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Spotlight : Insomnia

Je m’appelle Thomas, j’ai actuellement 16 ans et, faisons simple, je ne dors plus : je fais partie du club très fermé des insomniaques. Quand on est insomniaque, on ne sait jamais si on est vraiment réveillé ou endormi. La première fois que j’ai fait cette découverte, c’était dans ma chambre il y a quelques mois,  je ne savais même plus quand j’avais dormi pour la dernière fois, voire si je l’avais seulement déjà fait récemment. Mes amis ne me reconnaissaient plus, voire s’éloignaient de moi. Ma famille m’a emmené voir tous les spécialistes de Paris mais aucun n’a trouvé pourquoi je ne dormais plus. Et je ne voulais pas essayer de dormir ailleurs que chez moi, tout simplement car c'est l'endroit le plus calme que je connaisse. J'ai donc continué de « dormir » à la maison pendant quelques temps, je dormais 30 minutes par jour, c'était peu, mais je devais tenir, et j'ai tenu. Pendant plus d'un mois, mes 30 minutes m'ont suffi pour vivre. Mais je ne sortais plus, je ne jouais même pas aux jeux vidéo. Je restais dans mon lit. Je ne sais pas comment ça s'est passé, mais il y a 2 semaines, j'ai commencé à avoir des migraines, des picotements dans les jambes, j'étais mal. Pendant 3 jours, je dormais de plus en plus mal et j'avais du mal à bouger mes jambes. Mais tout a vraiment pris un autre tournant il y a 5 jours.
Je ne pouvais plus fermer les yeux. C'était impossible, ça me déchirait la paupière à en saigner.
On m’a emmené dans un hôpital, j'ai été mis en quarantaine, mais j’avais bien moins de calme que chez moi. Chaque spécialiste se pressait pour me voir, voulant trouver ce que j’avais pour avoir leur nom sur ma maladie inconnue. Deux jours de traitements et d’insomnie pure, de découragement de la part des scientifiques, et aussi deux jours pendant lesquels j'ai commencé à halluciner ainsi qu’à avoir des maux de tête et une forte envie de frapper un à un tous ces incapables de médecins.
Apparemment, c’était un virus très contagieux, mais je restais le seul cas et personne ne pouvait rien faire. Je ne pourrais plus jamais dormir : à la place, pour évacuer une part de fatigue, d’énervement et de douleur, je pleurais, toutes les nuits.
À force, mes paupière se sont arrachées, mais de toute façon, je n’en ai plus besoin.

Il y a encore peu de temps, j'ai commencé à voir rouge, du sang sortait de mes yeux... Quelques heures plus tard, j'étais aveugle. Mais je m'en fichais, j'allais mourir. Il est 11 heures et les cloches de Paris sonnent, je pense que c'est mon dernier jour. Je n'ai pas dormi depuis 1 semaine, je ne pourrai plus dormir, il faut que je me fasse une raison.
Je souffre, mes yeux se sont infectés, les médecins disent que je développe une sorte de gangrène qui, dans quelques heures, atteindra mon cerveau... Je mourrai alors dans d'horribles souffrances, des convulsions, etc...
Je suis en train de m'en aller, je suis paralysé, je ne peux plus bouger, adieu, je veillerai sur vous... de là-haut. Je vois les scientifiques paniquer, la fiole contenant mon virus est tombée.


Comme c'est dommage, ainsi le monde ressentira la souffrance de ne plus pouvoir dormir. Vous me rejoindrez alors là-haut.  

L'auteur n'a pas signé ce texte.

Je vous avais supplié

« S'il-vous-plaît, je vous en supplie, » dis-je. Mais le bourreau ne fit que soupirer et m'adressa un regard empli de tristesse tandis qu'il insérait l'intraveineuse dans mon bras. 

L'aumônier s'assit à côté de moi. « Une fois qu'il aura pressé le bouton, l'injection vous sera administrée coup sur coup. Vous perdrez connaissance dans trente secondes environ, puis vous mourrez peu après, m'expliqua-t-il, quand bien même je l'avais déjà tant entendu auparavant. Un dernier mot ? » 

« Encore une fois, je vous supplie de ne pas faire ça. » 

L'aumônier hocha tristement la tête, déçu que je ne fisse pas face à mon bourreau avec bonne conscience. 

C'est pourtant la vérité. Je n'avais assassiné personne. Cela avait été comme ça toute ma vie. J'ignorais pourquoi, mais à chaque fois que je me faisais mal accidentellement, les personnes à côté de moi se blessaient. Une fois, je m'étais coupé avec une feuille en classe et les trois personnes autour de moi avaient saigné des doigts. Au lycée, j'avais eu un accident de voiture, et même si c'était mon côté qui avait été heurté, ma copine avait eu la jambe cassée. 

J'avais toujours été très prudent. Je prenais soin de moi, et j'essayais de rester au meilleur de ma forme. Mais lorsque j'avais été agressé par ces personnes et que l'un d'eux m'avait tiré dans le visage, les leurs ont explosé, pas le mien. Et quand la police était arrivée, ils m'avaient trouvé à genoux devant leurs corps, me demandant quoi faire en tenant leur arme. 

Environ trente secondes après le début de l'exécution, je vis le bourreau et l'aumônier tomber sur le sol en un bruit. « Je vous ai supplié », répétai-je tristement.

Texte traduit par Aridow

Texte original

Spotlight : La route silencieuse

Je veux vous dire quelque chose. Quelque chose de très utile. Actuellement, je suis avec une jambe et un bras cassés. Assis dans une vieille maison en ruine. Mais peu importe pour l’instant. J’ai quelque chose de plus important en tête.


Pour commencer, mes amis et moi étions ivres quand c’est arrivé, j’étais le moins ivre de la bande et également le seul qui se souvenait de l’accident. Nous étions quatre et tous assis dans un van. Bien que je fusse le plus sobre, ce n’était pas moi qui conduisais, c’était Jimmy. Je sais que la conduite en état d’ivresse est illégale, mais il n’y avait pas de policiers aux alentours. Jimmy nous conduisait dans une mauvaise rue. Et c'est la dernière fois que j’y suis allé. Il percutait des poubelles et des boîtes aux lettres. Je suppose que j’étais le seul à me préoccuper des dégâts que ça causerait.


