblaient se resserrer un peu plus à chaque fois qu’il tentait de tirer dessus. La musique se jouait à plein volume depuis maintenant…quatre, cinq jours ? Enfermé dans cette pièce blanche depuis tout ce temps, il n’avait eu comme seules préoccupations que la douleur, et cette incessante musique, qui toutes deux l’enveloppaient. A chaque battement que le morceau faisait, il sentait ses tympans au bord de la rupture.

Buck n’était pas un ignorant, bien sûr. Il savait bien que cette torture était courante, il avait vu à maintes reprises des supplices auditifs similaires représentés au cinéma. Sous les néons aveuglants, la réalité le rattrapait assez vite. Il n’en pouvait plus. Le son semblait de plus en plus fort. Le morceau, aigu et enfantin, se répétait sans pauses, toutes les 3 minutes environ.

Un bruit sourd vint s’ajouter à la cacophonie ambiante, et l’unique porte de la pièce s’ouvrit. Cela faisait bien deux jours que Buck n’avait pas vu l’un de ses tortionnaires. Leurs visites se faisaient irrégulièrement, et cette imprévisibilité le plongeait dans un état de stress presque permanent. A la torture physique s’ajoutait celle, bien pire, mentale. La musique se coupa, et il put enfin se concentrer sur autre chose que sur ce son infernal. Buck leva ses yeux épuisés vers l’homme, lequel était en costume cravate. Celui-là, il ne l'avait jamais vu. Il était aussi pâle que ses autres tortionnaires, mais agrémentait ce teint blafard de cernes proéminentes, qui en d’autres circonstances, auraient fait passer l’homme pour fatigué, mais qui ici ne faisaient qu’ajouter un côté étrange à son visage. Buck savait ce que cette coupure signifiait. L’homme allait lui parler.

- Je vois que vous ne vous êtes toujours pas décidé à parler, monsieur Fread. Je me suis toujours efforcé d’épargner aux gens mes avis personnels, mais je dois dire que je suis profondément déçu de votre réticence. Vous êtes assez intelligent pour comprendre que vous n’êtes pas en mesure de résister. Ou du moins, plus pour très longtemps.

Les oreilles de Buck bourdonnaient encore, et la musique semblait toujours traîner dans un coin de son crâne. Même éteinte, elle ne semblait pas pouvoir le quitter. Peut-être ne le quitterait-elle jamais. Devant le silence de son interlocuteur, qui semblait trop affecté psychologiquement pour parler, l’homme à la cravate continua son monologue.

- Monsieur Fread, votre heure n’est pas encore arrivée, nous le savons tous les deux. Sans jamais mettre votre vie en danger, je pourrais vous laisser seul dans cette pièce avec la musique plus forte que jamais. Cela ne m’effraie pas. Vous tenez encore, mais combien de temps pensez-vous que vous tiendrez si je vous laissais, disons, une ou deux semaines de plus, seul avec cette musique ?

Buck n'aurait pas pu supporter de replonger dans cet enfer, il le savait. Si l’homme donnait l’ordre de relancer la musique, son cerveau ne tiendrait pas, et les onces de conscience qu'il lui restait craqueraient. Au fond de lui, il le savait. Il se décida à essayer d’articuler quelques mots.

- Non. Non. Pas la musique.

Le sourire satisfait de l’homme à la cravate se fit encore plus inquiétant que la perspective d’une mort certaine.

- Que faisiez-vous près du château monsieur Fread ?

Buck crut pouvoir répondre, mais seul un filet de bave sortit lorsqu’il ouvrit la bouche. Son cerveau était brisé. Qui aurait cru qu’une mélodie qu'il avait maintes fois entendue enfant pouvait autant briser un homme ? Dans un ultime effort de concentration, il put de nouveau parler.

- Non, pas la musique. Pas la musique. Je vais parler. Pitié.

Le sourcil dressé de son interlocuteur silencieux l’incitait à lui en dire plus.

- Le château. Je voulais prendre des photos du château.

- Voilà une réponse satisfaisante, monsieur Fread. Hélas, je me vois contraint de vous réprimander. Que ce soit bien clair : on ne prend pas de photos des alentours du château la nuit. C’est interdit. Il s’y passe des choses…étranges. Vous les avez vues, n’est-ce pas ?

Il n’attendit même pas que son prisonnier lui apporte une réponse. Il n'en n'avait pas besoin.

- Vous avez commis une erreur, monsieur Fread. Une grave erreur. Nous allons vous garder ici quelques temps. Puis nous verrons de quelle façon vous disparaîtrez. Au revoir, monsieur Fread.

Buck se sentit mourir à l’intérieur. S’ils le replongeaient dans cet enfer sonore, il allait définitivement craquer.

Le cri qu’il poussa aurait fait frissonner n’importe quelle personne ayant pu l’entendre. Malheureusement pour lui, son hurlement se perdit dans les échos du couloir vide. A la surface, personne ne l’avait entendu.

- NON ! PITIÉ, PAS LA MUSIQUE !

Les premières notes résonnèrent dans la pièce, de nouveau scellée.

A la surface, sur un parking situé non loin du château, la même musique se jouait à travers des hauts-parleurs. Un touriste irlandais, inconscient de l’horreur qui se déroulait sous ses pieds, flânait sous le soleil californien avec sa famille. En entendant la musique démarrer, il se surprit à chanter en cœur les paroles de la chanson, un bonheur inhabituel pour ce cinquantenaire. Aucun doute, il était vraiment dans l’endroit le plus joyeux du monde.

“It’s a small world after all, It's a small, small world...”

Texte de Tac

Le démon, Partie 3 : Le café

« Et c'est pour ça que le gouvernement nous cache la fuite d'Hitler en Antarctique ! »
Platisto-Galiléo, ou Simon de son vrai nom, nous inondait depuis une demi-heure d'explications complètement farfelues et délirantes sur des « vérités » concernant notre monde. Celui qui nous avait contacté en privé suite à notre topic sur le forum de paranormal que l'on fréquente avec Kévin nous avait donné rendez-vous dans l'Abattoir Café de Strasbourg, afin de discuter de mon problème de démon. Alors qu'on s'y était rendus sans en attendre grand-chose, il s'était vite avéré que ce drôle de personnage était un complotiste persuadé de détenir des vérités interdites et que le gouvernement voulait le faire taire.

Mis à part ses discours dérangés que Kévin buvait comme des vérités absolues ouvrant la voie de réflexions encore inconnues à ses yeux, il avait l'air d'être le moins dérangé des types qu'on avait croisés jusque-là. En effet, à chaque fois qu'il exposait une nouvelle théorie, il sortait du sac Eastpak qu'il avait amené avec lui une « preuve » de ce qu'il affirmait, ce qu'il fit à nouveau en nous passant une photographie montrant Hitler habillé avec un long manteau polaire dans un environnement entièrement blanc. Et alors qu'il enchaînait sur un sujet qui n'avait pas le moindre rapport avec celui qui l'avait amené ici et que le serveur s'approchait pour prendre notre commande, j'essayai de le faire revenir sur la raison principale de sa venue.
« Et concernant le démon dans ma tête, tu sais, Niarloth- »
« Non ! » me coupa Simon en frappant du poing sur la table, faisant sursauter le serveur et tomber au sol une des photos-preuves qu'il avait sortie précédemment, qui montrait un astronaute dans le désert du Nevada. « Déjà, tu le prononces mal. Et faut surtout pas l'appeler, il pourrait nous trouver. »

« Enfin un humain respectant ma grandeur ! » énonça la voix dans ma tête, avec une forme de soulagement. J'étais prêt à parier qu'il allait me demander d'en faire son grand prêtre ou une connerie du genre, comme ce fut le cas avec moi pendant les premiers jours où je l'entendais ou encore pour Kévin, après qu'ils aient eu une discussion tous les deux sur le trajet entre la Bretagne et Strasbourg, même si la majorité des phrases qu'ils s'adressaient étaient des insultes.
Simon ramassa sa photo, et nous en profitâmes pour passer commande. Alors que mon pote et moi-même prenions des Guiness comme à notre habitude, le complotiste commanda un déca recaféiné, provoquant le haussement de sourcils du serveur qui repartit en direction du comptoir.
Et alors que Simon s'apprêtait à se relancer sur un autre complot palpitant, Kévin le coupa net, demandant de manière crédule : « Mais il nous a pas déjà trouvés, s'il est dans sa tête ? », ce qui fit blêmir le complotiste, comme si une révélation venait de s'imposer à lui.
« Heu, de ce que je sais et de ce que j'ai appris de Roswell, les Autres Dieux comme lui vivent dans les contrées oniriques et ne sont donc pas forcément dans le monde de l'éveil dans leur entièreté. Mais je ne sais pas s'il n'est qu'une simple copie de conscience, ou une conscience de lui-même à part entière. »