Andy, un de mes autres amis, a presque ouvert la porte du van en entier et est tombé. On ne l’a pas remarqué tout de suite, et c’est au bout d’un moment que Jimmy s’est arrêté. Nous étions tous conscients maintenant du danger de se faire arrêter. Puis on l’a vu. On a crié son nom, puis couru vers lui, mais il ne nous regardait et ne nous répondait pas. Il était juste assis là, fixant droit devant lui. Il était comme gelé et sa peau était aussi pâle que la mort. Plus loin se trouvait cette créature non-humaine qui n’était plus notre ami. Il s’est levé et a commencé à se rapprocher de nous, et nous avons pu noter quelque chose d’encore plus horrible. Ses jambes étaient maigres et décharnées. Son corps était déchiqueté et ses organes pendaient. Il n’avait pas de cheveux et ses yeux étaient exorbités. Quant à sa bouche, elle semblait cousue. Cody, celui à l’arrière, a commencé à paniquer et a hurlé à Jimmy de démarrer. Mais il était là, en train de le fixer. C’est là que cette créature a commencé à courir vers nous. Nous étions vraiment affolés, et Jimmy restait là comme un idiot et ne démarrait pas le van. C’était trop tard.


Le monstre était en train de grimper sur notre pare-brise. J’ai pris le volant et ai essayé de l’écraser contre un mur en face. J’étais paniqué et n’y arrivais pas, et nous avons percuté une maison. Cody est alors sorti et s’est enfui par une fenêtre des maisons et nous a laissés en plan. Mais je le remercie d’avoir fait cette action stupide, car le monstre a détourné son attention. Il a commencé à le poursuivre dans l’ombre. Nous avons entendu un cri rauque et avons su que Cody n’était plus. J’ai réessayé de conduire mais ça ne démarrait pas. Nous savions que nous devions prendre des mesures désespérées alors nous avons laissé l’engin pour aller demander de l’aide au commissariat, mais il y avait beaucoup de brouillard. On ne pouvait pas voir à 3 mètres, et le fait que nous n’avions pas eu d’accident m'a donc étonné.


Pendant la fuite, nous avons perdu la trace d’Andy et je savais que si le brouillard persistait, je perdrais Jimmy également. Nous avons passé un moment à crier son nom mais il ne répondait pas. Deux minutes plus tard nous avons entendu un son horrible tout près de nous : un cri suivit d’un bruit de chair qui tombe au sol. On a couru aussi vite que possible pendant au moins une demi-heure, et aussi incroyable que cela puisse paraître, nous avons entendu une ambulance. J’ai arrêté l’ambulance et nous sommes montés. Mais c’était vraiment bizarre : comment une ambulance avait-elle pu nous trouver ? Quelqu’un l’avait-il alertée ? J'ai laissé tomber. Ils m’ont demandé ce que nous faisions ici, mais un éclair de lucidité m'a traversé l’esprit : ils ne croiraient jamais à notre histoire. L’ambulance a appelé la police pour nous déposer, et au fur et à mesure que nous arrivions, le brouillard se dissipait. En descendant nous avons senti une horrible odeur, comme de l’œuf pourri. Ensuite nous avons vu le corps d’Andy. Son estomac était sorti et ses tripes éparpillées, sa figure déchirée et ses jambes écorchées. Peu importe quelle créature c’était. Mais ça prend les tripes et la chair des humains pour les mettre sur son propre corps. Après ça ils nous ont forcés à dire ce qui s’était passé, et nous l’avons fait. Jimmy a disparu inexplicablement une semaine après l’accident. J’ai le sentiment que ça me poursuit mainte…
Traduction de Teru-Sama

Le texte original était ici, toutefois il a été supprimé car il ne répondait plus aux standards de qualité. Comme quoi, même en 2013, le système de sélection sur CFTC n'était pas parfait.

La pilule

La pilule était tombée très lentement.
Elle lui avait échappé des mains, avait ricoché contre le rebord de la vasque puis chuté au sol où elle avait roulé, roulé tout doucement sous le meuble. Millie l’avait regardée stupidement, sans bouger. Elle avait tenté de la récupérer par la suite, mais sans succès. Elle ne parvenait pas à la voir, même en plaçant la tête contre le carrelage, et l’interstice entre le meuble et le sol était trop fin pour qu’elle puisse y glisser la main. Aussi Millie avait-elle fini par se redresser précautionneusement et épousseter sa robe du plat de la main.


Que faire ? En prendre une autre ?


Jack mettait ses pilules dans un semainier, ces petites boîtes où un compartiment correspondait à un jour. Une case, une pilule, un jour. Facile. Oui, très facile. Mais Jack vérifiait le semainier tous les matins : prendre la pilule était très important. « N’oublie pas ta pilule Millie, tu sais très bien comment tu es quand tu ne le fais pas. ». C’était lui qui remplissait la boîte tous les lundis.


Si Millie prenait une autre pilule du semainier, il s’en rendrait compte. Elle ne le voulait absolument pas. Non, non. Jack s’inquiétait trop, le pauvre chéri. Beaucoup, beaucoup trop, et il la surveillait tout le temps. S’il apprenait qu’elle avait perdu une des précieuses pilules, il irait par la suite jusqu’à la regarder l’avaler.
Millie referma vivement le semainier et le replaça résolument dans l’armoire de la salle de bain.
Elle but tout de même le verre d’eau.


Plus tard, lorsque Jack lui demanda si elle avait pris sa pilule, alors qu’elle faisait chauffer la bouilloire dans la cuisine, elle lui répondit que oui, bien sûr mon chéri, je l’ai prise. Elle l’entendit tout de même ouvrir l’armoire de la salle de bain, puis le claquement du semainier. Cela la fit se tendre légèrement, comme si Jack pouvait voir à travers le meuble, voir la pilule qui avait roulé dessous.
Mais tout semblait en ordre, aussi Jack referma l’armoire et vint vers elle, posant une main ferme et rassurante sur son épaule.


« C’est très important, tu sais très bien comment tu es quand tu ne le fais pas. 
Oui, répondit placidement Millie. »


Et la bouilloire siffla, d’un sifflement perçant et aigu qui lui cribla les tympans.


oOo 


 
A dix-neuf heures, Millie se retrouva à préparer le repas comme à son habitude. Elle tranchait méthodiquement une carotte tout en tentant de dissimuler à Jack les soubresauts spontanés de ses mains. Elle savait pertinemment d’où venaient ces tremblements involontaires. Et de se voir ainsi diminuée, de se voir ainsi incapable de se contrôler sans la maudite pilule cela… Cela… L’agaçait. Oui, voilà, cela l’agaçait.
Elle ne pouvait s’empêcher de jeter de petits coups d’œil suspicieux autour d’elle. Elle s’était sentie de plus en plus oppressée au cours de la journée, comme si un poids lui compressait la poitrine. Il lui semblait qu’un danger pouvait surgir de n’importe où, de derrière le canapé ou la porte. Elle avait déjà vérifié plusieurs fois, compulsivement, ce qui était tout à fait stupide. Il ne pouvait pas y avoir quoi que ce soit derrière le canapé ou la porte. Mais elle y revenait toujours. Comme si une petite voix lui soufflait, venue des profondeurs de son inconscient, tu es en danger, en danger, PREND GARDE A TOI ! 

Jack avait oublié d’acheter le beurre. Il oubliait toujours d’acheter ce fichu beurre. Et lorsqu’elle avait voulu sortir en acheter, il l’en avait empêchée.


« Ne t’embête pas Millie, j’irai demain pour toi. Tu n’as qu’à mettre de l’huile à la place pour ce soir d’accord ? »


Toujours à l’empêcher d’aller à l’extérieur, toujours sur son dos à la materner, cet espèce de petit con. Ce bâtard de merde !


Voilà Millie, voilà ce qui arrive quand tu ne prends pas la pilule.


« Tout va bien, ma chérie ? » demanda Jack,


Millie releva vivement la tête vers lui. Et d’entendre son ton doux et sucré, de voir son visage prévenant, cela lui donna l’envie folle et foudroyante de lui lacérer le visage de la lame, de lui trancher la langue et lui crever les yeux. De le frapper, encore et encore, avec rage, jusqu’à ce que le rouge dégouline et recouvre tout.


« Oui » lui dit Millie en souriant, et elle continua de couper la carotte, lentement, doucement, une tranche après l’autre. Le couteau montait et s’abaissait régulièrement, et elle suivait des yeux le mouvement du fil aiguisé comme un métronome. Jack s’était assis dans le canapé pour regarder la   télé. Il lui tournait le dos. Et le couteau montait et s’abaissait, et chaque fois la carotte cédait avec un claquement. Clac, clac, clac.
Il lui tournait le dos.


Puis le présentateur hurla « BUUUUUUUUUUUUUUUUUT ! » et Millie sursauta violemment, revenant subitement à elle-même. Elle eut un long frisson d’horreur. Jack maugréa quelques instants au sujet de l’arbitre.
Malgré tous ses efforts, Millie ne parvint pas à desserrer les doigts du couteau, et elle le glissa dans la poche de sa robe.

 
oOo 


 
Elle se réveilla au cœur de la nuit sûre d'une chose.
Elle ne s'appelait pas Millie.



G. Il lui semblait que son prénom commençait par un G, Ga… Gab… Elle ne parvenait pas à l’arracher de son esprit encore englué dans une brume opaque.
Elle avait toujours le couteau, glissé derrière l’élastique de sa culotte et plaqué à sa hanche. Mais elle avait aussi remarqué la chaîne sur la porte et les barreaux aux fenêtres. Et derrière cette fenêtre et ces barreaux, des arbres à perte de vue. Elle n’avait pas repéré de téléphone.
Elle ne pouvait pas se servir du couteau, pas avant de savoir où se trouvaient les clefs. Elle savait qu’elle n’aurait qu’une seule, qu’une unique et seule chance.
Alors elle resta allongée sur le dos, les yeux rivés au plafond, le coeur battant à tout rompre, à écouter la respiration profonde et régulière de l’inconnu – de Jack allongé à côté d’elle.
Il commençait par un G, oui, elle en était sûre.
Au matin, elle se débarrasserait de nouveau de la pilule.

Texte de Calyspo

Spotlight : Chasse ouverte

Perdu dans ses songes, l'homme ne remarqua pas les coups provenant de la porte. Ou peut-être les ignorait-il. Les bruits secs et répétés de quelqu'un frappant la porte d'entrée résonnaient pourtant fort dans le petit appartement, qui tenait plus du studio qu'autre chose. Mais l'homme ne bougeait pas, allongé sur le sofa. Ce n'était pas dû à la bouteille de bière dans sa main gauche, celle-ci n'étant que sa première et dernière de la soirée, du moins, c'est ce qu'il se répétait. L'esprit embrumé, trouble, les idées et pensées parcouraient sa tête sans pour le moins du monde qu'il parvienne à les distinguer. Cet état singulier était peut-être dû à la tristesse, à la crainte, qu'en savait-il lui même ? Absolument rien. Toutefois, il eut la vague impression qu'ouvrir cette porte n'allait lui causer que du souci, le mettre en danger, elle tenait en lui le rôle d'une boîte de Pandore. Pourtant, instinctivement, presque contre son gré, il se leva tant bien que mal. On frappait à la porte depuis bien trois minutes : la majorité des démarcheurs auraient abandonné. Enfin, que pensait-il ? Les démarcheurs ne travaillent pas à une heure et demi du matin, heure qu'il confirma en jetant un regard vide sur le cadran de l'horloge, dont le tic-tac incessant avait en général la malheureuse habitude de lui donner des maux de tête fulgurants. Il approcha lentement de la porte en traînant les pieds, pas par pas. Il faillit poser le regard sur le cadre-photo qui lui causait tant de mal, mais tant de bien. Beaucoup de ses soirées avaient été consacrées à contempler cette photo en sirotant de l'alcool. Depuis qu'elle était partie.