Cette réponse mena à un silence assez froid. Non pas que les révélations qu'il apportait me tétanisaient ou me menaient à un stade de compréhension supérieur de la situation, mais la seule chose que j'avais réellement compris dans son discours était le mot « Roswell » qui me rappelait quelques lointains souvenirs d'émissions télés passant sur TMC le samedi soir. Et après quelques minutes à réfléchir au sens de ce qu'il disait, qui furent d'ailleurs coupées par le serveur nous apportant notre commande, j'ai décidé de lui répondre.
« Tu as parlé de Roswell, tu veux dire les extraterrestres qui se sont écrasés là-bas ? »
Kévin, qui venait de prendre une gorgée de bière, leva la tête, comme pour écouter la réponse qui alimenterait sa nouvelle passion. Simon, quant à lui, me regarda en fronçant les sourcils. « Y a encore des gens assez cons pour croire à ça ? Tout le monde sait que c'était un ballon-sonde, non ? »

Je n'avais jamais dévisagé quelqu'un aussi violemment de toute ma vie. Je lui ai lancé un regard tellement noir qu'il s'est étouffé avec son café en le remarquant, tandis que Kévin et Nyarlathotep faisaient preuve d'un silence mortuaire afin de ne pas m'énerver d'avantage. Et comme pour noyer le poisson, Simon enchaîna sur la réponse à ma question, en bégayant un peu: « Roswell a été le lieu de l'apparition d'un avatar de ton démon. Mais il n'était pas dans sa forme complète et il a fini par être banni de ce monde ».
« Je vois que la connaissance de ma présence a traversé les âges ! » répondit Nyarlathotep avec de l'assurance, comme fier. « Fais que cet humain inférieur soit le grand prêtre de mon culte ! »
Qu'est-ce que j'avais dit. Plus le temps passait et plus Nyarlathotep devenait prévisible et supportable, autant qu'une voix étrangère criant dans ma tête puisse l'être.
Je pris une gorgée de bière en réfléchissant à ce que j'allais répondre, mais Kévin fut plus rapide.
« S'il a déjà été banni auparavant, ça veut dire que tu sais comment faire pour qu'il s'en aille ? » demanda-t-il à Simon, des étoiles plein les yeux.
Celui-ci le regarda avec un petit sourire en coin. « Moi non » lâcha-t-il après quelques secondes, « Mais j'ai une amie médium qui saura sûrement. C'est elle qui m'a dit de vous contacter, pour voir si vous étiez vraiment possédés par le Chaos Rampant ».

Cette révélation nous surprit tous les deux, Kévin et moi. Même si ce Simon avait l'air de n'en connaître qu'un minimum sur le sujet, l'idée qu'il connaisse une personne pouvant m'aider à me débarrasser définitivement de mon problème était une perspective très envoûtante. Néanmoins, le fait que cette personne soit aussi sûrement une déglingo ne m'enchantait clairement pas : j'en avais marre des gens bizarres, et je regrettais presque de ne pas avoir écouté ma mère quand je lui avais annoncé vouloir parcourir la France avec Kévin.
Et alors que j'allais poser plus de questions au complotiste, celui-ci se mit à fouiller dans son sac; et finit par en sortir un objet carré entouré de papier d'aluminium.
« Encore une preuve sur une de tes vérités délirantes ? » lui demandai-je, encore un peu énervé par son mépris de tout à l'heure.
« Non, je vérifie juste que vous racontez pas de conneries ! » me répondit-il sans prêter attention à ma provocation.
Et alors qu'il posait le boitier sur la table, il appuya dessus, sans rien provoquer de la part de celui-ci. Il réessaya une nouvelle fois, puis deux, sans plus de succès, et finit par donner un coup de poing dessus. Cette fois, l'objet parut mieux fonctionner, car il se mit à émettre un bruit blanc qui fit sourire Simon.
« On dirait la radio de ma voiture » remarqua Kévin, qui avait suivi la scène avec le même regard qu'un enfant regardant un spectacle de magie.
« Presque ! » dit le complotiste, visiblement fier de lui-même. « C'est une radio qui change de fréquence en boucle mais qui ne reçoit pas d'ondes extérieures. »