Il arriva finalement à la porte.
« Je ne devrais pas ouvrir, pensa-t-il. »

Il enleva le loquet.
« Ça pourrait être dangereux. »

Il sortit la clé de sa poche, et peina à la rentrer dans la serrure, les mains tremblantes.
« J'ai des chances d'y laisser ma peau. »

Après quelques secondes, il y parvint.
« Je vais le regretter à coup sûr. »

Il tourna la clé.
« Je ne sais même pas qui c'est. »

Portant la main à la poignée, il ouvrit la porte dont le grincement lui fit monter le pouls. La lumière lointaine de la cuisine ne suffisait pas à éclairer le palier, qui n'était lui-même pas doté d'éclairage. Aussi ne vit-il, se tenant devant lui, qu'une grande silhouette large et carrée. Il se passa quelques secondes avant que l'un des deux personnages ne prononçât un mot. Ce fut notre protagoniste qui parla en premier.

« Bonjour, il y a un problème ? »

Il essayait tant bien que mal de calmer, ou du moins de masquer sa peur. Deux parties de son esprit, maintenant en éveil à cause de sa peur, luttaient pour décider le dessein de cet homme. Son côté rationnel le mettaient face aux faits démarquant la vérité, mais son imagination préférait, elle, croire que l'individu n'était là que pour une raison qui rendrait sa peur futile.
« Je suis de la maintenance. Les voisins du dessous se sont plaints de fuites provenant de chez vous, j'ai entendu que vous étiez réveillé, alors j'ai décidé de faire ça cette nuit, si ça ne vous dérange pas, affirma l'homme avec un faux ton concerné cachant quelque chose proche de l'imperceptible, quelque chose que l'homme au regard un peu hagard considéra comme de l'amusement.

Peut-être l'homme aurait-t-il pu croire à ce récit s'il n'était pas une heure et demie du matin, peut-être l'aurait-il trouvée crédible s'il y avait jamais eu des personnes habitant dans l'appartement à l'étage inférieur au sien, peut-être aurait-il été naïf s'il n'avait pas été ensuqué depuis deux bonnes heures, silencieux. Il n'y avait plus de doute sur le motif de la venue de cette homme, quel qu'il fût. Lentement, ses yeux s'étaient habitués à la pénombre au point de distinguer son interlocuteur : un bleu de travail, une casquette cachant la majeure partie de son visage, à l'exception d'un sourire carnassier plutôt mal caché. L'homme aux yeux toujours un peu vitreux fit quelque chose que notre antagoniste n'avait sûrement pas prévu. La porte se ferma dans un grand fracas, puis le loquet fut remis et la serrure verrouillée. L'homme tituba en arrière avant de trébucher et de tomber. Il s'attendait à voir la porte être défoncée, car il ne doutait nullement que son assaillant en fût capable. Mais rien ne se passa pendant trente secondes. Ensuite, une voix provenant de l'autre côté de la porte retentit, solennelle mais toujours teintée d'amusement :
« Et dire que ça a failli être une chasse ennuyeuse. Je peux enfin m'amuser. »

Je n'étais pas le seul à chercher refuge dans la tempête

Il y a une règle implicite dans la montagne selon laquelle, peu importe qui vous êtes – un ami, un ennemi, un étranger, N’IMPORTE QUI – si vous êtes un jour en difficulté et que vous tombez sur une cabane de chasseur, vous y serez le bienvenu pour y trouver refuge. Peut-être qu’on n’en parle pas parce que c’est la base de la politesse, et du fameux « traite ton prochain comme tu voudrais qu’il te traite », ou alors on n’en parle pas tout simplement parce qu’à la montagne, il n’y a pas vraiment grand monde à qui en parler. Les mois d’hiver surtout, vous auriez du mal à croiser âme qui vive pendant plusieurs semaines, voire plusieurs mois. Mais c’est la règle : vous en avez besoin, vous l’utilisez. Pas de jugement, pas de questions. Juste, ne volez rien.

Bon, moi, je ne suis pas un costaud montagnard aguerri qui utilise l’écorce des arbres en guise de fil dentaire et qui ne se rase jamais, mais j’aime bien chasser. Il m’arrive souvent de quitter mon petit village d’Alaska pendant plusieurs semaines pour rejoindre mon modeste chalet de chasseur dans les montagnes. Je suis un mec assez prévoyant, et je sais que la montagne peut être traitre alors quand je pars, je pars préparé. Je regarde les prévisions météo sur plusieurs jours, je rassemble le matos nécessaire, j’apporte des réserves, et je m’assure d’avoir de quoi survivre pendant au moins une semaine de plus que prévu, juste au cas où.

J’ai toujours pensé que mes précautions me protègeraient, mais, à l’instar des doudous des enfants, elles n’étaient qu’un écran de fumée, une sécurité illusoire. Il n’existe aucun moyen de prévoir le jour où Mère Nature décidera de péter un câble.

C’est pourquoi je ne me serais jamais attendu à me retrouver pris en plein blizzard ce jour-là. Il avait fait froid et soleil au début, mais à mesure que le jour avançait, des nuages s’étaient formés. Au moment où ils s’étaient rassemblés en une épaisse couverture nuageuse, j’étais déjà sur le chemin du retour vers ma cabane, avec deux lièvres sur l’épaule. Je les avais appelés Dîner et Petit-déjeuner. Je prévoyais de manger Petit-déjeuner pour le dîner et Dîner pour le petit-déjeuner, juste pour la blague. Ce sont les petites choses de ce genre qui permettent d’éviter que la solitude ne se transforme en isolement.

La neige a semblé se mettre à tomber de nulle part, comme si quelqu’un avait fermé un velux et que toute la neige entassée dessus était tombée d’un seul coup. Sauf que ce n'était pas un unique raz-de-marée de neige, mais un assaut continu et infini.

Le ciel s'était assombri très vite, et je me suis haï d’avoir laissé ma lampe torche au chalet. J’avais prévu de revenir bien avant la tombée de la nuit, donc je n’avais pas jugé utile de l’apporter. Je m’étais cruellement trompé.

La neige qui s’engouffrait dans mes yeux me piquait comme autant de petites aiguilles acérées. J’ai dû plisser les yeux pendant presque tout le trajet pour empêcher ces petits bâtards glacés de m’énucléer. Le vent hurlait alors que les rafales pénétraient mes vêtements et me glaçaient jusqu’aux os. Je pouvais à peine voir à 1 mètre devant moi, et à 1 mètre derrière moi, tout disparaissait dans une couverture blanche qui ne cessait de grandir. Je ne sais plus trop à quel moment j'ai réalisé que j’étais perdu. J’aurais déjà dû être arrivé à mon chalet à force de marcher, mais tout ce que je voyais c’était des nuances de blanc et quelques-unes d’argent et de gris se balançant dans le vent violent. Les lièvres sur ma nuque avaient durci et me cognaient à chaque rafale de vent et à chaque pas titubant de ma progression maladroite. Je commençais à être à court d’énergie, à court d’idée, et je me suis mis à paniquer. J’aurais pu faire cent tours sur moi-même dans un fauteuil d’ordinateur, je me serais quand même senti moins désorienté que dans cet Enfer blanc.

Et soudain je suis tombé sur une cabane.

Littéralement.

Ça s’était tellement assombri et la neige était si épaisse que je n’avais pas pu voir le bâtiment avant de m’écraser dessus la tête la première. J'ai fixé mes mains sur la façade en bois afin de ne pas la perdre dans la tempête, et je l'ai contournée jusqu’à trouver une porte. Je n’étais pas juste en difficulté, c’était une question de vie ou de mort. Dans l’improbable éventualité où quelqu’un puisse se trouver à l’intérieur, j'ai frappé à la porte et attendu une réponse.

Au milieu du vacarme du vent, j’aurais juré avoir entendu : « Entrez ».
 
Alors que j'ouvrais la porte et que je pénétrais à l'intérieur, une petite avalanche de neige est entrée avec moi. Je n'ai pas pris la peine de la balayer, étant donné que je me battais déjà contre le vent pour refermer la porte derrière moi. Le soulagement a été instantané. Sans l’air froid qui me fouettait, j’avais mis sur pause le compte-à-rebours de ma mort par hypothermie.

« Merci, » ai-je murmuré.

Je me suis tourné vers l’intérieur de la cabane et ai tenté de prendre mes repères, mais je ne voyais  que l’obscurité, donc aucun moyen pour moi d’évaluer la taille du chalet. Certes, j’en avais fait le tour de l’extérieur, mais en trébuchant à chaque pas et à moitié aveugle, trop concentré sur la poignée de porte que je cherchais désespérément ; alors je n’avais aucune idée de la longueur de la cabane que j’avais pu couvrir. J’avais très bien pu n’en avoir parcouru que la moitié, ou en avoir fait le tour trois fois sans m’en rendre compte.
Au milieu de l’obscurité, je ne pouvais discerner que la vague silhouette d’une personne assise dans un coin.

« Vous êtes mon sauveur », ai-je dit.

Il ne répondait pas.

J'ai tâté autour de moi pour trouver un briquet, une lampe, une allumette – n’importe quoi qui puisse émettre de la lumière, mais tout ce que mes doigts touchaient était des chaines et des canons de fusils de chasse. J’ai arrêté de tâtonner lorsque j’ai effleuré un piège à ours ouvert. Je ne voulais pas me coincer le bras dans l’un d’entre eux ; c’était plus sûr de rester immobile en attendant que la lumière perce.
Il me semblait que l’inconnu avait lui aussi atterri ici en cherchant un refuge. « Donc, ai-je commencé, en gardant un ton léger et innocent,  vous êtes le propriétaire du chalet ? »
La réponse ressemblait plus à un souffle qu’à un mot, mais dans ce souffle je pouvais percevoir un faible : « ouiii ».

Je me suis assis sur le sol, ai posé mes lièvres derrière moi et attrapé mon sac à dos. Pourquoi j’avais pris soin d’emporter un sac de couchage mais pas une lampe torche me dépassait. Je me suis débarrassé de mes habits mouillés et me suis glissé silencieusement dans mon sac de couchage pour me réchauffer, tout en faisant la conversation.

« Merci encore. Ce blizzard est vraiment sorti de nulle part. »
Il a répondu avec la respiration lente, laborieuse et sifflante d’un vieil homme sur son lit de mort : 
« Daangereux. Ouais,  ai-je ricané,  c’est le moins qu’on puisse dire.Faim , a-t-il laissé échapper dans une expiration. Vous avez une cheminée ? J’ai deux lièvres. Je peux vous les préparer, je vous dois bien ça », ai-je offert.
Sa réponse était allongée, comme le hurlement d’un loup, mais sans la majesté du vibrato : 
« Nooon. Ok, dès que la tempête se calmera, j’irai chercher du bois et je nous ferai un feu. Vous pouvez attendre jusque-là ? »
Je voyais sa silhouette se déplacer légèrement. Il y avait un cliquetis de chaînes.
« Nooon », encore une fois, le « on » était étiré en un long gémissement emphatique.
« Non. No-ouii. » Le dernier « non » s'était mué étrangement en un « oui », à la manière d’une personne faisant subitement monter une note vers les aigus, en pleine expiration, dans un air de flûte.

J'ai tendu le cou pour regarder par l’unique fenêtre de la cabane. Elle était complètement plongée dans le noir… dans le blanc.
C’était comme une faible lueur visible sur la toile de fond sombre du bois, qui restait toutefois intrinsèquement noire. Je me suis concentré dessus, plutôt que sur le reste de la cabane, car c’était la seule touche de lumière que je pouvais voir.