Une spirit-box. Il avait amené une putain de spirit-box faite maison pour dialoguer avec Nyarlathotep. Il allait pas être déçu.
« HUMAIN ! » cria le démon au travers de la radio, faisant sursauter mon pote, le complotiste et le serveur qui passait par là avec un plateau rempli de boissons, lesquelles finirent au sol dans un fracas de verre et de plastique. « SOIS MON DISCIPLE, ET TU DÉCOUVRIRAS DES VÉRITÉS SUR CE MONDE QUE TU NE SOUPÇONNES MÊME PAS ! ».

Visiblement gêné par la situation, Simon répondit qu'il en savait déjà assez sur le monde et appuya sur la radio, qui ne s'éteignit pas. Cette réaction fît redoubler d'efforts Nyarlathotep, qui ne voulait pas laisser échapper sa chance d'obtenir un disciple « digne de ce nom ». Hurlant de plus belle au travers de la radio que notre ami complotiste essayait maintenant d'éteindre en la frappant, le démon se mettait à le menacer de faire de ses amis et de sa famille ses esclaves personnels s'il continuait à refuser son offre. Et comme si la situation ne se suffisait pas à elle-même, un homme arriva en direction de notre table en criant qu'il était le gérant du café et qu'il allait appeler la police si nous n'éteignions pas notre radio dans la minute qui suivait.
Dans la panique, Simon arracha le papier d'aluminium de l'objet, qui se mit instantanément à jouer de la musique puis à parler de la météo, du trafic routier sur la A1 et d'une émission sur NRJ. Et alors que le serveur et les clients des tables à côté rejoignaient le gérant pour se plaindre de la situation, le pauvre Platisto-Galiléo jeta sa radio au sol par désespoir, non pas sans entraîner dans son geste son verre de café qui déversa le restant de son contenu sur les précieuses photos servant de preuves à tout ce qu'il nous avait raconté jusqu'à maintenant.  En touchant le sol, la radio éclata, tout comme la tasse et le respect que portait Kévin au complotiste.

Alors que tout était enfin fini et que le silence revenait, nous entendîmes tous les trois le gérant du café s'adresser au serveur.
« Putain cette fois, j'appelle la police. »

Texte de Daemoniack

Six minutes


J’imagine que je devrais commencer mon histoire en disant que je n’ai pas toujours été un homme religieux. Enfin je veux dire, je ne le suis toujours pas.  Mais au moins, maintenant je sais qu’il y a plus que juste « nous ». Je ne sais rien à propos d’un quelconque Jugement Dernier ou d’un éventuel plan de Dieu mais, malgré ce que disent les athées, il y a réellement un autre monde qui nous attend après la mort.  

Je voudrais pouvoir vous dire que je suis mort avec dignité, mais ça serait un mensonge. Je suis ce que j’aime à appeler un fournisseur de besoins intimes. D’autres personnes m’appellent juste gigolo. La découverte de ma sexualité associée à quelques gros problèmes familiaux ont fait de moi un enfant brisé qui cherchait de l’attention partout où il pouvait en trouver. Tinder, Grindr, et merde, même Craigslist. Sur n’importe quelle plate-forme où un homme seul avec un peu d’argent avait la possibilité de chercher de la compagnie, vous pouviez me trouver. 19 ans n’est pas un âge facile pour être un gigolo, mais je ne pouvais pas me permettre d’être trop difficile. J’étais mignon, et l’argent me permettait de ne pas dormir dans un carton sous un pont lambda. Quoi qu’il en soit, une nuit, alors qu’un cinquantenaire et moi étions en train de nous disputer sur si, oui ou non, j’avais mérité mes 200€, tout dérailla. Il y eut des cris, des objets lancés, des coups et, avant d'avoir pu faire quoi que ce soit, je me retrouvai avec un couteau planté dans la hanche. J’étais un gigolo perdu, et saignant à mort dans le salon d’un étranger.  