« Si ça ne vous dérange pas, je vais essayer de dormir un peu, » ai-je dit d’une voix fatiguée.

Il n'a pas répondu, mais cela ne m'a pas surpris. Les montagnards ne sont pas très loquaces, même quand ils descendent en ville pour acheter le peu de fournitures qu’ils ne peuvent pas fabriquer eux-mêmes.  Je ne m’en suis pas préoccupé et me suis installé pour passer la nuit, mais j'ai senti quelque chose de dur contre mon flanc. En soupirant, j'ai jeté mes lièvres un peu plus loin derrière et me suis mis à l’aise. J’étais épuisé, alors ça n'a pas été difficile pour moi de sombrer, malgré la symphonie du vent qui se jouait à l’extérieur. Je me suis emmitouflé dans mon sac de couchage et me suis endormi.

J'ai été réveillé par un son étrange. Un bruit bizarre de craquement et de « croustillement » qui m'a fait bondir de mon couchage, pensant que le toit était sur le point de céder sous le poids de la neige. Je me suis préparé mentalement, mais alors que le son se faisait entendre à nouveau, j'ai réalisé qu’il ne provenait pas d’au-dessus de moi, mais plutôt d'à côté – près de mes affaires. La silhouette avait disparu de son coin, et je pouvais entendre sa respiration profonde et grinçante accompagnant les craquements.

« Qu’est-ce que vous foutez ?! » ai-je dit d’un ton brusque.

Il s'est replié dans son coin dans un cliquetis de chaines. Mon adrénaline bouillonnait, et je ne savais même pas vraiment trop pourquoi. Quelque chose à propos de cet inconnu me mettait dans un état de quasi-panique. Mon instinct me dictait de partir, mais je ne pouvais pas me le permettre. Quoi que pouvaient être les intentions de ce mec, j’étais plus en sécurité avec lui que dehors dans la tempête.

J'ai attrapé mon sac à dos et me suis calé contre le mur en position assise, fixant la silhouette, m’attendant à ce qu’il bouge. Je me suis efforcé de rester éveillé et attentif, sans jamais détourner les yeux alors que le vent hurlant semblait diminuer d’intensité. Une ou deux fois, j'ai senti ma tête qui commençait à plonger et mes yeux se fermer, mais à chaque fois que je glissais, le faible cliquetis des chaines me rappelait sèchement à la réalité.

Alors que la tempête se dissipait et que le soleil se levait doucement, la lumière a commencé à inonder le chalet. La scène se déroulait progressivement, la ligne de lumière s'élevant dans la pièce à mesure que le soleil montait dans le ciel, comme une imprimante révélant lentement une image, une ligne à la fois. Je n'étais pas dans un chalet, mais plutôt dans une grande cabane de ravitaillement qui mesurait peut-être trois mètres par deux mètres. Il n'y avait pas de cheminée, ce qui semble logique pour une cabane de stockage. Il y avait des outils, des pièges et des fusils alignés contre tous les murs. La silhouette dans le coin cessait progressivement d’être une silhouette pour devenir une personne distincte.
Maigre.
Non, décharnée.
Pâle.
Non, livide.
Homme.
Non, cadavre.
Cadavre.
J’étais estomaqué.
Il était mort. Pas du genre « oups, je suis mort pendant la nuit » mais genre mort depuis longtemps. Depuis, très, très, TRÈS longtemps. Son corps était tout flétri et… momifié ? Est-ce que c’est même le bon mot ? Il n’était pas enveloppé de bandelettes ou quoi que ce soit, mais sa peau était complètement déshydratée et dure, comme une momie désenveloppée. Ses cheveux pendaient de son crâne en ficelles mal peignées. Ses dents dépassaient de ses lèvres ratatinées, laissant entrevoir un vide à l’endroit où aurait dû se trouver sa canine supérieure droite. Il y avait une très vieille tâche de flaque de sang derrière lui. Je l'ai suivi du regard pour en trouver l’origine : son pied gauche, et le piège à ours dans lequel il était pris. Il y avait un crochet vide sur le mur au-dessus de lui avec une chaine accrochée au piège. Elle était assez longue pour lui permettre de se déplacer, mais pas assez pour atteindre la porte d’entrée, ou la scie suspendue au-dessus. Ma meilleure hypothèse était que le piège avait dû tomber tout seul pendant qu’il dormait, et qu’à un moment il avait dû se lever pour chercher quelque chose dans le noir, et s’était pris dans son propre piège. Il avait probablement fini par mourir de soif ou quelque chose comme ça.

Écoutez, je vous le dis ; il ne respirait pas, il ne bougeait pas. Il était aussi mort qu’un clou de porte, et ce depuis un sacré bout de temps.

Je me suis assis, me résolvant à penser que j’avais déliré toute la nuit. La fatigue, la déshydratation et la désorientation générées par la tempête m’avaient fait imaginer sa voix. Ces bruits de sifflement lents que j’avais pris pour des réponses n’étaient que le vent à l’extérieur. Je les avais mal interprétés à cause de l’isolement qui avait fini par me gagner. Les éléments avaient conspiré contre moi pour faire une personne vivante de quelqu'un qui, clairement, ne l’était pas. C’était une bonne explication, logique, et j’aurais aimé pouvoir dire qu’elle était vraie.

Sauf que ce n'était pas moi qui avais arraché la tête de Petit-déjeuner. Ce n'était pas ma canine que j'avais retrouvée sur le sol à côté de moi. Ce n’étaient pas mes ongles secs et crasseux qui étaient plantés dans mon sac de couchage, et ce n'était pas moi qui avait recouvert les lèvres desséchées et craquelées du cadavre avec de la fourrure blanche.

Je ne suis pas resté pour Dîner. 


Texte traduit par Sassy Calopsitte.