Mort est un gars plutôt sympa. Dans la vingtaine, cheveux châtains, le genre de gars qui porte des costumes à cravate. Assez mignon, pour être honnête. Je ne peux pas vraiment vous dire comment j’ai réagi à ma mort. Tout a été assez vite, Mort était pressé et j’avais l’impression qu'il n’était pas le genre à attendre. J’avais juste accepté que j’étais mort, il n’y avait pas grand-chose d’autre à faire.  

Mort me conduisit hors de l’appartement du cinquantenaire, où nous montâmes dans un bus banal. Il s'installa à l'avant, et démarra. Il y avait déjà quelques individus à l’intérieur. Personne de particulièrement intéressant. Je choisis une place derrière Mort lui-même.  

« Et… On va où ? », je demandai aussi naturellement qu’un homme mort pouvait le faire.  
Mort soupira et me répondit avec indifférence : « L’au-delà.  

- Cool… C’est quoi ?  
- J’sais pas. C’est pas mon job de savoir. » 

Je ne peux pas vraiment dire que sa réponse me satisfaisait, mais peu importe. De toute évidence Mort n’allait pas me dire quoi que ce soit d’utile ; alors je m’assis et attendis. Nous récupérâmes d’autres personnes. A chaque fois qu’on arrivait dans un nouvel endroit, Mort se levait, sortait du bus et revenait avec un nouveau corps. Surtout des vieilles personnes. J’étais, de loin, la personne la plus jeune ici. 

Le dernier arrêt fut dans un petit quartier pas très loin de ma ville. Une odeur de fumée envahit le bus. Il y avait une maison en feu, et on pouvait entendre des personnes crier. Mort s’arrêta en face de celle-ci, sortit du véhicule et revint avec deux enfants couverts de cendres. C’était la première fois que je ressentais quelque chose de négatif depuis ma mort. Le plus âgé des enfants était un petit garçon qui devait avoir 11 ans. Le deuxième était une fille d’environ 8 ans. J’avais des frères et sœurs qui devaient avoir leur âge avant que mon père me vire de chez moi. Ils étaient la seule chose que j’avais regrettée en changeant de vie. Je ne sais pas pourquoi, mais ils s’assirent à côté de moi. Peut-être parce que j’étais le plus jeune après eux ? Ou peut-être parce que j’étais assis à l’avant du bus ? Je ne sais toujours pas. Une fois assis, la petite fille tira sur mon t-shirt : « Où est maman ?» 

Le garçon était en pleurs. Je ne savais pas vraiment quoi dire. C’est bizarre de penser à l’âge auquel on commence à comprendre ce qu’est la mort. J’imagine que chacun apprend à un moment différent de sa vie. Pour cette famille, c’était quelque part entre 8 et 11 ans.  

« Elle ne t’a pas dit ? Elle est restée pour s’occuper de papa. Mais elle m’a dit de vous amener en vacances. Est-ce que ça te plairait ?» 

La petite fille sourit timidement et hocha de la tête. Le garçon me regarda par-dessus sa sœur. Il me fixa longtemps et intensément. Je mis mon bras autour de ses épaules, et lui souris de la façon la plus rassurante que je pouvais. Il se tourna et enfouit son visage entre ses mains.  

Nous restâmes dans le bus pendant des heures. Mort conduisait sans se fatiguer. Personne ne parlait vraiment. Quelques-uns échangeaient entre eux sur qui ils étaient quand ils étaient vivants, et comment ils étaient morts. Mais la plupart restait silencieuse. Le petit garçon s’arrêta de pleurer après que sa sœur se soit endormie. J’essayais bien de lui parler, mais il ne répondait pas. Je continuai malgré tout. Après neuf ou dix blagues pourries, j’arrivai enfin à lui arracher un gloussement, et me sentis heureux pour la première fois depuis qu’ils étaient montés dans ce bus.  

« Je m’appelle Tommy. 
- Je m’appelle Cal, ravi de te rencontrer, Tommy. » 
Le garçon sourit. 
« Dis-moi Tommy, qui est ton amie ? », dis-je en lui montrant la petite fille entre nous deux. 
« C’est ma sœur, Sarah. 
- Je suis enchanté de vous rencontrer tous les deux. Tu sais, tu es vraiment très courageux. Tu l’es beaucoup plus que moi à ton âge. » 

Tommy sourit et nous parlâmes encore un peu. Il finit par s’endormir, comme sa sœur. Je restai éveillé, n'arrivant pas à m'assoupir de la même façon. Le bus roulait depuis plusieurs heures mais je ne me sentais pas du tout fatigué. Dehors, le désert s’étendait à l’horizon. Il n’y avait plus eu de signes de civilisation depuis un moment, lorsque j'aperçus une figure noire au loin. En se rapprochant, on put distinguer une maison.  