Source : https://www.reddit.com/r/nosleep/comments/82f288/i_wasnt_alone_seeking_shelter_from_the_blizzard/

Spotlight : Le vieux monsieur

Le jour où je l'ai vu, j'ai failli mourir dans un accident de voiture. J'ai eu de la chance d'en réchapper, mais, le seul souvenir que j'ai est cette image de lui souriant gentiment alors que je galérais avec celle-ci, je n'ai jamais su ce qu'il avait à voir avec l'accident. J'ai eu un pincement au cœur quand j'ai vu son bras avec ses bracelets dépasser d'un sac mortuaire. Un jour, j'ai cherché son nom, mais le nombre de cadavres ce jour-là était énorme, je pense que je suis la seule à avoir réussi à m'échapper. Je n'ai rien eu à part une cicatrice en forme de croix dans le dos, séquelles de l'opération que j'ai subie pour m'enlever des morceaux de métal du dos. Son sourire m'a hantée longtemps, comment j'aurais pu savoir que deux minutes après, son cadavre sanglant s'encastrerait dans la carrosserie, comment aurais-je pu le savoir ? J'aurais fait attention à mes pneus et je n'aurais pas essayé de contourner ce camion.


Il avait les cheveux noir clair, presque gris, il avait une tête de papy, ses petits-enfants l'attendaient sûrement devant la porte, je voyais ce vieux monsieur arriver avec des cadeaux dans les bras pour ses descendants, leur bonheur partagé et leur maison s'allumaient de mille et une couleurs. J'ai pleuré en pensant qu'ils ne reverront plus jamais leur grand-père arriver à la maison, leurs yeux se remplir de larmes quand ils se rendront compte que c'était leur dernier Noël avec lui.


J'ai pensé pouvoir l'oublier, avec le recul, mais c'est la plus mauvaise idée que j'ai eue. Son sourire était partout: dès que je fermais les yeux, il était là, le sourire heureux d'un homme ayant rempli sa vie parfaitement, avec des personnes qu'il aimait, des amis, des petites manies avec sa femme. J'ai tellement pleuré que mon visage était boursouflé de partout, j'ai une peur de la voiture depuis ce jour-là. Où que j'aille, j'y allais à pied ou en vélo.


Le jour où je l'ai revu, je l'ai regardé pendant longtemps pour être sûr que c'était lui. J'ai rechargé, puis j'ai hésité.
La pandémie durait depuis des mois, sept au total. J'ai réussi à m'échapper, mais mes amis sont tous morts, j'ai croisé la route d'une escouade anti-zombies. La fin du monde était survenue le 15 Août 2015, avec comme conséquence le retour des morts sur Terre. Un virus, ou une malédiction, un savant fou, ou bien dieu, on a jamais su d'où ça venait. Je regardais ce vieux monsieur, serrant mon fusil, fort.


Il n'avait pas fait de mal, il n'y avait pas de sang sur lui, mon compagnon m'a frappé l'épaule, a fait une blague à propos des pruneaux et des latrines des anciens, puis il a tiré, ne le touchant pas. Il s'énerva et me paria une ration que je n'y arriverais pas.
J'ai pleuré pour ce vieux monsieur revenu pour voir sa famille, mais ils étaient partout, il ne fallait pas faire de sentiment.


J'ai visé.


J'ai tiré.


Et je l'ai touché.


En pleine tête.

Casanova

Bon, inutile de tergiverser, entrons dans le vif du sujet dès le début : j'ai toujours eu des problèmes d’érection. J'ai été impuissant depuis ma puberté, ce qui m'a valu de sacrés moments de solitude, surtout lorsque je ramenais des filles à la maison. Généralement, ça se finissait soit en fou rire de ma partenaire, soit en sourire gêné, suivi d'un "c'est pas grave, ça arrive ! ». Ça arrive, oui, mais, pour moi, ça arrive à chaque fois. Et même les petites pilules bleues et autres médicaments étaient inefficaces. C'est pour cette raison que, malgré le nombre de tentatives, j'ai été puceau jusqu'à mes 30 ans. Et encore, j'ai eu beaucoup de chance par rapport à ça. Je m’explique :

Alors que je venais d'entrer dans ma trentième année, je me promenais par un jour ensoleillé dans les rues de ma ville. Jusqu’à ce que j’aperçoive une boutique que je n'avais jamais vue auparavant. Elle devait avoir ouvert très récemment.
C’était une sorte de magasin de vieux objets, un antiquaire. Sur la devanture du magasin, on pouvait voir un panneau :

"Au Bouc Noir : Objets mystiques, porte-bonheurs, voyance, guérisons"

Je suis assez féru d'antiquités, j'aime bien chiner en brocante pour en trouver. Du coup, je suis entré, pour voir s'il y avait des objets intéressants. Le magasin était plein de vieux meubles et d’objets poussiéreux. Quelques babioles en métal, et beaucoup de grimoires sur une étagère derrière le comptoir.
Derrière ce même comptoir, un homme me fixait. Il devait avoir une soixantaine d'années. Il était vêtu d'une vieille chemise blanche et d'un pantalon à bretelles. Ça lui donnait un style d'avant-guerre.

Pendant que j'inspectais les vieux objets qui traînaient dans la poussière, le vieil homme ne me quittait pas du regard. Au bout d'une demi-heure, j'ai fini par me rendre au comptoir, pour lui demander ce qu'il avait en arrière-boutique. Je n'ai même pas eu le temps d'ouvrir la bouche qu'il m'a brandi une fiole sous le nez.

"Cela réglera votre problème d'impuissance. Prenez-le, cadeau de la maison", m’avait-il dit, le sourire aux lèvres.

Putain, comment ce vieux fou l’avait-il deviné ? J'étais sous le choc. Bien sûr, j'ai voulu lui poser plein de questions, mais il m'a vite fait comprendre que l'offre ne durerait pas longtemps. J'ai donc pris la fiole et je suis parti. Après tout, j'étais désespéré.