Elle n’avait qu’un étage, et était en briques et plâtre. On aurait dit que quelqu’un avait pris une maison au hasard et l’avait balancée là, au milieu de nulle part. Elle détonnait dans le désert et, bien évidemment, Mort n’en avait rien à faire.


On s’arrêta en face de la bâtisse. Mort se leva et sortit un carnet de la poche intérieure de son manteau. Il le regarda et dit d’une voix monotone : « Premier arrêt, Thomas Gables. Sarah Gables. Théodore Witchem. Debout et sortez. » 

Les enfants se levèrent en entendant leur prénom et regardèrent autour d’eux, confus. Je les serrai contre moi, inquiet de ne pas avoir entendu mon prénom et à l’idée de devoir abandonner les seules personnes dont je me souciais dans ce nouveau monde. Je regardai autour de moi et vit un homme, Théodore, j’imagine, debout, se dirigeant vers l’avant du bus. Il grommelait quelque chose. Mort s’impatienta et se dirigea vers lui. Il l’attrapa par la manche et le traîna vers la porte pour le jeter dehors. Théodore paniqua et commença à crier qu’il ne pouvait pas aller dehors, que ça n’arriverait pas. Je pouvais sentir Sarah s’agripper à moi et enfoncer sa tête dans mon t-shirt. Elle savait que ce n’était pas des vacances. Elle savait que quelque chose n’allait pas.  

Quand Théodore réalisa que Mort ne le laisserait plus monter dans le bus, il regarda la maison, marmonna quelque chose et commença à marcher dans la direction par laquelle le bus était arrivé. Mort, satisfait d’avoir accompli son travail, regarda dans le bus et scruta les passagers jusqu’à ce que son regard s’arrête sur les enfants à côté de moi. Tommy prit ma main et la serra aussi fort qu’il put.

« C’est l’heure de sortir du bus », dit Mort.  

Les enfants frémirent mais restèrent sur leur siège. Mort s’approcha doucement pour attraper Tommy.  

« Attendez. » 

Je me levai en trébuchant, puis me mis entre Mort et les enfants : « Je vais avec eux. » 

Mort fronça les sourcils : « Mais ce n’est pas votre arrêt.
- Je m’en fous.  
- Ok, soupira Mort, faites ce que vous voulez. Sortez-les juste de mon bus », dit-il en faisant signe aux enfants.  

Je me retournai et m’agenouillai : « Bon les enfants, c’est notre arrêt ». Sarah mit ses bras autour de mon cou et Tommy prit ma main, puis nous sortîmes. Une fois dehors, le bus redémarra et partit dans un nuage de poussière. Je regardai dans la direction où nous étions arrivés et m’aperçus que Théodore n’était plus visible. 

La maison me paraissait familière. D’une certaine façon, elle ressemblait à la maison dans laquelle j’avais grandi. Nous marchâmes vers la porte et toquâmes.  

J’imaginais le pire. Je m’attendais à des démons et à des chaînes depuis que j’étais monté dans le bus. Alors, imaginez ma surprise quand je vis que la personne qui ouvrit la porte était l’homme le plus beau que je n'eus jamais vu. Dans la fin de la vingtaine, des cheveux blonds légèrement ébouriffés avec un air très décontracté :
« Oh cool ! Je me demandais à quel moment de nouvelles personnes arriveraient à la maison. Je m’appelle Éric, entrez ! »   
Éric nous expliqua que la maison était une sorte de salle d’attente géante. On attendait ici, jusqu’à ce que quelqu’un vienne nous chercher. Tout le monde finissait par partir. Il ne savait pas quand ça arrivait et ce qui passait après. Il savait juste que ça arrivait.  

La maison était extraordinaire. Tout ce que vous aviez toujours voulu était là. La cuisine était toujours approvisionnée de nourriture et de bonbons. Les chambres étaient remplies avec tous les jeux auxquels j’avais toujours rêvé de jouer, sans jamais pouvoir le faire. Le salon était rempli de tous les meilleurs films ayant été créés. Ça rendait la vie ici agréable. Bien sûr, il était difficile de se rendre compte du temps qui passait. Il n’y avait qu’une seule horloge dans toute la maison et elle était dans le salon. C’était une horloge numérique avec une numérotation bleue. Je déteste devoir l’admettre, mais j’étais obsédé par cette horloge. Elle avait un pouvoir hypnotique qui semblait n’envoûter que moi. Je ne pouvais jamais m’arrêter de la regarder.  

Nous passâmes les premiers jours à parler et à apprendre à nous connaître. Nous échangions sur qui nous étions lorsque nous étions encore vivants. Bien sûr, je cachais certains aspects de ma vie afin de ne pas brusquer les enfants, mais à Éric je ne cachais rien. Les jours devinrent des semaines que nous remplissions avec des films et des jeux. Des compétitions et des fêtes. Les semaines devinrent des mois. Nous commencions à nous attacher les uns aux autres. J’avais l’impression d’être plus attaché à ces personnes que je ne l’avais jamais été avec qui que ce soit d’autre avant. Les enfants riaient et souriaient, et j’étais heureux. Les mois devinrent des années, et nous commençâmes à nous user. Nous ne vieillissions pas. Nous restions comme nous étions le jour où nous étions morts, mais sans nos blessures. Malgré tout, nous nous disputions de temps en temps sur la façon dont le monde que nous connaissions était dirigé et sur nos opinions. Même si ce n’était plus réellement important, tout compte fait. Honnêtement, j’appréciais quand même ça. C’était comme si nous étions réellement une famille. Les années devinrent des décennies, et nous commençâmes à nous fatiguer. C’était plus dur pour Éric. Il était dans la maison depuis bien plus longtemps que nous. Il commençait à dire que personne ne viendrait jamais le chercher. Il s’enfonçait dans sa déprime et je ne pouvais rien faire pour le réconforter.  

48 ans avaient passés depuis le jour où les enfants et moi étions arrivés, quand Éric nous réunit tous dans le salon. Il ne nous avait jamais dit ce qu’il prévoyait, et il ne nous en avait jamais averti. Il l’avait juste fait. Je ne sais pas comment le feu avait démarré, je savais seulement qu’Éric l’avait allumé. Les flammes allaient plus vite que je ne pouvais courir. Le brasier traversa le sol et toucha nos pieds. J’entendis les cris autour de moi avant même de sentir la chaleur parvenir jusqu’à mon corps.  

Je ne sais pas vraiment pourquoi, mais j'avais l'impression que ça n'allait jamais s'arrêter. Peut-être parce que nous étions déjà morts, mais ça ne rendait pas la chose plus facile. Finalement, le feu cessa de me brûler et la chaleur fut remplacée par un froid qui me paralysa. Vous pourriez penser que j’étais chanceux, mais vous n’aviez pas à entendre les autres crier. C’était le pire. Je ne savais plus depuis combien de temps nous étions là, jusqu’à ce que je remarque à nouveau l’horloge. Comment j’avais pu la louper ? Avec ses chiffres bleus vifs contre le rouge flamboyant, elle sautait aux yeux. Je ne pouvais pas détacher mon regard d’elle. Je la regardais et je comptais les minutes passées à entendre ma famille brûler.
Les minutes devinrent des heures. Les heures devinrent des jours. Les jours devinrent des semaines. Les semaines devinrent des mois. Les mois devinrent des années. Je m’arrêtai de compter après 60. Je ne me souviens plus quand je devins fou. Sans doute quand je commençai à m’excuser pour ce que je ne pouvais pas faire. Je peux dire que ça n'a plus jamais été facile, après ça.  

On m’a dit que je m’étais réveillé dans l’hôpital en criant. Que le personnel m’avait mis sous sédatifs et dans un coma artificiel avant de me réveiller. On m’a dit que j’étais chanceux car les voisins avaient appelé la police en entendant les cris de l’appartement d’à côté. On m’a dit que si l’ambulance n’était pas arrivée à temps, je serai mort. On m’a dit que j’étais mort pendant 6 minutes. Et je peux vous dire que 6 minutes, c’est une éternité en Enfer. 





Traduction : Piaandy

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