En rentrant chez moi, j'ai longtemps hésité à boire le contenu de la fiole. Et si c’était du poison ? Je ne pouvais décidément pas boire le contenu d'une fiole donnée par un homme louche dans une boutique toute aussi louche.
Mais un soir, après un énième échec au lit avec une fille qui ne s'est pas gênée pour me faire comprendre que mon impuissance me reléguait au rang de sous-homme, dans un élan de rage, j'ai bu la fiole d'une traite.

Et, miracle, je ne suis pas mort. Et encore plus miraculeux... J'avais une érection qui tenait !

Cette nuit-là, je n'ai pas dormi. Et ma partenaire non plus. Il faut dire que pour une première fois, elle était réussie. Cette fiole avait fait de moi une vraie bête au lit.
Mais c'était trop beau pour que l'histoire s'arrête ici. Certes, cette potion avait sans aucun doute guéri mon impuissance. Je veux dire, ce n’était pas un médicament à prendre avant chaque rapport. C'était complètement guéri ! Je bandais maintenant à volonté, et cette nouvelle capacité avait décuplé ma confiance en moi, si bien que j’enchaînais les conquêtes.

Chaque soir une fille différente. Ça a duré comme ça pendant une petite semaine, c'est ensuite que je me suis aperçu qu'il y avait quelques effets secondaires.
En effet, il semblait que chaque fille avec qui j'avais couché tombait inexorablement folle amoureuse de moi. Attention, j'insiste bien sur le "folle". Ce n’était pas la petite amourette où la fille te lance quelques regards langoureux et te sourit timidement. Elles étaient complètement déchaînées dès qu'elles me voyaient.

Ça m'a posé beaucoup de problèmes, car je n'étais plus tranquille nulle part. À chaque fois que je sortais de chez moi, il y avait toujours une fille qui m'attendait en embuscade pour me sauter dessus. Je me faisais poursuivre dans la rue. Elles inondaient ma messagerie de messages salaces. Elles harcelaient même ma famille et mes amis pour qu'ils révèlent l'endroit où je me trouvais.

C’était devenu ingérable.

C'était forcément de la faute de cette potion, je suis donc retourné à cette fameuse boutique. Et, à ma grande surprise, je n'ai trouvé qu'une boulangerie à l'endroit où elle se trouvait auparavant. En interrogeant le boulanger, il m'a certifié qu'il était installé ici depuis dix ans et qu'il ne savait pas de quelle boutique je parlais. C'était très bizarre, car j'étais certain d'être au bon endroit.

Bref, je devais prendre une décision, car mon quotidien était devenu invivable. Je me suis exilé. J'ai déménagé sans donner d'adresse, et j'ai recommencé ma vie dans une autre ville. Une vie de célibataire endurci. J'étais de retour dans ma vie sans sexe. Je ne pouvais pas risquer de reformer une horde de femmes en furie.

Ça a duré cinq ans. Et il faut dire qu’après y avoir goûté, vivre sans relation sexuelle était une épreuve de tous les jours. J'avais pris un petit boulot dans un restaurant, où je faisais la plonge. C'est là que je l'ai rencontrée. Marion. Elle était magnifique. Rousse, bouclée, avec des petites taches de rousseur qui faisaient tout son charme. J'en étais devenu raide dingue.
Mais, malheureusement pour moi, elle était déjà fiancée. Et elle allait se marier dans quelques mois.

Un soir, alors que je travaillais tard en sa compagnie, je n'ai pas pu résister. Je la désirais ardemment, alors je lui ai fait des avances. Elle les a refusées tout net, bien entendu. Mais je ne sais pas quels démons m'habitaient, c'était sûrement le manque de sexe qui parlait, ou la puissance de la potion qui refaisait surface, mais je ne pouvais plus me contrôler.

Je l'ai attrapée par le bras et je l'ai mise au sol. Elle s'est débattue du mieux qu'elle pouvait, mais j'étais bien plus grand et fort qu'elle. Malgré ça, elle a réussi à attraper une bouteille et à me l'éclater sur la tête. Mais ma frénésie était bien trop importante, et ça a eu pour seule réaction de me faire devenir encore plus violent. Je lui ai attrapé le cou et lui ai violemment tapé la tête contre le sol, pour la calmer un peu.

Ça l'a effectivement calmée, car elle m'a gentiment laissé finir mon affaire. Et, une fois l'adrénaline retombée, j'ai réalisé mon erreur.
J'avais violé une femme. J'avais atteint le point de non-retour. Qu’allais-je faire ?

Après quelques minutes de réflexion, j'en suis venu à la conclusion que je n'avais rien à faire, car l'effet secondaire de ma potion allait maintenant s'enclencher. Elle était maintenant folle amoureuse de moi. Je n'avais qu'à attendre qu'elle se réveille pour que nous puissions vivre une vie heureuse ensemble. Au diable son fiancé !

Mais elle ne s'est pas réveillée. Je l'avais frappée trop fort. C'est en voyant la flaque de sang couler derrière sa tête que je l'ai compris : elle était morte. J'étais passé de violeur à meurtrier en une poignée de secondes. J'étais désemparé.
Heureusement que personne n'était sur les lieux quand ça s'est passé, et que le restaurant n'ouvrait que dans quelques heures. Cela me laissait le temps de masquer mon crime.
J'ai chargé le corps de cette pauvre fille dans mon coffre, et je l'ai jeté dans la rivière. Une fois ceci fait, je suis rentré chez moi.

Vous savez, cette histoire m'a fait comprendre que l'on est jamais satisfait de la vie qu'on a. Ça fait maintenant quelques semaines que j'ai violé et tué Marion, et je regrette chaque jour ma vie d'avant ; calme, certes sans sexe, mais tranquille. Une vie normale.

Quand je sens cette odeur de moisi et de corps en décomposition qui vient de ma cave, je me dis que je n'aurais jamais dû entrer dans cette boutique. Quand j'entends chaque nuit Marion m'appeler par mon prénom et me crier son amour depuis la cave, de ses lèvres décomposées et remplies d'asticots, je me dis que ma vie d'avant était vraiment géniale par rapport à mon quotidien actuel.

Je regrette vraiment ma vie de puceau.

Texte de Kamus